Avec Marine Arlen, Paul Barki, Aurélie Gendera, Lucas Manrique, Maud Olivieri, Dylan Perrot.
Rentrer dans le moule ou suivre quoiqu’il en coûte ses aspirations ? Qui ne s’est pas posé la question avant d’entrer dans la vie active.
Les injonctions de l’entourage, la famille, l’école mettent la pression sur l’individu dès le plus jeune âge et le chemin serait tout balisé car il y aurait un seul mot d’ordre : gagner sa vie, ne pas devenir chômeur. Les dés seraient -ils donc pipés à la naissance ?
Travailler, travailler, zut, cela vous engage trop loin sur l’échiquier d’une vie jusqu’à la case sénior sans avenir. « Gagner sa vie », voilà une formule bien à terre à terre qui renvoie la plupart du temps aux calendes grecques les desiderata personnels.
La vie rêvée met en scène en quelque sorte le cri d’alarme de nombreux jeunes qui constatent que ce que la société leur propose n’a rien à voir avec leurs aspirations. Yvan, le personnage principal de la pièce n’en a pas tout
d’abord tout à fait conscience. Il a fait de bonnes études, cadre dans une entreprise, il est fort bien coaché par un manager qui ne cesse de le couver
et de le flatter pour obtenir de lui le meilleur rendement. Pourtant un jour, en retrouvant un carton de souvenirs d’enfance, il se souvient qu’il rêvait d’être… artiste.
On croit rêver, en effet, à plusieurs reprises dans ce spectacle mené tambour battant par une équipe de jeunes comédiens-nes – la mise en scène est vive et un brin joyeuse – qui jubile de brocarder en quelques scènes le dilemme auquel est confronté Yvan : choisir entre une promotion professionnelle, un voyage à Mexico et une audition pour un rôle au théâtre.
Imaginez-vous en prise avec un manager sans vergogne qui ne verrait en vous que l’instrument de ses objectifs, vous le meilleur élément, choisi pour servir la sacro-sainte entreprise. Vous ne vous appartenez plus, vous appartenez à la firme. Allez-vous vous demander qui vous êtes vraiment quand vous êtes réduit à bêler comme un mouton aux moindres injonctions de votre patron ? La religion de l’entreprise, vous connaissez ?
La petite amie d’Yvan quant à elle encourage Yvan à ne pas renoncer à ses rêves. Il y a une scène désopilante où Yvan allongé sur une table d’accouchement est censé accoucher (aux forceps ?) de sa véritable vocation. Une autre scène caricature une propriétaire horripilante qui glousse bêtement en racontant que jamais elle ne louera ses biens à des étudiants, ou des saltimbanques.
La pièce est le fruit de l’expérience des deux auteurs. Elle a tout l’accent d’une jeunesse qui piaffe et rue dans les brancards. Elle a du boulot sur les planches !
Bienvenues sont ces petites ruades sur le ton alerte de la comédie. « Du cauchemar passons au rêve et réveillons-nous ! » clame-t-elle.
Le 28 mars 2023
Evelyne Trân
Les représentations ont eu lieu du 12 janvier au 19 février 2023 à la Manufacture des Abbesses 7, rue Véron 75018 PARIS
Une autre est programmée Le 24 juin à 18h30, au Théâtre Hélios à Mérinchal (Creuse)
La comédienne Marine ARLENT était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur RADIO LIBERTAIRE 89.4, en 2ème partie, le samedi 21 janvier 2023, en podcast sur le site de Radio libertaire ou ci-dessous :
N.B : Article initialement publié sur le MONDE LIBERTAIRE.FR :
Compositeur, arrangeur, pianiste, Pierre Porte est né en 1944. Autant dire qu’il est l’un des derniers grands chefs d’orchestre de music-hall dans la lignée des Ray Ventura, Jacques Hélian, Franck Pourcel, Michel Legrand, Caravelli ou Paul Mauriat, lui-même rencontre marquante pour ce musicien.
Pour ses 50 ans de carrière, paraît chez Marianne Mélodie « Grand Orchestre », un coffret 3 CD conçu par Pierre Porte et Matthieu Moulin. Accompagné d’un livret bien documenté, de belle qualité rédactionnelle, voici un florilège de compositions originales (idyllique « Ibiza »), d’arrangements et d’orchestrations sur des standards couvrant plusieurs décennies et souvent plusieurs continents. Mais pourtant restés longtemps introuvables en CD.
