Deux mains, la liberté de Antoine Nouel avec la participation de Frank Baugin au Studio 78 bis Boulevard des Batignolles 75017 Paris du 1er septembre au 6 novembre 2022 – Relâche le 20 Octobre – Jeudi, vendredi, samedi à 21 Heures. Dimanche à 14 H 30. ne

Mis en scène par Antoine Nouel
Avec Philippe Bozo, Franck Lorrain et Antoine Nouel
Lumière : Denis Schlepp
Son et images : Philippe Bozo

Inspirée du livre de Joseph KESSEL Les mains du miracle, la pièce d’Antoine NOUEL Deux mains la liberté met en scène 2 personnages emblématiques de la seconde guerre mondiale, Heinrich HIMMLER et Felix KERSTEN son médecin. Himmler, haut dignitaire nazi à la tête de la Gestapo a mis en place les camps de concentration et d’extermination des juifs. Kersten masseur réputé et médecin en thérapie manuelle a soigné Himmler, victime de crampes d’estomac extrêmement douloureuses. Profitant de sa place privilégiée auprès de ce criminel, il réussit à sauver 100.000 personnes dont 60000 juifs au péril de sa vie (sources wikipedia).

Comment imaginer que le sort de milliers de gens puisse dépendre des relations entre un patient et son médecin ? Si ce n’était cette couleur rouge sang qu’accuse les meubles du bureau d’Himmler, aucun visiteur ne pourrait imaginer que dans ce lieu douillet un homme travaille obstinément pour satisfaire le projet d’HITLER l’extermination des juifs.

Les rapports entre Himmler et Kersten sont affables voire enjoués même si le dégout de Kersten vis-à-vis de son patient reste patent. Seulement ce dernier ne doit rien laisser paraitre. Bien au contraire, car obligatoirement une intimité s’instaure ne serait- ce qu’à cause de ce contact par les mains avec la peau de son patient. D’où l’extrapolation envisageable, il y avait une faille chez le monstre Himmler que savamment Kersten a su exploiter. Himmler profondément narcissique ne peut se passer de Kersten parce ce que ce dernier le soulage et le flatte. Il consent donc pour le conserver à gommer sur de nombreuses listes les noms des personnes à sauver. Il ne s‘agit pour lui que d’un jeu virtuel ; ces noms ne sont que de la monnaie d’échange et aucunement des humains en chair et en os.

Un sentiment d’horreur peut saisir le spectateur car c’est la démonstration qu’avec des mots, des idées il est possible de faire régner la terreur ou de la stopper.

Hannah ARENDT a développé le concept de banalité du mal. D’une certaine façon le comportement d’Himmler le corrobore. Le personnage a souvent été décrit par des témoins comme un individu falot. Il s’agit pourtant bien d’un monstre. Parce que le mal est insaisissable avec les pincettes de la raison, il importe de ruser avec lui. Kersten savait qu’il avait en face de lui un individu paranoïaque dont il devait caresser le poil. Outre son talent de masseur, il disposait d’un grand flair psychologique.

Un 3ème personnage, Rudolf BRANDT semble faire le lien entre Kersten et Himmler en tant que secrétaire et sert l’un et l’autre.

Plane dans l’atmosphère le spectre de la mort ; Kersten a agi au péril de sa vie étant constamment cerné par d’autres gestapistes, notamment Heydrich. D’autre part, nous le savons, Himmler s’est suicidé et Brandt a été pendu.

Antoine NOUEL a voulu manifestement recréer un huis clos avec 3 personnages pour exprimer sur un plan humain sans parti pris, l’importance que peuvent représenter des actions et des choix individuels lesquels ne sont pas des gouttes d’eau dans l’océan de la grande histoire. Cette relation entre un nazi et un médecin a pourtant bien failli tomber dans les oubliettes. L’auteur ne recherche pas l’effet superfétatoire, il invite les spectateurs à sonder l’humain dans des ressorts plus complexes que le duel du bien contre le mal et interpelle sur cette banalité du mal oh combien menaçante.

La pièce est une réussite tant du point de la mise en scène particulièrement soignée, l’écriture, le décor et bien entendu l’interprétation. Elle vaut vraiment le détour car elle est très instructive !

