LA CRUCHE de GEORGES COURTELINE AU THEATRE LE LUCERNAIRE – 53 rue Notre-Dame des Champs 75006 PARIS du 14 Décembre 2016 au 22 Janvier 2017 du Mardi au Samedi à 19 H – Dimanche à 15 H –

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AVEC
ANTONINE BACQUET (MARGOT, E N ALTERNANCE)
AGATHE TREBUCQ (MARGOT, E N ALTERNANCE)
FLORENCE ALAYRAC ( C A M I L LE , E N ALTERNANCE)
MARIA MIRANTE ( C A M I L LE , E N ALTERNANCE)
MARTIN JEUDY (DUVE R N I É , E N ALTERNANCE)
MARC VALÉRO (DUVE R N I É , E N ALTERNANCE)
ALEXANDER SWAN (DUVE R N I É , E N ALTERNANCE)
MARC SOLLOGOUB ( L AURIANNE, EN ALTERNANCE)
HENRI DE VASSELOT ( L AURIANNE, EN ALTERNANCE)

 

Sexe, amour et volupté au temps des goguettes, au début du vingtième siècle, avec un portrait de femme, Margot, qui a du faire bondir bien des féministes. Margot, la cruche que s’échangent deux amis, l’un obscur employé qui rêve d’obtenir une décoration, l’autre un peintre mûr, se révèle sous son vernis craquelant, extrêmement touchante.

Courteline dispose d’un flair psychologique bien acéré, il montre que ce n’est pas la volonté ni les velléités de chacun des personnages qui mènent la ronde. Nécessité fait loi, de sorte qu’après le mirage de quelques pirouettes à l’intérieur du filet social, après quelques roucoulades des deux coqs dans leur poulailler, la poule, ayant compris qu’elle n’était qu’une cruche à leurs yeux, choisit celui qui ne peut plus lui conter fleurette et qui pour continuer à jouer l’homme, ne pas voir ses belles plumes faner, n’a pas d’autre choix que d’épouser Margot.

Il y a beaucoup de mélancolie dans le personnage de Margot qui ne croit pas vraiment à ses charmes, qui n’agit pas par calcul mais qui a de la douceur à revendre. Elle est une proie facile pour ces mâles pour qui Margot n’existe que comme faire valoir de leurs désirs, l’un la prendra pour modèle, l’autre pour femme, mais Courteline qu’on ne peut qualifier de féministe, creuse davantage le mystère de Margot, dont les battements d’ailes quelque peu désespérés, comme un oiseau prisonnier au fond d’une cruche, nous touchent profondément.

Véritable divertissement pourtant que cette courte pièce, la dernière de Courteline, ponctuée d’intermèdes chantés à quatre voix. Il y flotte dans l’air toutes sortes de parfums, ceux-là mêmes invoqués par Baudelaire :

II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

qui grisent l’atmosphère où les scènes de ménage très drôles trouvent allègrement leur exutoire.

Ce cliché des mœurs, à l’avènement du vingtième siècle ou la Belle Epoque, a l’impertinence de réveiller nos instincts les plus primaires, car nous n’avons pas fini de jouer à l’homme ou à la femme dans notre société et la belle Margot qu’elle soit chantée par Brassens ou par Courteline a encore bien du chemin à faire.

Voilà un très joli spectacle, excellemment interprété, poivré et chantant dont la mise en scène prête le flanc aux humeurs buissonnières et gourmandes, où le vulgaire et le délicat s’accrochent irrésistiblement au palais, la plume si bien troussée de Courteline.

Paris, le 31 Décembre 2016                  Évelyne Trân

AUDIENCE – VERNISSAGE – de Vàclav HAVEL – Mise en scène de Anne-Marie LAZARINI à l’ARTISTIC THEATRE – 45 Bis rue Richard Lenoir 75011 PARIS du 9 Novembre 2016 au 15 Janvier 2017 – TEL. 01.43.56.38.32 –

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Avec : Cédric Colas, Stéphane Fiévet, Frédérique Lazarini, Marc Schapira

Bruno Andrieux (Assistant(e) à la mise en scène) , Dominique Bourde (Création costumes) , François Cabanat (Décors)

Vàclav HAVEL est à la fois connu  comme homme politique – il devint Président de la République tchèque et slovaque lors de la révolution de velours en 1989, puis de la nouvelle République tchèque indépendante, après de longues années de lutte contre le régime communiste, sous la tutelle de  l’U.R.S.S. – et comme dramaturge.

