CAFI de Vladia MERLET par la Cie le bruit des ombres -Mise en scène de Georges Bigot au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie – Route du Champ de Manoeuvre, 75012 PARIS du samedi 26 Mars au samedi 9 Avril 2022 du mercredi au samedi à 20 H. et le dimanche à 16 H.

Location Individuels, auprès de la Cie le bruit des ombres
07 52 06 57 89
Collectivités, groupes d’amis
01 43 74 88 50 du mercredi au samedi de 11h à 18h

RESERVATIONS EN LIGNE :

https://www.theatreonline.com/Spectacle/Cafi/75693
https://www.billetreduc.com/290046/evt.htm

le Bruit des Ombres

lebruitdesombres@gmail.com

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Avec Vladia Merlet, David Cabiac, Frédéric Laroussarie 
Création musicale David Cabiac |  Régie lumière Véronique Bridier ou Nascimo Schobert

Le spectacle a été créé le 28 janvier 2011 au Théâtre Georges Leygues de Villeneuve-sur-Lot

Vous n’en avez pas souvent entendu parler des CAFI, ces Centres d’Accueil des Français d’Indochine ayant fui le Vietnam par crainte des représailles, après les accords de Genève de 1954. La majorité des rapatriés était constituée de femmes vietnamiennes abandonnées par leurs conjoints français, de veuves et de leurs enfants eurasiens, les bui doi, les « poussières de vie ».

 Il est vrai que le règlement strict de l’administration imposait le silence aux réfugiés, le mot d’ordre c’était « Pas d’histoires ».

 Un « petit Vietnam » s’était reconstitué au camp de Sainte Livrade sur Lot qui fut occupé de 1956 à 2015, soit près de 60 ans, soit plusieurs générations. Il s’agissait à l’origine d’un ancien camp militaire aux baraquements insalubres, sans eau, ni sanitaires. Après le choc de l’exil, du déracinement, les habitants les plus âgés s’étaient pourtant attachés au lieu.

camp-cafi

Photo du camp D.R.

 Les bulldozers ont eu raison d’une page de leur histoire. Ces Français d’Indochine n’ont plus de lieu de mémoire. Il reste cependant la mémoire affective, émotionnelle, la mémoire physique. Des voix s’élèvent pour dénoncer l’indifférence voire le mépris, l’oubli dont furent l’objet ces Français d’Indochine qui n’ont bénéficié d’aucuns dédommagements auxquels ils avaient droit en tant que rapatriés, au même titre que les harkis.

 C’est dans les racines de l’enfance que Vladia MERLET a puisé sa force, son intelligence pour raconter l’histoire de ce camp à travers celle d’un personnage, Louise à différents âges, de 1956 à aujourd’hui.

 Enfant, elle avait été très impressionnée par une habitante du camp, Mémé BOC qui ne cessait de chiquer une curieuse pâte et avait les dents noires. Elle a eu envie de raconter l’histoire de Mémé BOC à travers les témoignages de ces Français d’Indochine.

 Vladia MERLET qui interprète Louise a gardé sa fraicheur d’enfance qui irradie le spectacle, mis en scène au cordeau par Georges BIGOT.

 Extrêmement souple, la comédienne joue tous les personnages de la pièce où l’atmosphère « vietnamienne » est suggérée  finement avec des jeux d’ombres chinoises, les apparitions du génie Ong Dia, un personnage mythique ventru, au visage lunaire.

 Louise parle pour tous les enfants qui ont connu le CAFI. Elle évoque des histoires individuelles, bouleversées, brisées par la grande Histoire. C’est au nom de ces personnes qu’on n’entend jamais, au nom de ces femmes qui ont souffert en silence pour élever leurs enfants, que Vladia MERLET a écrit CAFI* et interprète ses personnages. Leurs témoignages nous permettent d’aller au-delà de nos réflexes et préjugés habituels. Tiens des chintoks, des boat people, des migrants !

Derrière les dents noires et le sourire de Mémé BOC, Vladia MERLET avait perçu une grande humanité. C’est cette humanité qui l’a engagée à ouvrir la porte du CAFI de Sainte Livrade.

