L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine de Ruwen OGIEN – Au Théâtre De La Reine Blanche – 2 Bis Passage Ruelle, 75018 Paris – Du ven. 30 mars 2018 à 14:30 au dim. 22 avr. 2018 à 15:30 –

Durée: 1h25

Distribution :

De Ruwen Ogien

Éditions Grasset

Adaptation : Hervé Dubourjal

La Compagnie Tabard-Sellers

Mise en scène : Éric Bu Hervé Dubourjal
Scénographie : Jean-Marc Toussaint
Avec : Jean-Louis Cassarino, Hervé Dubourjal

Hallucinant, ce philosophe Ruwen OGIEN qui étourdit nos sens moraux les plus inconscients !

A partir de situations quasiment absurdes dans la mesure où nous avons peu de chance d’y être confrontés, le philosophe réussit à troubler notre bonne conscience.

Choisir ou ne pas choisir ? Répondre ou ne pas répondre ? Notre relation à l’autre, c’est-à-dire à l’espèce humaine dont nous faisons partie, implique quelques principes moraux. Sur quelle base reposent-ils ? Quel est leur impact dans la vie courante, et lorsque ceux-ci interviennent de façon manifeste dans nos choix mettent-ils en danger l’image nécessairement passe-partout que nous donnons de nous-mêmes ?

Un principe moral est-il seulement culturel ou se niche-t-il plus profondément dans notre perception individuelle de l’environnement sociétal et affectif ?

Voici un exemple de situation : Un train fou menace d’écraser 5 personnes sur la voie. Vous observez l’évènement du haut d’un pont et savez qu’il n’y a pas d’autre solution pour arrêter le train que de jeter sur les rails un énorme objet. Un gros homme est avec vous sur le pont, allez-vous le balancer par-dessus bord pour sauver les 5 personnes et se faisant commettre un meurtre ?

Si vous n’avez aucun lien avec ces individus, il est probable que vous ne ferez rien. Mais le principe « Tu ne tueras point » qui est sous-entendu et non énoncé, faillit dès lors que le gros homme est décrit comme malade, dépressif etc. Certains parmi le public pensent qu’il peut être sacrifié pour sauver les 5 autres personnes.

Réponse mathématique : une vie vaut une vie. Donc de ce point de vue, le chiffre 5 impose sa loi. C’est évidemment discutable. Imaginons une société régie par un mathématicien qui pour le bien-être de la société envisagerait de soustraire tous ceux qui sont handicapés, parce qu’ils font partie de la minorité ?

De la même façon qu’un bétail entier est supprimé pour cause de maladie, pourquoi ne pas envisager de tuer tous les porteurs d’une maladie infectieuse qui menace la société.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Ruwin OGIEN ne donne pas les réponses, tout simplement parce qu’elles ne vont pas de soi. De plus, s’agissant de notre perception morale et affective, elles peuvent fort bien évoluer au cours de la vie.

A partir de quelques situations invraisemblables mais non dénuées de sens, voire de direction, tirées du livre « L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine » Hervé Dubourjal et Jean-Louis Cassarino, ouvrent un vaste champ de fouille. Lorsqu’il s’agit de bécher à l’intérieur de la bonne conscience, mieux vaut enduire les instruments d’une belle huile, celle de la bonne humeur, de la jovialité.

Impossible de sortir indemnes de ce joyeux labourage qui laisse filer quelques vers sans autres principes moraux qu’alimentaires.

Faut-il se méfier de l’odeur des croissants chauds, susceptible de contrarier nos principes ? Quant à l’influence de la lune, des réseaux sociaux, des insomnies, des problèmes de couple, de la publicité, n’en parlons pas. Sollicité de toutes parts, l’individu n’aurait d’autre issue que le « sauve qui peut » en dévorant allègrement un croissant.

Qui est heureux peut rendre heureux. Cet aphorisme vaut bien une farce philosophique.

Ce spectacle interactif, servi par deux trublions en verve, répond à l’appel de l’odeur des croissants chauds, il est alléchant !