 Les pièces que met en scène Anne-Marie LAZARINI donnent le ton de l’ambiance délétère qui régnait en Tchécoslovaquie lorsque  Vàclav HAVEL écrivain,  homme de théâtre, réputé dissident au régime, travaillait comme manœuvre dans une brasserie en 1974.

 Ces pièces ont l’intérêt  majeur  de donner la parole à ceux-là mêmes qui jouaient le jeu avec le régime autoritaire, au quotidien. Quant au héros, l’écrivain devenu ouvrier qui se retrouve dans la situation de la  brebis galeuse, du dissident, c’est le double de Vàclav HAVEL lui-même.

 Le rapport de force qui s’instaure entre le dissident et les autres personnages est particulièrement, inquiétant,  oppressant. Réduit la plupart du temps au silence, le héros n’éprouve pas un malin plaisir à voir ses interlocuteurs – dans « Audience », le patron de la brasserie, et dans  « Vernissage » un couple de bourgeois, ridicules –  s’enfoncer  dans leurs propres délires. Le délire du patron, c’est de croire pouvoir obliger son employé à se dénoncer lui-même, celui du couple pédant, de séduire leur ami avec tout son faste de vanités.

 S’il y a délire, c’est qu’il y a fièvre, c’est que la société est malade. Constat pessimiste qui renforce la volonté de résistance du dissident  qui tout en gardant son sang-froid,  prend acte de la vaine agitation de ses concitoyens, et prête l’oreille à leurs états d’âme. Quand le théâtre sert la politique ou inversement !  Est-il possible de renverser la vapeur, d’imaginer que l’énergie de ces citoyens, leurs aspirations au bien-être,  rejoignent la voie de la lutte pour la liberté plutôt que celle de la résignation. En un sens, les personnages que met en scène Vàclav HAVEL, ne vivent pas, ils survivent, ils font semblant de vivre. Il faut les entendre hurler leur mal de vivre : le patron alcoolique, enragé contre l’intellectuel, qui finit par lâcher : « Je suis le con qui prend des coups de pieds au cul pour défendre vos principes. Personne n’a peur de moi. Je n’intéresse personne. Qu’est-ce que la vie me donne à moi ! », Le bourgeois qui susurre à l’oreille de son ami mal à l’aise « De nos jours, c’est chacun pour soi, tu le sais bien » et sa bourgeoise qui pique  une crise de nerfs pathétique parce qu’elle a compris que l’étalage de son bonheur artificiel faisait fuir l’ami.

 Grâce à la mise en scène astucieuse et percutante d’Anne-Marie LAZARINI, les spectateurs se trouvent de plain-pied avec les protagonistes, dans la première pièce « Audience » face au bureau piteux de la brasserie et dans la 2ème « Vernissage » dans l’appartement où ils sont invités à se déplacer.  

 Les interprètes sont excellents notamment Stéphane FIEVET qui incarne de façon saisissante ce patron haut en couleur et pitoyable que doit affronter le pauvre dissident.

 Vraiment un bon moment de théâtre cinglant, avec des personnages si vivants, par leur crudité insolente, leur humanité tapageuse qu’ils ne peuvent qu’éclabousser les spectateurs, les faire réagir. C’est tout de même le but de Vàclav HAVEL, qui manie lestement les armes de l’humour et de la dérision. Quand le théâtre vous réconcilie avec la politique !

 Paris, le 26 Décembre 2016             Evelyne Trân

 

 

 

 

LES SONNETS DE WILLIAM SHAKESPEARE/JOHN DOWLAND à LA MAISON DE LA CULTURE D’AMIENS Mise en scène Louise Moaty – du 12 au 16 Décembre 2016 – Puis AU THEATRE DE CAEN les 27, 28, 29 Janvier 2017.

