Louise Michel, écrits et cris – Spectacle théâtral et musical. Interprétation : Marie Ruggeri et Christian Belhomme -Essaïon Théâtre, 6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris – Du 28 Mars au 10 Mai 2022 – Les lundis et mardis à 21 H 00.

  • Auteur : Marie Ruggeri (d’après les Mémoires et la correspondance de Louise Michel)
  • Mise en scène : Marie Ruggeri
  • Avec : Marie Ruggeri et Christian Belhomme

Création musicale : Christian Belhomme
Création Lumières : Marie-Hélène Pinon assistée par Lucie Joliot
Scénographie : Samuel Raimondi

Voir la bande annonce

En exergue à sa présentation du spectacle Marie RUGGERI cite Louise MICHEL :

 « Ma conviction est que, dans l’avenir, on reconnaîtra la folie du capital, de la guerre, des castes, des frontières et qu’il n’y aura plus qu’un seul et même peuple qui serait l’humanité. C’est à cette œuvre que j’ai consacré ma vie. Vous pouvez me poursuivre, me condamner, cela ne changera rien à ma croyance ». Louise Michel (Mémoires-1886)

Cette citation résume justement l’engagement de toute une vie, celle de Louise MICHEL que Marie RUGGERI a entrepris de communiquer dans ce spectacle particulièrement éloquent et bouleversant.

Contactée par l’Association Louise Michel à l’occasion du centenaire de la mort de Louise MICHEL en 2005, Marie RUGGERI s’est plongée dans la lecture de ses mémoires et correspondance abondante pour en extraire la substantifique moelle.

Marie RUGGERI, comédienne aguerrie, est également chanteuse et musicienne. C’est une chanson de Jean FERRAT écrite par Guy THOMAS « Je ne suis qu’un cri » qui un jour l’a sidéralement interpellée et s’est imposée à elle comme le fil rouge soulignant que c’est toujours avec la même ardeur que Louise MICHEL s’exprime en racontant aussi bien son enfance, sa vénération pour Hugo, son expérience d’institutrice, celle de la Commune, celle de son investissement auprès des Canaques lors de sa déportation en Nouvelle Calédonie, celle de son militantisme.

Louise MICHEL était à la fois humble et passionnée. Fille d’une servante et d’un fils de châtelain, elle disait haut et fort « Je ne suis qu’une batârde ». Si le spectacle s’intitule Ecrits et cris c’est que sa nature passionnée guide son écriture où le sentiment fait toujours corps avec l’esprit. Elle a d’ailleurs dû batailler avec son éditeur pour imposer son style. Admirée pour son talent oratoire, il n’est guère étonnant que Louise MICHEL soit devenue une icône. Elle n’avait peur de rien sinon pour les gens qu’elle aimait, sa mère et le communard Théophile FERRE.

Accompagnée musicalement par son complice talentueux Christian BELHOMME, Marie RUGGERI incarne magnifiquement Louise MICHEL sous le prisme de l’intimité. Au-delà de l’icône, c’est une femme que l’on entend tournée vers l’avenir, une femme qui a refusé de se résigner à sa condition marginale.

Ce spectacle a vocation d’être un cri qui sort du gond du silence toutes ces voix opprimées que Louise MICHEL avait choisi de rejoindre pour en devenir la porte-parole passionnément.

Le 27 Avril 2022

Evelyne Trân

Article également publié sur le Monde Libertaire en ligne :

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Belle_rencontre_pour_le_brigadier

N.B : Marie RUGGERI était l’invitée de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire 89.4 le samedi 23 Avril 2022, en podcast sur le site de Radio Libertaire.

LE SOURIRE AU PIED DE L’ECHELLE Par la Compagnie J’Y RETOURNE IMMEDIATEMENT – D’après l’œuvre d’Henry MILLER avec Denis LAVANT. Au CIRQUE ELECTRIQUE – Place du Maquis du Vercors 75020 PARIS – Du 30 Mars au 17 Avril 2022 (du mercredi au samedi à 21 H – dimanche à 18 H) – Relâche le jeudi 14 avril/supplémentaire le mardi 12 avril.

