ANDROMAQUE de Jean RACINE – Mise en scène de Jean-Yves BRIGNON à LA FOLIE THEATRE 6, rue de la Folie Méricourt 75011 PARIS du samedi 26 août au dimanche 12 novembre 2023, le jeudi à 19h30, samedi et dimanche à 18 h.

Avec Joël Abadie ou Jean A Deron

Augustin Guibert ou Benoit Guibert, Suzanne Legrand ou Claire Delmas, Emma Debroise ou Sophie Neveu Lumière : Vincent Lemoine Scénographie : Sevil Gregory Musique originale : Robinson Senpauroca Production : A Visage découvert Durée : 1h30 

Emma Debroise @ A Visage Découvert Philippe Vu

Les affres de la passion amoureuse ? On en parle dans les livres, figurez-vous ou à la télé dans des sitcoms tels que « Plus belle la vie » et j’en passe. Car j’ai un pincement au cœur à l’idée que plus personne ne prend le temps de lire. Bien sûr, j’exagère… Enfin, si vous ne lisez pas, allez donc au théâtre ! Et pourquoi pas, allez découvrir l’Andromaque de RACINE dans une mise en scène de Jean-Yves BRIGNON destinée à la jeunesse.

Racine avait 27 ans lorsqu’il a écrit cette tragédie et il se souciait de son public mondain. Son Andromaque est une reprise de l’histoire racontée par Virgile au 3ème chant de l’Eneide, une œuvre fort appréciée au XVII siècle. En concurrence avec Corneille, il crée des personnages humains plus qu’héroïques et c’est nouveau à l’époque ! Cette pièce lui a valu un triomphe.

C’est tout de même incroyable, Racine réussit, dans une langue en vers particulièrement soutenue à représenter la violence assassine et destructrice d’individus en proie à la folie amoureuse.

Ce thème est vieux comme le monde. Les amours contrariées, la jalousie, l’esprit de vengeance, il en est question dans nombre de romans célèbres : les Hauts de Hurlevent, Autant en emporte le vent, le Docteur Jivago ; aussi dans les tragédies de Shakespeare et hélas dans la rubrique du crime passionnel, la passion étant considérée comme une circonstance atténuante.  

A quoi assiste-t-on dans Andromaque sinon à une sorte de procès qui raconte comment une femme, Hermione a été amenée à préméditer le meurtre de son fiancé.  Evidemment, il ne s’agit pas d’un procès en justice mais d’un procès théâtral. C’est aux spectateurs de se faire juges en essayant de comprendre la criminelle en question.

L’intrique est relativement simple : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus lequel est tombé amoureux d’Andromaque, inconsolable veuve d’Hector et sa prisonnière. Hermione décide de tuer Pyrrhus pour empêcher son union avec Andromaque. Elle se sert d’Oreste pour ce faire, ce dernier devient fou lorsqu’il comprend qu’Hermione ne l’aimera jamais. Tout ce beau monde meurt à l’exception de la douce Andromaque qui devient reine.

Les faits n’expliquent rien. Ce qui est intéressant, c’est d’écouter les criminels, Hermione et Oreste s’exprimer.

Jean-Yves BRIGNON qui vient du monde de Shakespeare (en 2003, il crée Hamlet qui aura une longue tournée) et qui a été l’école de Peter BROOK opte pour un décor particulièrement sobre. Il incombe aux seuls interprètes d’occuper la scène et de faire jaillir la substantifique moelle de Racine. Il opère quelques coupes dans la pièce qui dure une heure 10 au lieu d’une heure 50 et il s’adresse à un public jeune.

Dans une première scène d’exposition, des comédiens.nes déboulent sur le plateau et se ruent sur une malle de costumes issus d’un vieux cirque qu’ils endossent avec avidité, tout excités à l’idée d’incarner les personnages d’Andromaque. Ils délimitent avec une guinde (pour ne pas dire corde, c’est interdit au théâtre) l’aire de jeu. Cette guinde représente la chaîne fatale qui lie les protagonistes entre eux.

