Reprise de la pièce de Gilles Ségal En ce temps-là l’amour – Mise en scène de Christophe Gand avec David Brécourt – Au théâtre de la Madeleine 19 rue de Surène 75008 PARIS à partir du 12 Octobre 2023, les mercredis, jeudis, vendredis et dimanches à 19 H.

Scénographie de Nils ZACHARIASEN, Costumes de Jean-Daniel VUILLERMOZ, Lumières de Denis KORANSKY, sur une Musique Originale de Raphael SANCHEZ

« Comme j’ai envié ce père capable de susciter un tel regard d’admiration dans les yeux de son fils » Ce cri du cœur émane d’un individu qui sait faire partie du commun des mortels avec cette particularité cependant, celle d’avoir connu l’enfer, un enfer justement inimaginable pour le commun des mortels.

 L’individu en question « Z » dans la pièce est redevenu un homme normal sans histoires, invisible. Non certainement, il ne s’est pas épanché sur sa dramatique expérience de la shoah auprès de son fils qui a été épargné. La vie a repris son cours. Ce fils est loin désormais qui lui envoie d’Amérique, une photo de son petit-fils.

 Bien sûr, il songe aux rapports entre père et fils qui à distance peuvent devenir conventionnels, distraits, banaux. C’est implicite, il n’en dit mot à ce fils, mais il y a ce déclic que représente, tombée du ciel une photo de son petit-fils. Et lui revient en boomerang, le souvenir d’une rencontre dans un train en partance pour Auschwitz, avec un père et un fils, extraordinaires.

 Qui ne s’est pas plu à observer dans les transports en commun ces relations intimes entre un parent et son enfant qui passent parfois juste par des regards, des attentions lesquelles peuvent éblouir l’observateur parce qu’elles ne sont pas criantes, seulement naturelles.

 Dans le train de la mort, Z a décidé de ne plus penser, ne plus penser à lui ; durant les 7 jours du voyage, il va vivre d’une certaine façon par procuration, à travers un père et son fils d’une douzaine d’années.

 Le récit de ce voyage qu’il enregistre pour son fils, devient en quelque sorte anachronique. Qui parle, le père qu’il aurait voulu être, le père qu’il a rencontré ? Et le fils, celui d’Amérique n’aurait-il pas pu être celui du train de l’enfer ? Qui parle, le vieil homme ou le jeune homme qu’était Z à l’époque ?

 Les réactions de Z sont sans fard, il ne comprend pas tout d’abord, comment le père peut faire abstraction de la situation insupportable à laquelle sont confrontés les voyageurs, la promiscuité, l’odeur des excréments, la mort des plus faibles, les cris des survivants. Le père durant tout le voyage déploiera toute son énergie à occuper l’esprit de son enfant, un peu comme Shéhérazade des Mille et Une Nuits, pour l’étourdir, le faire sourire, le voir heureux jusqu’au bout de la nuit et de la mort …

 Alors étonnamment, le récit qui aurait pu prendre la tournure d’une oraison funèbre, devient un hymne à la vie, à sa poésie, à l’amour simplement entre un père et son fils.

 David Brécourt rayonne dans ce rôle de conteur. Nous oublions complètement qu’il s’agit d’un seul en scène tant son interprétation est vivante et l’histoire captivante.

 Gille Ségal, comédien et dramaturge, d’origine juive romaine a certainement puisé dans son histoire personnelle. Il signe avec cette pièce, un bijou de tendresse et d’humanité, en donnant la parole à Z, un commun des mortels par défaut, auquel nous pouvons tous nous identifier, face à son double « extraordinaire ».

 Que ceux qui viennent au théâtre avant tout pour se distraire et se changer les idées, ne soient pas rebutés par le thème de la shoah.

La pièce, mise en scène par Christophe Gand diffuse une lumière intimiste impressionnante, mettant en valeur son interprète David Brécourt, tout juste fascinant.

 Article mis à jour le 23 Octobre 2023

Evelyne Trân

L’Enfer de Henri Barbusse – Adaptation, jeu, mise en scène de Jacques ELKOUBI – Conseillère artistique Fabienne ELKOUBI – Au théâtre du Gymnase MARIE BELL 38, boulevard de Bonne Nouvelle 75010 Paris du 9 Octobre au 18 Décembre 2023, tous les lundis à 19 H 30.

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Voilà un des spectacles les plus forts auquel j’ai eu la chance d’assister. Il s’intitule « L’Enfer » et est adapté du livre éponyme de Henri BARBUSSE un auteur connu essentiellement pour avoir écrit le roman Le Feu qui témoigne des horreurs de la guerre de 14-18.

