POUR L’AMOUR DE SIMONE – Textes de Simone de Beauvoir et ses amants – MIse en scène et scénographie de Anne Marie PHILIPE au THEATRE DU LUCERNAIRE – 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS – Du mar. 05/09/17 au dim. 15/10/17 à 18 H 30 du MARDI AU SAMEDI – DIMANCHE A 15 H –

AVEC

CAMILLE LOCKHART ( L A S I M O N E D E J ACQUES-LAURENT BOST)

AURÉLIE NOBLESSE (LA SIMONE DE NELSON ALGREN)

ANNE-MARIE PHILIPE (LA SIMONE DE JEAN-PAUL SARTRE)

ALEXANDRE LAVAL ( J ACQUES-LAURENT BOST, J E A N – PAUL SARTRE, NELSON ALGREN)

BANDE SON : CLÉMENT GARCIN
LUMIÈRE : FOUAD SOUAKER

Etre une femme et aimer. Ce fut la grande aventure de Simone. Il n’est pas évident d’imaginer que l’auteure du deuxième sexe ait pu être une femme sentimentale en proie aux mêmes jouissances et tourmentes amoureuses que le commun des mortels.

Les correspondances avec deux de ses amants, Jacques-Laurent BOST, Nelson ALGREN et Jean-Paul SARTRE possèdent cette vertu d’être inaltérables, par leur simplicité même, comme si débarrassée de tout souci de vitrine intellectuelle, Simone en écrivant à ses amants accédait à l’émotion pure, son jardin intime, d’autant plus sauvegardé qu’il était un gage de son pacte passé avec Jean-Paul SARTRE, vivre librement leurs amours contingentes en restant un couple uni.

Il faut croire que la passion s’exalte dès lors que se profile à l’horizon un interdit. Simone qui jure son amour aux différents amants qui ont occupé son cœur à travers des lettres enflammées, s’interdit toujours de « laisser tomber » Jean-Paul Sartre. Ce faisant, elle n’était pas seulement fidèle à Jean-Paul, elle était fidèle à elle-même puisqu‘un véritable cordon les liait, un cordon vital. La vie amoureuse de Simone c’était donc Jean-Paul et les autres.

Simone avait t- elle toujours dans son miroir l’œil de Jean-Paul. Ses passions ne les aurait-elle pas cultivées à escient pour renvoyer à Jean-Paul l’image d’une femme pleine de vie, libre et passionnée ? A-t-elle connu la dépression, le doute ? Voulait-elle fortifier pour elle-même le sentiment de sa propre liberté qui puisse aller de pair avec celle de Jean-Paul ?

Le chassé-croisé des correspondances à travers l’excellent montage d’Anne-Marie PHILIPE permet de prendre la mesure de l’effervescence amoureuse qui soutenait le couple de Simone et Jean-Paul. Chacun se racontait ses amours, ses liaisons dangereuses.

Les amants de Simone font partie de l’essaim d’abeilles autour de la ruche du couple. Cette sensation d’essaim qui tournoie pour parler d’amour, est fort bien exprimée par la mise en espace fluide des trois comédiennes qui interprètent Simone et le comédien qui joue seul les amants et Jean-Paul en variant les accessoires, pipe, lunettes, chemise à carreaux.

D’une certaine façon, la correspondance amoureuse de Simone de BEAUVOIR nous éclaire sur son œuvre et ses combats existentiels, puisqu’elle témoigne de la même ardeur, la même passion.

Le spectacle très émouvant constitue un bel hommage à Simone de BEAUVOIR qui au-delà de sa façade de grande intellectuelle, avait aussi un cœur naïf et sentimental, vulnérable !