Huit comédiens.nes jouent en alternance. Dans la distribution du 9 septembre 2023, Emma DEBROISE (Hermione) Benoit GUIBERT (Pyrrhus), Joël ABADIE (Oreste) et Claire DELMAS (Andromaque) nous ont paru tout à fait convaincants. Ils se donnent à fond, ils sortent leurs tripes et réussissent à faire entendre la belle langue de Racine. C’est spectaculaire et impressionnant.

Ceux qui se souviennent de représentations d’Andromaque beaucoup plus éthérées voire mystiques avec des interprètes quasiment statiques, pourraient être surpris par la vision d’Hermione déchainée.

Les personnages d’Hermione et d’Oreste sont tellement forts qu’ils méritent à mon avis le temps qui leur a été alloué par Racine.

Mais voilà, plus de trois siècles se sont écoulés, le public n’est plus le même. Gageons que celui qui se rendra à LA FOLIE THEATRE saura apprécier la séduisante langue de Racine, qui a l’audace de se faire entendre sur une scène à l’allure de ring où ses héros et héroïnes se débattent comme des lions en cage !

Le 28 septembre 2023

Evelyne Trân

EURYDICE de Jean ANOUILH – Mise en scène de Emmanuel GAURY au THEATRE DE POCHE MONTPARNASSE 75 Bd du Montparnasse 75014 PARIS à partir du 4 Septembre 2023 – Tous les lundis à 21 H.

  • Avec : Bérénice BOCCARA ou Lou LEFEVRE – Gaspard CUILLÉ ou Emmanuel GAURY – Benjamin ROMIEUX – Corinne ZARZAVATDJIAN – Patrick BETHBEDER – Maxime BENTÉGEAT ou Victor O’BYRNE – Jérôme GODGRAND
  •  Musique : Mathieu RANNOU
  •  Lumières : Dan IMBERT
  •  Costumes : Guenièvre LAFARGE

Le doux nom d’Eurydice cessera-t-il un jour d’évoquer l’amour impossible ? Cet amour qui peut hanter les rêves ou les cauchemars d’un homme ou d’une femme quelle que soit sa condition, qu’il ou elle soit riche ou pauvre, jeune ou âgée.

Jean ANOUILH dans cette pièce dite noire, revisite le mythe d’Orphée et Eurydice. C’est quelque peu l’esprit critique de l’auteur qui s’exprime par rapport à l’aura du mythe qui gommerait la réalité terre à terre du commun des mortels.

La langue d’ANOUILH, celle que parlent les deux héros Orphée et Eurydice est vive et poétique. Mais les deux personnages qui se rencontrent dans un bar de gare et tombent amoureux sont confrontés à des réalités triviales; ils sont tous les deux artistes, l’un doit se libérer de l’emprise de son père, l’autre échapper à celle de son producteur.  S’ils touchent terre, c’est pour se révolter contre leur condition, leur entourage, leur famille qui les empêchent d’exprimer leur idéal que cristalliserait leur amour.

Ces jeunes rebelles sont juste humains mais ils donnent l’impression d’avoir trop de préoccupations existentielles pour être capables de s’abandonner à l’amour inconditionnel et l’on finit par se demander s’ils s’aiment vraiment.

La tragédie de l’amour impossible se transforme en comédie certes pittoresque mais laissant sur leur faim les esprits romantiques ou sentimentaux. Tant il est vrai qu’ANOUILH se défendait de tout sentimentalisme.

Si le personnage d’Eurydice qui a tout d’une Antigone est passionnant, ceux du beau-père et de la mère sont volontairement traités de façon caricaturale.

On ne s’ennuie donc pas dans cette pièce mais le contraste entre la force comique de certains protagonistes et la véhémence juvénile des deux héros crée une distance plutôt criante.

