Rencontre avec l’équipe artistique le 1er novembre à l’issue de la représentation.
Bande-Annonce
Imaginez que vous écriviez aux arbres, à la mer, au soleil, il faudrait être poète ou poétesse et c’est au risque de passer pour cinglé.e.
Patrick CHESNAIS est un peu cinglé, il écrit aussi bien à ses proches, fils, mère qu’au soleil ou à la mort cette grande faucheuse.
Sans doute ses missives sont décrites comme des lettres d’excuses parce que les destinataires ne sont pas censées y répondre. Mais qui sait ?
Il y a un doute et c’est ce doute fabuleux qui vaut à Patrick CHESNAIS d’être sur scène tel un funambule sur le fil.
Le public suspendu à ce fil à la fois tendre, lumineux, et hardi parce que ce comédien n’a pas l’humour dans sa poche, sort du spectacle le sourire aux lèvres, reconnaissant que l’exercice des excuses – pardon, s’il vous plaît, je vous en prie – a cela de réjouissant d’augurer le lèvement de pattes des sujets les plus tabous ou délicats, comme la mort, l’Ehpad ou plus risible, cette envie malencontreuse de se soulager au cours d’un spectacle illuminé par une star – la honte ! –
J’avais adoré Patrick CHESNAIS dans le film La lectrice – Dans ce seul en scène, je retrouve le même comédien à la fois drôle et si humain!
Enfin des lettres d’excuses qui ne se prennent pas au sérieux, c’est providentiel de nos jours !
AUTEUR Albert CAMUS MISE EN SCÈNE Jean-Baptiste ARTIGAS INTERPRETATION Jean-Baptiste ARTIGAS ADAPTATION Jacques GALAUP DRAMATURGIE Sophie NICOLLAS COLLABORATION ARTISTIQUE Guillaume DESTREM LUMIÈRES Caroline CALEN DURÉE 1h15 PRODUCTION LA BELLE ÉQUIPE ATTACHÉE DE PRESSE Catherine GUIZARD
Un homme interpelle un autre homme au Mexico-City, un bar à matelots d’Amsterdam. Une longue conversation s’initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur exerçant dans ce bar l’intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet. Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d’avocat parisien. Une vie réussie, jusqu’au soir où cette jeune femme qu’il croisera sur le pont Royal à Paris, se jettera dans la Seine juste après son passage.
La Chute, ce roman monologue d’Albert CAMUS fait souvent l’objet d’adaptations théâtrales. Et c’est tant mieux car cette œuvre agit comme un miroir de sorte que suivant la personne qui s’y projette, les impressions et les interprétations sont très diverses.
Cela tient sans doute aussi à l’ambiguïté du personnage Jean-Baptiste Clamence à la fois jeune et vieux, cynique et désespéré, bavard et insondable, exalté et tourmenté.
Un seul en scène pour un seul personnage ! Albert CAMUS n’était pas comédien mais en tant que dramaturge et créateur il pouvait endosser la peau de ses personnages.
Jean-Baptiste CLAMENCE est un individu au bord du gouffre, ou bien en bordure de scène, en bordure de la Seine.
D’une certaine façon, il se confronte au vide, celui de la solitude, de la peur du vide et il s’agit d’une interprétation parmi d’autres, ce qui le raccroche à la vie, depuis qu’il a perdu toute inconscience, c’est une saleté dans son miroir, quelque chose qui gâche tout comme une verrue au milieu du visage, le sentiment de s’être trahi lui même, lui un homme propre à tous points de vue, parce qu’il a été incapable, un jour, de porter secours à une femme qui se jetait d’un pont.
Des analystes de l’âme trouveraient sûrement des explications à cette défaillance. Mais ce n’est sans doute pas ce que recherche Camus. Il met en scène un homme qui a mal et il se purge par la parole comme un malade . Cela dit dans ces propos , s’il s’inquiète pour lui même c’est en tant qu’humain parmi les humains. Ne serait-il coupable que d’être humain ?
