C R É AT I O N E T R É G I E LU M I È R E : T H I E R R Y A P E R A N PRODUCTION : LE K SAMKA COPRODUCTION : THÉÂTRE SÉNART – SCÈNE NATIONALE CORÉALISATION : THÉÂTRE LUCERNAIRE
Mise en scène : Jean-Michel MEYER
Avec Jean-Quentin Châtelain
La fraicheur ou l’innocence à laquelle renvoie le titre de la nouvelle de BECKETT Premier amour illustre merveilleusement cette réflexion de Victor HUGO « Les mots manquent aux émotions ».
Il s’agit de la première nouvelle écrite en français par Beckett en 1945 et publiée seulement en 1970 en raison de son caractère biographique. La mise en scène de Jean-Michel MEYER « Pas de musique, pas de décor, pas de gesticulation » respecte les volontés de Beckett.
Qui se soucie de la genèse d’une écriture s’interrogera sur son évolution. Celle de Premier amour est semble-t-il bien plus transparente que celles qui ont suivi alors même qu’elle émane d’un narrateur qui cherche ses mots et se décrit sans aucune aménité tel un spectateur de lui-même quasi immobile scrutant son propre engourdissement.
Le narrateur dont on ignore le nom n’est pas un écrivain (donc il ne s’agit pas de Beckett même si évidemment il met de lui-même dans le personnage) et il se le répète à lui-même, les mots lui manquent. Ils ne se greffent pas naturellement ou aisément aux évènements qui lui inspirent des sentiments, des sensations très personnelles.
Le narrateur pourrait être considéré comme un individu asocial, il est une grotte à lui tout seul qui ne veut pour guide que ses propres sensations. De telle sorte que l’autre le dérange ou le heurte. Il donne l’impression d’être toujours sur la défensive.
Cet individu solitaire, marginal est chassé à 25 ans de chez lui à la mort de son père. Il ne s’apitoie pas sur son sort. En basse saison, il se réfugie sur un banc, en hiver il s’aménage un nid dans une étable abandonnée. Un jour il fait la connaissance d’une jeune femme sans presque mot dire mais ils s’apprivoisent physiquement puisqu’ils partagent le même banc. Enfin cette femme qu’il ne peut décrire l’emmène chez elle. Il s’accommode de son nouveau logis mais le quitte à la naissance d’un enfant dont il ne peut supporter les cris.
Résumée ainsi la nouvelle pourrait faire penser à un récit de Maupassant. Mais ce qui intéresse Beckett, ce qu’il cherche à exprimer, c’est la vérité charnelle, physique, dysfonctionnelle d’un individu qui s’éprouve étranger dans ce monde.
Mais n’importe comment, il s’agit quand même d’un homme et c’est cette humanité « invisible » que recouvre la civilisation qui interpelle.
Question d’humus. Même malheureux, il faut imaginer cet homme avec un sourire, étonné d’évoquer un premier amour alors que son récit ne peut que refléter ses difficultés relationnelles et n’enjolive surtout pas sa perception. Le décalage entre le prosaïsme des situations et le romantisme d’un premier amour ne manque pas de piquant.
C’est à un véritable voyage inter humain auquel nous convie son interprète Jean-Quentin CHATELAIN. Le menhir que l’on voit sur scène est un homme. Sous la charpente, il étincelle. Son rapport à l’être, à son corps, à la femme finit par résonner comme un cri lumineux qui jaillit de la terre, de l’humus.
Ce sentiment terrestre comme une poignée de terre qui glisserait dans la main s’accroche aux mots et à leur salive. C’est tout simplement jouissif.
Cette pensée du comédien « Les monologues c’est une marche dans les traces de quelqu’un. Le texte est un sentier et j’aime le temps de la marche en solitaire » coïncide avec l’écriture de cette nouvelle. Comment oublier que les mots pour aller et venir et se confronter à l’inexprimable passent par la voix et le corps et c’est ce manège surprenant si tangible au théâtre qui nous étreint.
Le 28 Novembre 2022
Evelyne Trân
N.B : Article également publié sur LE MONDE LIBERTAIRE.NET
En ce moment dans une belle cave du Théâtre de l’ESSAION à Paris il souffle une bourrasque que nous qualifierons de Rabelaisienne, entretenue par deux talentueux comédiens Philippe BERTIN et Michel LALIBERTE qui se font fort de transporter les spectateurs au 16ème siècle dans la période où RABELAIS constamment traqué par la Sorbonne publia ses romans Pantagruel puis Gargantua sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier (anagramme de François Rabelais) abstracteur de quinte essence, puis le tiers livre sous son nom propre.
