VITE, RIEN NE PRESSE ! de VINCENT ROCA au Petit Hébertot – Mise en scène de GIL GALLIOT- Tous les dimanches à 17 H 30 jusqu’au 24 Février 2013 –

Lumières : Philippe Quillet / Décor : Niels Zachariesen Musiques originales : Pascal Lafa

Qu’est-ce qui fait donc courir Vincent ROCA dans la petite salle du Petit HEBERTOT qui ouvre ses portes tous les dimanches à cet orateur peu ordinaire ?

Sont-ils venus écouter quelque prêche, tous ces spectateurs bien assis qui ont entendu dire que l’homme en question semait la bonne parole ?

 Nous imaginerions bien Vincent ROCA, enfant, l’oreille en alerte, agenouillé sur un prie dieu, pendant le sermon du curé, à la messe du dimanche soir. Pour être à ce point imbibé du mystère des mots qui s’égaillent au-dessus de nos têtes, il faut avoir été piqué par eux, et par la grâce d’une illumination, les avoir confondus avec les abeilles qui tourbillonnent autour d’une ruche.

 Vincent ROCA est un poète converti en humoriste. Il  cultive les mots   comme d’autres cultivent le maïs ou le blé. Et, il sait que ce n’est pas si simple de laisser champ libre aux mots pour qu’ils vous rapportent quelque chose d’inconnu, capable d’étourdir notre raison, et de déshabiller quelque peu la conscience qui tourne en rond sur elle-même comme notre bonne terre.

 « Déshabillez-moi » semble dire au baroudeur de charme, la déesse de la langue française, couverte de lauriers. Vincent ROCA s’emploie à ce strip-tease avec délicatesse et savoir-faire d’horloger.

 Comme nous n’avons pas l’intention de déflorer le spectacle avant qu’il ne soit consommé, nous dirons simplement que Vincent ROCA est un animal de scène, hybride, tantôt preux chevalier, tantôt canaille, tantôt brodeur berger à la claire fontaine. Certains morceaux de bravoure sont de nature à faire vibrer les oreilles les plus sourdes. Il se fût bien entendu avec Victor Hugo quand ce dernier se battait contre la peine de mort. Il y a chez lui quelques gênes de Ruy Blas et de Cyrano.

 Mais enfin, c’est la peine de vivre qu’il défend en riant en passant sous les fuites d’eau que quelques grossières mais belles bassines recueillent sur la scène. Que faire contre les fuites d’eau, rien. Vincent laisse passer le temps et les mots qu’il ravive à sa gourde enchantée.

Oh ces mots qui s’échappent de votre bouche comme des anguilles, des serpents, sachez les apprivoiser, et les couper en quatre, en mille, s’il le faut, ils sauront vous séduire comme Vincent ROCA, subtilement mis en scène par Gil GALLIOT, subversivement intemporel.

Paris, le 30 Novembre 2012                 Evelyne Trân

 

 

 

Un rien nous fait chanter – Spectacle musical – Mise en scène par Nicolas Lormeau au Théâtre de l’AKTEON – 11 rue du Général Blaise 75011 PARIS du 17 Novembre 2012 au 3 Février 2013 – Samedi et Dimanche à 18 Heures –

Avec Arielle Bailleux (Mezzo), Marion Taran (Soprano), Clément Gustave (Baryton) et Maël Montfort (Pianiste et ténor).

Ils et elles avaient déjà, suspendue à leurs berceaux, une guirlande multicolore musicale. De bonnes fées et de joyeux sorciers ont veillé à leur éducation artistique. Il suffit de leur pincer l’oreille, de les regarder droit dans les yeux pour que leur bande fonde aussitôt en chansons.

Voici donc quatre artistes qui se donnent la main au théâtre de l’AKTEON pour un spectacle musical qui semble jaillir d’une fontaine extraordinaire, d’un puits  ensorcelé,  depuis le fond de l’enfance jusqu’aux airs oubliés.