 A une époque où la société de consommation absorbe toujours plus et toujours plus vite, les individus, le spectacle proposé par la compagnie nous rappelle que tous tant que nous sommes, ne sommes pas seulement des silhouettes, des facies, nous avons sûrement des histoires à partager, et ce sont ces petites histoires humaines individuelles partagées, que nous croyons du détail aux yeux de la grande Histoire, qui pèsent au contraire très lourd !

Le spectacle de la Compagnie Le Bruit des Ombres n’est pas seulement instructif, il est beau et bouleversant. Nous lui souhaitons sincèrement la diffusion qu’il mérite.

Article initialement publié le 27 Octobre 2015

et le 21 Mars 2022 sur le Monde Libertaire

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Le_brigadier_et_le_sourire_noir__de_Meme

Mise à jour le 25 Mars 2022

Evelyne Trân

        * La pièce est éditée aux Editions Christophe CHOMANT 

Une rencontre aura lieu à l’issue de la représentation

le dimanche 3 Avril 2022 à 17 H 30 avec :

L’équipe artistique

Poleth WADBLED, ethno-sociologue

Les anciens habitants du CAFI





JEAN ZAY, l’homme complet [création] – Adaptation et jeu de Xavier BEJA d’après Souvenirs et solitude de Jean ZAY – Mise en scène de Michel COCHET au Studio RASPAIL 216 Bd Raspail 75014 PARIS le 21 Mars 2022 à 19 H 30.

Décor, Costumes : Philippe Varache

Vidéo : Dominique Aru

 Lumières : Charly Thicot

Création sonore : Alvaro Bello

Mais qui était donc Jean ZAY ? De nombreuses écoles aujourd’hui portent son nom. Il a été panthéonisé en 2014 sous le gouvernement de François Hollande. Pourtant, il n’est pas sûr que les jeunes se souviennent de cet homme qui fut une figure phare du Front populaire. Pendant quatre années d’intense activité, en tant que ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts, il engagea de nombreuses réformes révolutionnaires pour l’époque, non sans de terribles luttes, écrira-t -il. Ayant cristallisé la haine de l’extrême droite antisémite laquelle a pu s’exprimer pleinement sous le régime de Vichy, il fut assassiné le 20 juin 1944 par des miliciens à l’aube de la libération de la France.

Son livre Souvenirs et solitude, écrit en prison peut tenir entre toutes les mains. Rédigé avec une grande clarté, dans un réel souci de lisibilité, il constitue un témoignage précieux sur la condition d’un prisonnier ainsi que sur la situation de la France sous la collaboration. Il s’agit d’un livre « compagnon » qui pourrait même être un livre de chevet pour ceux qui doivent s’armer de patience et de courage dès lors que leurs valeurs de liberté, de justice sont menacées ou bafouées.

Il exprime la tentative d’un être de rapprocher sa solitude individuelle « indicible »de l’évènement extérieur et donc du monde extérieur qui l’a provoquée. Jean Zay comprend que ce qu’il endure, d’autres individus le vivent. Cet homme auréolé de son précédent prestige de ministre devient solidaire en quelque sorte de tous les prisonniers qu’ils soient politiques ou de droit commun. Se projetant toujours dans l’avenir, il est résolu à partager son expérience. Ecrasé, il résiste et dès lors sa lecture, son analyse de son propre bouleversement, à travers ses chemins de pensée, il le sait, peuvent former l’appel d’air où s’engouffreront d’autres voix après lui. Une tentative parce qu’on n’est jamais sûr de rien. Jean ZAY se pense parfois rayé du monde des vivants ou à l’antichambre de la mort. Comment dans ces conditions ne pas céder à la dépression, au désespoir ? Dans ces propos, on ne perçoit aucune vanité, juste le sentiment du travail accompli, honnête et généreux. Il ne se prend pas pour un héros.  Il sera assassiné alors même qu’il avait atteint une sorte de sérénité, celle d’un homme au moins heureux d’avoir trouvé au fond de lui une capacité de résistance intérieure – sa liberté – à l’ignominie.

Xavier BEJA, l’adapteur pour le théâtre de Souvenirs et solitude est l’interprète de Jean ZAY. En plus d’une similitude physique avec ce dernier, il incarne un homme dans toute la force de l’âge – Jean ZAY n’avait que 35 ans lorsqu’il fut emprisonné – livré à lui-même à cause de sa solitude contrainte mais ses démons – qui n’en a pas- c’est une soif de vivre et de liberté auxquelles il refusera jusqu’au bout de renoncer. D’éprouver cette force de vie chez un homme meurtri ne peut que nous le rendre plus proche, plus sensible, plus attachant.