Il s’agit aussi d’un témoignage, voire d’une confession d’un homme vivant une expérience en soi extraordinaire, celle d’assister, sans être vu, à des parcelles de vie d’inconnus-es, se déroulant dans une chambre d’hôtel, mitoyenne à la sienne, grâce à un providentiel trou dans le plafond.

L’homme se décrit tout d’abord comme un être ordinaire, désenchanté, confiné dans une solitude inquiète et absconse – il faut imaginer la chape de plomb que représente le silence dans une chambre d’hôtel lugubre – :  Je n’ai rien, déclare-t-il mais je voudrais qu’il m’arrive quelque chose d’infini. Cet homme en proie au cafard entend soudain un chant émanant de la pièce voisine. C’est le départ d’une aventure qui va transformer sa vision des êtres et du monde :

« Je domine et je possède cette chambre. Ceux qui y seront, seront sans le savoir avec moi. Je les verrai, je les entendrai comme si la porte était ouverte ».

L’homme se découvre passionné par le spectacle de la vie. Il ne cesse de s’extasier sur ce qu’il entend, sur ce qu’il voit car c’est toujours la première fois, car c’est toujours inattendu, inespéré. Dès lors son témoignage résonne comme un hymne à l’humanité retrouvée chez tous les personnages de passage dans la chambre d’à côté. « Rien n’est plus fort que d’approcher d’un être quel qu’il soit ».

Nous ne raconterons pas par le menu les différentes apparitions auxquelles assiste le narrateur. L’important pour le spectateur n’est-il pas de s’éprouver voyeur également par le trou de la serrure de sa propre perception en signe d’accompagnement de celui qui dirige son regard vers l’autre ardemment, avec un intérêt toujours croissant.

« Il faut accoucher de l’autre » semble nous exhorter cet incroyable narrateur incarné magistralement par Jacques ELKOUBI. Pourquoi, comment, que nous raconte-t-il, l’homme n’est-il pas méchant dans son essence ? BARBUSSE veut croire en l’humain, en dépit de ses multiples failles, ses doutes, ses démons, ses chavirements ; il clame sa foi en lui.

Découvrir que le regard que l’on porte sur l’autre, cet inconnu, a son importance parce qu’il peut repêcher du désespoir, de la solitude où cet autre peut se croire ligoté ; il peut sauver.

Celui qui se hisse jusqu’au plafond pour assister au spectacle de la vie d’autres humains, en s’élevant est en proie au vertige, à l’émotion de vivre sur l’instant un moment unique.  « Mais je vous vois » crie le voyeur à l’homme qui est en train de mourir dans la pièce voisine ». En somme, il lui crie « Je vous aime ».

Cette expérience, elle se partage pour quelques représentations exceptionnelles, avec Jacques ELKOUBI, l’interprète intense, incandescent, d’un texte illuminé, passionnément humaniste.

Article mis à jour le 14 octobre 2023

Evelyne Trân

A noter : Rencontre théâtrale avec Jacques ELKOUBI autour de la pièce « L’enfer » de Henri Barbusse à la Bibliothèque Oscar Wilde
12 rue du Télégraphe, Paris 20e

Le samedi 18 novembre 2023
De 16 h à 17 h

Une conférence-rencontre autour de Henri Barbusse, pour les 150 ans de sa naissance. Et à l’occasion de la reprise de l’adaptation de son roman L’Enfer.
Cette conférence présentera l’auteur Henri Barbusse, son œuvre, la genèse du spectacle et l’art de l’adaptation, à travers exemples et extraits. 

OLYMPE DE GOUGES,PLUS VIVANTE QUE JAMAIS De Joëlle Fossier-Auguste avec Céline MONSARRAT au Théâtre LE LUCERNAIRE 53 Rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris du 23 Août au 8 Octobre 2023 – Relâche le 4 Octobre 2023 – Du mardi au samedi à 19 Heures, le dimanche à 15 H 30.

Bande-Annonce

L’équipe artistique

  • De Joëlle Fossier-Auguste
  • Mise en scène Pascal Vitiello
  • Assisté de Jérémy de Teyssier
  • Avec Céline Monsarrat
  • Voix off Bernard Lanneau et Jérémy Martin
  • Lumière Thibault Joulié
  • Costume Corrine Pagé
  • Création vidéo Sébastien Lebert
  • Production Passage Production

Ne connaitrons-nous jamais suffisamment Olympe de GOUGES ?  De sa biographie expresse, nous retiendrons que Marie GOUZE dite Olympe de GOUGES née le 7 mai 1748 à Montauban et morte guillotinée le 3 novembre 1793 à la Place de la Concorde à Paris est considérée comme une pionnière du féminisme.