 Les sorciers s’appellent Charles Trenet, Serge Gainsbourg, Francis Blanche, Georges Brassens, Baudelaire et la liste n’est pas exhaustive.

 Tels des papillons au-dessus d’une haute flamme, les quatre artistes se bousculent, courent à tu et à toi après les gammes, après les notes, comme s’ils étaient pourchassés par le bonheur, celui de chanter en solo ou en chœur quelques chansons de pluie, de soleil, et d’amour.

 Le public est sous le charme, radieux, il applaudit de tout cœur au joli tableau que forme la Compagnie La Dame de l’Aube en réveillant pour lui une plurielle de couleurs musicales, le savions-nous, suspendues au-dessus de nos têtes. Il pleut et il soleille en chansons en ce moment au Théâtre de l’AKTEON, parapluies et ombrelles exigés !

 Paris, le 25 Novembre 2012           Evelyne Trân

 

Sexe, mariages et profiterolles de Claude BIGARD à la Comédie des Boulevards, 39 rue du Sentier 75002 PARIS, tous les mercredis à 21 H 30 jusqu’au 9 Janvier 2013. Mise en scène Jean-Marc MINEO avec Sylvie GORTHEAU, Nathalie MANN et Lydie RIGAUD

Au menu de la Comédie des Boulevards, rue du Sentier, à deux pas du Rex, voici une formule qui fera sourire Dames et Messieurs  « Sexe, mariages… et profiteroles » en guise d’entrée, plat de résistance et dessert.

On en mangerait, bien sûr ! Mais il faut quand même de l’estomac.

A vrai dire Claude BIGARD, chef cuisinière expérimentée, a fait tester tous ces plats à trois spécimens représentatifs d’une gente féminine très présente dans les magazines : la femme au foyer, la businesswoman et la public-relations extravertie, lesbienne.

Elles n’ont pas de problèmes d’argent, car cela ne fait rêver personne mais par contre, elles doivent faire face à un phénomène incontournable, qui se dresse telle une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes : la ménopause.

 Vous l’avez compris, il s’agit d’une satire sur un sujet qui engorge depuis des lustres les revues médicales et le corps féminin.

 La ménopause ne concerne que les femmes et il n’y a aucun homme prêtre capable d’écouter dans le secret du confessionnal, les atermoiements des femmes face à ce phénomène. Qu’à cela ne tienne, en papotant entre elles, toujours solidaires, les femmes peuvent faire front. Leurs trouvailles pour ne pas perdre la face, ne peuvent qu’être géniales puisqu’elles sont assurées de tenir le cap. « Femme, je suis, femme, je resterai, jusqu’au bout du nombril ».Toutes les dépressions climatiques du monde ne pourront venir à bout de l’EGO féminin.

 Claude BIGARD signe une comédie divertissante en forçant le trait sur quelques caractéristiques du deuxième sexe, avec un certain humour. Avec une once de soleil comique supplémentaire, gageons que les trois comédiennes remporteront la palme au concours des femmes quinquagénaires, bien dans leur peau, bien dans leur tête, grâce  à cet aiguillon imperturbable, Eros qui veille  à leur sex-appeal.

 Paris, le 25 Novembre 2012                   Evelyne Trân

MON GENERAL de Marcel ZANG, mise en scène de Kazem SHAHRYARI à l’ART STUDIO THEATRE 120 Bis rue Haxo 75019 PARIS du 22 Novembre au 21 Décembre 2012 et du 24 Janvier au 26 Janvier 2013 à 20 H 30

Avec : Alain Dzukam, Lélé Matelo, Odile Roig, Basile Siékoua, Paul Soka et Tadie Tuen. Régie : Jean-Michel Gratecap.