Xavier BEJA est impressionnant de justesse. Sa voix se frotte au silence, aux murs, à l’obscurité, elle les jugule comme si elle pouvait s’étonner elle-même de retentir dans la pénombre. Et elle retentit, traverse les murs. Toutes ces zones d’ombre, elle les habille, les recouvre de sa présence pour leur faire front. La voix n’est jamais monotone, elle peut être basse, quasi intérieure et parfois haute, cinglante lorsqu’elle exprime l’indignation.

La mise en scène sobre de Michel COCHET est parfaitement dosée. Elle n’enferme par le personnage dans un monologue pesant. Quelques images d’archives et vidéo illustrent le passé de Jean ZAY. Elles sont en étroite relation avec l’ambiance musicale recherchée de Alvaro BELLO. Et puis, il faut entendre Jean ZAY parler du bonheur simple de l‘apparition du soleil et se réciter des vers de Baudelaire : « Si le ciel et la mer sont noirs comme l’encre, Mon cœur, que tu connais, est rempli de rayons ! ».

L’espace clos de la prison devient une forêt de signes. Toutes les perles de sueur d’un homme adossé aux grilles, étincellent pour nous parler humblement mais assurément de sa présence au monde, plus que jamais nécessaire ici et maintenant.

Le 7 Mars 2022            Evelyne Trân

Article initialement publié dans le MONDE LIBERTAIRE en ligne

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Ne_Bruscon_pas_le_brigadier_

Tournée 2022 :
– Anis Gras – Le lieu de l’Autre à Arcueil, du 17 au 19 février

– Au Studio Raspail à Paris, le 21 mars
– Le Théâtre des Vents (Festival off d’Avignon), du 7 au 30 juillet à 11h30
– Le Théâtre Le Local à Paris, du 30 septembre au 24 octobre
– Anis Gras – Le lieu de l’Autre à Arcueil, du 24 au 26 novembre, représentation scolaire le 25 novembre à 14h30

LE FAISEUR DE THÉÂTRE de Thomas BERNHARD au Théâtre de Poche-Montparnasse 75 Bd du Montparnasse 75006 PARIS – Représentations du mardi au samedi 21h, dimanche 15h – Dernière le 3 Avril 2022.

Traduction Edith DARNAUD
Avec Hervé BRIAUX, Séverine VINCENT, Patrice DOZIER,
Quentin KELBERINE
Mise en scène : Chantal de LA COSTE
Assistant mise en scène : Quentin KELBERINE
Scénographie, costumes et lumières : Chantal de LA COSTE
Son : Nicolas DAUSSY

Plutôt troublante cette pièce de Thomas BERNHARD, Le Faiseur de Théâtre, écrite en 1984. Elle met en scène un sinistre personnage Bruscon, auteur dramatique et acteur d’État qui doit jouer sa pièce, La Roue de l’histoire, à Utzbach, « Un trou » pour ainsi dire quelque part en Haute-Autriche.

A travers ce personnage, l’on pourrait penser que le dramaturge règle ses comptes avec la situation culturelle de l’Autriche. La question qui brûle les lèvres c’est « A quoi sert le théâtre ». Hedwig STAVIANICEK son amie et admiratrice soutenait son écriture dérangeante et parlant des spectateurs disait « On doit les incommoder, gâter l’agrément de leur vie, les étonner ou les inquiéter, l’un des deux « génie ou spectre » doit les confronter à la poésie ». Cependant Bruscon déclare tout de go « Tout au théâtre est de mauvais goût… l’interprète est mensonge… c’est précisément pour cela que c’est du théâtre… le mensonge est fascinant au théâtre »  faisant du mensonge une religion.

Alors que Bruscon a écrit une pièce où se côtoient de grands personnages historiques : Hitler, Napoléon, Metternich, il est contraint de la représenter devant un public qu’il imagine nécessairement inculte avec pour partenaires les membres de sa famille qu’il ne cesse d’accabler et de qualifier de « sans talent ».

