
Mois : septembre 2018
LES ENIVRES DE IVAN VIRIPAEV – MISE EN SCENE DE CLEMENT POIREE AU THEATRE DE LA TEMPETE – CARTOUCHERIE DE VINCENNES – Route du Champ- de_Manoeuvre 75012 PARIS – du 14 Septembre au 21 Octobre 2018 – du mardi au samedi à 20 H – Dimanche à 16 H –

avec John Arnold, Aurélia Arto, Camille Bernon, Bruno Blairet, Camille Cobbi, Thibault Lacroix, Matthieu Marie, Mélanie Menu scénographie Erwan Creff lumières Elsa Revol, assistée de Sébastien Marc costumes Hanna Sjödin, assistée de Camille Lamy musiques Stéphanie Gibert maquillages Pauline Bry, assistée de Emma Razafindralambo Delestre et Margaux Duroux peinture décor Caroline Aouin assistée d’Alice Gauthier construction décor Atelier Jipanco collaboration artistique Margaux Eskenazi régie générale Farid Laroussi régie Laurent Cupif, Michael Bennoun, Thibault Tavernier habillage Emilie Lechevalier, François Ody.
production Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture, avec la participation artistique du Jeune Théâtre national
Ils sortent de leur tiroir avec la patine de leurs souvenirs de beuveries et courent vers la scène qui fera tourner le disque de leurs lamentations troussées par leurs fanfaronnades, leurs mensonges avec probablement pour illusion suprême, cette croyance que la vérité peut sortir de leurs gueules de bois.
Ce sont des personnages imaginés par Viripaev, ni plus ni moins, des pantins, des monstres, réfractaires à l’analyse, des bouts de bois balancés dans l’arène, peinturlurés qui ne peuvent apparaitre qu’au théâtre, toute ressemblance avec des personnes réelles étant à exclure.
Sur le tapis de leur damier, ils semblent condamnés à jouer, rejouer ou surjouer des scènes d’ivrognerie, pour la défonce, et leur créateur donne l’impression parfois de les imaginer coincés au fond du tiroir qu’il pousse et tire violemment.
La mise en scène de Clément POIREE, s’attache aux aspects fictionnels, frictionnels des personnages qui ne doivent leur hauteur, leur aplomb que de cette poussière d’illusion permettant de les montrer du doigt, les accuser de manquer de sang, alors que le leur est épaissi par des couches et des couches de pensées sèches ou gluantes comme des peaux de bananes.
Cette frontière entre le vrai et l’impossible renvoie au geste et à l’œil impuissant du spectateur qui aurait la naïveté de pouvoir l’atteindre. Elle est et sera toujours insaisissable.
Mais où se trouve donc la vérité semblent hurler ces pantins. Ne serait-elle pas noyée dans la rivière, ne ferait-elle pas un bruit dans nos estomacs, dans le dépotoir de nos idées reçues et recyclées.
Prenez-nous pour ce que nous sommes, des gusses qui jouent des enivrés qui ont versé dans leur vin le seigneur Dieu, l’amour, le sexe, à chacun ses obsessions après tout ! Nous utilisons le fard de la vérité ivrognesse parce que c’est la condition sine qua non, d’apparaitre au-delà de toute vérité assignée, iriez-vous attenter à notre pudeur de personnages !
Tant pis pour les non-sens, les barbarismes, nous simples spectateurs qui n’avons guère l’occasion d’hurler nos vérités dans la rue, reconnaissons que ces pitres servis par d’excellents comédiens possèdent bien l’art de l’oraison « ivrognesque ».
Oppressant et fabuleux à la fois, le spectacle nous remet la tête à l’envers, avec un zest d’enfance qui nous donne envie de faire parler nos pantins !