Les jeudis, vendredis et samedis à 20h30

 

Tout se passe comme vous si vous introduisiez dans le cerveau d’un vieil africain à Paris, et que vous découvriez dans les flaques de ses rêves la figure du Général de Gaulle et celle de Marlène Dietrich. Cela peut nous paraitre complètement fou parce que nous avons oublié que nos frères et sœurs colonisés d’Afrique et d’Indochine se sont trouvés engagés dans les grands évènements de l’Histoire de France pendant la 1ère et seconde guerres mondiales quand ils croyaient de bonne foi, agir pour la bonne cause, la libération de la France »martyrisée », auréolée par sa devise « Liberté, égalité, fraternité ».

 Marcel ZANG n’y va pas de main morte pour laisser la parole à son personnage Augustin, politiquement incorrect parce qu’il passe au travers des discours  politiques, des manuels d’histoire, en un mot il est difficilement récupérable parce que l’histoire qu’il se raconte, il l’a fabriquée lui-même, de toutes pièces, à partir de ses souvenirs d’enfance, ses émotions et ses rêves. Elle est imperméable à la réalité qui d’ailleurs se moque de lui.

 Marcel ZANG, écrivain français, né au Caméroun en 1954 et arrivé à Nantes en 1963, s’est inspiré de personnages réels pour écrire sa pièce. Il nous dit en souriant « La réalité dépasse la fiction ».Il n’y a pas  d’individu qui n’ait pas sa petite histoire et il faut croire que c’est au théâtre que le commun des mortels, en chair et en os peut exprimer sa vérité, pour se retrouver humainement, pas seulement sur le papier ou virtuellement à la télé.

 Jusqu’où peut- on aller au théâtre pour exprimer que même noyée dans la masse, elle est toujours là cette parcelle d’humanité qui faisait dire à Shilock, le marchand de Venise «  Ne suis-je pas de chair comme vous ? »

 Cette chair existentielle, celle dont on ne parle pas sauf pour mettre un bouquet sur la tombe du soldat inconnu ou dans les faits divers, Marcel ZANG en est tout imprégné. Elle est complexe, elle devient plusieurs et trouve sa voie au théâtre grâce à un metteur en scène passionné Kazem Shahryari et des comédiens complètement investis. .

 Marcel ZANG nous dit que pour lui c’est l’émotion qui prime et Kazem SHAHRYARI qu’il s’attache essentiellement aux détails et qu’il déteste la grande Histoire qui les supprime allégrement.

 La vérité c’est que l’émotion, elle gagne le public charmé, lui aussi de penser qu’il n’est qu’un détail, parmi Augustin et les autres, heureux grâce à Marcel Zhang, d’avoir pu rencontrer ces mêmes gens, qu’il a croisé dans le métro sans jamais leur adresser la parole « Et toi, c’est quoi ton histoire ».Un détail n’est-ce pas !

 Et pourtant, ce n’est pourtant pas rien de remonter le fil de ce que disent ou ne disent pas les gens qui se côtoient quotidiennement mais qui gardent en soupape, leurs rêves, leur passé. Ce n’est pas rien parce que ce fil, ces fils sont les vaisseaux qui forgent notre mémoire physique. Les racines, voyez-vous les racines de notre vécu, ont beau être souterraines, savoir qu’elles puissent passer à travers nos yeux, nos gestes, nos perles de sueur à travers des comédiens, cela nous coupe le souffle.

 En pleine création, « Mon Général » peut se prévaloir aussi de l’imagination du metteur en scène et des interprètes qui colorent les propos des personnages avec un naturel désarmant.

 A l’affiche plutôt surréaliste, la figure du Général de Gaulle semble sortir d’une main noire. Croyez-moi, il ne s’agit pas d’un mirage, le spectacle « Mon Général » existe bel et bien, et mérite d’être applaudi et encouragé par tous les amoureux du théâtre, le vrai, celui qui transpire, à dimension tout juste humaine.