Ce qu’on accepte chez un personnage de théâtre peut-on l’accepter chez un individu ? Quelle est la frontière entre la fiction théâtrale et la réalité ? « Tout est réel répond l’auteur,  il n’y a que les faits divers pour faire œuvre ». Comment clouer le bec à ce Bruscon odieux sinon en lui lançant « Mais arrête ton théâtre ».

Ce faisant à travers Bruscon, Thomas Bernhard parle de ses exigences d’homme de théâtre. Influencé par le théâtre de la cruauté d’Artaud, il pense « Ce que le théâtre peut encore arracher à la parole, ce sont ses possibilités d’expansion hors des mots, de développement dans l’espace, d’action dissociatrice et vibratoire sur la sensibilité ». Dès lors s’éclaire la leçon que donne Bruscon à sa fille « sans talent ».

Une autre réflexion tirée du roman Perturbation de Thomas Bernhard nous renseigne sur ce personnage détestable « Froid. Isolement. La pente mortelle d’un monologue ininterrompu. A travers sa propre folie, reconnaitre la folie du monde, de la nature ».

Le dramaturge fait aussi le portrait d’un homme prisonnier de son personnage qui se saccagerait lui-même. En ligne de mire, il y aurait un modèle, l’image floutée et primordiale de son grand père Johannes FREUMBICHLER, écrivain anarchiste, odieux avec sa femme et sa fille.

Bruscon est-il conscient de son odiosité ? Est-ce parce qu’il a atteint le fond, la désillusion ultime, qu’il se projette dans la haine, la méchanceté face au vide qui l’entoure, la perspective de jouer devant une salle vide, la perspective du néant.  Cet homme en rage joue donc sa dernière représentation et les autres qu’il n’a su atteindre autrement que par des insultes et des humiliations, assistent impuissants et pétrifiés à sa pantalonnade.

A vrai dire le personnage est si excessif dans ses propos qu’il est difficile de le prendre au sérieux. Il faudrait juste se dire « Il y a anguille sous roche ». Le Faiseur de théâtre n’est pas une pièce triste. On y entend allègrement des grognements de cochon, la femme de Bruscon est grotesquement attifée, le fils, la fille, l’aubergiste réduits à l’infame servilité incarnent des « lavettes » selon l’expression sonore de Léo Ferré.

Trop c’est trop ! Le plus grand acteur du monde comme se définit le tyran Bruscon, c’est la statue du Commandeur qui plonge son regard dans le précipice.

La mise en scène remarquable de Chantal de LA COSTE qui s’entoure d’une belle distribution, tire parti de la dimension dérisoire et tragique de cette pièce sans aucun artifice. Hervé BRIAUX interprète avec brio et un incontestable talent un acteur qui a décidé de prendre au sérieux son rôle de bouffon. Voilà un dramaturge (Bruscon miroir de Bernhard) qui fourre dans sa pièce des grands personnages historiques et qui sans mordre sourire déclare : Shakespeare, Voltaire et moi !  Cet éminent saltimbanque donc est condamné à jouer dans le dé à coudre d’une scène de théâtre qui n’a pour tout organe qu’un rideau tiré devant une fosse vide et derrière, la salle de restaurant où cligne dans un coin le portrait d’Hitler sale et vieux.

Ca en fiche un coup à l’amour propre de ce bouffon. Mais le doigt dans ce dé à coudre nous fait signe « Ainsi font, font, font les marionnettes » dirait Thomas BERNHARD.

Le 14 Mars 2022

Evelyne Trân

Article initialement publié dans le MONDE LIBERTAIRE en ligne

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Ne_Bruscon_pas_le_brigadier_

ACID CYPRINE – CREATION COLLECTIVE – MISE EN SCENE DE Alexandre PAVLATA au CAFE DE LA GARE – 41 Rue du Temple 75004 PARIS – Les jeudis jusqu’au 28 avril à 21h, relâche 21 avril –


Jeu
Stéphane Dupéray
Ines Lopez en alternance avec Claire Dosso
Clara Marchina
Pauline Woestelandt

Assistanat à la mise en scène : Ines Lopez
Lumière : Aurélien Lorillon et Fabrice Peineau

Photo Ivanoel Barreto

Dans notre kaléidoscope féminin où se rejoignent aussi bien La Liberté guidant le peuple, la Joconde ou la Dentellière, Marylin Monroe et Gisèle Halimi, pourquoi ne pas ajouter ce bondissant quatuor que forment les comédiennes du spectacle ACID CYPRINE.