Paris, le 15 Septembre 2018
Evelyne Trân
Dans le cadre du focus « Récits de vie » CLAIRE, ANTON ET EUX, de François Cervantes et du CNSAD, 13 → 16 septembre 2018 – jeudi, samedi 19h – vendredi 20h – dimanche 16h – durée 1h40 – à la Maison des métallos 94 rue Jean Pierre Timbaud 75011 PARIS –

texte et mise en scène François Cervantes
dramaturgie Renaud Ego
création lumière Lauriano de La Rosa
costumes Camille Aït Allouache
régie générale et son Xavier Brousse
régie lumière Bertrand Mazoyer
avec
avec Gabriel Acremant, Théo Chédeville, Salif Cissé, Milena Csergo, Salomé Dienis-Meulien, Roman Jean-Elie,
Jean Joudé, Pia Lagrange, Sipan Mouradian, Solal Perret-Forte,
Maroussia Pourpoint, Isis Ravel, Léa Tissier et Sélim Zahrani
production Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique
diffusion L’entreprise – cie François Cervantes
De la naissance à la mort, voici la bulle de savon éphémère qui avant d’éclater doit prendre son souffle et s’exprimer, sachant que seul l’individu qui la supporte la dote de caractéristiques uniques, les siennes.
Dans le spectacle de François Cervantes et du CNSAD, la fragilité et la force coexistent. La force, il faut bien l’attribuer au pouvoir de l’illusion, celle du théâtre qui tend une tige solide à tous ces ballons qui s’offrent l’écho de leur étonnement d’être plusieurs, sur la même longueur d’onde, celle d’un cri primal spectaculaire, à même la voix, à même la peau.
Longitude d’un moi collectif, chorégraphie d’un ciel d’oiseaux, de ruche d’abeilles, mur de son, murmures, chuchotements, que seul un même projet peut contenir, celui d’évoquer la diablerie subjective qui sous-tend chaque déclaration.
Il n’y a pas d’autre hiérarchie que celle d‘un moi existentiel adoubé par les autres parce qu’il s’ajoute à leurs propres désirs d’expression.
Les conventions du langage jouent le rôle de socle commun, rédhibitoire pour certains car quelque peu rigides, c’est pourquoi les poètes sont tentés par l’inexprimable, le tout confus, le tout rêveur. Pourtant, un message aussi court et simple dans sa formulation, soit-il, dès lors qu’il prend son envol tel un papier lâché dans le vent, peut aussi être capturé par l’imaginaire, et cristalliser n’importe quel fantasme comme un lingot d’or ou de souvenir. Chaque message à délivrer fonctionne comme une masse aveugle dont il faut assumer le poids, et c’est d’ailleurs ce poids tangible, celui d’une histoire personnelle qui va trouver sa place au cœur des toutes les autres histoires, celles qui frémissent comme le feuillage d’un même arbre, dont chaque feuille s’est éprouvée solitaire avant de s’apercevoir qu’elle était environnée de milliers de jumelles.
Tout individu est évidemment porteur d’une histoire qui le dépasse dont il ne représente qu’un bourgeon parmi tant d’autres. Or dans un monde où l’individu a du mal à trouver sa place autrement qu’en s’opposant à l’autre, en cédant au racisme primaire, en concevant que les autres ne constituent qu’une masse informe, brute, que les chinois, les noirs, les migrants se ressemblent tous menaçant d‘envahir notre territoire, il parait salutaire de rappeler que chaque individu, tel un tournesol, partage le même soleil, la même soif d’existence, que ses racines puisent leur sève de la même terre.
Le théâtre configure ce tout terrain d’exploration individuelle et collective. Ces récits de vie rassemblés par François Cervantes forgent un melting pot extrêmement sensible, servis par des comédiens étonnants de justesse et d’énergie. Tous s’écoutent portés par la même exaltation, partant d’eux-mêmes pour aller vers les autres, organiser les retrouvailles. « Moi est un autre » disait Rimbaud !
Et puis dans ce spectacle, la poésie, la fantaisie jouent le rôle de courant d’air qui allège l’atmosphère pour tous ces joueurs de marelle entre ciel et terre.
Paris, le 14 Septembre 2018
Evelyne Trân
TOXIQUE de Françoise Sagan – Au studio HEBERTOT – 78 bis Boulevard des Batignolles 75017 Paris – DU 2 SEPTEMBRE AU 15 OCTOBRE 2018 Le lundi à 19h et le dimanche à 19h30 –

De Françoise Sagan
Mise en scène Christine Culerier et Michelle Ruivo
Avec Christine Culerier
Nous pénétrons comme par effraction dans le journal intime de Françoise SAGAN couvrant une courte période, celle de son séjour dans une clinique de désintoxication du palfium qui lui fut administré à haute dose, après un terrible accident de voiture.