Paris, le 24 Novembre 2012     Evelyne Trân           

 

ELEONORE BOVON chante *Montand, la voix des poètes » avec François BERNAT à la contrebasse et Pierre INZA à la guitare – au Théâtre Darius Milhaud, 80 allée Darius Milhaud, 75019 Paris – du 13 Octobre au 30 Décembre 2012

Les samedis et  dimanches à 18 Heures jusqu’au 30 Décembre 2012 (Relâche le 1er décembre 2012)

 PS : Eléonore BOVON était l’invitée de l’émission « DEUX SOUS DE SCENE  » en 1ère partie, sur Radio Libertaire, le Samedi 10 Novembre 2012 (Il est possible de télécharger l’émission pendant un mois sur le site de Radio Libertaire 89.4).

Eléonore BOVON est une femme-oiseau,  qui se perche avec tant d’aisance sur les arbres à chansons qu’il n’y a nul doute qu’elle n’ait séduit Yves Montand lui-même.

YVES Montand n’était pas seulement un chanteur de charme, c’était un grand interprète des chansons de Prévert et  Aragon entre autres. Difficile de ne pas se souvenir de son interprétation des « feuilles mortes ».

Grâce à Eléonore BOVON, tous ces airs sifflotés et chantés par Yves MONTAND semblent magnétiser la salle du Théâtre Darius Milhaud. Ils sous- tendent la voix d’Eléonore BOVON qui a la particularité d’être grave et claire à la fois. Cette variété sonore fait merveille  lorsqu’elle s’exerce sur des textes aussi différents que « Est-ce ainsi que les hommes vivent » d’Aragon et « Les mirettes » (Varnay/Heyrat). Quelques spectateurs ont les yeux au bord des larmes pendant  qu’elle chante « Barbara ».

Néanmoins la gaité l’emporte sur la mélancolie et les musiciens  François Bernat et Pierre Inza savent jongler sur tous les tons pour accompagner Eléonore qui nous entraine loin, très loin, là où le bonheur persiste  au 7ème ciel des musiciens.

 Après le spectacle sur Ferrat, j’avoue avoir été conquise à nouveau et n’avoir qu’un vœu à formuler : que les spectateurs prennent rendez vous avec  Eléonore. Le printemps et l’été en chansons, en plein automne, ça vaut le coup ! Eléonore BOVON vous attend jusqu’au 30 Décembre 2012.

 Paris, le 20 Novembre 2012

Evelyne Trân

 

 

 

 

 

 

Voyage Viêt Nam avec une composition musicale de TIM LASER et MICHEL SEULS (Musique CHAMAN)

 
dessin d’Adama TRAN
 VOYAGE VIETNAM 3mn 42 
 
Tu as barbouillé  tes songes,   habillant les  voix de femmes recroquevillées.
 Plus étonnée qu’une étincelle d’eau
s’échappant du chapeau d’une paysanne courbée dans la rizière.
Un grain de riz glisse de ton œil  ouvert.
Aurais-tu peur ?
Tu bascules de l’idée à la  forme,
Sans le moindre effort.
Ils ne recueillent plus le grain de riz.
L’étendue d’une rizière couvre le visage d’une femme vietnamienne.
Les mots ont l’allure d’insectes qui se faufilent à pente douce
comme les  lézards au-dessus des marches.
L’heure est au  lézard ce qu’un rayon de soleil est à une plante d’eau.
Et ma voix  sort du filtre, encore  poisseuse, humide, étrangère,
Elle a dix mille kilomètres et  la  couleur de la queue d’un  dragon
Qui se serait soulevée pour  lécher la montagne.
Roseau qui  penche contre une pensée musclée.
Des hommes prisonniers apprivoisent la nature qui déborde
En grimpant au-dessus des barbelés.
Ils ont tous un cousin dont le nom signifierait ciel dans une  nouvelle langue.
Tu es devenue une plante,
Il  faut te caresser pour t’entendre,
Il faut te maudire pour te dire,
Enfin sourire à  l’intérieur de la vague
 
Evelyne Trân.