En tant qu’auteur, journaliste et homme ayant vécu la guerre mondiale et celle d’Algérie, CAMUS porte sur ses épaules non pas la misère du monde mais ce qui s’en approche malgré tout. C’est une histoire de conscience. Chez lui l’optimiste et le pessimiste jouent au bras de fer.
L’interprétation de Jean-Baptiste ARTIGAS frappe par sa juvénilité et pour reprendre une expression de Camus « Il faut imaginer Sisyphe heureux », il faut aussi imaginer Clamence à la recherche de la paix.
Ce Clamence ne dit-il pas :
« Après tout ce que je vous ai raconté, croyez-vous qu’il me soit venu le dégoût de moi même. Allons donc, c’est surtout des autres que j’étais dégoûté. J’aime la vie, voilà ma vraie faiblesse ».
Cet amour de la vie Jean-Baptiste ARTIGAS l’exprime naturellement au piano, en reprenant des standards de jazz de Théolonious MONK .
Ce va et vient vers le piano est quasi organique. L’action se situe dans un bar, il y a du mouvement, de la vie. C’est juste suggéré mais qui ignore qu’au milieu du monde, on peut se sentir seul.
Sous le regard de Guillaume DESTREM, Jean-Baptiste ARTEGAS offre au public un spectacle d’une fraîcheur et d’une intensité totalement désarmantes.
Article mis à jour le 29 Septembre 2024
Evelyne Trân
N. B : Jean Baptiste ARTIGAS était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur RADIO LIBERTAIRE 89.4 le samedi 21 Septembre 2024 en podcast sur le site de RADIO LIBERTAIRE.
Jay GOTTLIEB accompagnera Brigitte FOSSEY les 23 et 30 octobre et le 1er novembre à 15h
Avec des musiques de BACH – Michel LEGRAND – RACHMANINOV – DEBUSSY – SCARLATTI – BEETHOVEN – Nino ROTA…
Avec la complicité de Stéphanie TESSON et Marie ADAM
Lumières : Alireza KISHIPOUR
Photographies : Sébastien TOUBON
Nous ne nous rassasierons jamais assez de LA FONTAINE. Mais il est vrai dès qu’il est question de LA FONTAINE, ce sont des souvenirs scolaires qui reviennent en mémoire.
Eh bien, esprits blasés n’ayez crainte de rafraîchir votre mémoire avec ce joli spectacle offert par Brigitte FOSSEY et Danielle LAVAL !
Nous vous laissons la surprise de découvrir les fables qu’elles ont choisies parmi les plus connues et les très inconnues.
Brigitte FOSSEY s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux enfants puisque tout le monde le sait, il y a toujours un enfant qui se cache dans la carapace de l’adulte.
Elle déborde d’enthousiasme pour libérer de leurs rets certaines fables que l’on croit avoir trop entendu. Elle joint le geste à la parole mimant aussi bien la tortue que l’oiseau volant.
L’on sourit et l’on s’amuse à l’intérieur de ce fablier très coquin qu’illustre avec maestria Danielle LAVAL au piano.
LA FONTAINE est un génie ! Ce genre de génie qui hante les forêts. Et Brigitte FOSSEY, leur elfe, nous enchante !
Réalisé par : TRUONG Minh Quý Année de production : 2024 Pays : Viet Nam, Philippines, Singapour, France, Pays-Bas, Italie, Allemagne, États-Unis Durée : 129 minutes Date de sortie : 25.09.2024
Dans les profondeurs des mines de charbon, où le danger guette et l’obscurité règne, Nam et Viêt, deux jeunes mineurs, chérissent des moments fugaces avant le départ de Nam pour une nouvelle vie de l’autre côté de la mer.
Mais quelque part, enfouie sous terre dans les profondeurs de la forêt, se trouve la dépouille du père de Nam, un soldat, qu’ils doivent absolument retrouver avant son départ. Ensemble, suivant les mystères des souvenirs et des rêves, ils retracent le chemin du passé.
Le réalisateur du film Viêt and Nam qui a reçu un bel accueil de la critique a tout juste 34 ans. C’est un très beau film qui restera dans les annales du cinéma indépendant du Vietnam alors même qu’il ne sera pas diffusé au Vietnam, ayant été censuré à cause de sa vision soit disant pessimiste.