Photo Vincent PONTET

Traduction : Georges BELMONT

 Adaptation : Ivan MORANE  

Mise en scène Bénédicte NECAILLE

Le sourire au pied de l’échelle, quel joli titre pour ce spectacle adapté du roman éponyme d’Henri Miller, une commande de Fernand Léger pour illustrer ses dessins de clown. Disons-le d’emblée, la mise en scène onirique de Bénédicte NECAILLE, la scénographie et lumière d’Ivan MORANE et l’interprétation de Denis LAVANT concourent à faire de cette reprise une pépite de ce printemps théâtral.      

Auguste a le vertige ! L’homme qui parle n’a pas besoin de s’appeler, il s’assimilerait volontiers à un animal, peut-être bien un chien errant, une fourmi sur le dos de la main. Ceux qui le nomment, le reconnaissent, ceux sont les spectateurs, pour eux, il est Auguste, un clown génial qui les fait tordre de rire. Mais un jour, pourtant l’homme qui ne s’appelle pas, oublie qu’il est Auguste, il est envahi par une autre sensation d’être qui l’éblouit, une joie indéfinissable.

Exit Auguste. La gloire, les rires, c’était trop et pas assez ! Comme si Auguste lui avait volé son identité d’homme simple, amoureux des choses simples, en quête d’émotions plus timides, plus rares. L’homme n’a pas besoin de s’appeler mais quelque chose l’appelle qui doit redonner un sens à sa vie.

Le doute qui submerge l’artiste engagé dans la création, Henry MILLER l’a sûrement éprouvé, lui qui a connu la misère et est devenu célèbre à la suite de la publication de son roman « Le Tropique du cancer ».

Dans ce texte d’une certaine façon l’auteur ordonne au clown de sortir du tableau dans lequel il s’est figé pour ne renvoyer au public que ce qu’il attend de lui, des pitreries qui déclenchent le rire.

Mais être clown, cela fait partie de sa vie. Qu’il le veuille ou non, il est clown et en est conscient. Il lui suffirait alors de retrouver l’anonymat pour exercer son métier librement, sans la charge de la célébrité.

Il reprend du service en se faisant passer pour un autre clown malade, il est une nouvelle fois applaudi. Mais refusant de vivre ce qu’il a déjà vécu, il quitte définitivement le cirque pour embrasser un autre rêve, celui du bonheur, celui de l’extase impérissable.

Le titre de la nouvelle suffit à rendre compte de sa dimension poétique et fantastique.

Sur scène, nous avons le privilège de voir un clown qui rêve, qui grimpe sur l’échelle d’un rêve pour attraper la lune et tombe plusieurs fois. Denis Lavant le représente,  

il réussit à le faire vivre enfin ce clown heureux et humain, débarrassé de ses grimaces, tel un poète lunaire, un Pierrot « au pied de l’échelle tendue vers la lune ».

Nous ne ferons pas tomber ce clown sous un tonnerre d’applaudissements. Nous lui réservons notre sourire, notre infinie reconnaissance pour ce moment de grâce !

*Article mis à jour le 10 Avril 2022

Evelyne Trân

*Publié également sur le Monde Libertaire en ligne

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Saccompagnant_dun_doigt_ou_quelques_doigts_le_brigadier_se_clowne

LE ROI SE MEURT au Théâtre de l’Impertinent 7, rue Tonduti de l’Escarène 06300 NICE du 11 au 27 Mars 2022.

Mise en scène : Guillaume Morana assisté par : Catherine Grammosenis

Décors et costumes : Gladys Busson

Avec : Jérôme Gracchus, Gladys Busson, Lucie Laffitte, Lionel Bouteau,

Cécilia Bompuget,  Arnoïs

C’est un hasard mais il n’y a pas de hasard dit-on, je m’apprête à rendre compte d’une pièce de Ionesco vue récemment et je découvre qu’aujourd’hui 28 Mars 2022, c’est l’anniversaire de sa mort en 1994, soit il y a 28 ans.

Qu’est-ce donc que 28 ans dans l’univers, juste quelques poussières d’années. En tout cas sa pièce  Le Roi se meurt écrite en 1962 alors que Ionesco sortait d’une grave maladie, n’a pas vieilli. Je l’ai découverte dans un tout petit théâtre à Nice, le théâtre de l’Impertinent dirigé par Guillaume MORANA. Sa mise en scène servie par une belle équipe de comédiens et comédiennes, est tout à fait épatante.  