Paris, le 31 Mars 2018

Evelyne Trân

LA BOURRASQUE DE NATHALIE BECUE – MISE EN SCENE DE FELIX PRADER AU THEATRE DE LA TEMPETE à la Cartoucherie de Vincennes – Route du champ de manoeuvre 75012 PARIS – du 16 Mars au 15 Avril 2018 – Salle Copi • Durée : 1h40 – du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30 –

avec
Nathalie Bécue Alice Burke
Pierre-Alain Chapuis Daniel Burke
Théo Chedeville Michaël Dara
Philippe Smith John
scénographie et costumes Cécilia Galli
son Estelle Lembert
lumières Thibault Gaigneux
collaboration artistique Aurélia Guillet
direction des combats François Rostain


Il lui fallait un texte à sa hauteur, un texte qui l’habite, Nathalie BECUE. Elle l’a trouvé en infusant l’œuvre du poète et dramaturge irlandais John Millington SYNGE (1871-1909). Un conte a inspiré sa pièce » Bourrasque » « In shadow of the glen », l’ombre de la vallée.

Elle met en scène une espèce de culs-terreux, une femme et son mari, un berger qui vivent dans un trou perdu.

Lorsque la pièce commence, la femme vient de découvrir son époux mort sur sa chaise. Elle a du mal à réaliser l’événement, elle continue à lui parler et puis rapidement reprend son esprit. La mort en Irlande, encore dans les campagnes, donne lieu à des festivités qui débutent par la veillée funèbre et dure plusieurs jours.

Au moment où elle se dit qu’elle doit prévenir le village et surtout la sœur du mort, survient en pleine bourrasque un étranger qui lui demande l’asile pour la nuit. Elle accepte puis laisse l’étranger seul avec le mort. Ce dernier se réveille…

L’aspect fantastique de l’histoire est parfaitement intériorisé dans la pièce. Il intervient comme une petite lumière, une sorte d’électrochoc des consciences, mais il colle tout à fait à la réalité rude des personnages.

Chez « Ces gens-là » comme dans la chanson de Jacques BREL, on ne se parle pas, on se cuite au whisky. C’est normal, Madame BURKE rêve d’une autre vie, elle n’a peur de rien mais tout de même…

Il faut la faire décoller du sol cette colère intérieure, ce désespoir qui habitent les personnages qui semblent happés par le vide de leur existence.

Madame BURKE est amenée à brailler pour s’entendre et Monsieur BURKE à sortir de ses gonds pour la faire taire. L’étranger, poète sans ressources, finit par offrir sa petite bulle d’air à la femme affamée de liberté. Un autre personnage, un berger incompétent, prend conscience que sa solitude lui pèse et accepte l’aide de Monsieur BURKE.

Si l’issue est positive, elle aura tout de même demandé l’apport d’une belle bourrasque pour faire sortir de leur terrier le couple de paysans.

Elle semble jaillir de la terre même, la langue de Nathalie BECUE, sensuelle et poétique, parfois même explosive.

La bourrasque était déjà dans les cœurs nous suggère l’auteure, elle transfigure les interprètes qui incarnent de pauvres bougres les pieds sur terre et à l’ouest dans ce spectacle, mis en scène sans artifice, par Félix PRADER et pourtant jubilatoire.

Paris, le 29 Mars 2018

Evelyne Trân

UNE ACTRICE DE PHILIPPE MINYANA – MISE EN SCÈNE PIERRE NOTTE – Avec JUDITH MAGRE au THEATRE POCHE MONTPARNASSE – 75 Bd du Montparnasse 75014 PARIS – Du 20 Mars au 20 Mai 2018 à 21 Heures – Le dimanche à 15 Heures –

Judith MAGRE
Pierre NOTTE
Marie NOTTE
Lumières Éric SCHOENZETTER

Judith MAGRE a le chic pour raconter des histoires surréalistes sans faiblir. Elle est surréaliste par nature. En la regardant, on imagine à la fois la fleur et l’abeille. D’ailleurs, elle envoie bouler l’écrivain irréaliste qui la bombarde de questions en lui conseillant de s’intéresser plutôt aux abeilles en voie de disparition.