Truong Minh Quy n’était pas né le 30 Avril 1975 qui a vu la victoire du Front national de libération du Sud Viêt Nam et du Nord Viêt Nam pour la réunification du Vietnam. Il situe l’action en 2001 parce qu’il y a 20 ans les souvenirs de la guerre étaient encore brûlants.
Dans ce film, le public traverse le Vietnam à travers le regard de deux jeunes gens qui s’aiment mais envisagent de se séparer, l’un d’eux souhaitant quitter le pays.
Ils s’aiment comme s’ils s’étaient toujours aimés. Ils sont frères en quelque sorte et se comprennent. Il y a une réelle harmonie entre les visages, les paysages et le rythme du film qui se poursuit telle une rêverie haletante et surprenante comme si nous spectateurs.trices étrangers.ères entraient par effraction dans une blessure ouverte, celle causée par les traumatismes de la guerre qui pousse un jeune homme à rechercher les restes d’un père qu’il n’a pas connu. On pense à Camus également en quête de son père mort à la grande guerre.
Le réalisateur montre mais ne dit pas. Il s’exprime en peintre, en poète parce qu’il ne s’agit pas d’un film militant mais d’une projection qui s’adresse au fond à une sensibilité universelle mais est soutenue par une perception très personnelle.
Tant il est vrai qu’il faut les soutenir ces visions d’une beauté insolente qui subjuguent la pupille parce qu’elles n’ont rien d’artificiel. Elles tombent du ciel ou de la nuit comme on voudra, elles nous touchent physiquement.
Lors d’une avant première avec la présence de Viêt kiêu,le cinéaste a été salué pour son courage d’avoir levé certains tabous, notamment celui de l’homosexualité et celui des migrants, en rappelant ce fait divers terrible des 39 vietnamiens morts dans un camion frigorifique en 2019 à Londres.
Le public a été touché par la dimension poétique du film qui fait appel à des éléments référents au Vietnam, la terre et l’eau . Il y a également ces scènes fortes de voyance qui se rattachent au culte viscéral des ancêtres chez les vietnamiens.nes.
Cela dit, la création est sans frontières et Viêt and Nam crève tout simplement l’écran ! A voir séance tenante !
Article mis à jour le 6 Janvier 2025
Evelyne Trân
N.B : Article également publié dans le Monde Libertaire.fr
Bonne nouvelle : le film sort en VOD le Jeudi 2 Janvier 2025 et en DVD le 13 Février 2025 (avec des bonus exclusifs).
Avec, en alternance : Félix Beauperin, Pierre Benoist, Raphaëlle Cambray, Arnaud Dupont, Brigitte Faure, Romain Lagarde, Charlotte Matzneff, Sandra Parra, Thibaut Pinson, Julien Ratel, Thierry Sauzé
Août 1944 : Chartres vient tout juste d’être libérée de l’Occupation allemande.
Dans la famille Giraud, on est coiffeur de père en fils, et c’est donc Pierre qui a dû reprendre le salon hommes de son père, mort dans un camp de travail un an plus tôt. Marie, sa mère, héroïne de la Résistance française, s’occupe quant à elle du salon femmes, mais se charge également de rabattre quelques clientes vers son fils, pour se prêter à une activité tout à fait particulière…
Tout est dans l’ordre des choses, jusqu’à ce que Lise entre dans leur vie.
Nous reconnaissons la patte de Jean-Philippe DAGUERRE dans sa scénographie chaude où semblent nager comme des poissons dans l’eau des personnages modestes qui ne respirent pas le bourgeois et pourraient sortir tout droit de films d’avant-guerre avec Gabin, Arletty, Michel Simon, Bernard Blier jeune et compagnie.
Les interprètes certes ne sont pas aussi connus mais ils ne déméritent pas loin de là, ils sont excellents.