Paris, le 9 Septembre 2017

Evelyne Trân

L’AMANTE ANGLAISE DE MARGUERITE DURAS AU THEATRE DU LUCERNAIRE – 53, rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS Du 06/09/17 au 12/11/17 –

AVEC

JUDITH MAGRE (CLAIRE LANNES)

JACQUES FRANTZ (PIERRE LANNES)

JEAN-CLAUDE LEGUAY (L’INTERROGATEUR)

ASSISTANT MISE EN SCÈNE : THOMAS POITEVIN

LUMIÈRES : JACQUES ROUVEYROLLIS, ASSISTÉ DE JESSICA DUCLOS

COSTUMES : VICTORIA VIGNAUX

PRODUCTION : ID PRODUCTION ET LE THÉÂTRE DANS LE PRÉ – CIE

 

D’un fait divers criminel particulièrement atroce et rare datant de 1949, l’histoire d’une femme qui dépèce son mari et se trouve incapable d’expliquer son geste, Marguerite DURAS a fait un roman puis tiré une pièce, l’Amante anglaise.

Dans cette pièce, elle met en scène trois personnages, l’héroïne Claire Lannes, le mari, Pierre Lannes, et un curieux inquisiteur qui pose des questions.

Sous les décombres du fait divers – car il y a tout ce qui se dissimule derrière l’énoncé d’un fait – nous assistons au pataugeage des protagonistes comme si le crime en question n’était que l’arbre qui cache la forêt.

Les personnages interrogés chacun séparément, tout d’abord Pierre Lannes, ensuite la meurtrière ne semblent en aucune façon regretter la mort de la cousine sourde muette qui servait de femme de ménage au couple. C’est cette indifférence là plutôt choquante que Marguerite DURAS soulève, met en lumière dans cette pièce.

A travers leur interrogatoire mené par une personne dont on ignore l’identité et qui n’est pas un juge, nous découvrons que Pierre Lannes et Claire Lannes ont vécu dans la même maison pendant des années comme des étrangers, et qu’ils ont pu se supporter grâce à la présence de cette cousine, qui leur a servi de frontière invisible d’autant plus qu’elle était sourde et muette. Son meurtre a au moins permis au couple de se séparer de façon inéluctable, définitive.

L’indifférence est sans doute pire que la haine parce qu’elle n’a pas d’écho, elle crée réellement du vide entre les personnes d’où le sentiment de précipice qui finit par absorber Claire Lannes lorsque par exemple elle jette sans aucune raison un transistor dans le puits.

Marguerite DURAS semble exprimer que les conventions sociales, celle du mariage notamment, ne sont là que pour masquer, rendre invisible tout ce qui dans les comportements humains peut révéler leur nature immorale.

Cette nature immorale c’est Claire Lannes qui l’affiche sans pouvoir l’expliquer. Comment peut-on devenir indifférent à son entourage, résigné, vivre pendant des années avec un homme « étranger », là aussi est la question qu’a explorée de façon moins virulente et plus intérieure, François MAURIAC avec Thérèse DESQUEYROUX.

Chez Marguerite DURAS, le sentiment d’indifférence, cette désaffection de la vie, cette dépression, ne peuvent être culbutés que par la folie, un détachement de la réalité, le rêve et la fantaisie.

A l’instar du personnage de Beckett, Winnie dans « Oh les beaux jours » Claire Lannes s’est enlisée dans une réalité qui ne lui était pas propice, et la tête de sa victime dont elle refuse d’indiquer l’emplacement, ne serait que la sienne fantasmée. Fleur coupée de la vie, elle appelle au secours « Si je vous disais où est la tête, vous me parleriez encore…si j’avais réussi à vous dire pourquoi j’ai tué cette grosse femme sourde, vous me parleriez encore, moi à votre place, j’écouterai, écoutez-moi je vous en supplie ! ».

Judith MAGRE illumine cette Claire LANNES par son charme, sa vitalité, elle est la véritable fleur de cette réalité lugubre et mesquine que lui tendent son mari et l’interrogateur interprétés justement par Jacques FRANTZ et Jean-Claude LEGUAY.

