Le Joueur d’Echecs de Stefan SWEIG – Seul en scène avec Gilbert Ponté au Théâtre de l’ESSAION 6, rue Pierre au lard 75004 PARIS du 14 novembre 2022 au 31 janvier 2023, les lundis et mardis à 19 H 15.

Création lumière Antoine Le Gallo

Stefan ZWEIG est un écrivain autrichien, cosmopolite, pétri d’idéal humaniste. Contemporain de grandes figures intellectuelles du début du 20ème siècle, dont Sigmund FREUD, il fait partie de ces auteurs célébrés de leur vivant, qui n’ont pas sombré dans l’oubli. Il s’est distingué par l’écriture de nouvelles et de biographies d’une grande profondeur psychologique.

Il rêvait d’une fraternité européenne et son drame fut d’être confronté à l’antisémitisme du régime nazi qui le condamna à l’exil.

La nouvelle posthume Le joueur d’échecs fut écrite quelques semaines avant son suicide à Petrópolis au Brésil. Il s’agit d’une œuvre de circonstance, y   sont relatées longuement les conditions de torture d’un personnage autrichien, très cultivé, arrêté par la Gestapo. Ce dernier raconte son calvaire mental dans une chambre d’hôtel hermétiquement fermée au monde extérieur, sans livre, sans montre, ni papier, ni crayon, sans voir aucune figure humaine sauf celle du gardien. Il  devra sa survie à un manuel d’échecs subtilisé dans la poche de ce gardien et c’est ainsi que pour meubler le temps, il deviendra joueur d’échecs contre lui-même.

Parallèlement, Stefan SWEIG fait le portrait d’un jeune champion mondial d’échecs, inculte et rustre.

Les deux joueurs se rencontrent dans un paquebot à destination de Buenos Aires. Le point d’ancrage du récit est donc cette rencontre entre un « bon » et un « méchant » et le suspense qui en découle.

Pour cette nouvelle, Stefan ZWEIG s’inspire de sa propre situation d’exilé. Il écrit à son ex épouse Friederike «  J’ai commencé une petite nouvelle sur les échecs, inspirée par un manuel que j’ai acheté pour meubler ma solitude et je rejoue quotidiennement les parties des grands maitres ».

Elle est un témoignage des angoisses et du bouleversement moral de Stefan Zweig qui vont l’acculer au désespoir et au suicide. Il aurait joué longuement aux échecs avec son ami Feder avant de se donner la mort le 22 février 1942.

Grâce à son talent de romancier Stefan ZWEIG réussit à prendre de la distance avec sa propre histoire. Le narrateur est un homme bienveillant, voire jovial qui s’amuse à observer les comportements des voyageurs d’un paquebot et c’est tout naturellement que sa curiosité le conduit à s’intéresser à deux personnages antinomiques qui s’affrontent dans une partie d’échecs.

Le récit sur scène est formidablement mené par Gilbert PONTE, comédien conteur qui dispose d’une voix très chaude. Pas de pathétisme dans son jeu. Les spectateurs peuvent facilement s’identifier à des voyeurs en train d’assister réellement à une partie d’échecs.

Pas de décor, peu de jeux de lumières, juste mais elle est essentielle, la présence du conteur.

Le récit se suffit à lui-même et tout le long, l’on est surpris de retenir son souffle, étourdi d’imaginer à quelle extrémité peuvent être poussés deux joueurs d’échecs, passionnés. A la vie, à la mort, pourrait-on dire. Echec ou mat ? Ou bien métaphore cinglante d’une humanité qui sombrait dans l’obscurité et la barbarie sous le régime d’Hitler et de la lutte obstinée de ses opposants .

Faut-il se représenter l’état d’esprit de celui ou celle qui pose son dernier pion ou attendre ou réclamer la prochaine partie ?

Le 24 janvier 2023

Evelyne Trân

N. B : L’article a été initialement publié dans le Monde Libertaire.fr

Votre Maman de Jean-Claude GRUMBERG au Studio Hébertot 78 bis Boulevard des Batignolles – 75017 Paris – Du 27 septembre 2022 au 19 avril 2023 – Le mardi à 21 H, le mercredi à 19 H.

Photo.D.R.

De Jean-Claude Grumberg
Mis en scène par Wally Valerina Bajeux
Avec Marc F. Duret, Jean-Paul Comart, Colette Louvois et en alternance Titouan Laporte, Morgan Costa Rouchy, Mathis Duret

Elle est tout de même terrible cette expression « Votre maman » par tout ce qu’elle sous-entend, par le poids qu’elle représente pour celui ou celle qui la reçoit, qui doit faire un bond dans sa lucarne et sans doute ne peut s’empêcher de penser « Mais de quelle maman me parle cet étranger, la mienne, la véritablement mienne, ou celle qu’il perçoit de toute façon comme une patiente, une malade, une vieille femme parmi tant d’autres ».