Compte tenu du thème de la pièce qui a pour objet les excès de l’épuration en 1944/46, notamment cette chasse aux sorcières contre des femmes accusées d’avoir collaboré avec l’ennemi et certaines d’entre elles uniquement parce qu’elles avaient entretenu une relation amoureuse avec un soldat allemand, nous revient en mémoire le triste sort de l’actrice Mireille BALIN, la partenaire de Jean Gabin dans Pépé Le Moko et Gueule d’amour, violée en septembre 1944 par un groupe de résistants (source Wikipédia).
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » chantait Charles Aznavour (La Bohême).
Il appartient aux comédiens-nes d’incarner ces émotions que mêmes les septuagénaires d’aujourd’hui n’ont pas connues mais qui leur ont été rapportées par leurs parents.
Elles font l’objet de belles tirades notamment lorsque la future belle-mère, héroïne de la résistance et mère du petit coiffeur est amenée à défendre la fiancée son fils, Lise accusée d’avoir aimé un soldat allemand.
La pièce a un côté mélodrame mais l’auteur entend faire partager des sentiments nature avec une veine humaniste qui emporte l’adhésion.
Nous sommes bien loin aujourd’hui de l’aspect « bon enfant » et mélodramatique des films des années 1940-1950. L’époque a bien changé mais ce retour à cet autre temps a du charme. Et puis surtout en dépit du décor et de la forme, sur le fond comment ne pas se dire que dès qu’il est question de sentiments, de Sophocle à Racine et Molière en passant par Pagnol, Anouilh etc. et maintenant par Jean-Philippe DAGUERRE, nous sommes appelés.ées à réagir.
Dans le Petit coiffeur, c’est l’émotion qui doit incliner à la réflexion. L’analyse et la remise en question des comportements restent compliquées car la guerre et ses conséquences laissent des traces douloureuses dans l’inconscient aussi bien individuel que collectif.
Jean Philippe DAGUERRE semble y croire à cet inconscient collectif.
Puisse sa pièce qui est un plaidoyer pour la bienveillance contre la haine et la vengeance, sans être naïve, ni réellement optimiste toucher un vaste public.
Les interprètes s’y emploient avec bonheur. Ils expriment toute une palette d’émotions où la joie de vivre et d’aimer a aussi toute sa place. Y a-t-il un meilleur argument contre la guerre. Ce spectacle tout public est à l’affiche pour fêter l’ouverture du nouveau théâtre des Gémeaux Parisiens les 14 et 15 Septembre 2024.
Le 22 Septembre 2024
Evelyne Trân
N. B : Romain LAGARDE était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE en 1ère partie sur Radio Libertaire 89.4 , le samedi 19 Octobre 2024. En podcast sur le site de Radio Libertaire.
Nouvelliste et dramaturge sicilien, Luigi Pirandello est connu pour sa singulière approche de la vérité relative. Il a laissé une œuvre foisonnante, dont le thème central est la multiplicité des perceptions, chacun étant porteur d’une réalité subjective, source de malentendus sans fin.
Entre vaudeville et rêverie métaphysique, ses pièces sont des miroirs troublants, mettant à nu tous nos masques. En voici quatre fragments, interprétés et mis en scène par le Théâtre En Partance : révélations de notre folie ordinaire !
Avec Cédric ALTADILL, Valérie AUBERT et Samir SIAD Scénographie : Anne GUILLONNE Son : Cédric ALTADILL Lumière : Alireza KISHIPOUR Décors : Nathan RABEU Costumes : Laure BERTO
Nous connaissons surtout de Pirandello ses pièces les plus connues dont Six personnages en quête d’auteur. Les fragments et courtes pièces que Le Théâtre en partance a choisi de faire découvrir au public sont beaucoup moins connues mais aussi passionnantes.
Avec Pirandello, le monde tourne à l’envers ou plutôt dirons nous ses personnages marchent sur la tête. Et pourtant il ne s’agit pas d’individus d’une autre planète, ce sont des humains de la race des insoumis qui ne jurent que par leur propre appréhension de l’existence, sans vouloir jamais adopter, semble t-il , le bon sens commun.