Cela dit, la mise en scène d’Emmanuel GAURY ne manque pas de charme, elle nous transporte dans l’univers d’ANOUILH à la fois feutré, radical et piquant. Elle est en accord avec le contexte de l’œuvre représentée pour la première fois au Théâtre de l’Atelier en 1942.

L’actrice, Bérénice BOCCARA dispose d’une belle présence et l’ensemble de la distribution est épatante.

Sans aucun doute, les amateurs et connaisseurs d’ANOUILH seront séduits.

Le 25 septembre 2023

Evelyne Trân  

S’ABANDONNER À VIVRE de Sylvain TESSON, sous le regard de Thierry HARCOURT avec Judith MAGRE au Théâtre de Poche-Montparnasse 75 Bd du Montparnasse 75006 PARIS – À partir du 4 septembre 2023 – TOUS LES LUNDIS À 19H –

  •  Avec Judith MAGRE
  •  Sous le regard de Thierry HARCOURT
  •  Nouvelles extraites de « S’abandonner à vivre » de Sylvain Tesson © Éditions Gallimard
  •  Lumières : Alireza KISHIPOUR
  •  Photographie : Sébastien TOUBON
Judith Magre, filage Théâtre de Poche-Montparnasse

Photo Sébastien TOUBON

Avec sa voix inimitable, Judith MAGRE donne corps à quelques nouvelles de Sylvain TESSON, tirées de son recueil S’abandonner à vivre .

Vous connaissez l’expression « C’est la vie ! ». Il faut croire, si l’on entend tirer quelque morale des situations compliquées que vivent les anti-héros de ces nouvelles, que ces derniers les ont bien cherchées, et que leurs déconvenues ont de quoi élargir notre sourire.

En voici les synopsis :

La gouttière

Un amant pris au piège mais nous n’en dirons pas plus car c’est la chute de l’histoire qui vaut la peine d’être entendue avec fracas.

L’exil

Un Nigérien migrant, devenu après un voyage éprouvant, laveur de vitres à Paris, se retrouve nez à nez devant une vitrine vantant un circuit spécial désert Algérie-Hoggar-Niger.   

La bataille

Particulièrement cocasse, la troisième nouvelle met en scène un général russe qui se prend pour Napoléon et s’offre chaque année le bonheur de commémorer la bataille de Borodino sur le champ de bataille historique. Une véritable reconstitution qui fait appel à un millier de soldats « impériaux ». Mais une fois n’est pas coutume le maire de Borodino s’oppose à ladite reconstitution.

Reconnaissons qu’il n’y a, à priori, aucun lien de filiation entre les trois anti-héros sinon la voix de Judith MAGRE qui les met en scène, faisant rejaillir avec malice et humour, l’ironie des situations.

Quel bon moment avec Judith MAGRE qui n’a rien perdu de sa gouaille espiègle, au service de l’humeur quelque peu sarcastique et mordante de Sylvain TESSON !

Le 22 septembre 2023

Evelyne Trân

LA NOSTALGIE DES BLATTES de Pierre NOTTE à la Manufacture des Abbesses 7 Rue Véron 75018 PARIS du 23 aout au 14 octobre 2023. Les mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 19h.

  • Mise en scène Marylin Pape
  • Avec Eulalie Delpierre et Marilyn Pape

Que pensez-vous de la vieillesse ? Vous croyez qu’elle est triste, cafardeuse ! Combien de gens s’en plaignent ! Ah les vioques ! Figurez-vous qu’il y en a qui résistent aux regards empreints de pitié, horrifiés par les stigmates de la vieillesse, les rides bien sûr, le relâchement de la peau l’arthrose, l’incontinence etc.

C’est un phénomène naturel que celui du vieillissement. Supporteriez-vous de voir l’automne banni de votre calendrier, et de votre mémoire le poème de Jacques Prévert, les Feuilles mortes.