Jean-Claude GRUMBERG dit que cette expression, on l’entend journellement dans les maisons de retraite médicalisées.  Dans la pièce éponyme qu’il a écrite, elle provoque immédiatement la mauvaise humeur du fils qui vient rendre visite à sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Le fils a donc beaucoup de mal à supporter le directeur qui ne connait rien de sa mère et entend se dédouaner des différents problèmes que pose la patiente en demandant instamment au fils d’intervenir. Voilà donc le fils responsable des agissements  de sa mère comme un parent de sa progéniture.

De toute évidence le fils et le directeur ne sont pas sur les mêmes longueurs d’ondes. Ils entretiennent un dialogue de sourds, plutôt cocasse et tandis que le directeur manifeste son exaspération face aux caprices de la vieille dame, le fils lui n’a qu’un seul désir, la retrouver même si elle ne le reconnait pas.

La relation entre cette mère et ce fils est extrêmement touchante. Le fils ne cesse de la sonder. Certes la vieille dame n’a plus la notion du temps mais le fils découvre que ce qu’il y a de plus profond en elle ne l’a pas quittée, notamment son amour pour sa propre mère que dans « son délire » elle attend toujours.

Colette LOUVOIS campe une vieille dame charmante dans son rêve éveillé. Il est vrai qu’elle n’a plus aucune inhibition. Elle donne des coups de parapluie à la voisine qui l’importune, elle se moque des employés qui effectivement ont l’air de pantins – ils ne communiquent qu’à coups de sifflets -, elle dit à son fils qu’il pue etc… Mais elle est toujours pleine de vie.

Jean-Claude GRUMBERG évoque à mots couverts la déportation. C’est ce souvenir traumatique qui resurgit chez cette dame mais personne à part le fils ne peut le comprendre.

Le sujet est grave mais l’auteur entend justement apporter sa touche de poésie et de rêve qu’exprime lumineusement l’interprétation de Colette LOUVOIS.

La mise en scène de Wally VALERINA BAJEUX est sobre et suggestive et la distribution épatante.

A beaucoup de moments, il est possible de se croire dans une pièce de Feydeau et puis soudain on pense à Tchekhov en raison du caractère très intimiste des conversations entre le fils et la mère. On a l’impression de naviguer à vue, porté.es soit par le rire, soit par l’émotion.

Il s’agit aussi d’une pièce sur les difficultés de communication. Bien que cela ne soit pas exprimé de façon ostentatoire, il faut imaginer le bouleversement intérieur du fils que sa mère ne reconnait plus.

Ce n’est qu’en fin de représentation et le bruit de l’océan que la voix de Jean-Claude GRUMBERG s’élève :

« Quand la dernière survivante aura rejoint les siens dans le ciel de Pologne nous laissant seuls avec pour héritage sa chancelante mémoire, qu’en ferons nous, nous les orphelins ».

Le 17 Janvier 2023

Evelyne Trân

N.B : L’article a été initialement publié dans Le Monde Libertaire.fr

Zola l’infréquentable de Didier CARON au théâtre de la CONTRESCARPE 5, rue Blainville 75005 PARIS : Jusqu’au 13 janvier 2023 les MERCREDIS, JEUDIS et VENDREDIS à 21h, les SAMEDIS à 20 H 30, les DIMANCHES à 16 H 30. PROLONGATIONS à partir du 1er Février jusqu’au 5 mai 2023. Relâches les 3/02, 18/02, 5/03, 11/03, 18/03, 6/04, 12/04, 19/04, 20/04, 21/04.

BANDE-ANNONCE DE « ZOLA L’INFRÉQUENTABLE » AU …

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Photo : Fabienne RAPPENEAU

La pièce Zola l’infréquentable met en scène le face à face particulièrement virulent entre deux hommes Emile ZOLA, le romancier humaniste et Léon DAUDET, journaliste, pamphlétaire nationaliste et antisémite en pleine affaire DREYFUS (1894-1906).

La violence de leur confrontation rappelle, hélas, certains débats qui ont eu lieu pendant les présidentielle sauf qu’elle se déroule dans le cabinet de travail de chacun des protagonistes.

Très instructif sur le fond et la forme du climat antisémitique qui régnait en France, le texte de Didier CARON se coule brillamment dans le style châtié et littéraire qu’arborent dans la pièce Zola et Daudet.

Les deux hommes parlent comme ils écrivent. Impossible d’oublier qu’ils sont écrivains et qu’ils manient la langue avec virtuosité. Il s’agit d’un duel oratoire où chaque phrase doit faire mouche et blesser l’adversaire.

Didier CARON cite d’ailleurs à plusieurs reprises des extraits d’articles de Zola et de Léon Daudet à ne pas confondre avec le cher ami de Zola, Alphonse.