Dès lors, il est impossible de s’ennuyer avec de tels individus auxquels Pirandello offre sa plume. Une plume transie et fiévreuse car les personnages donnent l’impression de régler leurs comptes aussi bien avec eux-mêmes qu’avec la terre entière.
Et cependant parce que leur perception et leur raisonnement n’empruntent pas le chemin ordinaire, ils nous confrontent à des vérités qui nous font prendre conscience de l’absurdité de certaines situations.
Dans Cécé, un homme du monde « joueur et cynique » prend à parti un entrepreneur qu’il a aidé afin que ce dernier lui rende la pareille. Que répondre à un homme qui déclare vivre « éparpillé en cent mille personnes ».
La pièce Circulez peut laisser pantois le public. Une femme se lâche complètement en paroles avec pour seul auditoire un vieillard mort dans son lit et sa mère rendue muette. A la fin, elle laisse entendre que la famille menacée d’expulsion, le mort en faisant parti, sera sommé par la force publique de circuler.
Dans La fleur à la bouche, un homme à la Fleur s’adresse à un paisible client dans un café délabré. Ses propos semblent émaner d’une personne plutôt perturbée. A la fin de l’entretien qui s’avère être un monologue, l’homme confie qu’il est atteint d’une maladie incurable.
Une commentatrice Félicity Firth pense que « L’homme à la Fleur est de toutes les créatures la plus absurde, un être humain conscient de son irréalité; la réfutation vivante de Descartes, en révolte contre sa propre humanité ».
Dans l’extrait de La vie que je t’ai donnée une mère explique à son entourage qu’elle ne fera pas le deuil de son fils qui vient de mourir puisque pour elle, il est toujours vivant. Elle s’exprime avec une telle véhémence qu’elle jette le doute dans les esprits.
Ces variations pirandelliennes se révèlent particulièrement piquantes, elles ont pour piliers des êtres dont les propos qui naviguent entre la réalité et sa subversion ne peuvent laisser indifférents.
La mise en scène colorée et rythmée reste sobre. Les interprètes Cédric ALTADILL, Valérie AUBERT, et Samir SIAD réussissent à rendre attachants et émouvants des personnages de prime abord déconcertants.
Nous voilà donc avec la puce à l’oreille, sommes nous trop aseptisés pour être réceptifs à ce genre d’individus ? Leur façon d’être et de penser nous sort des sentiers battus, de notre zone de confort, expression désormais si répandue, mais c’est génial !
Ces personnages en quête de public, oui, il faut courir le risque d’aller à leur rencontre grâce à Pirandello !
Paris, Le 19 Septembre 2024
Evelyne Trân
Article également publié dans Le Monde Libertaire.fr
N. B : Samir SIAD était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE en 2ème partie sur Radio Libertaire 89.4 , le samedi 19 Octobre 2024. En podcast sur le site de Radio Libertaire.
Le 24 septembre 1647, les deux philosophes les plus célèbres de leur temps se sont rencontrés à huis clos durant plusieurs heures, au couvent des Minimes à Paris. Blaise Pascal, déjà très malade, n’avait alors que 24 ans, René Descartes, 51. De cet entretien historique, rien n’a filtré, sinon une ou deux courtes notes jetées sur le papier par l’un et l’autre.
Jean-Claude Brisville a imaginé librement la conversation qu’ont pu avoir ces deux hommes, à l’opposé l’un de l’autre, et qui se découvrent progressivement.
Descartes, rationaliste, réaliste, pragmatique, grand voyageur, bon vivant ; Pascal, mystique ardent, intransigeant, malade, tourmenté, exaltant la souffrance et la mort. Ces lointaines paroles échangées sont un exact miroir tendu à notre propre temps. Que ceux que n’intéressent ni la Raison, ni le Sentiment, ni la Foi, ni la Science et ni Dieu ni le Vide, et ni le Monde, ne viennent pas les entendre.
Adaptation, mise en scène et interprétation :
Daniel et William MESGUICH
Une rencontre entre deux hommes qui, en l’occurrence, ne sont pas n’importe qui puisqu’il s’agit de deux philosophes phares du 17ème siècle, DESCARTES et PASCAL.