Le portrait de cette criminelle n’est sans doute pas réaliste mais c’est tant mieux. Le fait divers relaté par Marguerite DURAS devient dans cette mise en scène de Thierry HARCOURT,  la rose qui éclot à travers un mur délabré, telle la rose de Jean GENET. Imaginaire, elle a surgi, c’est elle, la tête que nous cherchions !

Paris, le 26 Février 2017  

Mis à jour le 8 Septembre 2017                         Evelyne Trân

LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNE d’après Victor Hugo – Avec William MESGUICH – Adaptation David LESNE – Mise en scène de François BOURCIER au Studio HEBERTOT – 78 Bis Bd des Batignolles 75017 PARIS du 29 Août au 3 Novembre 2017 – DU MARDI AU SAMEDI A 19 H – LE DIMANCHE A 17 HEURES –

Dans sa préface de 1832, Victor Hugo rappelle que le dernier jour d’un condamné a été publié trois ans plus tôt sans nom d’auteur. Cela tombe sous le sens lorsqu’on sait qu’à l’époque Victor Hugo était déjà célèbre. Il a préféré attacher à cette publication la figure d’un auteur anonyme, un condamné qui aurait écrit lui-même son journal qu’un poète aurait recueilli.

La vérité c’est que Victor Hugo s’est projeté complètement dans le destin de ce condamné de la même façon qu’un acteur incarne un personnage. A l’instar de Flaubert qui dit » Madame BOVARY, c’est moi », il s’identifie à ce condamné. L’on peut d’ailleurs retrouver dans la description du personnage, des éléments constitutifs de l’auteur, sa jeunesse (Victor Hugo était âgé de 27 ans) et sa robustesse physique « Je suis jeune, sain et fort … et cependant j’ai une maladie, une maladie mortelle faite de la main des hommes. »

L’œuvre porte la trace de cette juvénilité tempétueuse, de cette énergie vitale soudain dévastée par le sentiment qu’elle va être déconnectée du monde vivant par la seule volonté de juges.«Ce livre s’adresse à quiconque juge…Heureux si à force de creuser dans le juge, il a réussi à y retrouver un homme !»

Et le condamné en question est un homme, il pourrait s’appeler Paul, Pierre ou Jacques. Mais il n’a pas besoin de nom, il n’a pas de nom puisqu’il va être basculé dans la mort, le néant. Etonnamment dans ce journal, le condamné ne cherche guère de secours à travers la religion. L’universalité de son émotion tient au fait que Victor Hugo a véritablement voulu représenter un homme quel qu’il soit sujet d’une condamnation à mort par la société.

Le condamné exprime des sentiments communs à tous les mortels, l’amour paternel, le bonheur de voir le soleil etc. Des réalités banales qui prennent une toute autre dimension dès lors qu’on imagine en être privé. Qui sait mieux parler de la vie dans son essence la plus simple que ce condamné !

Est-ce le corps ou l’âme qui réagit à l’annonce d’une mort imminente? Les deux sont intimement liés mais nous n’avons jamais entendu parler d’une condamnation à mort d’une âme. Ce qui signifie que la société condamne ce qu’il y a de plus vulnérable, de plus innocent, la chair de l’homme.

C’est une peur naturelle qui saisit le condamné et provoque ses crises d’angoisse. L’émotion est d’autant plus indescriptible qu’elle se prolonge, le condamné a le temps de penser, d’imaginer, et pris dans le flux ininterrompu du monologue du condamné, son ultime course de vie, le lecteur ou le spectateur éprouve alors l’odiosité de cette mise à mort.

Photo Chantal DEPAGNE

William MESGUICH exprime avec tout son corps, sa voix, ses membres, le désarroi de ce condamné, un condamné qui se parle à lui-même. L’écho est d’autant plus retentissant, plus juste qu’il se déploie dans la solitude d’une geôle à l’image de sa pauvre cervelle. Par contraste, les bruits sonores, grincements de chaines, de portes invisibles et la musique créent une ambiance fantasmagorique.