Encore un spectacle féministe ! Holà, holà, holà ! Qu’elle retourne à sa charrue la féministe ronchon et austère ! La vérité et notre quatuor la revendique, c’est qu’il est tout à fait possible d’explorer le champ féminin en riant aux larmes, en s’amusant, voire en butinant toutes ces ringardes représentations de la femme pour déconstruire le mythe de l’éternel féminin. Et que les hommes en prennent de la graine, viendra pour eux aussi le temps de bousculer le dictat de la virilité.

Echapper au regard omnipotent du mâle qui monopolise la littérature et la publicité grâce à l’émergence d’un regard féminin sur la femme et se moquer du phallus toujours. C’est pas nouveau mais il faut reconnaître qu’il y a du boulot. Ne sont-elles pas grotesques ces publicités mensongères qui nous inondent d’images de femmes nunuches arborant des bouches pulpeuses et des jambes à damner Eros. Mais qui a donc inventé ces femmes-là sinon l’homme avec son phallus magique.  Ras le bol des poupées barbies, des princesses charmantes et de la Belle au Bois Dormant en passant par Cendrillon et les vilaines sorcières. Ah tous ces contes « vieillots et ringards … dans l’histoire tout court, on s’est fait niquer à la Révolution française… Mai 68…à la Commune…au Festival d’Avignon 2018…aux Césars 2020… quand est-ce qu’on va arrêter tout ça ?».

Elles n’y vont pas de main morte. Vont-elles se mettre à lyncher la femme-objet, bonne épouse et reproductrice, et traquer toutes ces femmes qui « se soumettent aux désirs des hommes » ? Et pourquoi ne conserveraient-elles pas leur cœur de midinette pour rêver du Prince charmant qui les couverait d’un œil bienveillant ?

Dans le fond, elles ne sont pas si méchantes, si impudiques, si moches, elles peuvent séduire encore et toujours puisqu’elles ont de l’imagination et qu’elles n’ont pas fini d’explorer leurs corps dans cette grande avenue du désir. Cyprine, quésaco ? C’est la sécrétion vaginale dont elles assument l’acidité qui stimule la libido.

Elles incarnent la génération spontanée de leur propre imagination. Tous ces sentiers battus par le regard mâle colonisateur, il va falloir y planter quelques orties. Cela dit, elles enchantent par leur bonne humeur, leur énergie, leurs clowneries et leurs trouvailles car il n’est pas évident de faire chouiner les chaines ancestrales sur le papier glacé des magazines féminins.

Je me souviens d’Elie Kakou travesti en femme, franchement il était merveilleux. Il y a de cet esprit-là chez ces donzelles et le metteur en scène Alexandre Pavlata. Elles improvisent au galop, changent de costumes en déplaçant leurs tableaux au rythme d’un dessin animé. En font-elles trop ? Sûrement pas car le public qui se tord de rire en redemande !

Un show haut en couleur décapant, galvanisant !

Le 10 Mars 2022

Evelyne Trân

LE COURAGE DE MA MÈRE de George TABORI – Au Théâtre de la Reine Blanche 2 Bis Passage Ruelle 75018 PARIS – Du 9 Mars au 16 Avril 2022 – Mercredi, Jeudi, Samedi à 19 Heures –

Production Compagnie Les trois pieds dans la même chaussure
Production exécutive : Calvero
Texte publié aux Éditions Théâtrales
Avec le soutien de la SPEDIDAM

TEXTE : George Tabori

MISE EN SCÈNE : David Ajchenbaum

ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE : Déboras Földes

JEU : Roland Timsit et Marion Loran [voix]

TRADUCTION : Maurice Taszman

LUMIÈRES : Esteban Stéphane Loirat

CRÉATION SONORE : Nicolas Martz

Voici une pièce que nous recommandons particulièrement Le courage de ma mère de George TABORI, un écrivain hongrois, voyageur, journaliste, auteur de nombreuses pièces, metteur en scène qui travailla avec Brecht et même Hitchcock. Né à Budapest en 1914, issu d’une famille d’intellectuels juifs, il émigra à Londres en 1935, devint journaliste à la BBC, correspondant de guerre en Bulgarie et en Turquie puis s’engagea dans l’armée britannique au Moyen-Orient. Sa famille fut déportée dans les camps et seule sa mère survécut.