Elles sont pourtant si charmantes et colorées ces feuilles . Pourquoi ne pas dire que les deux septuagénaires de la Nostalgie des blattes, arborent sans complexe leurs couleurs.

Pierre NOTTE imagine que dans un monde aseptisé, la vieillesse décrite comme une déchéance, risque fort d’être gommée – il suffit d’ouvrir le poste de télé et se laisser séduire par des publicités paradisiaques – Dès lors, les personnes qui ne se seraient pas fait ravaler le visage, ou n’auraient pas eu recours à la liposuccion, seraient en voie de disparition.

Les deux héroïnes de la Nostalgie des blattes font partie de cette espèce en voie de disparition. Alors elles s’exposent comme des animaux de foire, attendant des spectateurs-trices qui se font de plus en plus rares. On se croirait un peu chez Beckett, parce qu’elles sont immobiles, isolées, prisonnières de leur condition et sans avenir. Qu’à cela ne tienne, elles ne manquent pas de ressort !

Scotchées chacune sur son siège, les deux bonnes femmes, de vraies chipies, commencent par se détester puis au fur et à mesure de la cohabitation forcée, en découvrant des souvenirs communs, leur sororité se dégage. Si vous êtes vieille c’est que vous avez été jeune ! C’est une vérité de la Palisse qui a le mérite de vous remettre les pieds sur terre.

Et cela ne signifie pas que la jeunesse de l’esprit se soit enfuie.

Marylin PAPE et Eulalie DELPIERRE pètent la forme. Elles sont radieuses. Il faut croire que la pratique de l’autodérision a un pouvoir euphorisant de tonnerre.

Leurs personnages partagent des souvenirs rieurs, leurs yeux pétillent de bonheur quand l’une ancienne comédienne, chante une chanson de Dalida et l’autre, danseuse se met en tutu pour danser un extrait du Lac des cygnes.  

Le spectacle de ces deux vioques drôles et touchantes ne peut que vous réconcilier avec l’image de la vieillesse. Alors n’hésitez pas, allez les découvrir au théâtre de la Manufacture des Abbesses, elles vous donneront la pèche !

Le 14 septembre 2023

Evelyne Trân

Je vous écris dans le noir d’après le roman de Jean-Luc SEIGLE avec Sylvie VAN CLEVEN au THEATRE DE LA REINE BLANCHE – 2 bis Passage Ruelle 75018 PARIS du 12 Septembre au 19 Octobre 2023 les mardis et jeudis à 21 H – les samedis à 20 – Relâche le 3 Octobre. Dates supplémentaires les 5 et 12 Octobre à 14 H 30.

ADAPTATION=Evelyne Loew

MISE EN SCÈNE : Gilles Nicolas et Sylvie Van Cleven

COLLABORATION À LA MISE EN SCÈNE : Pablo Dubott

LUMIÈRE & COLLABORATION À LA SCÈNOGRAPHIE : Lucie Joliot

CRÉATION SONORE : Philippe Mion

JEU=Sylvie Van Cleven

https://player.vimeo.com/video/860200659?h=016ec09b2a

A l’origine du roman de Jean-Luc SEIGLE, il y a un fait divers qui défrayé les chroniques et même fait l’objet d’un film de Henri Georges Clouzot, la Vérité avec Brigitte BARDOT.

L’histoire de Pauline DUBUISSON condamnée pour le meurtre de son amant, a marqué les esprits dans les années cinquante parce qu’elle fut la seule femme  contre laquelle a été requise la peine de mort pour un crime passionnel.

 Le procès fut retentissant. Elle fut exposée à la vindicte générale en raison de sa personnalité très libre et la misogynie des juges. Condamnée à la prison à perpétuité, elle fut libérée dans les années soixante pour bonne conduite. La sortie du film La Vérité de Clouzot la contraint à s’enfuir au Maroc où elle refait surface en tant que médecin à Essaouira mais une rupture amoureuse la conduira au suicide.