Françoise SAGAN n’avait que 22 ans mais elle était déjà SAGAN avec bonheur celui de pouvoir jouir de sa drogue la plus dure, l’écriture.
Le journal est un à mi-chemin vers la littérature. Beaucoup d’écrivains s’y sont exercés n’ignorant pas que leurs journaux pourraient être publiés.
Dans ce cahier, témoin de sa réclusion forcée dans une clinique, la jeune femme avait un étrange interlocuteur, le temps celui qu’on ne pense pas mais qui s’impose naturellement dans la chambre de la solitude, une solitude qu’il faut s’employer à distraire sans autres béquilles que celles de sa pensée, des objets qui flottent devant soi, des moindres événements qui prennent des proportions incroyables parce qu’ils ne tiennent qu’au regard qu’on leur porte, suspendus en quelque sorte dans le temps intrigant, parfois même insupportable lorsqu’il rime avec ennui, insomnie, angoisse ou souffrance.
L’esprit de la jeune femme se déploie dans ce labyrinthe avec subtilité, curiosité et un vague effroi comme si elle tournait les pages d’un abyme intérieur qui exigerait d’elle qu’elle se sonde, se regarde en face sérieusement.
Mais justement la jeune femme n’est pas sérieuse, elle se préoccupe davantage de la légèreté au sens noble du terme, celui de la liberté.
« Il y avait longtemps que je n’avais pas vécu avec moi-même » se dit-elle. Elle s’épie, « elle est une bête au fond d’elle-même ».
Mais étonnamment, ses notes impromptues ou plus réfléchies restent dominées par un insatiable désir de vivre expressément chaque minute, fût-elle douloureuse.
Elle est un animal à l’affût de n’importe quelle surprise, bonheur, réjouissance des sens.
La fermeté de la voix de la comédienne Christine CULERIER, son énergie et par moments quelques intonations enfantines, donnent la mesure de ce buisson ardent que constitue ce journal de l’écrivaine à 22 ans, un journal susceptible de toucher cette solitude que chacun porte en soi et qui regorge de ressources pour peu qu’on l’apprivoise.
La performance de Christine CULERIER, la mise en scène aérée et sobre conçue par l’interprète et Michelle RUIVO ainsi que l’accompagnement musical de Victor PAIMBLANC qui accentue la dramaturgie de ce huis clos, offrent un prodigieux instant d’intimité, voire d’éternité avec cette grande artiste Françoise SAGAN.
Paris, le 11 Septembre 2018
Evelyne Trân
Amours, et autres catastrophes… Un journal musical interprété par Noémie Bianco et Bertrand Lacy mis en scène par Thibault Jeanmougin au LAVOIR MODERNE PARISIEN – 35 Rue Léon 75018 PARIS – les 7 et 8 septembre 2018 à 20 Heures –
Photo de Didier Pallagès
Textes des chansons : Noémie Bianco, Maryline Bollier, Cécile Delalandre, Olivier Dodane, Sébastien Kaminsky et Bertrand Lacy.
Musiques : Bertrand Lacy
Mise en scène de Thibault Jeanmougin
Incroyable registre que celui de Noémie Bianco capable de pénétrer aussi bien l’univers de Maria Callas que celui d’Agnès de l’Ecole des femmes.
Nous l’avions découverte en Maria Callas, il y a quelques années, totalement bouleversante, avec cet éclat de la voix de l’enfance, cela d’intime au cœur du nid, l’invisible qui ourle l’aura de la diva.
Le journal musical qu’elle vient d’interpréter au Lavoir moderne Parisien avec Bertrand Lacy, nous parle d’une adolescente qui ne s’est pas remise de son histoire d’amour avec un homme marié et peine à trouver son prince charmant.