En piste pour un étrange monologue imaginé par Philippe MINYANA, elle donne l’impression d’être plusieurs, à la fois la vigne vierge et le lézard qui s’y faufile et pointe son museau pour illustrer une histoire de vie, celle d’Anne-Laure tombée, un jour, amoureuse d’un dos.

Applaudie par l’écrivain irréaliste interprété par Pierre NOTTE, la voilà dans la situation de l’actrice célébrée qui se laisse attaquer par le paparazzi.

Cela dit confondu par la résistance de l’actrice, l’écrivain devient pianiste et allège l’atmosphère par quelques balades interprétées suavement par la chanteuse Marie NOTTE.

Le fard du projecteur ne surprend pas Judith, elle y est habituée. Les questions ont beau tourbillonner, elle va à l’essentiel juste à la crête de quelques émotions pour raconter ses rencontres avec Jean Genet, Simone de Beauvoir, Sartre, Giacometti et le mystérieux homme de dos. Son regard perce l’inconnu toujours au détour d’une anecdote.

Comment devient-on une actrice ? Si Judith MAGRE ne répond pas à cette question, c’est qu’elle est dotée de beaucoup de bon sens et qu’évidemment, elle a du métier. Faut l’écouter lorsqu’elle dit qu’elle ne joue pas des personnages mais qu’elle interprète avant tout des textes.

C’est évident Judith MAGRE aime jouer, se trouver au bord d’une scène. Parce que le projecteur joue le rôle du soleil, elle y mène sa barque comme une étoile mystérieuse.

Et nous l’aimons pour ça, d’être naturellement si onglée, d’arpenter les rives du rêve, riche de l’illusion qu’elle partage avec le public, riche et humble à la fois !

Paris, le 29 Mars 2018

Evelyne Trân

« MONSIEUR » Un spectacle du Théâtre de la Communauté de Seraing (Belgique) – Spectacle visuel dès 7 ans – Ecriture scénique et mise en scène par Claire Vienne- Jeu : Luc Brumagne au Centre Wallonie Bruxelles – 46, rue Quincampoix 75004 PARIS – le 26 Mars 2018 à 14 H 30 et à 20 H – puis à Avignon Festival OFF – La Factory, Salle Tomasi – 4, rue Bertrand 84000 Avignon – du 6 au 29 juillet 2018 à 13H10 –

Ecriture et mise en scène
Claire Vienne
Jeu
Luc Brumagne
Scénographie
Daniel Lesage
Régie
Loïc Blanc
Maryse Antoine
Construction des décors
Maryse Antoine
Adnan Insel
Chloé Verbaert

C’est son histoire à Monsieur, ses instants de grâce, sa vie comme un ballon fragile qui ne tient qu’à un fil, celui de la rêverie.

Ce Monsieur-là est pauvre certainement, à nos yeux sans doute parce que nous ne disposons pas de baguette magique. Lui, il l’a comme la petite fille aux allumettes d’Andersen. Il sait faire craquer les choses, les plus cabossées, les plus usées, leur donner vie en les couvant d’un regard tendre.

Il se raconte, musicien dans un coin d’ombre, son instrument c’est comme un chien, ou encore en train de faire sa toilette en se regardant dans le miroir d’une vieille boite de pharmacie. Sa marotte c’est de jouer avec les tiroirs où il cache et retrouve ses objets fétiches.

Il se raconte en train de courir après le temps. Le temps c’est un personnage à lui seul, par seulement le coucou de l’horloge, le temps avec ses faces riantes et esseulées, c’est un drôle de furet sauvage, le temps, ça s’apprivoise.

Monsieur est un grand peintre qui aime les couleurs vives et assoupies, il anime l’espace au gré de son imagination, de ses habitudes, les choses lui parlent, il leur parle, voilà son histoire.

Monsieur est seul, et alors ? La solitude est sortilège parfois, elle permet de planter son drapeau, de devenir une antenne pour toutes sortes d’yeux rieurs invisibles.

Monsieur est un grand diable aussi. Il a ses humeurs, ses secrets. Nous avions déjà dit qu’il était magicien. Le clou du spectacle c’est l’apparition d’une créature exubérante, monumentale qui chante comme Dalida.