Difficile de cerner la personnalité de Pauline DUBUISSON qui a eu un destin particulièrement tragique. Pouvait-elle faire entendre sa version du crime dont elle était accusée à une époque où la misogynie était monnaie courante. Au cours de sa vie elle fit plusieurs tentatives de suicide. Amante d’un officier allemand, elle fut tondue à la libération et violée. Elle fut sauvée de justesse du peloton d’exécution par son père.

Disons-le d’emblée l’image que renvoie le personnage de Pauline DUBUISSON imaginé par Jean-Luc SEIGLE n’a rien à voir avec l’interprétation de Brigitte BARDOT trop artificielle pour rendre compte de sa complexité.

La femme qui parle dans Je vous écris dans le noir c’est celle qui assommée par les projecteurs de la grande ou petite histoire, tente désespérément d’exister, sans avoir à rendre des comptes sur sa manière d’être, sur son passé. Elle est libre dans sa tête et entière. C’est celle qui a le cran de raconter à ses amants les drames qui font d’elle à la fois une coupable et une victime, lors de l’épuration à la libération, lors du meurtre de son ex-fiancé (était-ce un accident, était-ce un crime prémédité ?) prenant le risque d’être éconduite et méprisée.

Elle n’est certainement pas un monstre. Elle est une femme qui a besoin d’aimer et être aimée et qui a eu le malheur de se croire libre face à un monde masculin hostile.

Il y a chez elle probablement une fragilité affective qui la poussera au désespoir alors même qu’à force de travail, de pugnacité, malgré les épreuves de la guerre et de la prison, elle réussira à devenir médecin.

Sans les artifices de la femme fatale, séductrice, y a-t-il encore une Pauline DUBUISSON ? Oui répond Sylvie VAN CLEVEN : Il y a quelque chose de Pauline DUBUISSON en chacune de nous.

Certes, elle a tué un homme « mais personne ne naît assassin » Dans cette pièce, il ne s’agit pas de refaire son procès.

La femme parle effectivement dans le noir. On voudrait penser qu’elle se relève d’un cauchemar, un film affreux où elle joue un rôle qu’elle n’a pas choisi, celui d’une jeune fille de 16 ans tondue à la libération, celui d’une criminelle puis d’une accusée devant subir les sarcasmes des juges.  

Or, il y a beaucoup de fraicheur, de vivacité chez Pauline qui aime par-dessus tout écouter le chant des oiseaux. Elle est pétillante et on sent chez elle la recherche du bonheur. Cela ressort de l’interprétation de Sylvie VAN CLEVEN, qui n’est jamais pathétique, mais juste, sur le fil vraiment bouleversante.

Cette Pauline-là comment ne pas l’aimer. Ce n’est pas tant le personnage mythique, victime d’Eros et Thanatos qu’incarne Sylvie VAN CLEVEN mais l’être vulnérable et son organique désir d’aimer, authentique.

Dans son hamac suspendu entre ciel et terre, elle est ce corps offert aux vibrations de l’air, sensuel et toujours rêveur. Qu’il nous soit permis d’associer sa voix à celle du chant des oiseaux, libre et universel.  

Le 13 septembre 2023

Evelyne Trân

MES CHERS ENFANTS – CORRESPONDANCE D’UNE MÈRE ICONOCLASTE – de et mis en scène par Jean MARBOEUF avec Anny DUPEREY 20 au théâtre LE LUCERNAIRE 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 PARIS. Du 23 Août au 22 Octobre 2023 du mardi au samedi à 21 Heures, le dimanche à 18 Heures.

..

Il y a des correspondances qui font office de journal intime de journal de bord ou de chroniques familiales. C’est toujours avec un pincement au cœur que les destinataires, les amis ou les proches les parcourent car ils savent qu’ils pénètrent dans quelque jardin secret et ils peuvent avoir la sensation lorsque les auteurs.es ont disparu de les ressusciter seulement en les lisant.

