J’ADMIRE L’AISANCE AVEC LAQUELLE TU PRENDS DES DÉCISIONS CATASTROPHIQUES de Jean Pierre Brouillaud – Mise en scène de Eric Verdin au STUDIO HEBERTOT – 78 Bis Bd des Batignolles 75017 PARIS – A partir du 29 novembre 2018 Jeudi à 19h Vendredi, samedi à 21h Dimanche à 15h –

Une pièce de : Jean-Pierre Brouillaud
Avec : Mathilde Lebrequier, Renaud Danner
Mise en scène : Eric Verdin
Créations lumière et son : Eric Verdin
Costumes : Amélie Robert
Conception graphique : Aurélie Mydlarz
Musique: Xavier Deroin
Chorégraphie: André Bellout

Durée : 1h15

Un couple bobo en crise est le thème de la comédie délibérément légère de Jean Pierre Brouillaud.

« Je t’aime… moi non plus » chantait Gainsbourg capable de brûler un billet de 500 francs en direct à la télévision en 1984.

De façon toute aussi radicale mais sans prétention, François Durvil brûle sa casquette de brillant avocat d’affaires pour devenir agent de propreté de la Ville de Paris, sous les yeux horrifiés de sa charmante épouse Orianne, une universitaire écrivaine.

 L’auteur ne croit pas si bien dire ! Est-il possible aujourd’hui de faire figurer sur son curriculum vitae les emplois d’homme ou de femme de ménage jugés peu reluisants et faisant tache !

 Somme toute, Orianne a une réaction de bourgeoise conformiste et après tout pourquoi n’exprimerait-elle pas son dégoût pour l’emploi déshonorant de balayeur ! La belle dame crie haut et fort qu’elle a besoin d’admirer pour aimer !

 Son mari qui ignore encore les vicissitudes de l’emploi d’agent de propreté parce qu’il a rencontré un éboueur poète croit pouvoir redonner du souffle à sa vie en tournant le dos à sa carrière d’avocat. Pourquoi pas !

 Le couple de François et Orianne forme une bulle qui les protège des réalités du monde extérieur. Leur amour est aussi là pour les sécuriser. Profondément, ils ne peuvent pas changer de peau.

 Leurs propos relaient en fin de compte les débats des magazines en vogue destinés à jeter du baume sur nos petites blessures.

 Interprétée par d’excellents comédiens – chacun très convaincant dans son rôle –  joliment mise en scène par Eric Verdin et enrichie par la chorégraphie d’André Bellout, la pièce portraitise des bobos sans que leur bulle éclate.   

 Tout est bien qui finit bien ! Autant en emporte la crise !

 Paris, le 11 Décembre 2018

 Evelyne Trân

UN PICASSO de Jeffrey Hatcher – Adaptation de Véronique Kientzy – Mise en scène de Anne Bouvier au STUDIO HEBERTOT – 78 Bis Bd des Batignolles 75017 PARIS – A partir du 22 Novembre 2018 – Jeudi à 21 Heures- Vendredi et Samedi à 19 Heures et Dimanche à 17 Heures –

Avec Jean-Pierre Bouvier et Sylvia Roux

Un PICASSO la pièce de Jeffrey HATCHER tire sa source de faits historiques révélateurs de la pression insoutenable qu’exercèrent les autorités nazies à l’encontre des artistes coupables de véhiculer un art dégénéré.

 Une exposition « Art dégénéré » eut lieu à Munich en 1937. Elle avait pour objet de mettre à l’index les artistes considérés comme déviants et contraires à l’art classique et aryen, tels que Marc Chagall, Wassily Kandinsky, Pablo Picasso, Matisse et Monet …

Dans ces conditions, pendant l’occupation dans les années quarante, Picasso retranché dans son atelier des Grands Augustins n’avait pas d’autre choix que de se tenir tranquille, risquant à tout moment suivant le bon vouloir des nazis, l’arrestation.

Picasso reçut sans doute plusieurs fois les visites d’officiers allemands mais cela n’empêcha pas l’artiste de continuer à peindre alors même qu’il ne pouvait plus exposer ses œuvres.