Evelyne Trân

Le 27 Septembre 2002

N.B : Article également publié sur le site du Monde Libertaire en ligne

Bérénice de Jean Racine- Avec Carole Bouquet – Mise en scène par Muriel Mayette-Holtz à LA SCALA Paris 13, boulevard de Strasbourg 75010 Paris Du 16 septembre au 12 octobre 2022- Du mardi au samedi à 21 H 15, dimanche à 17 H 30.

en scène Muriel Mayette-Holtz
Avec Carole Bouquet, Frédéric de Goldfiem, Jacky Ido, Augustin Bouchacourt et Ève Pereur 
Décor et costumes Rudy Sabounghi 
Musique originale Cyril Giroux
Lumière François Thouret

Bérénice n’est-elle pas une fleur immortelle évocatrice de quelque amour défunt ? Mais ne soupirons pas, n’ayons pas l’idée sournoise de nous faufiler entre les tombes de Baudelaire, Nerval, Verlaine tout en levant les yeux au ciel en l’implorant : Bérénice, Bérénice, Bérénice !

Bérénice a le charme de Carole BOUQUET. Il exhale un parfum indocile et précieux, il a du caractère, il est subtil avec juste une goutte d’acidité comme si la beauté devait aussi se révolter.

Qui peut donc la troubler ? Les figures d’Antiochus et Titus incrustées sur des pièces de monnaie flottantes. Serions nous dans un Musée ? Titus et Antiochus doivent témoigner de leur amour pour Bérénice. On les croit sans les plaindre.

Bérénice BOUQUET est très belle, royale. C’est son rôle. Elle fait penser au poème La Beauté de Charles Baudelaire : Je suis belle , ô mortels ! comme un rêve de pierre. Est-il possible d’être émus par son renoncement au mariage avec Titus ? Titus et Antiochus sont des amoureux impuissants mais ils n’inspirent pas la compassion. Subsiste ce parfum étrange et compassé. Nerval ne vient-il pas de déposer un baiser sur le front de la Reine. On rêve ! On se surprend à entendre les vers de Racine : Si Titus est jaloux, Titus est amoureux.

Alors on peut aimer ce flacon de parfum qui roule sur l’asphalte d’une salle de musée froide et triste. Le décor fait penser à une toile de Hopper. Il s’agit d’une chambre d’hôtel avec son lit qui soupire. Zut ! Tout est figé dans cette pièce. Il n’y a pas de meubles, pas un bibelot à briser pour donner le change. Pas de moustiques, pas d’ouragan ; alors quand il est question de l’Empire de Rome qu’invoque sinistrement le cher Titus, on se souvient qu’il est passé, qu’il s’est effondré tandis que Bérénice continue à hanter les esprits de ses amoureux impuissants : Baudelaire, Nerval et bien entendu Racine !

Le 17 Septembre 2022

Evelyne Trân

L’Enfer de Henri Barbusse – Adaptation, jeu, mise en scène de Jacques ELKOUBI – Conseillère artistique Fabienne ELKOUBI au Théâtre ESSAION 6, rue Pierre Au Lard 75004 PARIS – Du 30 Août au 28 Septembre 2022 – Les mardis et mercredis à 19 H.

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Voilà un des spectacles les plus forts auquel j’ai eu la chance d’assister. Il s’intitule « L’Enfer » et est adapté du livre éponyme de Henri BARBUSSE un auteur connu essentiellement pour avoir écrit le roman Le Feu qui témoigne des horreurs de la guerre de 14-18.

Il s’agit aussi d’un témoignage, voire d’une confession d’un homme vivant une expérience en soi extraordinaire, celle d’assister, sans être vu, à des parcelles de vie d’inconnus-es, se déroulant dans une chambre d’hôtel, mitoyenne à la sienne, grâce à un providentiel trou dans le plafond.

L’homme se décrit tout d’abord comme un être ordinaire, désenchanté, confiné dans une solitude inquiète et absconse – il faut imaginer la chape de plomb que représente le silence dans une chambre d’hôtel lugubre – :  Je n’ai rien, déclare-t-il mais je voudrais qu’il m’arrive quelque chose d’infini. Cet homme en proie au cafard entend soudain un chant émanant de la pièce voisine. C’est le départ d’une aventure qui va transformer sa vision des êtres et du monde :

« Je domine et je possède cette chambre. Ceux qui y seront, seront sans le savoir avec moi. Je les verrai, je les entendrai comme si la porte était ouverte ».

L’homme se découvre passionné par le spectacle de la vie. Il ne cesse de s’extasier sur ce qu’il entend, sur ce qu’il voit car c’est toujours la première fois, car c’est toujours inattendu, inespéré. Dès lors son témoignage résonne comme un hymne à l’humanité retrouvée chez tous les personnages de passage dans la chambre d’à côté. « Rien n’est plus fort que d’approcher d’un être quel qu’il soit ».