Monsieur, parait-il, était S.D.F, il s’appelait Marcel Creton. Il voulait faire du théâtre, et le Théâtre de la Communauté de Seraing lui a permis de monter son spectacle sans un mot parce qu’il n’avait pas beaucoup de mémoire. A sa mort en 2015, le spectacle a repris avec un étincelant interprète Luc BRUMAGNE.

Pari réussi pour Marcel, comme un ballon qui court dans le ciel, son histoire voyage avec ce frisson de liberté insatiable, si juste, si pur, juste un instant de grâce !

Paris, le 28 Mars 2018

Evelyne Trân

L’ESPRIT-MATIERE – UNE PIECE D’ANDRE DALEUX ET JEAN QUERCY d’après l’oeuvre de Pierre Teilhard de Chardin et Là Haut dans le Nord de Joseph Boyden – Au Théâtre de NESLE – 8, rue de Nesle 75006 PARIS – Tous les mardis à 19h00, à partir du 7 février et jusqu’au 10 Avril 2018 – Dernières dates les mardis 3 et 10 avril 2018 à 19 h –

Mise en scène : Jean Quercy
Avec : Brigitte Damiens, Eric Auvray, Carlos Bernardo (musique)
Compagnie : Théâtre Averse

Les auteurs de la pièce « L’esprit matière », se réfèrent à la pensée de Teilhard de Chardin « où foi et physique quantique se répondent » à la vision animiste des indiens.

Cela dit leur exploration entend interpeller les scientifiques athées et bien au-delà les personnes qui ne sont ni croyantes ni scientifiques.

Le débat se trouve donc essentiellement philosophique.L’imminence de la mort éprouve les certitudes d’un scientifique au chevet duquel se penche une doctoresse soucieuse de partager ses connaissances de la pensée de Teilhard de Chardin. En retour l’homme lui fait part de sa rencontre avec des animistes indiens du Canada.

Jésuite de formation, reconnu mondialement comme paléontologue, Teilhard de Chardin se heurta inexorablement à la censure de la Compagnie de Jésus. A propos de son ouvrage « La place de l’homme dans la nature » Teilhard de Chardin écrivait « Je ne puis voir où la censure trouvera à mettre les dents sinon dans le fait que la perspective est tout illuminée et imprégnée de cette « foi en l’homme » dont on se méfie tant ».

L’une des pensées phare de Teilhard de Chardin c’est que la matière et l’esprit ne sont pas séparés. Il s’agit d’une intuition qui recouvre toute son œuvre et entend d’une certaine façon témoigner de la place de l’homme dans l’univers, N’y aurait-il pas une correspondance entre l’évolution de l’homme et celle du cosmos ?

Certaines questions, certaines expériences émotionnelles, celles des animistes notamment échappent aux dogmes, pour reprendre le cours de la conversation humaine

A travers la projection d’un dialogue entre un scientifique athée et un disciple de Teilhard de Chardin, les auteurs évitent l’écueil du prosélytisme religieux. Cela dit, ils ont besoin de faire intervenir l’émotion, gage de trouble, la fin de vie d’un homme.

Le caractère intime de la pièce interprétée par d’excellents comédiens, permet de sensibiliser le public profane ou non à la pensée de Teilhard de Chardin.

Comment s’est élaboré le concept d’esprit-matière de Teilhard Chardin ? Comment un scientifique peut-il être touché par la culture animiste des amérindiens ?

Les philosophes, les chercheurs empruntent-ils des chemins hors du commun, éloignées de sens commun ?

Le sort de l’humanité, dépendrait-il de la façon dont les hommes se projettent dans l’avenir ?

Chez Teilhard, il y a l’idée du mouvement de l’esprit humain donc de son évolution, cela reste donc un défi par rapport aux dictatures des dogmes qu’ils soient religieux ou scientifiques. L’espérance de vie reste inaliénable !

Paris, le 27 Mars 2018

Evelyne Trân

LE SOLILOQUE DE GRIMM de Bruno GEORGE avec Fred SAUREL – au LAVOIR MODERNE PARISEN- 35 Rue Léon 75018 PARIS – Les Mardis 20 et 27 Mars 2018, 3 et 10 Avril 2018 à 20 H 30 –

Auteur : Bruno George

Mise en scène : Jean-Philippe Azéma

Distribution: Fred Saurel

Il se cache à lui-même sa face d’homme, il a perdu les traces de lui-même, ensevelies par la misère et le temps inexorable qu’il a passé à tricher ou plutôt à jongler avec ses rêves et la sordide réalité.