De nombreuses sources sonores proviennent du prestigieux label japonais Victor Entertainment : au pays du Soleil levant, Pierre Porte fut acclamé comme une star dès 1981 : ses propres mélodies y sont célèbres. Bien plus qu’en France.
Plusieurs des producteurs nippons se sont ainsi succédé à Paris pour l’enregistrement de 10 albums dont la plupart furent réalisés au mythique studio Davout, aujourd’hui disparu.
Outre « Paris danse », extrait de la B.O. de la célébrissime Revue du Moulin Rouge « Féerie », le CD 2 comprend pour moitié plusieurs compositions dans lesquelles le synthé se mêle, sans hiatus aucun, au monde symphonique.
En seconde partie, comme au music-hall, les thèmes de chansons empruntées au répertoire d’Edith Piaf. Soit 11 titres emblématiques, tous finement restitués, parmi lesquels « Hymne à l’amour », « La vie en rose », « L’accordéoniste » ou « Les amants d’un jour ».
Comme partout sur ces trois galettes, le piano virtuose et les différents orchestres se marient idéalement dans l’inventivité et la délicatesse avec l’accordéon. Sur les plages 12,15,16,18, 19 (et non pas – semble-t-il – sur la 22, comme indiqué), la sensuelle complicité de Marcel Azzola peut ainsi se comparer à une discrète voix humaine.
En plus d’une version de « La Foule », proprement étourdissante, on remarquera sur « Les trois cloches » – lyrique, presque hollywoodien – l’intervention magistrale de chœurs : réédition idéale pour cette Année Edith Piaf. On célèbrera, en octobre, la disparition de la chanteuse légendaire, survenue voici déjà soixante ans.
Dans cette compilation d’envergure apparaît de Pierre Porte son regard pertinent. Approche hédoniste, construction en clair-obscur : la diversité étincelante dans l’agencement des titres constitue, en soi, une véritable œuvre d’art.
Cet artiste possède, il est vrai, une culture multiforme. Pour le classique, signalons simplement « le » Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris ; les cours de perfectionnement auprès de Maurice Duruflé ou les conseils que lui prodigua un grand beethovenien : Pierre Barbizet.
Ella Fitzgerald a salué le travail de Pierre Porte, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Nice pour un concert triomphal donné lors de l’ultime tournée européenne de jazz symphonique que la vocaliste a entreprise en 1978 avec le fameux Trio Flanagan.
A la télévision, plus de cent émissions pour Maritie et Gilbert Carpentier : il compose pour des ballets classiques ou modernes, adapte de vieux succès, écrit sur mesure arrangements et orchestrations pour des duos inédits entre chanteurs et comédiens…
Il travaille pour Johnny Hallyday, Régine, Marie Laforêt, Dalida, Marcel Amont, Sylvie Vartan, Gilbert Montagné, dirige l’orchestre pour une prestation de l’imprévisible Gainsbourg, effectue une tournée avec Thierry Le Luron.
Véritable passionné éclectique, Pierre Porte avait conçu en 1983 l’ album « L’univers symphonique de Francis Lemarque ». Une référence majeure. A rééditer d’urgence.
Sur le CD 3, Pierre Porte s’est notamment offert le luxe de proposer sa vision très personnelle de pages emblématiques. Leurs auteurs respectifs ? Rien moins que Wagner(allégé, cela n’est pas plus mal), Mozart (discrètement lyrique), Liszt (« Préludes » majestueusement revisités ), Beethoven (deux mouvements de sonates, merveilles d’expressivité) ou ce « Nocturne en Mi bémol majeur » de Chopin symphonisé avec style et faisant sonner le piano dans le respect et l’élégance.
Une partie du CD 1 permet de (re)découvrir à la fois deux « Fantaisies » de Pierre Porte pour « Grand Quatuor à cordes » et l’indicatif de l’émission dominicale du soir qu’animait Jacques Martin : « Musique and Music », un thème où se côtoient Mozart, Schubert et Wagner.
Sur le même CD, deux compositions : les « Variations et Aria Op.4 », élégiaques à souhait comme ces resplendissantes « Variations Op 1 ».
Le « I love Paris » de Cole Porter – avec la musique additionnelle et le piano solo de Pierre Porte – devient pour 4’15 un mini-concerto entre classique et jazz : l’esprit même du music-hall !