Le Théâtre de l’Impertinent intimiste et convivial possède un charme infini, celui de la simplicité et de la proximité aussi bien avec les spectateurs que les comédiens, exigüité de la salle oblige (i n’y a que 40 places). Quel plaisir de se retrouver dans cette niche théâtrale qui éveille pour les séniors une floppée de souvenirs. Ionesco, je l’ai découvert enfant dans la pièce « Amédée où comment s’en débarrasser » avec Alice SAPRITCH et Jean-Marie SERREAU à la télévision en 1968. Cette vision des godillots qui grossissent, grossissent jusqu’à envahir l’antre d’une chambre désolée, est restée ancrée dans ma mémoire.

Ionesco pensait beaucoup à la mort. La pièce met en scène l’homme omnipotent, l’homme Roi, l’homme de tout un empire qui se voudrait immortel, face à sa cour, réduite à une femme de ménage, un médecin et sa première épouse qui l’exhortent à accepter sa mort prochaine. Il faut dire que tout autour de lui va à la catastrophe. Les spectateurs assistent donc à son agonie sachant qu’à la fin de la représentation comme l’annoncent les protagonistes, le Roi sera mort.

Le décor et les costumes semblent émaner d’un conte de fée intemporel ou d’une fable géante qui raconterait « il était une fois un Roi qui ne voulait pas mourir… ».

Comment passer de la terreur au drolatique, je l’ignore. C’est pourtant dans nos contes d’enfance qu’est stipulée la cruauté de la condition humaine.

Il ne semble pas que la notion d’absurdité à propos de son œuvre ait emballé Ionesco. Pour lui la connaissance ne pouvait être qu’existentielle ou métaphysique (ce sont ses propres propos). Ionesco s’est-il dit à lui-même « Je vais mourir donc je vais jouer ma mort. Il faut que quelqu’un me dise que je vais mourir, sinon je ne peux y croire ». Vaste frisson ! La vérité c’est que le jeu, le désir de jouer est primordial chez Ionesco le mot jeu ne se reflète-t-il pas dans son homonyme, le pronom Je ?

La pièce est politique puisqu’à travers le Roi Bérenger 1er, Ionesco fustige tous les pouvoirs, mais c’est aussi tout humain que Ionesco entend retrouver dans le miroir de ce personnage extrême.

Il est étrange comment descendant de son estrade au fur et à mesure qu’il s ‘approche de la mort, Bérenger oublie tout le mal qu’il a provoqué et saisi de ravissement exprime son amour de la vie. Certes sa première épouse prône le détachement et la deuxième l’hédonisme mais ce n’est pas la science philosophique qui vient au secours de Bérenger. Ce qui est manifeste dans ses propos c’est ce retour à l’enfance, sa capacité de délirer tout en exprimant des émotions simples. Alors qu’on attendait de ce Roi omnipotent au seuil de sa mort des réminiscences de sa gloire, le voilà qui parle longuement presque en sanglotant d’un chat roux qu’il a vu mourir.

Jérôme GRACCHUS étonnant, n’interprète pas un tyran odieux mais plutôt un homme Roi ridicule sans être grotesque qui retombe en enfance (retomber en enfance n’est pas synonyme de gâtisme) dont le Moi je décline jusqu’au baisser du rideau.

Drôle de pièce intense sans être éprouvante sans doute parce que l’humour et la fantaisie de Ionesco font toujours mouche pour chasser la tristesse. Il est possible, eh oui, de sortir heureux d’une représentation du Roi se meurt.

La distance est grande croit-on entre ce Bérenger là et les tyrans que nous connaissons ; il y en a un aujourd’hui, hélas, tout désigné par l’apostrophe de Jérôme GRACCHUS au public « Et surtout n’oubliez pas et cette pièce le démontre que tout tyran qu’il soit, tout roi qu’il soit, il finit par mourir ».