Il n’empêche, à l’instar de Jean-Claude BRISVILLE qui a imaginé cet entretien entre ces deux personnalités, ce qui peut saisir aux tripes le spectateur c’est l’évidence de ce dialogue sans issue entre un homme jeune et un homme mûr, rendez-vous parfois manqué entre un père et un fils , entre un professeur et son élève, entre un soi jeune idéaliste et un soi assagi plus raisonnable.
Irions-nous jusqu’à dire que Descartes et Pascal sont des humains comme les autres. Jean Claude BRISVILLE se range volontiers dans cette perspective. S’ils n’étaient pas un peu humains, comment leurs pensées nous toucheraient-elles ?
En littérature me disait un professeur ce sont toujours les mêmes thèmes qui reviennent, la vie, la mort, l’amour. En philosophie également. Mais nous avons vite fait de revenir sur terre parce que ce n’est pas tout d’avoir des idées, il faut vivre aussi.
Quelle ironie d’introduire un peu de prosaïsme dans le tumulte des idées.
Ce qui est intéressant, c’est de voir avec quelle passion, celle de leurs corps en présence, deux hommes peuvent s’affronter, de telle sorte que nous puissions être intrigués non pas tant par les idées énoncées que par la manière de les formuler.
Photo Bernard PALAZON
Poignées de mains, poignées d’idées, la foi contre la raison etc. Dieu et la religion politique; la vérité c’est que chacun des personnages est à la place de sa vie propre et c’est de leur propre place qu’ils s’observent et s’inquiètent mutuellement.
Théâtre de la vie qui tombe sous le bon sens. DESCARTES interprété par Daniel MESGUICH dispose d’une faconde impénétrable, celle de la maturité étrangement insolente face à William MESGUICH, un jeune PASCAL, particulièrement mal dans sa peau, maladif, mais inspiré comme un fruit brûlé par le soleil.
Les deux interprètes Daniel et William MESGUICH tiennent la chandelle haute pour faire basculer à travers la flamme plus que des idées, des sentiments, notamment celui de vanité et d’impuissance, d’une fragilité ostensible où guette l’espérance car en dépit de leurs désaccords plus sur la forme que sur le fond, Descartes et Pascal se sont bien rencontrés.
Cette rencontre qui fait écho au chaud et au froid qui nous environnent, à des révoltes, des remords et des rêves déçus, à différentes couches d’une conscience parfois endormie qui se réveille au théâtre… Oui, c’est vraiment magnifique !
Sous le regard de Thierry HARCOURT Création lumière : Alireza KISHIPOUR Robe de Mine VERGÈS
En un duo inédit et détonant, Judith Magre et Olivier Barrot rendent hommage au maître absolu de la tragédie : Jean Racine. Andromaque, Bérénice, Phèdre, Athalie, Britannicus, Bajazet : l’illustre égérie du Poche se fait l’interprète des héroïnes passionnées de ces œuvres culte, tandis que le journaliste les présente et les commente. Une déclaration d’amour en chair et en mots, en cœur et en esprit, au théâtre du Grand Siècle et à son ardent poète.
Quel privilège que celui d’écouter s’élever la musique de RACINE, grâce au spectacle qui lui est consacré avec maestria. Nous sommes dans un salon littéraire, sans prétention mais n’en doutons pas, très chaleureux puisqu’il rend hommage au dramaturge Jean RACINE, exégète des passions humaines et créateur d’illustres personnages de femmes que nombre d’artistes dramatiques ont rêvé d’incarner.
Vous saurez tout ou presque sur RACINE grâce à l’érudition d’Olivier BARROT qui en grand pédagogue sait tirer le portrait de cet auteur avec brio et humour.« Agir chez RACINE c’est tuer » nous explique t-il. Tant il est vrai que dans les tragédies de Racine, les protagonistes ont souvent rendez-vous avec la mort parce qu’ils ont été les acteurs ou actrices d’intrigues politiques mais aussi les jouets de Cupidon. Ils dérivent pour la plupart de personnages mythiques qui ont déjà fait l’objet de tragédies chez Euripide notamment.