Une curiosité que ce « Medley Bee Gees », suave réminiscence du mythique groupe pop. Enlevé, abouti.
Pour clore cette mosaïque, le thème au titre bilingue « Evoquations / Suite Symphonique » (Like A Symphony) pourrait évoquer, pour ainsi dire, l’univers d’un cinéma intemporel. Le musicien a aimé travailler pour le 7ème art : Christian-Jaque, Joseph Losey, Roger Vadim et Yves Boisset.
Un grand nombre de titres rassemblés dans ce Coffret d’Or rappellent immanquablement le monde du cinéma, quelles qu’en soient la texture, l’esthétique rythmique.
Retour au CD 3. Il s’ouvre sur quelques morceaux choisis ( périodes Préclassique ou Romantique citées plus haut) eux-mêmes suivis de compositions personnelles aux contours finement articulés. A noter les beaux « Passager » ou « Carnaval de Venise ». Et cet « Arlequin » : un charme plutôt seventies parmi d’autres tableautins façonnés en pastels aux rythmes notablement différenciés.
Une quasi-découverte : le violoncelle du méconnu Jean Reculard – unique élève de Pablo Casals – est à l’honneur dans « Sortilège ». Appellation qui, au pluriel, aurait bien pu donner un sous-titre à cet « o.s.t.i. » : objet sonore très identifiable. Sans e. Quoique…pour une musique aussi céleste…
Encore une fois, quelques grands succès internationaux revisités : mélodies signées Gilbert Bécaud (indétrônable « Et maintenant »), Joseph Kosma (des « Feuilles mortes »… à tomber !) Jacques Brel (un « Ne me quitte pas » sans le pathos d’origine) ou cet exceptionnel « A Paris » de Francis Lemarque. Artisan magnifique et simple avec lequel Pierre Porte nouera une réelle et durable amitié.
« Memory » (de la comédie musicale « Cats ») – constitue un autre moment de grâce : cordes soyeuses fondues au piano, dans un climat fait de nuances propices au rêve, parfois à la méditation : l’identité même du présent coffret.
Juste avant la note finale, très cabaret, que constitue « Féerie » – cosignée Charles Level / Pierre Porte – Georges Auric se voit honoré par ce « Moulin-Rouge » où quelques notes d’accordéon surgissent par instants, associées au clavier enchanteur parmi le tapis orchestral : maîtrise absolue. A l’instar du travail que renferme cette anthologie luxuriante où les différentes phalanges et le piano de Pierre Porte forment deux orchestres qui se répondent, se comprennent. En un mot, dialoguent. Dans une évidente harmonie de chaque instant.
De la « musique légère », aux deux sens du terme. Hors des modes. Dynamique, festive. Un cadeau à s’offrir. A offrir aussi. Bonheur intense garanti.
Texte et mise en scène Marine Bachelot Nguyen Vidéo et scénographie Julie Pareau Création lumière Alice Gill-Kahn Son Pierre Marais
Avec Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné et la participation de Tran To Nga
Tout le monde ne connait pas l’histoire de TRAN TO NGA qui a pourtant fait parler d’elle tout récemment lors du procès du 25 Janvier 2021 intenté aux multinationales responsables de l’épandage de l’agent sur la terre du Vietnam.
Cette femme aujourd’hui âgée de 80 ans et en mauvaise santé a le courage et la force morale de continuer son combat alors qu’après 7 années de procédure, le Tribunal s’est déclaré incompétent et que ses avocats ont dû faire appel de sa décision.
L’initiative de Marine BACHELOT NGUYEN de porter au théâtre le récit de sa vie est particulièrement bienvenue.
Il ne s’agissait pas de faire un biopic hagiographique mais de faire entendre la voix de Tran To Nga à plusieurs âges de sa vie marquée par la guerre du Vietnam (1/11/1955 au 30/04/1975) pendant laquelle elle fut résistante dans le maquis et fut victime de l’épandage de l’agent orange.
Nous pourrions croire que la guerre du Vietnam est terminée mais la vérité c’est que le peuple vietnamien en subit toujours les séquelles puisqu’actuellement, c’est la 4ème génération d’enfants qui naissent victimes du poison de la dioxine.
