Ode aux enveloppes

ENVOL CARTE

TAKESADA MATSUTANI

Stream Osaka (Osaka Contemporary Art Center 1982-83)

Crayon graphite sur cartes postales

Une enveloppe cachetée a échu entre mes mains. Elle venait d’ailleurs, d’un autre âge, d’une autre époque, elle avait plus de soixante ans. J’avais l’impression d’être devant une tombe. Alors pour me faufiler dans cet ailleurs, j’ai réfléchi que j’étais moi-même grisonnante et qu’en soustrayant un peu de mon âge, je pouvais m’aligner sur n’importe quelle bulle de temps aussi expiatoire soit-elle.

 Tribulation enfantine : toujours mettre un peu de soi dans une enveloppe, en tout cas une espérance, un rêve, un sentiment, un peu de mystère scellé au bout d’une pensée.  Comment ne pas être ému en ouvrant une enveloppe, comment ne pas croire voir s’échapper quelque cri, quelque soupir d’aise. Enfin, je suis ouverte dit l’enveloppe miraculée (c’est Pâques).  Elle n’eût pas été ouverte que le temps ne se fut pas arrêté. Mais le temps est un mime, il se joue de nos reflets et nos songes. Qu’importe puisque l’enveloppe scellée, abandonnée, au moment de son ouverture lâche un grand soupir et à la lumière du jour libère son message. Il jaillit soudain comme une puce sous l’oreille, il se moque du temps qui a passé, il le célèbre. Il ancre ses songes sous le jeune avenir comme croupit un nuage en dentelles. Il fend l’air comme une libellule. Il faut – balustrade d’un mot sur une toute petite échelle – faire scintiller quelque brindille échappée d’un amour, d’un aveu, d’une crainte enveloppés, cachetés. Que le mystère jaillisse du bec d’une enveloppe qui prendrait la forme d’un avion en papier. Quoi ? Oser déflorer une gentille enveloppe restée vieille fille par surabondance de nuages. Je les veux subsister à tous les courants d’air, tous les petits élans de l’âme qui obéissent à quelques rites : l’enveloppe, le timbre, l’adresse et l’effort d’écrire.  Oui, je l’écoute cette chaîne de lettres entrelacées qui davantage que des ombres fayotent contre le mur du temps qui redevient hirondelle de passage. A travers une coulure du temps ou sa moulure, écouter une enveloppe qui craque comme un poussin sort de sa coquille. Songer aux yeux hagards du destinataire qui va soit l’ouvrir, soit l’abandonner dans un  coin. Subir cette hallucination : je suis l’enveloppe. Alors, être là au moment de l’ouverture, ouf ! C’est tellement étrange de s’envoyer soi même, avec le recul n’est-ce pas, la distance nécessaire entre l’expéditeur et le destinataire pour que la réception ait lieu. Quoi ? Encore regarder un oiseau emporter en son bec un rameau, comprendre qu’il voyage aussi, qu’il travaille, qu’il fait son nid. A travers des lettres c’est le frémissement de brindilles que je surprends sur les lèvres de n’importe quel scribe et je ne puis m’empêcher de souffler à tous ceux qui ne se servent plus de leurs mains pour écrire : quel dommage, vous avez quitté l’oiseau en vous, de vos gestes, de vos caresses. Vous ignorez que vos doigts peuvent chanter à toute allure sur du papier, qu’il peuvent réciter au delà de la coulure d’une date car ils connaissent l’étoile du jour et de la nuit avant de se poser.

Cet oiseau qui vient se poser sur votre épaule, entendez le comme la confidence d’un messager qui a voyagé avant d’arriver jusqu’à vous. Remerciez le !

Evelyne Trân       

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