C’est peut-être un détail mais la personne qui se livre dans les lettres qu’elle n’enverra pas à ses chers enfants mais conservera dans un cahier pour une lecture posthume, a été écrivaine dans sa jeunesse. Elle connait le poids des mots, elle sait moduler ses sentiments mais en vérité c’est à elle-même qu’elle s’adresse, car ses enfants brillent par leur absence et si elle ne parle pas d’abandon par pudeur, il est clair qu’en assumant sa solitude, elle entend témoigner de son existence quoiqu’il arrive, refusant ce statut de vieille dame, dans un monde à part.

Les lettres que nous lit Anny DUPEREY constituent les confessions d’une personne seule en fin de parcours qui n’a plus rien à perdre et peut donc se dévoiler en toute franchise, parler de la vie tout simplement, parler de ses coups de cœur, de ses rencontres , de son soutien aux émigrés, de ses désirs de femme, sachant qu’elle va saborder l’image d’une vieille dame bourgeoise, aisée,  oisive dont on attendrait uniquement des confidences sur ses maladies ou des activités non rentables réservées aux  séniors.

Non la vie ne s’arrête pas à ses chiffres fatidiques qui font de vous après 65 ans un ou une sénior.

Il n’y pas d’âge pour aimer, éprouver des désirs sexuels, s’engager dans des combats humanistes, en un mot vivre et se croire encore citoyenne d’un monde aussi imparfait soit-il.

Incarnée par Anny DUPEREY, l’auteure de ce bouquet de fleurs que représentent ces lettres qu’elle signe de ses sentiments du moment :  Maman, rebelle, Maman impudique, Maman aimante, Maman nostalgique etc., se révèle pleine de vitalité, réactive et fantasque, terrienne avec ses antennes de bonheur et d’amour.  

Il s’agit nous dit Jean MARBOEUF, l’auteur et le metteur en scène « à la fois d’un hymne d’amour et de désespoir… à la vie ».

Des jeunes seraient bien inspirés d’aller voir ce spectacle pour comprendre que ce qui semble séparer les êtres d’une génération à l’autre, ne fait pas forcément partie d’un passé révolu et encombrant.

Jeunes et vieux auraient tout intérêt pour s’enrichir mutuellement à communiquer davantage entre eux. Est-ce un vœu pieux ?

Anny DUPEREY avec une grande sensibilité, dans ce seule en scène exprime cet espoir. Qu’elle en soit remerciée !

Le 13 septembre 2023

Evelyne Trân

Service public de Hugo FERRARO A LA FOLIE THEATRE 6, rue de la Folie Méricourt – 75011 Paris . Du 1er septembre au 25 novembre 2023.Vendredi et samedi à 21h.

.Avec : Hugo Ferraro, Jules Tarla
Voix off : Gaëtan Beraud, Charlie Borie, Violaine Callies de Salies, Quentin Darmancier, Alexandre Dieguez, Maxence Domenech, Julie Godet, Lauriane Levallois
Mise en scène : Alex Weetz
Création lumières : Clément Duval
Musique : Jo de Ray

Est-il possible de mourir d’ennui et de solitude à l’ère des réseaux sociaux, des téléphones portables qui vous suivent à la trace … ?

Si vous êtes célibataire, renfermé et casanier, vous ne recevrez aucune visite sinon celle du facteur, d’un candidat à une élection politique, d’un fonctionnaire pour le recensement etc.

Dans cette comédie aigre-douce de Hugo FERRARO, nous découvrons un personnage en voie de disparition, quelque peu asocial qui voit débarquer chez lui son antipode, ce genre d’individu qui sort tout droit d’un fichier d’ordinateur, un homme robot programmé pour vous ficher à votre tour puisqu’après tout vous n’êtes   qu’un numéro parmi les milliards d’autres recensés dans un inimaginable organigramme pyramidal qui vous donne le vertige.