Jeffrey HATCHER imagine l’une de ces rencontres entre Picasso et une jeune femme nazie, Mademoiselle FISCHER. Cette dernière met en demeure l’artiste d’authentifier trois autos portraits destinés à un autodafé.

Un véritable combat de fauves s’instaure. La jeune femme incarne toute l’ambivalence des autorités culturelles nazies. Mademoiselle FISCHER contrainte d’obéir aux ordres d’Hitler admire en secret l’œuvre de Picasso. Du coup, la rencontre prend la forme d’un psychodrame.

Picasso reconnait ses œuvres. Elles ressuscitent chez lui tant de souvenirs intimes. Nous ne les dévoilerons pas car il faut voir la pièce. C’est juste fascinant d’éprouver qu’une peinture n’est pas seulement un objet mais possède une âme.

 Pour sauver ses toiles, le personnage Picasso s’ingénie alors à les déclarer fausses évidemment sans convaincre Mademoiselle FISCHER.

Picasso et Mademoiselle Fischer ont en point commun la même passion pour l’art, l’un en tant que créateur, l’autre en tant qu’admiratrice. Mais cette réalité d’ordre intime est victime de la censure démoniaque du régime nazi.

Picasso se comporte en animal rusé qui fait mine de lâcher prise alors même qu’il est train de flairer les failles de son adversaire qui ne réussit pas à masquer son intérêt pour ses œuvres.

Picasso, dans cette fiction, prétend qu’il n’est pas un artiste engagé. Une déclaration à mettre en doute qui soulève le débat sur l’engagement des artistes très souvent les premières victimes des dictatures politiques.

Jean-Pierre BOUVIER interprète un Picasso très combatif, mettant en relief sa part d’humanité au-delà de sa stature de célébrité.

 Quant à Sylvia ROUX, elle fait fondre cette glace qui emmure son personnage, de façon vraiment bouleversante.

La mise en scène sobre et suggestive d’Anne BOUVIER est très concentrée sur les comédiens. Nous n’avons d’yeux que pour ces âmes indomptables qui font rougir les barreaux de leur cage, grâce à l’étincelle de leur passion commune.

 Il faut découvrir cette braise ardente qui illumine ce spectacle ! Il s’agit d’un superbe hommage à la création !

 Paris, le 9 Décembre 2018

 Evelyne Trân

L’Ecole des femmes de Molière/Offenbach – Mise en scène de Nicolas RIGAS – au THEATRE DEJAZET – 41, boulevard du Temple 75003 Paris – Métro République (lignes 3, 5, 8, 9, 11) – Du samedi 01 décembre au lundi 31 décembre 2018 Mardi au Samedi à 20h45 – Lundi 24 et 31 Décembre à 20h45 – Matinées Samedi à 16h00 –

 Distribution

 Nicolas Rigas Arnolphe

Martin Loizillon Horace

Antonine Bacquet Agnès

Amélie Tatti Agnès

Romain Canonne Alain

Jean Adrien Georgette

Salvaore Ingoglia Chrysalde

Philippe Ermelier Oronte

Raphaël Schwob Oronte

Jacques Gandard ou Karen Jeauffreau Violon

Robin Defives Violoncelle

Emma Landarrabilco Flûte

Création Lumière Jessy Piedfort

Direction Musicale Jacques Gandard

Costume et Décors Théâtre du Petit Monde Diffusion Philippe Branet Production Théâtre du Petit Monde

L’Ecole des femmes a suscité tant de mises en scènes depuis sa création par la troupe de Molière !

 Qu’avons-nous à apprendre des femmes, faut-il être à leur école, se pencher désormais sur leurs états d’âme et non plus les considérer comme des animaux de compagnie en laisse ? Telle est la question qui ronge l’homme Molière qui sait bien qu’il doit beaucoup à la gente féminine et fait le procès de la misogynie.

 La vérité, c’est que dans cette pièce il dénonce un barbon qui a le double de l’âge de la jeune fille qu’il a élevée dans le seul but d’en faire son épouse.  Or lui-même vient d’épouser Armande Béjart de 20 ans sa cadette.