FILLE DE PARADIS – Adaptation de Ahmed Madani – au THEATRE DE BELLEVILLE – 94 rue du Faubourg du Temple 75011 PARIS – du 14 au 18 Décembre 2016 –

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mise en scène Ahmed Madani

Avec Véronique SACRI

Tirée du récit PUTAIN de Nelly ARCAN, l’histoire de la fille du paradis, fait penser à un immeuble dont la façade a été marquée par les flammes d’un incendie.

La jeune femme qui apparaît sur le plateau est belle, elle est habillée en noir peut être trop sagement. C’est déconcertant, voilà une femme qui raconte son expérience d’escort girl et qui n’a pas l’air d’une putain !

Le metteur en scène Ahmed MADANI couve d’un regard juste et délicat cette jeune femme fraîche . D’emblée, le spectateur n’a pas la sensation d’être un voyeur venu écouter les confessions sulfureuses d’une prostituée. Car le réquisitoire de Nelly ARCAN contre la condition sexuelle des femmes dans la société n’a rien de sulfureux.

N’être qu’un corps, une image, un sexe, vis à vis d’un ou d’une autre, c’est une sensation terrible . Les mots de Nelly ALCAN ont cela d’incroyable qu’ils donnent l’impression d’être des petits cailloux de chair porteurs de la mémoire de son corps blessé, avili, méprisé.

Les hommes qui ont recours aux prostituées pour assouvir des besoins sexuels naturels – après tout la prostitution n’est il pas le plus vieux métier du monde – savent ils que la chair et l’âme ne font qu’un.

Nelly croyait ne vendre que son corps mais sa tête qui ne plie pas, qui enregistre tout, l’oblige à cogner contre ses souvenirs, à se demander pourquoi, comment, elle s’est retrouvée piégée parce qu’un jour comme toutes les femmes, elle a voulu plaire, prendre du plaisir. Cela avait l’air si facile, si naturel…

Les journaux féminins qui entendent cultiver l’image d’une femme belle, jeune, ne font pas autre chose que de mettre en valeur nos comportements les plus primaires. Au balai les intellectuelles, ce sont des chieuses. Et puis faut être réaliste, tant pis pour la vulgarité du propos, la queue d’un homme ça ne pense pas, ça bande !

Nelly devenue Cynthia confie en effet :

« Chaque bout de queue bande de ma putasserie . Chacun est le seul à me faire plier – Que voient ils en moi ? Le lit, la table de chevet, le fauteuil ? – Minute après minute, heure après heure, jour après jour, je laisse la motte de poils différents au milieu de la pièce  – Trop de clients sont semblables par la misère des hommes à aimer la putain -« 

La chair de Nelly est devenue écrivaine. Véritable travail que celui de l’écriture destiné à élever une digue de fortune. Oui, Nelly clame son existence, face à des bourreaux anonymes accrochés au miroir, oh combien lucratif, de la belle femme jeune et sexy.

Au milieu de la scène sombre, où l’on voit de côté quelques chaises se chevaucher, Véronique SACRI seule apparaît, incandescente, habitée par la langue tourmentée de Nelly ARCAN. Elle est une femme et peu importe notre sexe, c’est ainsi que nous la voyons, l’entendons à travers son tissu de voix plein de reliefs, si jeune, si pur…

Paris, le 20 Juillet 2015

Mise à jour le 21 Décembre 2016                    Evelyne Trân

Chanson Plus Bifluorée – Cuvée spéciale… au THEATRE DE LA BRUYERE, 5 rue La Bruyère 75009 PARIS – Du 1er décembre 2016 au 8 janvier 2017 – du mardi au samedi à 21h – matinée dimanche à 16h – 24 décembre : 16h et 19h – le 31 décembre : 16h et 20h30 –

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Mise en scène Marinette MAIGNAN

avec Sylvain RICHARDOT : piano, guitare, chant (baryton léger), Michel PUYAU : guitare, chant (ténor), Xavier CHERRIER : chant (baryton)

Si vous souhaitez vraiment faire plaisir à l’un de vos proches pour les fêtes de Noël, offrez lui sur le champ une place au Théâtre de la Bruyère où se produit actuellement pour 30 représentations exceptionnelles, le groupe CHANSON PLUS BIFLUOREE, mis en scène par l’excellente Marinette MAIGNAN.