Sa véritable compagne est la solitude, cynique, terrible. Monsieur Fred Loisel, sdf de son état, abuse d’elle de façon insensée à coups de rasades de vinasse.

Comment sauterait-elle sur ses genoux la réalité, n’est-elle point juste un cliché aux abois, un frottement sur la partition des mimiques de Monsieur et Madame bien élevés, têtes baissées sur leurs portables dans le métro.

Clodo plus vrai que nature, cherchez l’erreur ! Monsieur Fred est une devinette à lui tout seul comme dans ses images d’Epinal qui fourmillent de détails recouvrant la silhouette d’un personnage.

Pas d’attaché de presse pour un clodo ! Je me souviens d’en avoir vu un reculer de frayeur en voyant arriver dans un cocktail un supposé clodo. Le clodo en question avait la besace pleine de poèmes !

« Il ne joue plus la coquette », il est vrai, Fred depuis 3 ans, convaincu qu’il joue son dernier rôle de philosophe alcoolique, de Diogène impénitent !

Il s’est recréé un univers au milieu d’un dépotoir (la mise en scène de Jean-Philippe AZEMA est très éloquente). C’est incroyable comment dans sa cour de miracles, un vieux sac de supermarché peut exprimer à sa façon le désespoir. Rions donc de le fixer tel qu’il est usagé avec ses couleurs flétries.

Ah la belle enseigne ! Ah le beau papier journal qui une fois lu sert de papier toilettes !

Fred fait figure comme le sac de supermarché d’homme usagé, un homme qui a roulé sa bosse mais celle- ci a tellement grossi qu’elle lui fait un peu d’ombre, voilà tout. Nous spectateurs, nous croyons qu’elle va nous empêcher de le regarder ce gueux, crasseux, puant, dégoûtant ! Et pourtant l’innocence est là qui gravite autour du bonhomme, elle a le regard d’une femme qu’il a aimée qu’il aime toujours.

Tendresse ! Au bout du rouleau, l’homme devient un Prince, un heureux magicien, trompe-la-mort.

Une leçon de vie, une leçon de choses délivrées par le dramaturge Bruno GEORGE et son interprète formidable Fred SAUREL qui incarne à discrétion, une idée de l’homme et ses ailleurs, bien au-delà des apparences !

Paris, le 27 Janvier 2018

Mis à jour le 26 Mars 2018

Evelyne Trân

RECONSTITUTION – Texte et mise en scène Pascal Rambert – Avec Véro Dahuron et Guy Delamotte – Création au PANTA THEATRE 24 Rue de Bretagne 14000 CAEN – lun. 19 au vend. 23 mars – Reprise au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes – Route du champ de manœuvre PARIS – Du mercredi 9 au mercredi 23 mai 2018 –

VERO DAHURON ET GUY DELAMOTTE.
Caen.
03 07 2017
©Tristan Jeanne-Valès

Photo Tristan Jeanne-Valès

Mise en scène/scénographie/lumières Pascal RAMBERT
Avec Véro DAHURON Guy DELAMOTTE
Régie lumière Fabrice FONTAL Régie générale / plateau Valentin PASQUET
Production Le Panta-théâtre / Coproduction structure production

L’idée est dangereuse, celle de vouloir revivre une émotion de jeunesse, une histoire d’amour révolue mais qui a pu marquer au fer rouge toute une existence.

Jouer avec le feu, celui des émotions les plus intimes, c’est la proposition de Pascal RAMBERT à travers cette pièce Reconstitution, dédiée à ses deux interprètes Véro DAHURON et Guy DELAMOTTE.

L’amour parle toujours d’éternité, et ce faisant fait de la mort le point de rupture irrévocable.