Mais il s’agit de faire honneur à la langue de Racine qui est un poète avant tout.
Judith MAGRE n’a pas l’âge des héroïnes, Hermine, Bérénice, Agrippine, Phèdre, Roxane mais elle en a le cœur, de sorte que la douleur ou la rage de ces femmes résonnent chez elle profondément.
Terre et chant/champ de la musique de RACINE, terre si riche traversée par la voix de Judith MAGRE à la fois sobre et envoûtante, c’est un voyage inoubliable !
Adaptation et jeu : Xavier Béja Mise en scène : Michel Cochet Décor, Costumes : Philippe Varache Vidéo : Dominique Aru Lumières : Charly Thicot Création musicale : Alvaro Bello
Mais qui était donc Jean ZAY ? De nombreuses écoles aujourd’hui portent son nom. Il a été panthéonisé en 2014 sous le gouvernement de François Hollande. Pourtant, il n’est pas sûr que les jeunes se souviennent de cet homme qui fut une figure phare du Front populaire. Pendant quatre années d’intense activité, en tant que ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts, il engagea de nombreuses réformes révolutionnaires pour l’époque, non sans de terribles luttes, écrira-t -il. Ayant cristallisé la haine de l’extrême droite antisémite laquelle a pu s’exprimer pleinement sous le régime de Vichy, il fut assassiné le 20 juin 1944 par des miliciens à l’aube de la libération de la France.
Son livre Souvenirs et solitude, écrit en prison peut tenir entre toutes les mains. Rédigé avec une grande clarté, dans un réel souci de lisibilité, il constitue un témoignage précieux sur la condition d’un prisonnier ainsi que sur la situation de la France sous la collaboration. Il s’agit d’un livre « compagnon » qui pourrait même être un livre de chevet pour ceux qui doivent s’armer de patience et de courage dès lors que leurs valeurs de liberté, de justice sont menacées ou bafouées.
Il exprime la tentative d’un être de rapprocher sa solitude individuelle « indicible »de l’évènement extérieur et donc du monde extérieur qui l’a provoquée. Jean Zay comprend que ce qu’il endure, d’autres individus le vivent. Cet homme auréolé de son précédent prestige de ministre devient solidaire en quelque sorte de tous les prisonniers qu’ils soient politiques ou de droit commun. Se projetant toujours dans l’avenir, il est résolu à partager son expérience. Ecrasé, il résiste et dès lors sa lecture, son analyse de son propre bouleversement, à travers ses chemins de pensée, il le sait, peuvent former l’appel d’air où s’engouffreront d’autres voix après lui. Une tentative parce qu’on n’est jamais sûr de rien. Jean ZAY se pense parfois rayé du monde des vivants ou à l’antichambre de la mort. Comment dans ces conditions ne pas céder à la dépression, au désespoir ? Dans ces propos, on ne perçoit aucune vanité, juste le sentiment du travail accompli, honnête et généreux. Il ne se prend pas pour un héros. Il sera assassiné alors même qu’il avait atteint une sorte de sérénité, celle d’un homme au moins heureux d’avoir trouvé au fond de lui une capacité de résistance intérieure – sa liberté – à l’ignominie.
Xavier BEJA, l’adapteur pour le théâtre de Souvenirs et solitude est l’interprète de Jean ZAY. En plus d’une similitude physique avec ce dernier, il incarne un homme dans toute la force de l’âge – Jean ZAY n’avait que 35 ans lorsqu’il fut emprisonné – livré à lui-même à cause de sa solitude contrainte mais ses démons – qui n’en a pas- c’est une soif de vivre et de liberté auxquelles il refusera jusqu’au bout de renoncer. D’éprouver cette force de vie chez un homme meurtri ne peut que nous le rendre plus proche, plus sensible, plus attachant.