Eze, le 28 Mars 2022

Evelyne Trân

Article initialement publiés sur Le Monde Libertaire en ligne

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Le_brigadier_au_chevet

LES CHAISES d’Eugène IONESCO au Théâtre de Poche-Montparnasse 75 BD du Montparnasse 75006 PARIS -À partir du 10 février 2022 Représentations du mardi au samedi 21h, dimanche 15h

Mise en scène Stéphanie TESSON
Avec Catherine SALVIAT

Jean-Paul FARRÉ
Alejandro GUERRERO ou Jade BREIDI

Assistante à la mise en scène Émilie CHEVRILLON
Lumières François LOISEAU

Costumes Corinne ROSSI
Peinture sur costumes Marguerite DANGUY DES DESERTS

Comment ne pas se rappeler ces jeux d’enfance où il suffisait de dire « Aujourd’hui nous partons à la mer » et aussitôt la véranda se transformait en plage, le carrelage se soulevait et nous brûlait les pieds. Nous guettions le précipité des vagues mais nous savions très bien que nous jouions et que notre petit jeu, feu d’artifice ne pouvait gommer le monde extérieur, les adultes et le bruit des actualités. Et la mer que nous avions souhaitée heureuse se teintait de mélancolie. Le charme était rompu dès lors que nous avions compris que nous jouions.

Ce préambule pour souligner que les personnages des Chaises de Ionesco peuvent nous renvoyer à l’enfance, à cette inquiétude grandissante du monde extérieur que l’imagination la plus étourdissante ne peut évacuer.

L’intrigue de la pièce peut se résumer en une phrase : Deux petits vieux donnent une réception. Les invités très nombreux sont représentés par des chaises.

Juste une parenthèse ! Qui sont les spectateurs qui viennent assister à une représentation d’une pièce de Ionesco ? Font-ils partie de ces personnes qui ne répondent pas au Bonjour que leur lance un inconnu ou une inconnue ? L’inconnue au sourire niais passe inaperçue. Elle voudrait dévisager tous les visages mais c’est impossible. Il y a trop de gens bien élevés autour d’elle. Elle a de la chance, elle est énervée, elle ne retrouve pas son ticket planqué dans son portable alors elle l’injurie méchamment. Des dames choquées manifestent leur désapprobation. Elle leur rétorque « Ce n’est pas à vous que je parle, c’est à mon portable ». Tout de même, songe-t-elle, voilà des personnes qui vont au théâtre et qui ignorent qu’il est possible de s’en prendre à un objet.

La pièce peut se prêter à de multiples interprétations tangibles ou intangibles. A mon sens, ce sont des coups de sang que met en scène Ionesco. Le pourquoi et le comment sont d’ordre fictionnel et dépendent des humeurs des protagonistes, metteurs.res en scène, comédiens.nes, public tous.tes confondus.es.

Dans la mise en scène de Stéphanie TESSON, le jeu des comédiens est si démonstratif, si coloré (les costumes sont superbes) que nous en oublions les personnages principaux, les chaises.  Tout ce silence que pourraient invoquer les chaises, ce vide si précieux quelque part comme le sentiment de la page blanche est annihilé au profit de la logorrhée du Vieux et de la Vieille qui déploient une énergie incroyable pour afficher leur existence.  De la cacophonie de leurs échanges, de leurs efforts tragi-comiques pour faire jaillir de leur bouche d’invraisemblables invités, ressort leur détresse, ou leur folie au choix.

L’homme qu’interprète Jean-Paul Farré joue avec aplomb le maître de cérémonie. La femme – Catherine Salviat étonnante – a du mal à le suivre, elle est la petite sœur qui voudrait mimer le grand frère. Elle ne fait qu’obéir en somme au grand ordonnateur, elle va chercher les chaises.

Les chaises étaient lourdes à déplacer. C’est tout de même très physique cette histoire. Physiquement, c’était un exploit, physiquement, c’est la vie. Théâtre de guignol, oui ce guignol cher à la mémoire de Ionesco, pourquoi pas !

Quant aux chaises vides, ces bancs publics, cette hallucination qui peut saisir quiconque observe dans un bus ou un métro tous les gens qui vont s’asseoir l’un après l’autre sur le même siège en un tour de main, dites-vous que cela appartient au fantastique de la réalité comme chez Ionesco !

Le 4 Avril 2022

Evelyne Trân

Article initialement publié sur le Monde Libertaire en ligne :

https://www.monde-libertaire.fr/?article=__Assieds-toi_brigadier_!