C’est la lecture d’un article ignoble de Daudet qui décrit la destitution de Dreyfus qui déclenche la colère de Zola. Ce sera ensuite un autre article de Daudet qui applaudit l’acquittement du commandant Esterhazy – le véritable coupable à l’origine de l’affaire Dreyfus – qui précède la lecture du « J’accuse » de Zola dans l’Aurore le 13 Janvier 1898, article qui sera suivi d’une pétition d’intellectuels dreyfusards le 20 janvier 1898.

A la violence venimeuse de Daudet qui en somme traite Zola de « sale étranger » en raison de son origine italienne, Zola oppose sa foi humaniste. A la question de Daudet « Qui êtes-vous Zola finalement ? » ce dernier répond : « un moment de la conscience humaine ».

Les comédiens Pierre AZÉMA et Bruno PAVIOT jouent de façon magistrale. Ils ne s’expriment pas qu’en beaux parleurs, ils incarnent des hommes de chair qui lâchent en quelque sorte leurs tripes avec rage et passion.

 Comment oublier que la haine déversée par un antisémite tel que Léon Daudet a eu pour conséquence la shoah.

Un grand moment de théâtre qui donne toute sa dimension à Zola l’infréquentable et agit comme une piqûre de rappel sur les dangers de la rhétorique lorsqu’elle s’appuie sur tous les ressorts de la haine la plus primaire.

Le 10 janvier 2023

Evelyne Trân

N. B : Article initialement publié dans LE MONDE LIBERTAIRE .FR

Rimbaud Cavalcades ! Un seul en scène de Romain PUYUELO au Théâtre de l’ESSAION 6, rue Pierre au lard 75004 PARIS du 5 décembre au 7 février 2023 les lundis et mardis à 21 h 00.

Voir la bande annonce

Avec Romain Puyuelo

Mise en scène : Nicolas Vallée

Création musicale : Carlos Bernardo

Création lumière : Nicolas Laprun

Rimbaud en cavalcades ! Quelle bonne idée en ce début d’année 2023 ! C’est ce que nous propose Romain PUYUELO qui assure un spectacle, seul en scène, tout à fait trépidant et drôle pour évoquer le parcours du poète voyageur.

A bas la poésie académicienne, aux orties la notion de « poète maudit » ! Rimbaud adolescent incarne la poésie en marche, chevillée au corps, aux émotions ; elle doit être périple, courir vers l’inconnu pour le meilleur et pour le pire. La soif de vivre, libre, enfin libre, transpire dans ses poèmes. Rimbaud est un poète musicien, iconoclaste. Crise d’adolescent ou crise de la poésie ? Une chose est sûre Rimbaud bouscule quiconque sur son passage. Et Romain Puyuelo a imaginé un personnage dénommé Romuald, graphiste empêtré dans une usine de yaourt (on pense à Charlot) qui à la faveur d’un burn out claque la porte en déclarant « Je vais acheter un cheval et m’en aller ».

Il se trouve que cette phrase, elle avait déjà été écrite par Rimbaud en 1881 dans une lettre à sa famille. Cette coïncidence fulgurante pousse le jeune Romuald sur les traces du poète, en vélo jusqu’à Charleville-Mézières. Pour nous conter les péripéties du poète, il recrée son entourage en endossant divers personnages :  la mère, Verlaine, Izambard le prof, et l’ami d’enfance Ernest Delahaye.

La mise en scène de Nicolas VALLEE sans temps mort, la création musicale de Carlos BERNARDO, la présence de Romain PUYUELO, font de ce spectacle un road movie rimbaldien qui pète la soif de vivre la poésie.  

Romain Puyuelo s’est inspiré du livre » Œuvre-vie » d’Alain BORER et de la biographie de Jean-Jacques LEFRERE.

Pourquoi Rimbaud a-t-il cessé d’écrire de la poésie à 20 ans ? Pourquoi est-il devenu aventurier, négociant en Afrique et même trafiquant d’armes ? Rimbaud parlait déjà du pire dans ses écrits. Voulait-il toucher le fond et connaitre adulte les dérives décrites dans son « Bateau ivre » ? Il est probable que ces questions percutent quiconque s’intéresse au mystère Rimbaud.

Romain PUYUELO à travers le personnage fantasque de Romuald a choisi la face ensoleillée de Rimbaud. Il en résulte un spectacle au charme fou en harmonie avec cette célèbre citation du poète :

« C’est quoi l’éternité, c’est la mer allée avec le soleil ».

Le 3 janvier 2023

Evelyne Trân

N.B : Article initialement publié dans le MONDE LIBERTAIRE.FR

N.B : Romain PUYUELO était l’invité de l’émission Deux sous de scène sur Radio Libertaire le samedi 31 Décembre 2022 en podcast sur le site de Radio Libertaire et en ligne ci-dessous :