Il faut entendre le témoignage de Tran To Nga qui fut moqué lors de son audience au Tribunal :
« Etes-vous déjà allés au Vietnam ? Avez-vous vu le musée des vestiges de la guerre à Saigon. On l’appelait auparavant galerie des atrocités américaines. Chaque salarié de nos multinationales, chaque être humain devrait y faire une visite… Dans la maternité de Saigon, j’ai vu conservés sur des étagères des bocaux, dans ces bocaux des fœtus de nouveaux nés, un cimetière de bébés déformés par la dioxine. »
Habilement Marine BACHELOT NGUYEN crée des ponts entre la jeune Tran To Nga incarnée ardemment par Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné et Tran To Nga, grand-mère. Par l’entremise d’images vidéo, elles se rejoignent et dialoguent en quelque sorte.
Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné à travers le monologue de la jeune résistante, avec tout l’éclat de sa jeunesse, nous parle d’aujourd’hui et de l’avenir de la planète. Elle est la voix aussi des avocats au Tribunal.
Très instructif et poignant, le spectacle a la forme d’un théâtre-récit ancré dans la réalité, qui a vocation de sensibiliser le public à la cause de Tran To Nga défendue par le Collectif dioxine. On ne refera pas l’histoire mais il est possible d’en tirer les leçons.
Le spectacle émeut profondément tel un porte-flamme des jeunes appelés à prendre le relais du combat de Tran To Nga . Sa voix toujours très douce résonne :
« Je suis reliée à tous les morts, reliée à tous les vivants et pour que les vivants et les morts soient comptés, il faut simplement de la réparation, il faut simplement de la justice « .
Le 20 mars 2023
Evelyne Trân
Tournée
6 avril 2023 Festival des cultures, La Sorbonne Nouvelle (Paris) 11 avril 2023 Théâtre du Champ au Roy (Guingamp) / 20h30 14 avril 2023 Festival Mythos 2023 (Rennes) 2-3 mai 2023 Festival Eldorado, CDN de Lorient / 2 mai à 21h, 3 mai à 19h
N.B : L’article a été initialement publié sur le Monde Libertaire.fr
Texte Maurice Maeterlinck Adaptation et mise en scène Clara Koskas Lumières Titiane Barthel Décors Théo Bertolotti Costumes Emmanuelle Bertolotti, Chloé Bussat Musiciens Mickaël Bourse en alternance avec Romain Firroloni Maquillage Sarah Dellacase, Océanne Gagnot Création sonore Philippe de Coquereaumont Création marionnettes Théo Bertolotti, Anne Tailliez Régisseur son Luck Parize Traduction des chants russes Elisabeth Toutounov, italiens Angélique Nigris, grecs Chryssoula Alexiou Conception et direction chorale Diane Rumani
Crédit / photos du spectacle : affiche Anthony Devaux / photos du spectacle Emma Karatier
SYNOPSIS
Un groupe d’aveugles égarés guette le retour de leur guide, celui qui doit les guérir, celui qui voit. Abandonnés sur une île, ils l’attendent inexorablement dans une forêt aux signes étrangement inquiétants. Épuisés, ils tentent de comprendre où ils se trouvent. La Nature, en vain, informe ces aveugles de la fatalité prochaine qui va s’abattre.
À partir de 12 ans
N.B : Clara KOSKAS était l’invitée en 1ère partie de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire 89.4 le samedi 18 Mars 2023, en podcast sur le site de Radio libertaire et ci-dessous :
Crédit / photos affiche Compagnie Les Enfants du paradis Crédit photo spectacle Yann Slama
Deux mythes nous parviennent du fond des temps et pourtant racontent des images précises de ce que nous vivons, de ce que nous sommes et comment nous habitons le monde.
N. B : Géraldine SZAJMAN était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire 89.4, en 2ème partie, le samedi 18 mars 2023 en podcast sur le site de Radio Libertaire et ci-dessous :
Bertolt BRECHT ? Son nom résonne dans la mémoire collective comme celui de SHAKESPEARE et vient aussitôt à l’esprit sa pièce la plus connue L’Opéra de quatresous . Mais sait-on que c’est pendant ses quinze années d’exil qu’il a écrit une grande partie de son œuvre : La vie de Galilée, Mère courage et ses enfants, la Bonne âme de Se-Tchouan, la Résistible ascension d’Arturo UI etc.