On se souviendra que Rabelais qui quitta son habite de moine (on lui doit la formule « L’habit ne fait pas le moine ») pour devenir un médecin réputé à l’Hôtel Dieu, malgré de grands protecteurs dont l’évêque Jean Du Bellay et même François 1er, écrivit toujours au péril de sa vie.
Rabelais contemporain d’Erasme (auteur de l’éloge de la folie) qui avait pour convives Clément Marot, Guillaume Budé, Etienne Dolet autour de tables bien garnies, était un humaniste révolté. Pour se défouler tant il avait à cœur de faire entendre ses griefs et critiques contre les mœurs de son époque, il dut utiliser la farce avec ses histoires de géants ( à la mode) pour déguiser ses propos.
Comment ne pas envier son style, son imagination galopante où la verve n’a d’égale que la causticité et la drôlerie. C’est vraiment un bonheur d’écouter cette langue pleine de trouvailles incroyables. D’ailleurs le but de Rabelais était de féconder la langue française à partir du grec et du latin et on lui doit la création de près de 800 mots.
Philippe SABRES et Jean-Pierre ANDREANI ont habilement mêlé au parcours de combattant de Rabelais quelques extraits de ses œuvres dont un fameux qui commence par « Un chien qui rencontre un os à moelle » .
On l’entend battre le cœur de Rabelais à travers la performance des deux comédiens extrêmement impliqués.
C’est que les combats de Rabelais pour faire exister son œuvre résonnent avec notre actualité. Comment lorsqu’est évoqué Etienne DOLET l’imprimeur de Pantagruel et Gargantua, pendu et brûlé Place Maubert à Paris pour délit de blasphème, ne pas penser à Salman RUSHDI, Samuel PATY, les caricaturistes de Charlie HEBDO…
Le 22 novembre 2022
Evelyne Trân
N.B : Article initialement publié sur LE MONDE LIBERTAIRE.NET
N.B : Philippe BERTIN était invité en première partie de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur RADIO LIBERTAIRE 89.4 le 29 Octobre 2022 en podcast sur le site de RADIO LIBERTAIRE.
Conception et écriture Myriam Saduis Avec Myriam Saduis, Pierre Verplancken en alternance avec Olivier Ythier
Collaboration à la mise en scène Isabelle Pousseur
Conseillers artistiques Magali Pinglaut et Jean-Baptiste Delcourt
Lumières Nicolas Marty
Création vidéo Joachim Thôme
Création sonore Jean-Luc Plouvier (avec des extraits musicaux de Michel Legrand, Mick Jagger / Keith Richards, Amir ElSaffar)
Ingénieur du son et régisseur vidéo Florent Arsac Mouvement Nancy Naous Création des costumes Leila Boukhalfa
Collaboration à la dramaturgie Valérie Battaglia
Construction Virginie Strub
Maquillage et coiffure Katja Piepenstock
Administration Patrice Bonnafoux
Coordination compagnie Philippe Bourges
Direction artistique Myriam Saduis
TOURNEE
Le 15 novembre 2022 FINAL CUT Le Safran, AMIENS (FR) 29 Novembre 2022 FINAL CUT Arcueil. Festival Les Théâtrales Charles Dullin (FR) 3 et 4 mai 2023 FINAL CUT CCAM – Centre Culturel André Malraux Scène Nationale de Vandœuvre-lès-Nancy (FR) Du 23 au 27 Mai 2023 FINAL CUT ATJV – Théâtre Jean Vilar ( BE)
Aujourd’hui, toi tu vas dire que tu t’en fous de ton histoire familiale, tu vas la considérer comme extérieure, tu vas même avoir honte d’en parler ou d’en avoir parlé comme s’il s’agissait d’un arbre mort qui vient barrer ta route. Mais voilà ce que tu considères comme un arbre mort, tu l’éprouves comme un signe, tu ne peux pas en faire abstraction parce que devant toi c’est le brouillard et derrière toi, tu le sais, c’est ce qui t’a amené jusqu’ici jusqu’à cette route barrée. Sauter par-dessus l’arbre mort. Oui bien sûr. Cela n’est pas si compliqué même pour un individu qui serait peu sportif, et craintif. La vérité c’est qu’il aurait davantage peur de lui-même que du danger inconnu. Alors tu fais une pause, tu vas considérer ce qui te barre la route comme un gros tronc d’arbre. Tu vas même remarquer que de la mousse a envahi cette pièce d’arbre. Il n’y a personne d’autre ici que toi pour la contempler. Tu représentes un point dans cette histoire, tu ignores s’il est lumineux ou pas, c’est un point de rencontre, celui qui signe l’instant où tu te retrouves devant cette route barrée. Toi, face à cet arbre qui gît à terre, tu ne peux t’empêcher de te dire que tu es vivante. Alors tu as une responsabilité face à lui, tu peux le faire parler, en tout cas l’ausculter, en tout cas rendre compte de sa présence.