La différence entre ce barbon et lui-même, Molière entend la manifester en donnant la parole à une toute jeune fille Agnès douée d’une forte personnalité capable de se révolter contre les desseins hideux de son maître.

 C’est plutôt malheureux à dire mais le personnage d’Arnolphe fait penser à ces hommes qui choisissent des épouses étrangères et pauvres, afin de s’assurer leur totale dépendance. Oui, cela est encore cours aujourd’hui !

 Arnolphe fait partie de ces personnages qui ont fermé derrière eux la porte de l’amour, sans retour possible, faute même de le concevoir. La composition Nicolas RIGAS laisse entendre qu’Arnolphe au fond est un pauvre type, empêtré dans le piège qu’il a lui-même construit, par peur de voir s’échapper le bel objet qu’il a mis en cage. Il est si pitoyable qu’il en devient comique.

 Cette laideur, cette pauvreté spirituelle d’Arnolphe rejaillit sur ses domestiques, fagotés comme des épouvantails dressés l’un contre l’autre et interprétés par des acrobates époustouflants.

 La scénographie classique, sans prétention, a l’avantage de pointer du doigt l’aspect primaire des relations des protagonistes.

  Il est important de le souligner parce que cette primarité régit aussi les émotions, elle fait partie du cerveau préhistorique humain certes inconscient mais toujours actif. Par contraste, Agnès brille par son intelligence, sa vivacité d’esprit.

 Erigée en comédie-ballet lyrique, cette Ecole des femmes n’est pas triste. La musique d’Offenbach optimise l’atmosphère, apporte ce rayon de soleil qui dispense les spectateurs de s’apitoyer sur le sort d’Arnolphe, sorte d’affreux polichinelle Nous ne sommes pas loin de la commedia dell’arte.

 Il faut rire d’Arnolphe et n’avoir d’yeux que pour Agnès, ce joli cygne qui découvre l’amour et jette le trouble dans cette valetaille de coqs en pâte.

 Légèrement baroque sous son apparente simplicité, la mise en scène musicale de cette pièce, servie par une belle équipe de comédiens, acrobates, musiciens et chanteurs, distille beaucoup de charme. Elle parle au cœur plus qu’à la raison, de façon à nous attendrir, nous divertir tout en frappant nos esprits.

« C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens » (cf Dorante dans la critique de l’Ecole des femmes). C’est toute l’habilité de cette Ecole des femmes !

Paris, le 8 Décembre 2018

Evelyne Trân

RABELAIS de Jean-Louis Barrault d’après les textes de Rabelais au STUDIO- THEATRE D’ASNIERES – 3 Rue Edmond Fantin 92600 ASNIERES – Du mardi 4 au dimanche 23 décembre 2018 mardi, jeudi et samedi à 19h, mercredi et vendredi à 20h, dimanche à 15h30 – Attention, il n’y aura pas de représentation vendredi 7, samedi 15 et mardi 18 décembre 2018 –

Photo Miliana BIDAULT

Musique originale Marc-Olivier Dupin Mise en scène Hervé Van der Meulen Chorégraphie Jean-Marc Hoolbecq

Scénographie, masques et accessoires Claire Belloc 

Costumes Isabelle Pasquier 

Lumières Stéphane Deschamps 

Maquillage Audrey Millon 

Assistants Julia Cash, Ambre Dubrulle et Jérémy Torres

Coproduction Le Studio d’Asnières et le Théâtre Montansier de Versailles (78)

Avec la participation artistique du Studio – École Supérieure de Comédiens par l’Alternance

Durée 2h45 avec entracte – À partir de 15 ans

Avec Étienne Bianco, Clémentine Billy, Loïc Carcassès, Aksel Carrez, Benoît Dallongeville, Ghislain Decléty, Inès Do Nascimento, Pierre-Michel Dudan, Délia Espinat-Dief, Valentin Fruitier, Constance Guiouillier, Théo Hurel, Nicolas Le Bricquir, Juliette Malfray, Mathias Maréch les sensations al, Théo Navarro-Mussy, Pier-Niccolo Sassetti, Jérémy Torres et Agathe Vandame

Rabelais était un ogre dans tous les sens du terme, édifiant en ouvroir du monde, ce cratère géant que constitue le nombril de l’homme.