Homme robot ou plutôt nounours, le fonctionnaire qui s’introduit de force chez l’homme sauvage est bien en chair, il est plutôt jovial quoique autoritaire. C’est un employé d’un Service Public ayant pour mission d’apporter sa présence aux pauvres gens qui fêtent seuls leur anniversaire.

La confrontation entre cet homme « sauvage » et cet homme « robot » est cocasse. En réalité, l’auteur ne force pas les portraits, les protagonistes ont toujours figure humaine, le fonctionnaire fait penser à un livreur de pizza légèrement corrompu puisqu’il va jusqu’à dicter à son client les notes que ce dernier doit apposer sur ce fameux formulaire de satisfaction, réclamé désormais par n’importe quel service commercial. Quant à l’homme « sauvage » Jules TARLA lui donne l’allure d’un jeune homme quelque peu dépressif qui reprend du poil de la bête face à l’entreprenant employé interprété par Hugo FERRARO.

Qui sait si Hugo FERRARO ne s’est pas inspiré de certains sketches d’humoristes du bon vieux temps tels que Blanche et Dac ou Jean Yanne et Jacques Martin etc.

Nous ne pouvons qu‘encourager dans cette voie-là, le duo qu’il forme avec Jules TARLA, et saluer leur jeune talent.

L’ironie de leur propos saute aux yeux et c’est tout le charme de cette petite farce à découvrir avec plaisir.

Le 10 septembre 2023

Evelyne Trân

Les Doubles vies de Sarah Bernhardt de Isabelle Sprung et Pascale Liévyn au GUICHET MONTPARNASSE 15 Rue du Maine, 75014 Paris – Du 8 septembre au 29 octobre 2023 les vendredis et samedis à 20 H 30, les dimanches à 16 H 30. Durée 1 heure.

Bande Annonce

Mise en scène

Pascale Liévyn

Avec

Isabelle Sprung

.

Photo KATIA

« Quand même » c’est le sésame de toute la vie de Sarah BERNHARDT, une personnalité hors du commun, élevée chez des religieuses puis courtisane et dès l’âge de 14 ans, actrice.

Douée d’un fort tempérament et d’une voix en or selon Victor Hugo, elle interpréta les plus grands rôles du répertoire de son époque, notamment la Reine dans Ruy Blas, Phèdre et même des rôles masculins comme celui d’Hamlet et de l’Aiglon.

Jean COCTEAU l’avait dénommée « monstre sacré » car elle fut la première star internationale à avoir des tournées mémorables dans les cinq continents.

Elle déclarait face à ses détracteurs « Je suis Française, Monsieur, absolument Française. […] Toute ma famille est originaire de la Hollande. Amsterdam est le berceau de mes modestes aïeux. Si j’ai de l’accent, Monsieur (et je le regrette beaucoup), mon accent est cosmopolite, et non tudesque. Je suis une fille de la grande race juive, et mon langage un peu rude se ressent de nos pérégrinations forcées » (sources wikipedia).

Elle soutint Louise Michel et Emile Zola lors de l’affaire Dreyfus. Ce qui la contraignit à rompre les ponts avec son propre fils adoré pendant un an. Et elle était contre la peine de mort.

Oui évidemment, il suffit de surfer sur internet pour découvrir cette personnalité. Mais rien ne vaut une pièce de théâtre pour en approcher  le cœur et l’esprit.

Dans cette pièce émaillée d’anecdotes croustillantes, Isabelle SPRUNG se donne corps et âme. Elle se donne en spectacle mais dans le bon sens du terme comme Sarah l’a fait toute sa vie. Elle est tour à tour très drôle avec humour – comment ne pas sourire à cette remarque « Il est plus difficile de mourir quand il n’y a pas de public » – et si émouvante notamment quand elle joue un extrait de Phèdre.

Un détail amusant, hier soir c’était le fameux match de rugby entre la France et la Nouvelle Zélande, le chant de la Marseillaise du café d’à côté a fait intrusion dans les murs du théâtre et Isabelle SPRUNG sans se démonter a entonné en souriant cette Marseillaise répondant aux commentaires des supporters envahissants.