On trouve de tout dans leur spectacle comme à la Samaritaine qui hélas n’existe plus ! Le groupe vient de célébrer ses vingt cinq ans et se porte comme un charme . C’est un véritable ovni qui réussit à déverser aussi bien sur nos chères têtes blondes que nos têtes devenues blanches, sans oublier les noires, une sorte de bazar collectif, haut de gamme puisqu’il fait partie du patrimoine français ou gaulois – on ne sait plus – , aussi démonté qu’un bateau ivre qui maîtrise l’art de l’enflure pour faire craquer ces vieux paquebots si bien nommés Brel, Ferré, Trenet, Luis Mariano, Tino Rossi, Barbara, Frédéric François etc.

Le public se tient véritablement les côtes en écoutant une chanson de Barbara interprétée par Michel PUYAU au visage étrangement élastique, il se rince les oreilles de rire et d’étonnement en entendant Xavier CHERRIER interpréter Avec le temps de FERRE sur la musique de Y‘a D’la Joie de Trénet. Il tangue véritablement secoué par le shaker aux chansons, créateur de couples inattendus notamment celui de Barbara et Yves Duteil.

La groupe possède l’art de faire exploser chacune de ses goupilles avec le sourire effronté de l’enfance. Y’a de la joie à gogo certes mais aussi cet esprit frondeur qui ne désemplit pas, un véritable puits de mémoire qui tout à coup laisse remonter à la surface la Marseillaise de la paix créée par les enfants d’un orphelinat en 1893, un poème de Victor Hugo écrit après une visite au bagne, magnifiquement interprété par Sylvain RICHARDOT «Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne  »– ou le sketch de marionnette Pat et Marconi, jubilatoire.

Cette cuvée spéciale où les fans retrouveront leurs chansons phares  – Grosse chignole de mes amours, Oui je fais la vaisselle, Avoir du sopalin, Voilà la voix, Bon public, Pelez les noix, L’informatique etc. – a le toupet de remettre au diapason nos montres folles avec le tact et l’art d’horlogers hors pair, ciselant cet indispensable tic tac du cœur et du rire aphrodisiaque !

Paris, le 18 Décembre 2016                   Évelyne Trân

 

LA MAISON DE POUPEE DE HENRIK IBSEN – ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE PHILIPPE PERSON – TRADUCTION RÉGIS BOYER – au THEATRE DU LUCERNAIRE – 53, rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS – DU 7 DÉCEMBRE 2016 AU 21 JANVIER 2017 DU MARDI AU SAMEDI À 21 H – DUREE 1 H 30 –

 

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AVEC FLORENCE LE CORRE  (NORA) NATHALIE LUCAS  (MADAME LINDE) P H I L I P P E C ALVA R I O (TORVALD HELMER) PHILIPPE PERSON  ( K RO G S TA D )

Cette pièce écrite par IBSEN en 1879 aurait le même impact émotionnel que le « Cri » de Munch sur les spectateurs. Qu ‘est ce qui peut faire basculer le destin d’un homme ou d’une femme hors des sentiers battus ? Quel est donc le grain de sable qui peut faire dérailler un scénario immuable, qui se répète de générations en générations dans la société bourgeoise que décrit Ibsen. Nous n’avons pas de boule de cristal . S’agiterait-elle sur le sapin de Noël qui trône dans le salon de Monsieur et Madame HELMER un jeune couple plutôt banal. Nous apprenons que Torvald va devenir Directeur de Banque. Il est fêté comme il se doit par sa jeune épouse Nora tout excitée par cet événement. Très rapidement nous comprenons que Torvald la traite comme une femme enfant destinée à le distraire, à le flatter par sa beauté, son charme. Nora en effet a toute l’apparence d’une jeune femme frivole, insouciante et aussi vivace qu’une alouette.