CYRANO DE BERGERAC d’Edmond ROSTAND du 6 NOVEMBRE AU 2 DECEMBRE 2012 au Théâtre de l’Epée de Bois à La Cartoucherie de Vincennes

Mise en scène
Olivier Mellor
Lumière, régie générale
Benoît André
Musique originale
Séverin Jeanniard
Scénographie

Noémie Boggio et Alexandrine Rollin
Costumes, maquillages, coiffures Héléne Falé
Son Christine Moreau
Maître d’armes Patrice Camboni
Avec Jean-Jacques Rouvière, Marie-Béatrice Dardenne, Adrien Michaux, Stephen Szekely, Fred Egginton, Rémi Pous, Dominique Herbet, Vincent Tepernowski, Denis Verbecelte, François Decayeux, Marie Laure Boggio, Michel Fontaine, Mylène Guériot, Karine Dedeurwaerder, Jean-Christophe Binet, Olivier Mellor, et Nicolas Auvray.

Cyrano  de Bergerac ce n’est pas seulement un personnage, c’est une pièce, un morceau de choix qui tire son origine des grands rideaux de théâtre qui  s’ouvraient sous l’œil stupéfait d’Edmond Rostand sur une scène à perte de vue.

 Une pièce de théâtre dont le texte suffit à la voix pour élancer l’imagination.

 Tout le monde se souvient du film de Rappeneau et de l’interprétation de Gérard Depardieu. Il n’empêche qu’assister à une représentation théâtrale de Cyrano de Bergerac »,  ce sera toujours un privilège, un cadeau, parce que les personnages qui peuplent la pièce d’Edmond Rostand, sont là pour témoigner de la vitalité du théâtre, sa raison d’être, en s’incarnant sur scène.

 Ceci dit, cela reste une gageure et toujours un défi de monter « Cyrano » car l’imagination d’Edmond Rostand n’a de freins que celle que lui oppose la langue écrite en alexandrins. Il est probable qu’il ne s’est pas beaucoup préoccupé  de la logistique de la mise en scène et c’est tant mieux car il s’avère que sa pièce peut se déplacer, en passant aussi bien par des lieux aussi prestigieux que les remparts de Carcassonne que la simple place du village.

 C’est avec les moyens du bord comme sur un bateau que l’équipage de la troupe, chaleureusement menée  par Olivier MELLOR, investit l’imposant plateau du Théâtre de bois dont le mur en pierres prend soudain plusieurs siècles.

 Dépouillée de ses apparats majestueux, beaux costumes, carrosse,  et foisonnants détails, dignes de grands tableaux d’époque distillés au cinéma, la pièce existe parce qu’elle est au cœur des comédiens qui lui insufflent juste le souffle du texte, et leur bonheur sur les planches.

 Ils sont nombreux comme autant de notes incrustées dans les alexandrins ,à s’éparpiller sur la scène très mouvante, capable d’un clin d’œil de créer, juste avec quelques échafaudages et inventions ubuesques ( Montléry joué par Nicolas Auvray, façon poupée de foire) l’illusion du théâtre dans le théâtre, d’un perron romantique, d’un champ de bataille, d’un couvent et des concerts de rue qui font penser à la fête de la musique lorsqu’il suffit de changer de trottoir pour écouter soit du jazz, soit de la pop.

 Le Cyrano de Jean-Jacques Rouvière bombe le torse, c’est Zorro, le meneur de bande auquel on s’adresse à la cour de récréation, un héros qui a le cœur sur la main, transi d’amour mais toujours fier. En somme, c’est ce mélange de tendresse et fierté confondues qui rendent le personnage si humain.

 Autour de Cyrano, Roxane (Marie-Béatrice Dardenne), De Guiche (Stefen Szekely), Christian (Adrien Michaux) assurent le diapason où se faufilent les multiples autres comédiens qui contribuent à donner à la pièce son envolée onirique, récréative à souhait.

 Du théâtre à pleins poumons à l’état pur !