Nous ne raconterons pas par le menu les différentes apparitions auxquelles assiste le narrateur. L’important pour le spectateur n’est-il pas de s’éprouver voyeur également par le trou de la serrure de sa propre perception en signe d’accompagnement de celui qui dirige son regard vers l’autre ardemment, avec un intérêt toujours croissant.

« Il faut accoucher de l’autre » semble nous exhorter cet incroyable narrateur incarné magistralement par Jacques ELKOUBI. Pourquoi, comment, que nous raconte-t-il, l’homme n’est-il pas méchant dans son essence ? BARBUSSE veut croire en l’humain, en dépit de ses multiples failles, ses doutes, ses démons, ses chavirements ; il clame sa foi en lui.

Découvrir que le regard que l’on porte sur l’autre, cet inconnu, a son importance parce qu’il peut repêcher du désespoir, de la solitude où cet autre peut se croire ligoté ; il peut sauver.

Celui qui se hisse jusqu’au plafond pour assister au spectacle de la vie d’autres humains, en s’élevant est en proie au vertige, à l’émotion de vivre sur l’instant un moment unique.  « Mais je vous vois » crie le voyeur à l’homme qui est en train de mourir dans la pièce voisine ». En somme, il lui crie « Je vous aime ».

Cette expérience, elle se partage pour quelques représentations exceptionnelles, avec Jacques ELKOUBI, l’interprète intense, incandescent, d’un texte illuminé, passionnément humaniste.

Paris, le 20 septembre 2022

Evelyne Trân

N.B : Jacques ELKOUBI et Fabienne ELKOUBI étaient les invités de l’émission DEUX SOUS DE SCENE à Radio Libertaire 89.4 le samedi 10 Septembre 2022 en podcast sur le site de Radio Libertaire.

Article également publié sur le Monde Libertaire en ligne :

Le poète des rues. Polo AMINTAS dans les étoiles

Je l’ai connu, il y a bien longtemps quand j’ai débarqué en Guadeloupe. Vêtu d’une djellabah blanche, il arpentait les rues de Pointe à Pitre, frappait le sol avec sa canne et faisait la manche. Son gite, un antre minuscule, éclairé par des bougies offrait le spectacle de ses visions très colorées et très chaudes. Polo était peintre, musicien et chanteur. Il jouait du tambour la nuit et c’était hallucinant comme sa colère lorsqu’il invectivait un ennemi invisible. « Kounia manmanw » hurlait-il. J’ai partagé avec lui de délicieux ignames à même le sol de la petite cour attenante.

Que je me souvienne Polo, tu n’étais en colère que parce que trop tendre. Je te dédie ce poème en souvenir de nos agapes.

Pourquoi viennent-ils prendre ce que nous jetons ? Pourquoi jetons nous ce qu’ils viennent chercher ? Les intouchables existent, ceux que nous nommons les pauvres, ils fouillent dans nos poubelles. Les intouchables existent, ceux que nous nommons les riches, ils planquent leur oseille.
Il ne s’agit plus de se plaindre, il s’agit d’entendre au-dessus de la plainte. Il ne s’agit plus de rêver mais de nous étonner tout de même nous les humains de vivre si éloignés les uns des autres.

« Je n’ai rien dit le poète, rien de consistant si vous voulez. Je n’ai rien que le bonheur d’écouter dans ma tête quelque rêve d’amour qui puisse luire dans l’œil d’un pauvre. Car la pauvreté, vous comprenez ce n’est pas la misère. Comment celui qui en a trop dans la tête ou trop dans le porte monnaie pourrait il attacher de l’importance à une miette de pain qui roule sur la table. Y a des jours où j’ai le cœur qui pendouille misérablement et puis il se remet en place doucement, il chante, il chante et les gens autour de moi sont fascinés de voir s’échapper de ma bouche des mots qui dansent en plein air, qui balbutient l’herbe ou le goudron, qui voltigent, qui racontent à leur manière la danse des abeilles ou la course des oiseaux, qui parlent d’eau, de faim, de soif, en trombe le village et la pluie.
Je suis poète des rues pour faire trembler la rue sur mes lèvres, pour les entendre marcher et rigoler sur un zeste de salive, les gens que j’aime simples et qui pensent : c’est un étrange personnage celui qui peut nous offrir un poème en faisant jongler des mots communs ou extraordinaires en les brassant comme une rivière d’argent.