Xavier BEJA est impressionnant de justesse. Sa voix se frotte au silence, aux murs, à l’obscurité, elle les jugule comme si elle pouvait s’étonner elle-même de retentir dans la pénombre. Et elle retentit, traverse les murs. Toutes ces zones d’ombre, elle les habille, les recouvre de sa présence pour leur faire front. La voix n’est jamais monotone, elle peut être basse, quasi intérieure et parfois haute, cinglante lorsqu’elle exprime l’indignation.
La mise en scène sobre de Michel COCHET est parfaitement dosée. Elle n’enferme par le personnage dans un monologue pesant. Quelques images d’archives et vidéo illustrent le passé de Jean ZAY. Elles sont en étroite relation avec l’ambiance musicale recherchée de Alvaro BELLO. Et puis, il faut entendre Jean ZAY parler du bonheur simple de l‘apparition du soleil et se réciter des vers de Baudelaire : « Si le ciel et la mer sont noirs comme l’encre, Mon cœur, que tu connais, est rempli de rayons ! ».
L’espace clos de la prison devient une forêt de signes. Toutes les perles de sueur d’un homme adossé aux grilles, étincellent pour nous parler humblement mais assurément de sa présence au monde, plus que jamais nécessaire ici et maintenant.
Article mis à jour le 17 Septembre 2024 Evelyne Trân
Article initialement publié dans le MONDE LIBERTAIRE en ligne
Le récit d’une passion foudroyante où soudain le destin d’un être bascule dans une aventure intense. 24 heures, une seule journée, toute une vie…
Dans l’atmosphère fébrile du Casino de Monte-Carlo, Madame C rencontre un jeune joueur compulsif qu’elle essaie de sauver de son addiction. Elle nous confie les sentiments contradictoires qu’elle a éprouvés et l’engrenage des évènements qui l’ont entraînée, presque malgré elle, dans un tourbillon de passion qui a bouleversé sa vie.
Mise en scène : Juan Crespillo Avec : Anne Martinet Création Lumières : Stéphanie Daniel Musique : Jean Sebastien Bach, Arvo Pärt, Luigi Tenco
Stefan Zweig, un classique ? C’est un auteur extrêmement moderne, un visionnaire capable de sonder l’être chez l’humain.ne de façon renversante. Sonder, oui, comme si son regard allait toujours au-delà des apparences. En somme, l’écrivain déshabille l’être non par voyeurisme mais par fascination comme si pour lui chaque individu était porteur d’un trésor à la fois unique et universel, un cœur tout simplement.
Porter sur scène un des personnages d’une nouvelle de Stefan ZWEIG, l’incarner c’est mettre à l’épreuve un texte qui n’est pas théâtral et c’est aussi mettre en évidence ces voix qui courent le long des parapets, ces voix silencieuses qui n’attendent qu’un hasard heureux pour s’exprimer.
L’héroïne de la nouvelle 24 H de la vie d’une femme, adaptée et interprétée par Anne MARTINET fait partie de ces voix silencieuses. Madame C, une dame mûre, aristocrate et veuve, à la faveur d’une discussion concernant une femme qui vient d’abandonner mari et enfants pour suivre un inconnu, se confie à la seule personne qui va défendre cette « gourgandine » comme pour se décharger d’un fardeau qui la mine, une histoire d’amour impossible mais cependant étincelante où tout son cœur de femme auparavant muré, se sera mis enfin à battre, en tout cas à trouver sa note vibratoire, celle-là même qui de part en part la traverse et la signifie à ses propres yeux.
Comment rester insensible à la confession de cette femme, restée anonyme pour se loger chez toutes les autres, qu’elles soient pauvres, riches, jeunes ou vieilles et pourquoi pas chez des hommes.
Elle a les yeux qui brillent Madame C, elle sort d’un livre et la voici vivante, Anne MARTINET lui prête toute sa féminité, son élégance, sa chaleur, sa passion, autrement dit son charme, elle est formidable !
Tout le bonheur d’une rencontre avec une créature de Stefan ZWEIG au théâtre, à ne pas manquer vraiment !
Le 13 Septembre 2024
Evelyne Trân
N.B : Anne MARTINET était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire 89.4, le 7 Septembre 2024, en podcast sur le site de Radio Libertaire 89.4.