Né en 1898, Brecht a connu les horreurs de la 1ère guerre mondiale, la montée du nazisme, il devient marxiste, résistant de la première heure, opposant à Hitler, ses œuvres sont brûlées lors de l’autodafé 10 Mai 1933. Il quitte l’Allemagne au lendemain de l’incendie du Reichstag. Il parcourt l’Europe, s’installe en Finlande, en Suède puis en Californie et ironie de l’histoire, après
la 2ème guerre mondiale, il est à nouveau chassé des Etats Unis en 1947 à cause de son étiquette « Rouge » de dangereux communiste. Son œuvre est inséparable de sa vie et d’évènements historiques qui peuvent paraitre lointains pour des jeunes de 20 ans, mais qui restent encore brûlants pour leurs parents, leurs grands et arrières grands-parents. Faire entendre la voix de Bertolt BRECHT, aujourd’hui, c’est une manière de se palper, pour se comprendre en tant que citoyen du monde .
Voici ce que j’écrivais il y a quelques années pour annoncer le spectacle Chants d’exil monté par Serge BARBUSCIA. C’est le même sentiment qui m’anime à propos du spectacle Du bonheur de donner. Ariane ASCARIDE donne de sa propre voix qu’elle a forte et chaleureuse pour mettre en valeur la pensée de Bertolt BRECHT, poète frondeur à tous les points de vue, qui entend écrire pour ceux qui sont méprisés, marginalisés, voire déchus.
Brecht s’intéresse aussi bien à des figures devenues mythiques dans les textes : La putain Evelyne Roh, l’infanticide de Marie Ferrar, la Médée de Lodz qu’à des personnes rencontrées dans la rue, par exemple un ouvrier et son marteau piqueur, qui l’impressionnent au point qu’il écrit « Au milieu de la foule, j’ai monté un théâtre ». La façon dont il nous parle des émigrants, expatriés, exilés, nous rappelle hélas une triste actualité : « Ils n’ont qu’une cuiller pour vider l’océan ».
Brecht n’use pas d’effets littéraires, il donne juste l’impression de sonder sa propre conscience avec des mots de tous les jours : « Il y a sûrement quelque chose qui ne va pas dans notre monde… Mes dents se changeaient en crocs et mes bonnes paroles avaient un goût de sang ».
Il s’agit de textes de combat qui nous touchent concrètement comme une poignée de main.
Quelques saillies d’humour telles que « L’homme est bon mais le veau est meilleur » et cette confidence « Voir un visage heureux me ravissait » contrebalancent la gravité des propos.
Ariane Ascaride, grande connaisseuse de Brecht – elle a débuté sa carrière en jouant dans laBonne âme de Se-Tchouan – porte avec passion ces textes. Elle parait si forte et déterminée ! Mais elle émeut aussi quand sa voix chute, trahie par l’émotion. La musique est aussi au rendez-vous grâce à l’accordéon d’un musicien virtuose David VENITUCCI.
Comme le théâtre n’est jamais loin, nous pouvons, dès lors, rêver à l’irrésistible ascension de Bertolt Brecht, poète combattant au milieu de la foule !
Le 15 mars 2023
Evelyne Trân
N.B : Article initialement publié sur le Monde Libertaire.fr
Après Cap au pire en 2017, la Dernière Bande en 2019 et l’Image en 2021, Jacques OSINSKI signe une nouvelle mise d’une pièce de Samuel BECKETT qui serait la préférée de l’auteur.
Le metteur en scène dans sa note d’intention parle de voyage avec Beckett dont il cite cette pensée tirée d’une lettre à Pamela Mitchell : « C’est étrange de se sentir à la fois fort et au bord du gouffre. C’est ce que j’éprouve et j’ignore laquelle de ces deux impressions est fausse : ni l’une ni l’autre probablement ».
Avant de s’engouffrer dans les multiples considérations que peuvent susciter cette pièce en raison de ses thèmes existentiels les plus criants : la solitude, la vieillesse, la mort, la misère, il est possible de considérer tout simplement cette pièce comme un objet théâtral ou bien un vaisseau théâtral destiné de préférence à d’excellents comédiens tels que Denis LAVANT et Frédéric LEIDGENS sans oublier Claudine DELVAUX et Peter BONKE.
Tout en respectant les desdicalies du texte, Jacques Osinski crée sur le plateau une atmosphère sans artifice où les personnages donnent l’impression de vivre dans un endroit familier et vivant avec des objets signifiants que ce soient les poubelles où sont engoncés jusqu’au cou deux vieillards, l’escabeau, le chien en peluche, le fauteuil à roulettes. Quant au drap qui recouvre en début de scène le paralysé, décrit comme vieux par Beckett, il rutile d’une blancheur qui contraste avec le gris sombre de la pièce à vivre.