 Paris, le 12 Novembre 2012     Evelyne Trân

 

LA PUTAIN DE L’OHIO d’Hanokh Levin au Théâtre de l’Aquarium à La Cartoucherie de Vincennes du 8 au 30 novembre 2012 du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h

traduction Laurence Sendrowicz – Ed. Théâtrales, Théâtre Choisi V, comédies crues mise en scène Laurent Gutmann costumes Axel Aust, lumière Yann Loric, maquillage et perruques Catherine Saint Sever, régie générale Armelle Lopez. Direction de production, diffusion Emmanuel Magis/ANAHI

avec Guillaume Geoffroy, Éric Petitjean et Catherine Vinatier

 

Le jour de son anniversaire, Hoyamer, un vieux mendiant décide de s’offrir les services d’une fille de joie.

 A partir de cet argument qui pourrait servir d’enseigne à un conte de fée ou de cauchemar, Hanokh Levin enclenche le récit d’une épopée humaine à trois personnages où tous les ingrédients de malice, ceux qui sous-tendent la carcasse de l’humanité, et notamment  l’argent, le sexe, la vieillesse et la filiation, forment les nœuds de leurs possibles ou impossibles relations.

 La scène est un grand bac à sable, un terrain vague d’où  surgissent quelques individus en loques, le père, le fils, mendiants de leur état, et une prostituée.

 Comme il  ne peut pas être question d’amour d’emblée, ce serait invraisemblable, il faut chercher ailleurs la raison d’être de ces individus.

 Hoyamer, le vieux, s’accroche à son sexe un peu comme à un talisman susceptible grâce à son imagination de l’aider à  poursuivre sa route. Il s’avère que le talisman ne fonctionne plus tout à fait et qu’il a beau le frotter, ce dernier ne produit  plus d’étincelles.

 Il s’ensuit des situations très cocasses car la rage et l’obstination du vieillard s’offrent pour butoir, une plus malheureuse que lui, en somme, une putain, dont il faut relever le courage de n’exister que pour assouvir les fantasmes de pauvres types. Cela vaut bien 100 chekels.

 Les relations entre le père et le fils sont sordides. Le fils n’hésite pas à dépouiller de ses guenilles son pauvre père, pour une liasse billets évaporée.

 Mais quand il ne reste rien, rien, il reste encore le rêve et ces personnages qui atteignent ce luxe de n’avoir plus rien que leurs tripes poussent si bien leur rêve qu’un jour halluciné , on les retrouve tous trois enlacés, le père et le fils serrant la putain de l’Ohio qui a franchi l’indépassable frontière de l’illusion, l’amour. Et leur étreinte  devient une hirondelle de salut. « Souriez, leur dit-elle, même si c’est en rêve ».

 Les scènes sont d’une crudité incroyable. Hanock Levin appelle un chat, un chat. Ces personnages n’usent d’aucuns faux fuyants pour dire ce qu’ils pensent et le manifester. Le récit, il faut que cela achoppe sur, contre , autour de quelque chose qui s’appelle la vie et qui relie tous ces êtres.

 Eric  Petitjean est un énergique et truculent vieillard qui devient aussi poignant qu’un héros de Beckett, lorsque seul, nu, abandonné, il frime encore le désir en caressant sa queue.

 Guillaume Geoffroy joue le fils à papa, suffisamment antipathique pour être reconnaissable et Catherine VINATIER est un putain femme-enfant, rêvée.

 La mise en scène de Laurent Gutmann, éloquente et  dépouillée à la fois, est effrayante de réalisme. Tandis que l’on se demande si les grands panneaux publicitaires de l’Ohio qui se dressent au-dessus de la scène ne sont pas une futile illusion, trois  êtres aussi insignifiants que des crustacés ont l’air, vus d’en haut, de courir et s’ébattre dans un bac à sable.