Je suis poète des rues. Mes mots cousus au dictionnaire se sont torchés aux becs de gaz à l’ancienne, ils ont connu les égouts, se sont coltiné les fontaines, les croix de cimetière, mais surtout ils ont traversé les routes aveugles et ensoleillées en faisant du stop souvent.
Un poème ça peut être tout ce temps que met le soleil à percer derrière un nuage, pour avec des mots tout nus comme des morceaux de pomme t’enorgueillir d’être au monde avec juste un rêve à partager.
Je suis poète des rues pour fendre la foule des gens emmitouflés. Je suis poète des rues pour attendre au bord de la route le moineau qui viendra boire dans ma main, pour toujours rencontrer au carrefour, Hector ou Chimène ou hirondelle qui ont toujours des choses à raconter. Et à l’horizon d’un clocher, d’un troquet, courant sur des lèvres durcies, j’entends découdre l’oiseau, fendiller l’air d’une larme, d’une plume légère ou buée qui s’échappe de toi, malgré toi, toi qui m’écoutes ».

Le 8 Septembre 2002

Évelyne Trân

Article initialement publié sur le Monde Libertaire en ligne

Dimey Père & Fille, une incroyable rencontre – Spectacle musical tout public – Au théâtre ESSAION – 6, rue Pierre au Lard 75004 PARIS – A partir du 13 septembre 2022 les mardis et mercredis à 21 H. Relâches : mardis 20 septembre et 15 novembre 2022.

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N.B : Dominique DIMEY était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE SUR RADIO LIBERTAIRE 89.4 Le Samedi 17 Septembre 2022 . En podcast sur le site de Radio Libertaire

Auteur : Dominique Dimey

Mise en scène : Bruno Laurent

Distribution : Dominique DIMEY , Au piano Charles TOIS ou à l’accordéon Laurent DERACHE

Avec La voix de Richard Bohringer

Décors : Nils Zachariasen

Lumières : Stéphane Baquet

Photographies : Jacques Legoff

L’histoire de Bernard et Dominique DIMEY on la croirait sortie d’un conte de Prévert, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Père et fille, Bernard et Dominique ne se connaissaient pas, c’est la poésie qui les a réunis, « le cœur a ses raisons que la raison ignore ».

Elle est parfois légère la vie comme un amour de jeunesse trop vite oublié et Bernard n’a pas su ou pas voulu savoir qu’il était devenu père à 26 ans. Dominique élevée par sa mère imaginait un père idéal, beau, grand.

Elle ne s’attendait pas à découvrir chez Bernard DIMEY, surnommé l’ogre de Montmartre, un père plus que biologique, un père spirituel.

Bernard DIMEY fait partie de ses artistes qui sont poètes dans la vie et pas seulement sur le papier, sans doute parce que la poésie, il faut la vivre pour pouvoir vraiment la communiquer. Bernard qui n’était pas attaché aux choses matérielles, ni à son apparence – il montait sur scène avec une chemise tachée – éblouissait le public par son charisme.

Tout le long du spectacle musical qu’elle a conçu en hommage à l’œuvre de son père, Dominique exprime sa personnalité bien à elle, celle d’une femme enjouée mais déterminée, qui s’identifie vitalement à une branche toute svelte et pleine d’énergie qui a jailli de l’arbre-poète en marche que représenta Bernard dans les rues de Montmartre, des années soixante à sa mort en 1981.

Ce sont les cafés, les rues, les gens du quartier qui ont inspiré à DIMEY ses plus belles chansons « Parmi les joyeux drilles qui ne sont rien du tout mais qui sont tous quelqu’un ».

Sur scène, elle est toujours la fille de Bernard, la jeune fille si émue d’avoir été accueillie comme un rayon de soleil par Bernard. Alors l’on comprend facilement qu’elle souhaite encore rayonner pour lui et faire entendre sa voix à travers ses chansons qui vibrent merveilleusement.

Au piano, Charles TOIS nous enchante par ses sourires complices et les propos de Bernard passent avec bonheur par le timbre de Richard BOHRINGER.

Le spectacle constitue un poème à part entière intitulé « Père et fille » un poème vivant d’une exquise simplicité que seuls savent interpréter ceux qui rêvent tout haut !

Article mis à jour le 7 Septembre 2022

Evelyne Trân

N. B : Egalement publié sur le site du Monde Libertaire en ligne :