Le caractère autobiographique de la pièce est évident. Parce qu’elle évoque un événement qui a eu lieu près de 35 ans avant sa narration, il faut mesurer la distance que prend l’auteur s’impliquant dans l’histoire par son propre regard plutôt que de mettre en scène directement sa mère.

C’est en fait à la fois l’histoire du fils et celui de la mère qui se tiennent côte à côte, s’aident mutuellement pour faire sortir de la crevasse de l’oubli, une anecdote au regard de tous les témoignages des rescapés d’Auschwitz mais qui se révèle extrêmement éclairante sur l’état d’esprit des Hongrois juifs pendant l’occupation allemande et l’ambiance qui régnait alors en Hongrie.

La pièce comportait à l’origine plusieurs personnages dont la mère. David AJCHENBAUM met en scène uniquement le fils qui se charge de raconter l’histoire de la mère laquelle fait entendre sa voix seulement par instants pour confirmer ou corriger des détails car « Dieu est dans le détail ».

La vision du fils se superpose au vécu de la mère et d’une certaine façon le fils offre son regard extérieur à quelque chose qui relève de l’intime, de l’indicible et qu’il ne peut se permettre de relater que grâce à sa position de fils aimant.

La femme que décrit le fils n’est pas une héroïne, c’est une femme simple au quotidien bien rythmé, une femme qui a décidé continuer à vivre, en dépit du bouleversement de sa condition du jour en lendemain, celle des Hongrois juifs contraints d’arborer l’étoile jaune sur leurs vêtements.

Cette femme est si naïve qu’elle ne comprend pas qu’un jour des policiers puissent l’encadrer pour lui signifier son arrestation. « Si tu es une gentille petite fille, tout ira bien, » telle était la règle d’or de sa vie.

Pas de place pour le pathétique dans la vision du fils qui s’autorise l’humour voire l’ironie pour décrire les scènes vécues par sa mère. Le voyage dans le wagon à bestiaux dans la situation extrême de l’horreur devient l’occasion pour la mère d’échapper à la banalité de sa vie, de devenir quelqu’un d’autre …dans la mesure où ayant été coupée de tous ses repères, elle se retrouve face à elle-même. Sa naïveté devient sa grande force, elle est pour ainsi dire « la belle fille qui ne peut donner que ce qu’elle a « cette dame de soixante ans, vêtue d’une belle robe noire avec un beau chapeau noir et des fleurs au rebord » qui d’une certaine façon tient tête à un officier allemand en le regardant droit dans les yeux.

Si la mère échappe à la déportation pour retourner au quotidien, ses parties de rami avec sa sœur, il n’en demeure pas moins cette blessure, le sentiment d’avoir abandonné les autres, ces brefs compagnons de voyage, à la mort.

C’est tout l’art de George TABORI de laisser planer aussi le doute entre la réalité et la fiction, de faire comprendre que sans les moyens de la fiction et d’un regard décalé, l’insoutenable ne peut être exprimé.

L’auteur semble observer tous les humains avec la même réserve, sans les juger, en les prenant comme ils sont, qu’il s’agisse de sa mère, de l’officier allemand, des déportés, et c’est leur humanité qui transpire, qui s’exprime.

Le texte de George TABORI est magnifique, il pourrait faire penser à une nouvelle de Stefan SWEIG. Servie par un comédien étonnant de justesse, Roland TIMSIT qui sait varier les tons avec les divers personnages du récit et la mise en scène dépouillée de David AJCHENBAUM, la pièce est mue par une véritable force intérieure, qui permet de faire résonner la vie au-delà de ses tournures tragiques, d’élever cette flamme des justes au-delà de l’oubli, celle des témoins et descendants des victimes de la Shoah.

Un spectacle essentiel, à ne pas manquer !

Evelyne Trân

Article mis à jour le 3 Mars 2022

précédemment publié sur le blog. Théâtre au vent. Le Monde.fr et dans le journal en ligne du MONDE LIBERTAIRE

https://www.monde-libertaire.fr/?article=Le_brigadier_temoin_de_lHistoire