DRAGON ZEN, un conte vietnamien d’Evelyne Trân.

Il était une fois un dragon que l’on prenait pour une sorte de mage, de monstre ou d’interprète impénitent des humains. Il enregistrait tout ce brave dragon, le pire et le meilleur comme une boîte de pandore. Mais un jour, il n’en puis plus et se mit dire n’importe quoi à l’adresse des humains. En somme, il était devenu fou, les hommes avaient réussi à le rendre fou. Du moins, c’est que je pense après avoir analysé une page de son journal intime que je vous fais grâce de vous lire :

« N’en jetez plus, n’en jetez plus, cessez de jeter vos détritus par dessus ma tête. L’usine de recyclage est en panne, l’appareil de digestion est saturé. Je ne suis pas une machine et même si j’en étais une, je finirai par devenir monstrueuse. L’apôtre Saint-Jean a dansé sur un billet de banque. Nous avons décapsulé toutes les bouteilles de cervelles de moineaux empoisonnées. Nous sommes devenus fous. Les pieds dans la boue, nous jouions de la guitare. L’eau venait de la forêt. L’eau était devenue magique car il y en avait très peu. Nous avions des esclaves qui fabriquaient des problèmes qui faisaient des bruits de chaises musicales qui chuchotaient dans les miroirs. Ils tissaient, nos grands esclaves, des problèmes qui faisaient des kilomètres de queue. Après on les embauchait pour la danse du dragon et ça nous inspirait nous les vaillants musiciens. »

Ces inepties ne sont pas de nature à engorger les annales de la mémoire humaine. Cependant j’ai voulu me renseigner sur ce dragon et j’ai ouvert la bible des dragons qui se lit à l’envers dans un miroir avec un grand verre d’eau glacée. Voici ce qu’il y est écrit :

Le grand dragon s’est réveillé, il a dit : J’ai bouffé du temps, trop de temps, je risque l’implosion. Je vais devoir me faire opérer. Et comme les musiciens ne l’écoutaient plus, il a quitté le terrain en douce pendant qu’ils continuaient à jouer. Il a balancé sa grande queue dans l’étang et il a péché une vieille horloge rouillée, toute bosselée et toute cassée. Son rêve au vieux dragon, c’était de la réparer l’horloge toute rouillée pour entendre son tic tac, son tic tac si merveilleux qui, il avait ouï-dire, avait le pouvoir d’endormir toutes les machines de guerre. Il en avait assez de danser pour les hommes et de supporter sur chacune de ses écailles, toutes leurs prières, leurs problèmes en forme de feuilles de cactus, leurs peurs, leurs sueurs, leurs jérémiades, leurs « j’en ai marre ».

Mais le vieux dragon n’était pas horloger , il était innocent, voire naïf. Devant la vieille horloge toute cassée, il s’est mis à pleurer, des larmes géantes de grand dragon. Et il s’est endormi. Il est entré en rêve dans la chambre d’un petit enfant où il a vu un petit réveil rose en forme d’oreilles de bébé qui faisait tic tac, tic tac de façon si délicieuse qu’il s’est mis à lécher les joues de l’enfant. A son réveil, le dragon eut une merveilleuse idée : il s’inspira de l’horloge cassée pour bâtir un radeau avec deux rames qui rappelaient les aiguilles de l’horloge. Et puis, il grimpa sur le radeau et depuis il rame à perte de vue sur l’étang.

Et les hommes qui le voient de loin confondent les éclaboussures du soleil sur les rames avec sa danse fabuleuse. Quand il revient sur terre, le dragon, une fois par an, qu’il danse et se trémousse devant les hommes, c’est dans l’espoir que ces humains créateurs de problèmes recueillent quelques petits tic tac de son horloge ensoleillée sur l’eau, de son radeau de fortune. A lui seul, il représente pour les hommes un tic tac géant qui accueillerait majestueusement la poussière du monde sur un simple sourire de Bouddha.

Ah si d’amour tranquille et aventureux, le petit tic tac retrouvé du dragon pouvait rendre les humains plus humains, nous ne ramerions plus sur terre mais sur l’eau comme des poissons dans l’eau.

Evelyne Trân

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