  Soyons reconnaissants à Laurence Sendrowicz d’avoir traduit cette pièce et bien d’autres de Hanokh Lévin, un auteur qui ne mâche pas ses mots pour faire dire aux hommes ce qu’ils pensent tout bas . Il arrache le pansement sur la plaie mais c’est efficace.

 « La putain de l’Ohio » est un spectacle aussi impressionnant qu’un film légendaire sur grand écran, sauf que les acteurs sont présents et parlent aux spectateurs, c’est du pain béni pour les théâtreux !

 Paris, le 12 Novembre 2012    Evelyne Trân

 

 

 

 

JUSTE LA FIN DU MONDE DE JEAN-LUC LAGARCE – MISE EN SCÈNE SERGE LIPSZYC – au Théâtre de l’ETOILE DU NORD – 6, rue Georgette Lagutte 75018 PARIS – DU 6 NOVEMBRE AU 1ER DÉCEMBRE 2012 DU MARDI AU SAMEDI À 21H –

DISTRIBUTION

Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs
Interprètes Cédric Appietto, Marie-Ange Geronimi, Nathanaël Maïni, Marie Murcia, Chani Sabaty
Décor, scénographie et costumes Laetitia Franceschi
Lumière Benjamin Gicquel
Production L’Aria

L’accroche cœur de la famille, c’est aussi bizarre qu’une fleur fanée épinglée  au revers d’un veston par un homme qui témoignerait de son appartenance à un passé singulier, en s’investissant dans le rôle de revenant, celui qui a quitté la famille et celui qui y retourne.

 Cette sorte  d’ailleurs qu’on appelle les autres peu devenir crucial et importun car c’est tout de même étrange,  on est toujours un autre pour les autres, un étranger en somme.

 La communication ne va pas de soi, sinon nous n’aurions pas besoin de toutes  ces conventions de réunions familiales à l’occasion de fêtes de Noel, d’anniversaires etc., pour maintenir les liens.

 Dans « Juste  la fin du monde » le héros narrateur rencontre sa famille en pensant à  sa mort prochaine. Que les autres le comprennent ou pas, lui il sait qu’il va quitter le monde dont sa famille fait partie. Dans un certain sens, il est en position de deuil.

 Dans sa famille, le narrateur devient la mouche qui escalade plusieurs rayons d’une même toile d’araignée en éprouvant chacun de ses fils de voix, celles de la mère, du frère, de la jeune sœur, de la belle-sœur. Et ces voix retentissent comme si elles n’avaient attendu pour se faire entendre qu’un déclic, sa présence importune.

 Parfois on s’interroge, et l’on s’inquiète en imaginant que chaque personne parle peut être dans le vide, parce que ce qu’elle énonce est difficile ou trop personnel, et puis l’on s’aperçoit que l’autre écoute cependant en silence.

 Il y une suspension irréelle des paroles et des actions,  les champs des souvenirs passés et présents se chevauchent  comme dans un rêve. Le héros narrateur de son retour et de son départ, se prononce tel un voyant qui n’a plus besoin de sonner les cloches de n’importe quel temps. Il est proche de l’avenir dans sa création.

  Les meubles dans la mise en scène de Serge Lipszyc jouent le rôle d’inconscient des  personnages, ils sont collectifs comme des reposoirs, des lieux communs dans le sens noble. Ils les figurent aussi absents ou présents dans la pièce.

 Dans sa note de mise en scène, Serge Lipszyc souligne que la langue de Jean Luc Lagarce navigue entre simplicité et lyrisme, comme une partition. Cette langue semble s’adapter à merveille à chacun des interprêtes qui éclairent de leur personnalité  propre les personnages.

  Dans cette pièce, il n’y a pas de rôle secondaire. Dans l’acuité de la parole qui s’émousse et se relève, il  y a comme un sorte d’émotion textuelle qui fait frémir. Donner vie à des personnages, c’est au-delà de leur créateur, le rôle des comédiens. Tous, dans ce spectacle, s’y engagent avec une justesse bouleversante.