Grâce à cette pièce fort bien construite par Isabelle SPRUNG et Pascale LIEVYNT, nous avons fait connaissance avec une artiste profondément attachante.

A vrai dire, nous voilà enclins à confondre Isabelle SPRUNG avec son personnage tant celui-ci l’habite aussi bien joyeusement que passionnément. Oui quand même !

Un spectacle à ne pas manquer !

Le 9 septembre 2023

Evelyne Trân

N. B : Isabelle SPRUNG était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE de 15 H 30 à 17 H le samedi 9 septembre sur RADIO LIBERTAIRE 89.4 , en podcast sur le site de RADIO LIBERTAIRE.

Les crabes de Roland Dubillard au Théâtre National du Luxembourg du 12 au 18 Octobre 2023.

Mise en scène Frank Hoffmann

Avec Denis Lavant, Maria Machado, Samuel Mercer & Nèle Lavant

Scénographie Christoph Rasche

Visuels & Costumes Maya Mercer

Lumières Daniel Sestak

Musique René Nuss

Dramaturgie Charlotte Escamez / Florian Hirsch

Ingénieur son Guillaume Tiger
Montage vidéo Jean Ridereau

Assistante mise en scène Eugénie Divry

La pièce Les Crabes de Roland DUBILLARD date de 1971 et vient de faire l’objet d’une création au Théâtre du Chêne noir au festival off d’Avignon pour célébrer le centenaire de la naissance de l’auteur.

On pourrait parler d’une parodie de l’existence ou de la condition humaine. Que l’on aime ou pas les crabes au propre ou au figuré, il est difficile de ne   pas être impressionné par l’inquiétante atmosphère qui règne dans cette pièce dont tous les protagonistes sont roulés dans la farine langagière de l’auteur dont voici quelques perles :

« Une bouche avec un peu de bonne volonté pourrait se manger toute seule »

« Qu’est-ce que la gorge d’un rossignol, un peu de soudure et silence ! »

« Il trainait les moustiques dans son regard comme une grande tour Eiffel inutile. »  

Le synopsis plutôt simple oppose un jeune couple paumé à un vieux couple excentrique qui se retrouvent dans une villa de bord de mer appelée Le Crabe, Il semblerait que tout fuit dans cette résidence : la baignoire, les crabes et la raison. Les jeunes mangent à longueur de journée ces fameux crabes et le plombier est attendu comme le messie.

Dubillard parle de cauchemar comique. On assiste à un joyeux maelstrom d’idées mal digérées : mal de mer, mal de crabes. Il y a de la défonce dans l’air celle de la verve « apocalyptique » de Dubillard qui tourne en dérision les tentatives infructueuses des pauvres humains de claquer la porte à la mort. Et que penser de l’affreux jojo, un abruti de première classe qui mitraille sa propre épouse ? L’homme vidé de sa substance donc de son esprit tuerait simplement par réflexe ?

Mais pourquoi donc faire entrer une mitraillette dans une pièce de théâtre ? Parce que cela fait partie hélas des accessoires de l’inventaire humanoïde.

Dubillard en cuisinier théâtral offre au public une soupe fumante de crabes qui brûle la langue.

Les interprètes de cette symphonie cauchemardesque sont excellents : Samuel MERCER en jeune homme qui ne se réveillera jamais du cauchemar, Denis LAVANT qui y baigne comme un poisson dans l’eau, Marie MACHADO en matrone un brin mélancolique et Nèle LAVANT avec sa fraicheur et sa jolie voix haut perchée.

La mise en scène fort bien lestée de Frank HOFFMANN électrise l’ambiance à souhait.

Voilà du théâtre pour rire méchamment de soi-même ou des autres. Ensuite, n’allez pas vous jeter sur une assiette de crabes !

Le 3 Septembre 2023

Evelyne Trân