Il s’agit donc bien de cela, pièce à vivre et quels en sont donc les occupants ? Hamm un individu paralysé et aveugle, ses parents en fin de vie et Clov son serviteur boiteux. Que font tous ces personnages, ils parlent … Parce qu’ils sont en situation de dépendance, ils sont obligés de se parler ou s’écouter parler, même pour ne rien dire ou quoi que ce soit qui fasse avancer. Une façon de combler le vide, l’absence de véritable communication avec des mots.
On parle souvent de vide ou de néant à propos des pièces de Beckett mais ce qui frappe pourtant c’est la présence « extraordinaire » des personnages. Je me souviens d’avoir assisté adolescente à une retransmission télévisée de Oh les beaux jours avec Madeleine RENAUD qui interprétait Winnie. Elle crevait l’écran tant elle donnait l’impression de vivre intensément ce qui lui arrivait sans dramatiser la situation tragique, voire effrayante qu’elle subissait.
Cette espèce de fascination, je crois l’avoir retrouvée avec les personnages de Fin de partie, une vision qui s’imprime étrangement dans l’espace comme s’il était encore possible d’entendre converser Hamm et Clov au-delà de la représentation.
Certes il s’agit de situations impossibles, désespérantes, il n’empêche qu’on peut rire et les personnages eux-mêmes se tournent en dérision. Quand le tragique finit par devenir comique. Trop, c’est trop ! Comment lui tordre le cou à ce quotidien « infâme » sinon en le faisant sortir de ses gonds, en se moquant de lui, en lui assignant juste sa place, en le désignant ou en se désignant soi-même. : Toi Hamm, toi Clov, toi le vieux, toi la chaise, toi l’escabeau !
Le fait de désigner opère le hors soi, permet la projection et d’une certaine façon libère. Il importe de convenir de la rotation de ce qui est perçu comme immuable, les instincts de mort et de vie, la jour et la nuit…
La représentation au théâtre opérera toujours ce hors soi, ce pourquoi elle est exigeante, elle requiert l’œil du public ou du metteur en scène, elle est signifiante pour les personnages dans un univers parallèle comme chez Pirandello.
La force des personnages est une révélation. Comment ? Prendre un paralysé aveugle, un boiteux, deux vieillards pour nous parler de l’existence, c’est scandaleux !
Spectateurs, spectatrices, n’ayez crainte, grâce à la mise en scène très inspirée de Jacques OSINSKI qui fait toute confiance à ses interprètes capables de faire retentir tout le poids d’une existence malheureuse avec un indéfinissable clin d’œil de malice, vous ne ressortirez pas tristes ou déprimés.
Tout se passe et c’est probablement une illusion comme si Beckett tel Clov grimpait sur un escabeau et regardant à travers une lunette, s’écriait : Cherchez l’humain !
Le 8 Mars 2023
Evelyne Trân
N. B : Jacques OSINSKI était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur RADIO LIBERTAIRE 89.4 en 2ème partie, le samedi 25 Février 2023, en podcast sur le site de Radio Libertaire et ci-dessous :
Interview de Jacques OSINSKI sur Radio libertaire le 25 Février 2023
N. B : L’article a été initialement publié sur LE MONDE LIBERTAIRE. FR
Jeune mère de famille, je me suis souvent sentie assignée à résidence. Je renouais alors étrangement avec la réalité de ma grand-mère dans la France agricole et catholique du début du XXème siècle. Ce film est une adresse à ma mère, que je redécouvre, jeune femme des années 50, fuyant la maternité et la vie domestique. C’est aussi un dialogue avec Michelle Perrot, l’historienne des femmes, sur un siècle d’émancipation.
Note de la réalisatrice, Valérie Guillaudot
J’ai toujours été en proie à une aversion pour la vie domestique : cuisine, tâches ménagères… Ce rejet m’a été transmis par ma mère mais comme elle, j’ai finalement choisi de vivre en couple avec des enfants. Je crois que, très tôt en observant mes parents, j’ai appréhendé ce rôle assigné de tout temps aux femmes dans la maisonnée comme étant le fruit de la domination masculine. Imprégnée de littérature féminine de Virginia Woolf à Annie Ernaux, je choisis d’entraîner le spectateur dans un récit autobiographique et générationnel.