Nombril, fer de lance orgastique, siège de toutes de les sensations communes à tous les hominiens.

Nous avons oublié de baver au sujet de cet instrument de foire, nous les civilisés, les honteux qui trouvons indigne que la tête de l’homme puisse être éclaboussée par ses propres excréments. Horrifique scatologie !

Rien ne différencie l’homme de l’animal, sinon la parole. Chez Rabelais, la parole sort des tripes, elle  entend réconcilier l’homme de tête avec ses boyaux, ses viscères, ses entrailles, sa merde. Mais que de fleurs dans ce fumier ! Appelons les :  Ironie, Poésie, Délire !

 C’est un pas de géant, avec Rabelais, l’homme pense aussi avec sa tête de chien.  S’il faut en croire le verbe de Rabelais, un homme ne réfléchit pas seulement avec sa tête mais avec tous ses organes, en premier lieu, la bouche, l’appareil digestif et le cul.

 Que cela vous en bouche un coin de faire venir Rabelais à notre époque pour purger, arroser de son verbe faramineux, insolent et explosif, nos maux d’estomac, nos relents, ballonnements, nos humeurs en somme, c’est normal ! Faut-il être ou se croire malade pour s’assurer les leçons de ce grand médecin ?

 L’œuvre de Rabelais vise une des plus graves maladies de l’homme, la mélancolie. Il y faut un remède de cheval et pour ce faire libérer l’ogre qui est en soi qui ne festoie que pour rendre grâce à ces merveilleux organes que sont la bouche, le ventre, le sexe, qui forment orchestre pour nourrir et euphoriser l’esprit.

 C’est un monde parallèle totalement libertaire qu’imagine Rabelais. Gargantua et Pantagruel sont des géants au propre et au figuré, ils ont des manières et des pensées de géants à mi-chemin entre le Moyen Age et la Renaissance. L’œuvre de Rabelais constitue un incroyable témoignage des débats philosophiques de cette époque en réaction à la ceinture du pouvoir religieux inquisiteur. Rabelais dénonce la torture, la cruauté des guerres, la toute-puissance de l’argent. Sous couvert de la parodie, il s’agit d’un véritable manifeste contre les mœurs de son temps.

 Jean-Louis Barrault qui créa la pièce RABELAIS en Décembre 1968, intitulée « Jeu dramatique en deux parties, tiré des cinq livres de François Rabelais » dans une ancienne salle de catch, l’Elysée Montmartre, avec une musique de Michel Polnareff, une trentaine de comédiens, dit de l’auteur « C’est l’Enfance empoignant la vie à pleins bras ».

 Il fallait avoir de l’estomac pour remettre en scène cette pièce qui durait quatre heures à l’origine et près de trois dans la représentation actuelle. Sans aucun doute le metteur en scène Hervé Van der Meulen et sa troupe de comédiens baignent totalement dans la langue juteuse de Rabelais qui agit comme une véritable potion magique.

 Quelle meilleure drogue que la langue de Rabelais, elle peut être parlée, dansée, chantée en cœur, elle circule à bout portant, grâce à l’orchestration particulièrement maîtrisée et inspirée de Hervé Van der Meulen.

 En un mot cette mise en scène est formidable ! On y entend battre le cœur des jeunes d’aujourd’hui galvanisés par cet ancêtre visionnaire, génial et tellement drôle.  

Impossible de sortir indemne d’un tel spectacle, tous les sens en sont ébaudis !

