TRAHISONS D’HAROLD PINTER au THEATRE DU LUCERNAIRE – 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS – Du 24 Janvier au 18 Mars 2018 – A 19 Heures du Mardi au samedi le Dimanche à 16 Heures –

Avec : Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto, Yannick Laurent

Curieuse partition sur l’amour et ses faux fuyants où le motif du vaudeville, l’inévitable chassé-croisé entre l’amant, le mari, l’épouse, semble se déployer sur les franges au bord même d’un précipice.

Dans Trahisons, il semblerait que l’espace vital des trois personnages, deux amis, l’amant, le mari et l’épouse de ce dernier, dépende de leur libido.

Cette libido décrite comme l’énergie psychique par Freud, est inconsciente, hors la loi, elle n’a d’autre objet que celui de s’exprimer. Il lui faut donc trouver le chemin pour ce faire de façon plus ou moins aveugle.

Dans Trahisons, les conventions, celle du mariage, de la morale etc. clouent au sol les protagonistes. Ils tentent donc de s’en échapper. L’interdit que représentent l’adultère et la trahison d’un ami est une promesse de jouissance, sans doute inconsciente mais réelle.

Car chacun des personnages se ment aussi à lui-même attribuant au mensonge, une liberté sournoise qui leur permet d’éprouver le bien fondé de l’équivoque.

Il est plus question de désir que d’amour chez les personnages. Et dans le filet d’Harold Pinter, c’est le désir narcissique qui joue le rôle de boule de cristal.

Il est vrai que les phalènes de l’amour sont mortes lorsque débute la pièce et qu’Emma raconte à Jerry son ex amant, meilleur ami de son mari, qu’elle a avoué leur relation à ce dernier. Harold PINTER a choisi de dérouler le fil de l’histoire en partant de la fin pour remonter à la source.

L’amour ne se décline pas avec un grand A sauf lors de la déclaration passionnée de Jerry à Emma au fond très banale. Il est plus difficile de comprendre pourquoi Robert, le mari cocu au courant de la trahison ne laissera rien paraitre à son ami Jerry. Mais une réplique de Robert à Emma « Si cela se trouve, je suis plus attaché à Jerry qu’à toi » nous éclaire. Les liens de l’amitié plus forts que ceux de l’amour ?

La pièce est fort bien interprétée par les comédiens qui ont à charge d’exprimer sur le fil les sentiments des personnages toujours retenus par leur bulle de mensonges.

Ici mensonge rime avec songe et quand la bulle éclatera, elle ne fera plus vraiment de bruit. Une sourde mélancolie semble circuler d’un personnage à l’autre. Le plus désabusé d’entre eux est sans doute Robert à la fois trahi par sa femme et son ami.

Faut-il en rire ou en pleurer ? Puisque la roue tourne quoiqu’il arrive, le metteur en scène s’amuse à montrer à vue le changement de décors à chaque scène où le lit persiste à jouer son rôle dominateur et insatiable.

Paris, le 6 Mars 2018

Evelyne Trân

SANG NEGRIER – SEUL EN SCENE D’APRES LAURENT GAUDE avec Bruno Bernardin au Théâtre de la Croisée des Chemins 43, rue Mathurin Régnier 75 PARIS – Mise en scène de Khadija El Mahdi – Du 18 janvier au 19 avril 2018 (relâche le 8 mars) : Jeudi 19h30.

La pièce SANG NEGRIER adaptée de la nouvelle éponyme de Laurent GAUDE et remarquablement mise en scène par Khadija El Mahdi,
a l’impact d’une scène primitive confinée dans l’inconscient collectif qui lorsqu’elle se rappelle à nos bons souvenirs hallucine l’humain civilisé que nous croyons être.

L’histoire se présente comme un fait divers, un événement qui a jeté le trouble dans une ville seulement préoccupée de sa tranquillité.
Le narrateur est un homme ordinaire devenu commandant d’un navire, non pas en raison de ses compétences, mais à la suite du décès de son prédécesseur. Son rôle est d’acheminer des esclaves depuis l’Ile de Gorée vers l’Amérique. Mais lors d’une escale à St MALO pour l’enterrement du capitaine, cinq esclaves s’échappent du bateau négrier. Il s’ensuit une battue dans toute la ville qui aboutira à la mort affreuse de quatre d’entre eux. Le cinquième qui ne sera jamais retrouvé continuera à narguer toute la ville en clouant un à un, ses doigts à la porte des principaux responsables de la mort de ses compagnons.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser que c’est la banalité du mal, ce concept énoncé par d’Hannah ARENDHT qui recouvre l’innommable. Il est donc particulièrement pertinent d’essayer de pénétrer dans la conscience d’un homme ordinaire qui s’engouffre dans une traque meurtrière, sous la pression de la foule et des pouvoirs en place.