Ces considérations en préambule pour parler du spectacle de Myriam SADUIS, actrice, auteure et metteure en scène qui a créé une pièce intitulée FINAL CUT à partir de son histoire familiale :
« Même si chaque histoire est singulière, toutes et tous nous partageons ce fait universel que nos secrets de famille sont tissés d’histoire jusqu’à la moëlle — tout passant à la fin au fleuve du récit collectif. »
Myriam SADUIS est le fruit de la rencontre amoureuse entre sa mère européenne et son père arabe. Elle est née en 1961 en pleine décolonisation. Les parents de sa mère, colons en Tunisie durant le protectorat français, racistes n’ont pas accepté l’union de leur fille avec un Tunisien. Il s’agissait d’une transgression insupportable. Les parents se sont séparés et la mère a rayé de sa carte le père arabe jusqu’à œuvrer pour son expulsion hors de France.
C’est une histoire terrible que raconte Myriam SADUIS. Il semble qu’elle ait labouré à l’intérieur d’une plaie immense mais ce faisant toute à la quête de son père, elle a voulu comprendre la folie de sa mère et ce qui a contribué à sa paranoïa, n’hésitant pas à y associer la paranoïa de l’empire colonial français :
« Dans FINAL CUT histoire familiale et grande histoire se trament ensemble ».
Difficile de mesurer le travail entrepris par Myriam SADUIS pour mettre à distance sa douleur et s’élever au-dessus du malheur. Il ne s’agit pas de résilience, terme trop galvaudé, mais de prise de conscience.
L’amour qu’elle porte à ses parents engage et éclaire sa parole. Sur scène, elle s’exprime avec une vitalité, une générosité communicatives qui forcent le respect.
Cette entreprise courageuse, celle d’exposer sa propre histoire loin de résonner comme l’arbre qui cache la forêt, l’histoire avec un grand H, nous la désigne avec profondeur.
Le 15 novembre 2022
Evelyne Trân
Article initialement publié sur le MONDE LIBERTAIRE.NET :
Les Jeudis 10 et 17 Novembre à 19h et Samedi 12 et 19 Novembre à 14h30 La Géante dans la Barque de pierre et autres contes d’Islande contes oraux collectés par de Jón Árnason et Magnus Grímsson – traduction Ásdis R. Magnúsdóttir et Jean Renaud, Éditions Corti, 2003
Les Jeudis 10 et 17 Novembre à 21h et Samedi 12 et 19 Novembre à 16h30 Entre Ciel et Terre de Jón Kalman Stefánsson – Traduction Éric Boury, Éditions Gallimard, 2010
Les Vendredis 11 et 18 Novembre à 19h et Dimanche 13 et 20 Novembre à 14h30 Karitas, L’Esquisse d’un rêve, de Kristín Marja Baldursdóttir Traduction Henry Kiljan Albansson, Actes Sud et Gaïa Éditions
Les Vendredis 11 et 18 Novembre à 21h et Dimanche 13 et 20 Novembre à 16h30 Karitas, L’Esquisse d’un rêve, de Kristín Marja Baldursdóttir Traduction Henry Kiljan Albansson, Actes Sud et Gaïa Éditions
Islande entre Ciel et Texte est une immersion dans la fascinante littérature islandaise. 4 lectures-spectacles mis en musique interprétées sur scène, nous proposent de s’embarquer pendant une cinquantaine de minutes dans l’univers si particulier de Entre Ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson pour une première lecture- spectacle, de Karitas – l’Esquisse d’un rêve de Kristín Marja Baldursdóttir pour une seconde, Le moindre des mondes de Sjón pour une troisième et dans La Géante dans une barque de pierre – Contes Islandais soit dans leur version adulte ou leur version jeune public pour la quatrième.