L’interprétation bouleversante, sans emphase, très nuancée du comédien constitue à elle seule un plaidoyer contre la peine de mort.

Bien sûr, il ne s’agit pas d’un spectacle souriant mais le génie de Victor Hugo – jamais sa langue ne nous a paru aussi vivante et actuelle – servi par un grand interprète, suffit à rendre très attractive cette adaptation de l’œuvre par David LESNE mise en scène avec dynamisme par François BOURCIER.

« Ceci est mon sang » semble dire Victor Hugo à propos du condamné,cela devient le nôtre. C’est au théâtre et notamment dans ce spectacle engagé que les questions de vie et de mort prennent toute leur ampleur !

Paris, le 3 Septembre 2017

Evelyne Trân

Par Cœur – Un spectacle d’Arnaud ARBESSIER au THEATRE DE L’ESSAION du 30 Août 2017 au 15 novembre 2017 – 19h45 les mercredis jusqu’au 1er Octobre 2017 à 17 H 30 les Dimanches –

Auteur : Arnaud Arbessier
Mise en scène : Jean-Yves Chilot

Qui ne se souvient de sa première émotion en récitant par cœur une poésie à la demande d’un maître ou d’une maîtresse ? Pour ma part, ce moment fut fabuleux. J’ignorai le mot trac mais j’étais terrorisée . Or au fur à mesure que les mots s’échappaient, sortaient du gouffre, j’ai éprouvé que le professeur m’écoutait. J’en fus tellement étonnée ! De quel texte s’agissait-il, je l’ai oublié mais il remue invisible dans ma mémoire, il me parle certainement comme il a parlé à ce professeur.

Passeur de mots, c’est l’un des plus beaux métiers au monde; j’ai connu un poète mourant, qui ne touchait plus terre, qui communiquait grâce à ses poésies pétries en lui qu’il continuait à balbutier comme si elles faisaient partie de son corps, de ses mains, de ses yeux. C’était lui !

Arnaud ARBESSIER, comédien, fils de Louis ARBESSIER de la Comédie Française, nous raconte simplement sa relation avec les mots, une relation amoureuse. Il dit que les mots sont magiques et que oui, il importe pour la vivre cette passion, d’apprendre par cœur un texte quel qu’il soit pourvu qu’il soit aimé.

Il remonte à la source, il nous parle de son père qui savait si bien dire le poème Villequier de Victor Hugo, de sa rencontre avec des textes de Léo FERRE.

Deux fleuves parallèles mis en musique juste par la voix, le poème Villequier et le poème Il n’y a plus rien . L’un s’adresse à Dieu pour demander pourquoi sa chère Léopoldine est morte, l’autre, révolté et sauvage gravit des chemins de dépression intense. Je me souviens encore de Léo FERRE chantant Avec le temps dans une émission de Jacques MARTIN, à la fin de sa vie. Lui si combatif, avait l’air si désespéré, si las !

Mais les fleuves ne cessent de cligner des yeux, ils vivent après tout. La chanson Avec le temps interprétée par Arnaud ARBESSIER peut dire autre chose, laisser s’exprimer quelque lumière derrière le désespoir.

Écouter Il n’y a plus rien à travers la voix d’Arnaud ARBESSIER c’est comme grimper sur un chemin de montagne caillouteux, les yeux dans le vent, la poussière, le soleil. Il n’y a plus rien, il y a tout.

Quel bel hommage aux poètes, aux comédiens ! Quelle belle rencontre ! Laissez penser les mots en vous puisque en vérité les mots agissent d’une certaine façon comme des cailloux qui scintillent sur les chemins qui touchent vos semelles. La ligne n’est pas droite bien sûr, le parcours prend du temps, c’est presque une aventure, c’est toujours de l’or au bout de la course !

Paris, le 5 Décembre 2016 Évelyne Trân

Mis à jour le 2 Septembre 2017