Paris, le 6 Décembre 2018

Evelyne Trân

JETONS LES LIVRES, SORTONS DANS LA RUE – Adaptation théâtrale et mise en scène: Takahiro Fujita – Œuvre originale: Shûji Terayama – Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis Quai Branly, 75015 Paris – Les 21, 22, 23 novembre 2018 à 20h – Le 24 novembre 2018 à 15h –

Adaptation théâtrale et mise en scène, Takahiro Fujita

Œuvre originale, Shûji Terayama

Musique, Tatsuhisa Yamamoto

Avec himi Sato, Izumi Aoyagi, Yuriko kawasaki, Mina Sasaki, Jitsuko Mesuda, Ryosuke Ishii, Shintarô Onoshima, Tatsuy Tsujimoto, Hirotaka Nakashima, Satoshi Hasatani, Kenta Funatsu Musicien, Tatsuhisa Yamamoto (batterie) Apparition vidéo, Hiroshi Homura (poète Tanka), Naoki Matayoshi (comique, Eimei Sasaki (poète haïku), Lumières, Kaori Minami Costumes, Minä Perhonen Son, Daisuke Hoshino Vidéo, Jitsuko Mesuda

Le spectacle Jetons les livres, sortons dans la rue, mis en scène par Takahiro FUJITA est inspiré du film éponyme réalisé en 1971 par Shūji TERAYAMA qui raconte l’histoire d’un jeune homme dont la petite sœur se fait violer par des joueurs de football.

D’emblée, la scène nous est apparue comme un terrain de jeu, une sorte de billard électronique dans lequel les personnages jouent le rôle des petites boules propulsées par un joueur inatteignable.

Des billes ardentes malgré tout qui transportent d’infinies émotions sans commune mesure avec l’affreux décor environnant et qui persistent à courir pieds nus à même un sol froid comme ces fourmis ou ces insectes qui se déplacent à travers les échafaudages humains, les caniveaux, les dépotoirs, vivent leur vie là où ils se trouvent.

Le brouhaha métallique du montage et démontage des échafaudages ne semble pas affecter les personnages qui ne communiquent pas avec les ouvriers fantômes; ils se démènent comme des survivants d’une mémoire qui ne gargarise que leurs propres corps, ils essaient de survivre dans un environnement qui leur est devenu totalement étranger.

Le metteur en scène fait mine d’agiter au début du spectacle une loupe épaisse qui permet d’assister à l’autopsie d’un œil. Cette vision est provoquante voire insoutenable. Elle appelle le rejet. Mais comment séparer cet œil devenu objet de la personne qui est en train de l’autopsier. L’œil n’est pas celui qu’on voit, voilà tout.

 Un œil porte-voix ou porte-vision. Il semble que le metteur en scène Takahiro FUJITA  ait donné cette consigne aux comédiens de jouer et d’exister sur scène et ne pas s’occuper du reste.

Nous assistons à un mouvement de créatures qui risquent leur vie indépendamment des intentions de leur observateur.

 Les comédiens réussissent à imposer leur présence en dépit de l’atmosphère glaciale qui découle de la matière métallique architecturale des échafaudages.

Tout en respectant l’intrigue du film et en intégrant sur scène l’esprit de collage, qui permet de faire rebondir la perception du spectateur la recadre ou la décadre, avec pour seul moteur une caméra invisible qu’accompagnent les compositions martelées du batteur, le metteur en scène entend livrer une lecture contemporaine qui soit une caisse de résonance de la révolte de la jeunesse d’aujourd’hui.

Désormais, au théâtre, les images ou les films vidéo s’intègrent à la scène, parce qu’ils font partie de notre environnement et que probablement la perception onirique d’un individu n’est pas la même aujourd’hui qu’il y a cinquante ans.

Confronter les perceptions à l’échelle des générations – du point de vue de FUJITA, le mal être des jeunes dans les années 70 et dans les années 2000 –  est exaltant pour les artistes qui se doivent d’être en amont des transformations sociétales,

 Le recours au collage de scènes avec son aspect artificiel, celui du grossissement par la loupe, dénote un sentiment d’impuissance, de désarroi des consciences qui s’attellent à construire des digues capables de contenir le raz de marée des émotions humaines, une désespérance tragique.

 La mise en scène témoigne de la grand maîtrise technique et artistique de Fujita, à laquelle s’ajoute sa remarquable direction d’acteurs.