Véronique et Guy ont vécu un coup de foudre. Ils se sont brûlés par amour. Mais la vie joue des tours, ils se sont séparés. Une trentaine d’années plus tard, Véronique invite Guy à rejouer l’événement de leur rencontre fusionnelle.

Véronique donne l’impression de labourer dans la chair de Guy lequel se laisse faire démuni face à la violence de Véronique, son désespoir, ses ressentiments.

L’espace de leurs retrouvailles est assez terrible. C’est un grand gymnase, un lieu extérieur, sans d’autres repères que des tables, des piles de cartons. Difficile de se raccrocher au vide, Véronique le sait qui a tout prévu, qui dirige les gestes de Guy, l’entraine vers elle, planifie leur distance.

La distance avec l’homme qu’elle a aimé, Véronique l’a intériorisée au point de pouvoir s’en servir comme d’un tapis roulant qui va la livrer tout entière à sa douleur.

Véronique voudrait faire l’histoire du corps de Guy, elle voudrait continuer à le posséder alors que ni lui ni elle ne se
possèdent eux-mêmes.

Reste juste cette potentialité de revivre un moment du passé, ce qui est absurde en soi mais génère déjà un peu de vie, fait appel à l’imagination.

C’est un texte de chair que nous livre Pascal RAMBERT à travers la révolte de Véronique.

Un texte qui fait mal qui est cru mais parce qu’il force cette chair de femme et d’homme à parler, nous émeut, nous bouleverse.

Comme Mallarmé, nous n’avons pas envie de dire « La chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres ».

La chair ne ment jamais, elle qui fait écho à toutes nos émotions. Percutée par l’amour, elle irradie.

Paris, le 25 Mars 2018

Evelyne Trân

L’ETRANGER d’Albert CAMUS avec Nordine MAROUF au THEATRE DES DECHARGEURS – 3, rue des Déchargeurs 75001 PARIS – Du 2 Mars au 28 Avril 2018 , les vendredis et samedis à 19 H 30 –

Photo Patrice Campion

L’étranger d’Albert Camus fait partie de ces livres qui peuvent se relire facilement. Les mots y coulent doucement, délivrés par la voix intérieure d’un homme plutôt calme et posé. C’est un homme solitaire qui n’élève pas la voix et dont la vie banale ne présage aucune surprise.

La solitude, grain de sable de tout individu, va devenir aux dépens du narrateur, ce qui va l’éjecter du monde des vivants. Il y a toujours ce qui vous sépare des autres mais auquel on ne pense pas. Cela peut se traduire par un éblouissement, un vertige, une absence, c’est ce qui arrive à M.Meursault qui devient meurtrier par mégarde.

Ses juges ne lui pardonnent pas de ne pas jouer le jeu pendant sa défense, de rester juste l’homme qu’il est, sans émotions particulières. Le fait qu’il n’ait versé aucune larme lors de l’enterrement de sa mère devient une preuve de son insensibilité et donc de sa cruauté.

A travers le portrait de cet homme, Camus s’insurge contre le poids des conventions qui étouffent la liberté. Meursault n’a pas de sens moral, les notions de bien ou de mal ne le tourmentent pas. Il n’est pas insensible pour autant, sa conscience reste un lieu d’accueil de toutes sortes de sensations mais il ne les rattache à aucune valeur sociétale.

Cet homme sera condamné non pas pour son geste meurtrier, mais pour son absence d’étiquette qui le rend indéchiffrable aux yeux de tous, tel un étranger.

Dans la langue de cet étranger, il y a le roulis des mots, étranges motifs de contemplation qui tels des aiguilles d’une montre dans l’obscurité, relaient les mouvements intérieurs du narrateur.

Les mots, cette obscure matière qui résonne. L’interprète, Nordine MAROUF les incorpore, les transporte dans l’ailleurs d’une petite salle intime pour faire chanter, juste le temps d’un éblouissement, le grain de sable de l’étranger.