L’homme habitué à obéir est incapable de réagir à une situation extraordinaire sauf en répondant à sa première émotion celle de la peur qui agit comme un électrochoc. Imaginez des nègres décrits comme des animaux, dénués d’intelligence qui lèvent le doigt. Un doigt emblème d’une humanité partagée, un doigt qui pourrait être le sien, le nôtre, et peu importe sa couleur, un doigt d’homme, pas une patte.

Le narrateur, petit fonctionnaire de la marine, qui croyait tout maitriser voit son édifice s’écrouler simplement parce que cinq nègres dont il avait la garde se sont échappés. Il ne s’est pas imaginé que ces nègres feraient l’objet d’une battue meurtrière, il l’a vécu. Le décalage entre sa perception routinière et une réalité outrancière va le conduire à la folie.

Le récit circonstancié d’un fait divers – la traque des esclaves, il y a deux siècles était banale – doit sa couleur fantastique à la dimension émotionnelle du récit.

L’égarement du narrateur rappelle celui du Horla de Maupassant. Sans d’autre interlocuteur que lui-même, le négrier voit resurgir la bête tapie au fond de lui. Elle se rappelle à lui, elle avance masquée, elle désigne aussi bien la furie des villageois que le doigt vengeur du nègre, elle écrase le moi minuscule du narrateur.

Dans la mise en scène, les habits blancs du néegrier sont défraichis, flottants, ils sentent l’amertume et la sueur. Sur scène des carcasses de palettes en bois étrangement belles et expressives, arrachées à quelque construction, évoquent le dénuement du négrier, son effondrement mental mais aussi bien. la beauté immanente d’une coque de navire.

Le comédien Bruno Bernardin est absolument saisissant. Nous assistons à une véritable mise à nu d’un homme face à lui-même, face à la mort, face à ses pulsions. Nous l’entendons courir dans les ténèbres, traqué de la même manière que les esclaves.

L’œil qui déshabille ce pauvre négrier est empreint d’humanité, celle que de toute évidence ne recherchaient pas les marchands d’esclaves.

Accompagnée d’excellents partenaires, Etienne Champion (Créateur du masque), Stephano Perroco Di Meduna (Scénographie) et Joëlle Loucif (Costumes), avec pénétration et perspicacité, la metteure en scène Khadija El Mahdi souligne les clairs obscurs de l’inconscience collective. Ne manquez pas ce spectacle !

Paris, le 4 Mars 2018

Evelyne Trân

7éme édition du Festival Zanzan – Cinéma & Arts des différences du 13 au 18 Mars à Rennes –


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PEAU NEUVE – LILI CROS et THIERRY CHAZELLE – AU CINE 13 – 1 Avenue Junot 75018 PARIS – Mise en scène : Fred Radix (Le siffleur) & François Pilon (clown Vulcano) – Genre : Concert – Durée : 1h30 – Représentations : du 10 octobre 2017 au 24 avril 2018, le Mardi à 20 Heures –

Photo D.R.

Lili CROS et Thierry CHAZELLE, tous deux compositeurs et interprètes, forment un couple de saltimbanques hors du commun. Chagall aurait pu les peindre avec leurs guitares et leur mandoline qui n’a qu’un seul défaut, celle de se désaccorder à la chaleur humaine avoue en souriant son instrumentiste.

La piste aux étoiles mise en scène par Fred Radix et François Pilon est souverainement sobre, juste un carré et rond lumineux figurent une marelle enchantée.

La voix de Lili CROS, si claire, si haut perchée agit comme un sortilège, elle ressuscite à chaque chanson, des rêves, des souvenirs, des sensations aux motifs très simples comme ceux de sa jolie robe.

C’est aussi un bonheur de l’écouter en duo avec Thierry CHAZELLE qui module sa propre voix en douceur suggérant le mouvement de branches, surprises par le vent.

Ensemble, ils aiment faire courir leurs sentiments au trot, au galop, en s’amusant de leurs différences.

On sent le comédien chez Thierry CHAZELLE, l’homme des tréteaux, l’homme de cirque, le trublion de la fête foraine.

Nous laissons le soin aux spectateurs de découvrir le répertoire très varié du spectacle PEAU NEUVE, tiré de trois albums, mariant l’humour et la tendresse dans des missives originales, surprenantes. Les titres parlent d’eux-mêmes, notamment I am a Dog, Narcos, Les petits attributs, Client d’Erotika, Mon hit, mon hat, les Petits ça pousse, le rythme est amour, Tout va bien, Le Havre, L’homme de sa vie etc.

Véritables jeux de scène, rock et folk et même hip-hop, les chansons tantôt coquines ou romantiques, apportent un frisson de plaisir, de gaité d’une indéniable fraicheur !

Paris, le 1er Mars 2018

Evelyne Trân