Ses écrits, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne rédigée en urgence en 1791 en réaction à la Constitution excluant les femmes des droits civiques et politiques, quelques pièces de théâtre dont Zamore et Mirza, l’Homme généreux, la Nécessité du Divorce, le Couvent ou les vœux forcés, notamment, témoignent de sa féminitude et de ses engagements politiques pour l’abolition de l’esclavage, le droit au divorce, la défense des droits de sociaux.

Victime de la Terreur, elle fut exécutée sur l’échafaud pour avoir bravé ses juges qu’elle traite « De vieux esclaves des préjugés de l’ancien régime … de républicains de 4 jours ».

La pièce de Joëlle FOSSIER-AUGUSTE, avec une belle mise en scène de Pascal VITIELLO a pour objet de mettre en lumière la modernité du combat d’Olympe de Gouges pour les droits des femmes.

Incarcérée à la Conciergerie, Olympe de Gouges incarnée par Céline MONSARRAT raconte son parcours de femme libre et déterminée à s’exprimer quoiqu’il arrive. – A noter qu’elle ne s’est pas mariée à la suite de son veuvage, parce qu’une femme n’avait pas la permission d’écrire et de publier sans l’autorisation de son mari –

Beaucoup de force se dégage de l’interprétation de Céline Monserrat qui permet de mesurer le charisme d’Olympe qui n’a cessé tout le long de ses combats de placarder ses écrits sur tous les murs de Paris.

Un spectacle effectivement très vivant qui donne envie de se précipiter sur les écrits d’Olympe pour s’imprégner de sa verve, son courage, sa détermination.

Le 5 octobre 2023

Evelyne Trân

Novecento Pianiste, un récit jazz d’après Alessandro BARICCO du 28 août au 14 novembre 2023 les Lundis et Mardis à 21 Heures au Théâtre ESSAION 6, rue Pierre au lard 75004 PARIS –

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Mise en scène : Pascal GUIN

Distribution : Pascal GUIN et Christofer BJURSTRÖM

Novecento ! Le mot glisse sur les lèvres, il a l’accent chantant. Il n’est pas besoin d’en connaitre le sens, il illusionne comme ces rues ou ces avenues ou ces impasses que l’on ne connait que grâce à l’association de quelques syllabes et qui lorsqu’on les découvre pour de vrai pourraient nous choquer parce qu’elles ne coïncident pas avec nos rêves.  

Le porteur de ce nom, Novecento, va manifester cet ailleurs, l’autre part, l’incarner en répondant à l’appel du large de Mallarmé : Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !

Le conte est une petite dynamite pour l’imaginaire. Son auteur Alessandro BARICCO s’est laissé emporter par son inconscient avec un grand I, car sa créature résiste à toutes les analyses. En résumé, Novecento rassemblerait nos désirs les plus chers de liberté, de création, d’amour de la musique avec une onde de mélancolie, celle que peut éprouver n’importe quel individu face à l’immensité de la mer, face à la multitude des êtres et des histoires qui se bousculent dans la tête et la mémoire de Novecento qui refuse de son vivant de n’être que de passage sur un paquebot.

 Novecento a été découvert bébé, abandonné probablement par des émigrants ou des voyageurs clandestins, dans une boite en carton dans la salle de bal d’un paquebot. C’est son ami, un trompettiste qui raconte l’histoire de cet enfant devenu un génial pianiste.

Sur scène Pascal GUIN, passionnément, investit pleinement le rôle de conteur c’est-à-dire qu’il donne l’impression de vivre chacun des évènements qu’il déroule. Il est celui que fascine et fascinera toujours Novecento, l’être paradoxalement le plus désintéressé du monde, seulement attaché à son instrument le piano qui permet « de danser avec l’océan ».

Le piano c’est également un personnage qui a la classe et le talent de Christofer BJURSTRÖM . Quel plaisir d’écouter ces notes qui fourmillent dans l’espace, se cognent à la coque du paquebot, glissent sur le front du conteur, frôlent sa silhouette et se confondent avec le bruit de la mer si bien que l’on se surprend à penser : c’est la mer qui joue du piano.

Novecento se confond lui aussi avec la mer. Il est à l’horizon ce qui fait dire à Rimbaud : L’éternité c’est la mer allée avec le soleil.

Eternité, instant ! Dans la belle cave de l’ESSAION, Pascal GUIN et Christofer BJURSTRÖM convient le public à un impressionnant et envoûtant voyage musical.

Article mis à jour le 2 octobre 2023

Evelyne Trân