Paris, le 25 Mars 2018

Evelyne Trân

ADIEU MONSIEUR HAFFMANN – UNE PIECE DE JEAN PHILIPPE DAGUERRE AU PETIT MONTPARNASSE – 31 RUE DE LA GAITE 75014 PARIS – A partir du 13 Janvier 2018 – Soirées Mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi : 21h Matinée Dimanche : 15h

Avec en alternance: Grégori BAQUET ou Charles LELAURE, Alexandre BONSTEIN, Julie CAVANNA, Franck DESMEDT ou Jean-Philippe DAGUERRE, Charlotte MATZNEFF ou Salomé VILLIERS

Texte et mise en scène: Jean-Philippe DAGUERRE
Décor: Caroline MEXME
Musique / assistanat à la mise en scène: Hervé HAINE
Lumières : Aurélien AMSELLEM
Costumes: Virginie H
Collaboration artistique: Laurence POLLET-VILL

Nous connaissons Jean-Philippe DAGUERRE pour ses mises en scène très vives des classiques de Molière, notamment. Dans un registre contemporain, une pièce qui aborde un sujet délicat, l’occupation de la France par les Allemands, lors de la 2ème guerre mondiale, il s’avère également très inspiré.

Les personnes qui ont vécu l’occupation représentent
aujourd’hui nos parents ou aïeux les plus proches, ils étaient enfants ou adolescents. C’est dire si le sujet est encore brûlant, épidermique.

Le port de l’étoile jaune obligatoire pour les juifs n’a guère rencontré de résistance dans la population. Du jour en lendemain, des personnes ont fait l’objet d’une traque par les nazis mais également ont été dénoncées par leurs voisins.

Dans la pièce, les intérêts du bijoutier Juif, de son ex employé collaborateur et du nazi amateur de tableaux sont étroitement liés.

Cela pourrait constituer un sinistre jeu de société, une partie à trois où chacun a sa carte à jouer ce que nous dévoilera la pièce.

Monsieur HAFFMANN demande à son employé de le cacher. En échange ce dernier peut profiter de la notoriété de sa bijouterie qui sera désormais à son nom. Ce n’est pas assez pour son ex employé qui n’ignore pas les risques encourus par un cacheur de juifs. Ce qu’il va exiger de M.HAFFMANN est plutôt extraordinaire, il demande à ce juif de faire un enfant à sa femme.

Voilà bout à bout deux situations extrêmes où la vie ne tient qu’à un fil, Joseph HAFFMANN doit se cacher pour survivre, son ex employé Pierre VIGNEAU a la hantise d’être privé de postérité à cause de sa stérilité.

Dans le pot commun, la carte du pragmatisme est lancée. Il suffirait d’aller jusqu’au bout de ses objectifs tout en sachant que la mort rôde en la personne du nazi.

Chacun a annoncé sa couleur et ne croit défendre que ses intérêts propres en composant, en faisant profil bas. Mais évidemment, il arrive un moment où il faut abattre ses cartes faute de quoi la partie s’arrête, pour rien.

Chacun joue sa vie et ce n’est pas tant la peur de la mort qui motive les protagonistes mais plutôt un instinct de conservation pour l’enfant à venir. La carte de la générosité que ne tend pas l’ex employé à son ex patron, effectivement n’est pas jouable mais celle de la solidarité le devient.

Quant à la femme porteuse de vie, elle sait que l’enfant à venir trace une ligne d’horizon hors frontières, le vent est de son côté.

En un mot la pièce fait réfléchir sous haute tension.
Il s’agit d’une course contre la mort. Tous les ressorts intimes des protagonistes sont touchés.

Comment nous empêcher de penser que nous pourrions occuper une de leurs places, lorsque nous les voyons tous assis à la même table, le juif, l’employé collaborateur et sa femme enceinte, le nazi et son épouse. Cynique situation !

Servie par d’excellents interprètes, Adieu Monsieur HAFFMANN, illustre avec intelligence, un épisode terrifiant de notre histoire à travers des personnages qui ne sont pas des héros, juste des humains qui définissent leurs propres cartes suivant qu’ils sont animés par la peur, le courage, l’amour ou la haine.

La pièce tient en haleine jusqu’au bout le public. Elle vaut acte de résistance contre l’oubli, l’indifférence, la peur qu’utilisent toutes les dictatures. Elle va droit au cœur !