Chaque lecture-spectacle est dotée d’une scénographie simple mais suggestive, d’éclairages spécifiques favorisant un climat d’intimité et d’écoute et d’une musique originale composée et interprétée sur scène par Christine Kotschi. A cette musicalité répond celle des mots lus par Bénédicte Jacquard. C’est à ces univers sonores nés de récits qui bien qu’écrits par des contemporains puisent tous leur histoire dans l’Islande de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. Récits épiques – les sagas ne sont pas loin – où malgré la dureté de la vie en cette période sur cette île au Nord du Nord, des destinées s’inventent.Ici, comme au concert, on peut fermer les yeux, se laisser aller à ses récits.
Il y aura deux lecture-spectacles chaque jour et le cycle intégral sur deux jours consécutifs.
Jón Kalman Stefánsson, Kristín Marja Baldursdóttir, Sjón, et des contes collectés par Jón Árnason et Magnus Grímsson
Mise en scène
Claude Bonin
Avec
Bénédicte Jacquard
Musique
Christine Kotschi
Production
Le Château de Fable
En coproduction avec Anis Gras –
Le lieu de l’Autre (Arcueil), Les Bords de Scènes (Juvisy-sur-Orge), La Strada & Cies et le soutien du Conseil Départemental de l’Essonne, de la Spedidam et de l’Ambassade d’Islande.
Notre avis :
Très sobre la comédienne assise en haut d’une échelle lit un long texte comme un conte accompagnée d’un musicien multi-instrumentiste très original servant très bien le texte venu de haut pour un public jeune. Mais les moins jeunes ne seront pas déçus, c’est un spectacle captivant à ne pas manquer.
D’après les entretiens de Céleste Albaret avec Georges Belmont
Adaptation et mise en Scène Ivan Morane
Interprétation Céline Samie
Lumières Ivan Morane
Production Sea Art
Marcel PROUST s’est si bien laissé dévorer par son œuvre « monstrueuse» qu’il en est indissociable dans notre esprit. Il faut avoir eu la chance d’écouter à la radio ou vu à la télévision Céleste ALBARET sa gouvernante, l’évoquer, pour être captivé-ée par les propos de cette dernière sur les huit années qu’elle a vécues auprès de Proust, tenant le rôle aussi bien de gouvernante, de confidente, amie et secrétaire.
Les anecdotes et les souvenirs de Céleste Albaret sont en soi précieux mais ce qui touche particulièrement c’est la façon dont elle les retrace. Au début de « Un amour de Swann » Proust parle longuement de la mémoire du corps et il semble que cela soit celle là qui dirige les paroles de Céleste. Elle retransmet de façon fabuleuse les conversations qu’elle a eues avec l’homme comme s’il était encore là pour l’entendre.
Céleste Albaret avait un côté médium, elle était surtout habitée par l’homme Proust qui d’après de nombreux témoins de sa vie était malgré ses extravagances, un homme charmant, doux et certainement fascinant.
Adaptateur et metteur en scène, Ivan MORANE réussit à sortir de l’ombre la « domestique » Céleste Albaret qui inspira à Proust le personnage de Françoise et qu’il cite à plusieurs reprises dans son œuvre.
Quand les entretiens du journaliste Georges BELMONT avec Céleste ALBARET ont été publiés en 1973, des critiques et même des écrivains se sont récriés comme s’il était inconcevable qu’une domestique de souche paysanne puisse avoir de l’esprit, être belle et intelligente.
C’est le centenaire de la mort de Proust ce 18 novembre 2022. Pour lui rendre hommage, qui d’autre que Céleste ALBARET est la mieux placée pour l’évoquer ? Incarnée par Céline SAMIE nous découvrons celle qu’a connue l’écrivain, c’est-à-dire une personne très vive, émotive, passionnée. Céline SAMIE est aussi porteuse des voix d’autres personnages comme Gide, Gallimard ou même le mari de Céleste.
Intense et très vivante, cette rencontre avec Céleste et Proust est aussi très émouvante. C’est évident, Proust a ensoleillé la vie de Céleste comme elle l’a ensoleillé elle-même.
Si à l’issue de ce spectacle, nous avons envie de nous replonger dans l’œuvre de Proust, c’est que nous redécouvrons la douceur de sa voix entremêlée à celle de Céleste, portée par une comédienne solaire et exceptionnelle Céline SAMIE.
Le 7 novembre 2022
Evelyne Trân
N. B : Céline SAMIE était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE le samedi 29 Octobre 2022, en podcast sur le site de RADIO LIBERTAIRE 89.4.
Article également publié sur le MONDE LIBERTAIRE en ligne