A vrai dire, il est possible de jeter aux fagots ce vilain homme marié qui ose laisser tomber la jolie brune pour ne s’attacher qu’à la voix de Noémie Bianco, mezzo-soprano, hors de toute souricière, tout amalgame, tout scénario, susceptible juste de faire frémir les arbres, pour rejoindre leur souffle, celui de la poésie plénière. « Un arbre a poussé dans ma tête » avoue-t-elle.
Il y a tant de pétales dans cette voix, velours et cristal confondus, pour réveiller le » A quoi rêvent les jeunes filles » de Musset, qu’elle est à la fois moderne et intemporelle, cette jeune femme en jean et en tunique, à fleur de peau.
Paris, le 10 Septembre 2018
Evelyne Trân
La Liste de Jennifer Tremblay au THEATRE DE L’ESSAION – 6, rue Pierre au lard (à l’angle du 24 rue du Renard) 75004 Paris – Du 27 août au 4 décembre 2018 – Les lundis et mardis à 21h30 –

- Auteur : Jennifer Tremblay
- Mise en scène : Yves Chenevoy
- Avec : Claudie Arif et Julie Quesnay
Vous n’iriez pas frapper à la porte de l’héroïne de la liste, la pièce de Jennifer TREMBLAY une auteure Québécoise, à moins d’être un distributeur de tracts publicitaires ou politiques. La porte de son appartement se confond avec toutes les portes de l’immeuble; les bruits d’assiettes, de casseroles, d’aspirateur qui s’en échappent, vous pourriez aussi bien les entendre à Sarcelles, Ivry que dans la banlieue de Montréal.
Celle qu’on étiquette femme au foyer ou ménagère, croyez vous, n’intéresse que les vendeurs de produits ménagers et elle n’a pas de nom.
Les personnes solitaires qui dans la journée n’ont accès au monde extérieur que par la radio, le téléviseur ou internet, savent que la solitude est une compagne étrange et particulière qui projette toutes sortes de particules invisibles susceptibles sinon de remuer la pensée, la promener, la suspendre, et parfois l’élever. Pendant des années,L’héroïne de la pièce, semble t-il, a laissé faire le silence qui s’est déposé sur chacun des objets de sa cuisine qu’elle connait par cœur.
Aujourd’hui, au moment présent sur la scène, la femme se met à parler. La façon dont elle parle, c’est comme si elle écrivait ses pensées, des pensées qui n’accourent pas, qui ont parfois du mal à suivre ses gestes. Au début le spectateur ne comprend pas ce qu’elle raconte, un peu comme s’il regardait de loin une personne en train de déambuler en zigzag de l’autre côté de la rue. L’irruption d’une autre jolie jeune femme portant en bandoulière un accordéon l’étourdit. Mais oui, c’est la ménagère qui en parlant a provoqué son apparition. Celle qui n’a pas de nom raconte pour elle même et pour qui pourrait l’entendre, le sentiment de culpabilité qui la ronge depuis la mort de sa voisine Caroline. Elle ne l’a pas tuée mais elle s’accuse d’avoir été négligente à son égard, elle, une femme perfectionniste qui dresse tous les jours la liste des choses à faire.
En vérité, cette femme est en train d’accoucher d’un mal, d’une douleur sur lesquels les mots glissent, suffoquent, deviennent objets eux mêmes. Heureusement, la femme a recours à de véritables phrases, celles qui lui rappellent sa voisine : Quel film aller voir ? On s’en crisse pas mal ! Caroline aime la facilité d’avoir des enfants. Le regard léger me manque. J’ai trouvé une débarbouillette dans sa culotte . Le linge sale règne dans le salon de Caroline.
Elle se les répète en boucle ces bouts de pensée, ils deviennent ses postits, ils éclairent finalement le visage de Caroline omniprésente.
La mise en scène aérée et bienveillante d’Yves CHENEVOY offre un joli piédestal à la comédienne Claudie ARIF bouleversante dans ce personnage “sans nom”.
La liste n’est pas un spectacle parmi d’autres, il a cet atout de réunir un metteur en scène de talent, une grande comédienne et une auteure Québécoise contemporaine remarquable, Jennifer Tremblay.
Le 16 Juillet 2015
Mis à jour le 8 Septembre 2018
Evelyne Trân