 « Juste la fin du monde » dégage aussi beaucoup de poésie, la poésie intérieure  qui se déverse sur les hauts plateaux du monde extérieur, la famille des êtres et des choses. Pudique et secrète, cette pièce, mise en scène remarquablement par Serge Lipszyc, s’adresse à tous les pigeons voyageurs que nous rêvons d’être en tant que spectateurs, familièrement, cela va sans dire.

 Paris, le 11 Novembre 2012                  Evelyne Trân

 

UNE LABORIEUSE ENTREPRISE DE HANOKH LEVIN – MISE EN SCÈNE SERGE LIPSZYC – au THEATRE DE L’ETOILE DU NORD – 16 Rue Georgette Agutte 75018 PARIS – DU 6 NOVEMBRE AU 1ER DÉCEMBRE 2012 DU MARDI AU VENDREDI À 19H30, SAMEDI À 17H ET À 19H30

DISTRIBUTION

Texte français de Laurence Sendrowicz
Le texte de la pièce est édité aux Éditions Théâtrales
Interprètes Serge Lipszyc, Jérémy Lohier (accordéon), Nathanaël Maïni, Marie MurciaDécor et Scénographie Sandrine Lamblin
Production L’Aria

Une scène de théâtre pour une scène de ménage, voilà un petit ressort comique aussi existentiel qu’un piège à souris que nous tend l’œil malicieux, le dramaturge Hanokh Levin.

 Quelle mouche a donc piqué Yona Popokh pour qu’il  veuille après vingt années de mariage quitter sa femme Léviva ? Crise  de la cinquantaine, démon du midi ? Cette mouche s’appelle l’ennui et la peur de la vieillesse. Traiter sa femme de tas de viande, le grand poète Baudelaire s’est complu aussi à cet exercice. Est-ce à dire  que les histoires de couple se prolongent grâce au va et vient d’un sadomasochisme sous-jacent au flux de la libido.

 C’est parce qu’il ne s’aime pas, que l’impuissance le guette, et que tous ces vieux rêves d’adolescents ont pourri dans une vieille armoire, qu’il trouve sa femme « répugnante ».  Vers qui d’autre projeter son sentiment de dépérissement ? Par contraste, Leviva sa femme parait plus raisonnable. Elle tient le choc parce qu’elle connait son homme, elle sait que ses poches de rêves sont vides, et  puis surtout qu’elle le tient par cette sorte d’amour « désintéressé » qui fait qu’elle pourrait l’aimer encore plus vieillissant comme un enfant . Ceci dit,  elle pourrait prendre aussi au vol, le fil de la liberté que lui tend l’homme ingrat et veule.  

 Et puis au beau milieu de la scène de ménage, quand le couple essaie de se rabibocher en faisant l’amour, surgit Gounkel, le voisin en plein délire de solitude qui vient demander de  l’aspirine. Le spectre de la solitude atteint le summum comique grâce  à l’interprétation déjantée de Nathanaël Maïni.

« On est  tous des Gounkel » déclare Yona Popokh. « Il crie, ça lui passera » doit penser Leviva, lumineuse Marie Murcia, qui fait la pluie et le beau temps. Il y en a toujours un qui veille pendant que l’autre ronfle. Et les personnages chantent aussi de temps en temps sous des airs de l’accordéoniste Jérémie Lohier. .

Serge Lipszyc, interprète de Yona Popokh signe une mise en scène tout à fait savoureuse qui délie avec finesse toutes les tonalités tendres et cinglantes de l’auteur.

 A la fin, les spectateurs se sentent complices de ce couple qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Adam et Eve. Il parait qu’ils s’ennuyaient au paradis. Allons donc,  l’homme ne sera jamais content !

Il faut vraiment voir cette pièce  drôle et criante de vérité, dont la densité humaine est superbement bien rendue par le jeu les interprètes. Un spectacle  exaltant !    

 Paris, le 10 Novembre 2012                  Evelyne Trân