 Nous garderons la trace effervescente de ces créatures, la véhémence  de leurs témoignages, ce soubresaut de mémoire ancestrale et moderne, un tremblement de terre !

 Paris, le 3 Décembre 2018

 Evelyne Trân

 

LA LETTRE À HELGA de Bergsveinn Birgisson – Adaptation et mise en scène : Claude BONIN au Théâtre de l’Epée de Bois – Cartoucherie de Vincennes – Route du champ de manoeuvre 75012 PARIS -Représentations : Du 26 novembre au 22 décembre 2018 – Du lundi au samedi à 20h30, samedi à 16h –

Mise en scène Claude Bonin

Assistanat et actions artistiques connexes Bénédicte Jacquard

Interprétation Roland Depauw

Création Sonore Nicolas Perrin

Création vidéo Valéry Faidherbe

Scénographie Cynthia Lhopitallier

Création Lumière Vincent Houard

Une création de la compagnie Le Château de Fable Co-production Les Bords de Scènes, Le Théâtre par le Bas, La Strada & Cies Avec le concours du Théâtre de l’Epée de Bois – La Cartoucherie En partenariat avec l’association France-Islande

Au seuil de la mort, comme c’est étrange, certains êtres s’écoutent parler d’amour, seule cette langue leur est devenue accessible.

 Cette langue est inexplicable et il vaut mieux qu’elle le soit parce qu’elle s’adresse à un interlocuteur unique, qui ne dépend plus que de soi, du sentiment confus que cette personne, elle fait à ce point partie de soi, que ce serait mourir deux fois que de l’oublier avant de plier bagage.

 Confession d’un homme en fin de vie, La lettre à Helga de Bergsveinn BIRGISSON se lit comme une partition musicale qui met en émoi toutes ces petites intermittences du cœur qui surgissent au cours d’une randonnée solitaire en pleine nature ou lors d’une rêverie quand il est possible de s’abandonner sans l’appréhension d’un regard hostile ou extérieur.

 La littérature permet ce genre de randonnée parce qu’elle n’occulte pas les contraintes, le chemin caillouteux de la pensée, mais lorsque le chemin a pour guide Helga, qui en quelque sorte enserre la main de l’écrivain, il faut croire que tout est possible.

 Le narrateur pèse ses mots en connaissance de cause. En se confessant, il parle à la fois à lui-même et à Helga, sa complice d’une histoire d’amour fulgurante qui merveilleusement s’est inscrite dans le paysage de sa terre, à la fois fabuleuse et austère, vertigineuse.

 Nous avions un pincement au cœur à l’idée de l’entrevoir poser ses pieds sur une scène de théâtre, Bjarni GISLASON, cet éleveur de moutons, contrôleur de fourrage, parce que nous avions incorporé sa voix intérieure sans mesurer précisément sa source première, terriblement physique, voire même brutale, la présence de cette terre Islandaise qui coule dans ses veines.

Il y aussi cette histoire d’amour avec cette terre, il y a au fond toute la vie d’un homme qui parle au nom de cette terre, génitrice de ses amours avec Helga.

 Nous avons devant nous un être qui ne triche pas, le corps ne peut pas tricher, juste exprimer ce qui l’habite. Les mots font le voyage du corps, ils l’époustouflent, ils le travaillent, dans le seul but celui de lui donner la force de décliner sa dernière déclaration d’amour à la vie, à Helga.

 C’est en tout cas ce que nous avons ressenti grâce au comédien Roland DEPAUW qui incarne magnifiquement le vieux Bjarni GISLASON.

La mise en scène de Claude BONIN fait entendre la source en veilleuse, qui peut prendre toute sorte de formes aussi bien celles de visions fantastiques que d’objets primaires, des lattes en bois, des sacs de jutes regorgeant de toisons de moutons.

C’est un récital de choses invisibles qui jouent à cache à cache avec le visible, que traduit avec beaucoup délicatesse les compositions de Nicolas PERRIN.

Ce spectacle est tout simplement beau qui cristallise juste une écharde dans le cœur, un amour impossible mais vivant !

Paris, le 1er Décembre 2018

Evelyne Trân