Paris, le 23 Mars 2018

Evelyne Trân

L’AFFAIRE COURTELINE – SEPT PIECES COURTES DE GEORGES COURTELINE – MISE EN SCENE DE BERTRAND MOUNIER AU THEATRE DU LUCERNAIRE – 53 Rue Notre-Dame des Champs 75006 PARIS du 21 MARS au 6 MAI 2018 – DU MARDI AU SAMEDI à 19 HEURES, LE DIMANCHE A 16 HEURES –

AVEC
I SABELLE DE BOTTON (GABRIELLE, MME PROUTE, EPONINE, DÉSIRÉE CHAMPIGNON, MME POIVERT )
SALOMÉ VILLIERS O U RAPHAËLLE LEMANN ( C A ROLINE, CHICHINETTE , E L LE, HORTENSE BÉZUCHE)
ÉTIENNE LAUNAY (CHAMPIGNON, M. BADIN)
PIERRE HÉLIE ( LUI, BÉZUCHE)
PHILIPPE PERRUSSEL ( M . P ROUTE , LE DIRECTE U R , LE PRÉSIDENT )
BERTRAND MOUNIER O U FRANÇOIS NAMBOT (SIGISMOND, CANUCHE)
COLLABORATION ARTISTIQUE : FRANÇOIS NAMBOT
SCÉNOGRAPHIE : VIRGINIE H. ET BERTRAND MOUNIER
COSTUMES : VIRG I N I E H .

CRÉATION MUSICALE : KAHINA OUAL I
PRODUCTION : COQ HÉRON PRODUCTIONS
COPRODUCTION : LA BOÎTE AUX LETTRES
CORÉAL I SATION : THÉÂTRE LUCERNAIRE, LIEU PARTENAIRE DE LA SAISON ÉGALITÉ 3 I N I T I É E PAR HF ÎLE-DE-FRANCE

Cela démarre sur les chapeaux de roue, avec une chanson gaillarde d’Albert PREJEAN « Amusez-vous, foutez vous d’tout » chantée à tue-tête par de curieuses créatures. Elles semblent s’être échappées d’un cabinet de curiosités, aussi vives que des gros rats, attirés par quelque odeur.

Celle de Courteline évidemment qui sent un peu le soufre. Courteline a l’humeur chagrine, il est du style à traiter de sales bêtes les personnes qui l’incommodent, à mi-voix, sans doute. Mais lorsque sa plume se déchaine, elle déplume.

Un, deux, trois mouvements, Courteline guette les créatures, l’œil vissé à d’imposantes jumelles qui détaillent leurs gesticulations grossières.

Drôle de poulailler où les poules et les coqs se courtisent, se chamaillent, à coups de becs, d’exclamations fumeuses.

Fonctionnaire de son état, Courteline a eu le temps de consigner les excès de la nature humaine, ordinairement retranchée derrière les formules de politesse, le paravent de la bienséance.

Sept saynètes figurent au procès de l’affaire Courteline, de véritables pièces à conviction qui se moquent allègrement des institutions, le mariage, l’entreprise, la justice. L’une d’elle qui illustre l’entretien d’un patron avec son employé est particulièrement tordante.

Colère comique à la Louis de Funès, nous n’en sommes pas loin. Impressionné par la résonance actuelle de ces saynètes, le metteur en scène envoie au charbon une belle brochette de comédiens manifestement heureux de pouvoir mettre le pied dans la soupière de Courteline, piquante, euphorisante à souhait !

Justes ourlées de quelques chansons, de citations étonnantes telles que « Qui commence par conter des blagues finit souvent par mentir. Ce petit œuf n’a l’air de rien : il contient pourtant en germe l’Affaire Dreyfus tout entière », les pièces s’enchainent à toute allure. Les rares meubles Louis XV qui bornent leur parcours doivent bien rire sous cape.

Ces petites bulles d’oxygène qui électrisent l’atmosphère sont décidément bienvenues. Le prévenu Courteline répond toujours présent ! « Poète tragique du rire » disait de lui, Octave Mirbeau.

Courteline parle à la jeunesse ! C’est assurément à un jeune metteur en scène talentueux Bertrand Mounier, que nous devons ce spectacle enlevé et savoureux !

Paris, le 23 Mars 2018

Evelyne Trân