Ce n’est qu’au second acte que nous découvrons qu’un terrible secret ronge la jeune femme victime d’un maître chanteur qui n’est autre que l’employé qu’entend limoger son mari. Voilà un synopsis qui nous rappelle les thrillers de Hitchcock. L’attention de l’auteur et ce faisant du metteur en scène se cristallise sur la personne de Nora confrontée à une solitude inouïe du fait de son secret qui la met en porte à faux avec son mari planqué dans ses valeurs conformistes et rigides.

C’est l’expérience de cette solitude terrible qui va révéler à Nora ce dont elle est capable. Tout le long de la pièce l’étau se resserre autour de Nora . L’angoisse qu’éprouve la jeune femme à l’idée d’être dénoncée à son mari par le maître chanteur, son créancier, le public la partage mais sans réaliser quelle pourrait être la réaction de Torvald.

Ce  fameux secret qui de nos jours peut paraitre bénin  est emblématique de la cagoule portée par Nora pendant ses huit ans de mariage. Dés lors que le voile aura été tiré, Nora pourra se regarder en face, voir l’horizon s’ouvrir devant elle, comprendre ce formidable appel d’air que représente la liberté.

A travers le portrait de Nora et de Torvald , c’est tout un édifice social à la fois rigide et hypocrite qu’ Ibsen dénonce parce que cet édifice qui existe toujours étouffe dans l’œuf la créativité humaine, contraignant les individus à se résigner, à subir des lois sans imaginer pouvoir les discuter.

Au delà du personnage de Nora , c’est l’individu qui est invité à se mesurer avec ses propres forces, donc ses faiblesses aussi et ses propres désirs, pour se connaître et donner un sens à cette vie qui le concerne en premier lieu, après tout. Nora choisit la solitude mais il ne s’agit pas d’un choix égoïste mais d’une véritable aventure humaine.

La rupture amoureuse entre les deux époux est violente et poignante. Nora s’arrache véritablement à  son mari comme si elle venait de faire sa mue, ne laissant à l’homme devenu un étranger, que les souvenirs artificiels d’une poupée.

Quel gâchis ! Torvald et Nora ne joueront plus ensemble la comédie du couple heureux…Nora n’a plus le temps, elle doit vivre !

Nous avons été conquis par l’interprétation de Florence LE CORRE d’une délicatesse, une justesse impressionnantes ! Cette jolie boule de cristal illumine ses partenaires, Philippe PERSON, excellent en maître chanteur mordant et vénéneux, Philippe CALVARIO à mi-chemin entre le mari m’as-tu-vu  et le pauvre type et Nathalie LUCAS qui joue avec finesse, l’amie réfléchie et bienveillante.

Le déroulement en plans séquences des différentes situations, s’effectue sans qu’on y songe car à vrai dire nous n’avons les yeux tournés que sur Nora. Son visage et celui de son amie si émotifs, pourraient faire penser à d’autres visages féminins filmés par le grand Bergmann.

Quelle grâce tout de même que cette pièce dans ce monde de brutes . Quel miracle !

Paris, le 17 Décembre 2016             Evelyne Trân

EICHMANN A JERUSALEM, ou les hommes normaux ne savent pas que tout est possible. – Texte de Lauren HOUDA HUSSEIN – Mise en scène Ido SHAKED – d’après le procès d’Adolf EICHMANN à JZERUSALEM en 1961 – au THEATRE DU SOEIL à la CARTOUCHERIE DE VINCENNES – Route du Champ de Manœuvres, 75012 Paris – du 8 au 18 Décembre 2016. du mercredi au vendredi à 20h30, le samedi à 15h30 et 20h30, le dimanche à 15h30 Durée : 1h30

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Une création du Théâtre Majâz

Texte Lauren Houda Hussein
Mise en scène Ido Shaked

Avec Lauren Houda Hussein, Sheila Maeda, Caroline Panzera, Mexianu Medenou, Raouf Raïs, Arthur Viadieu, Charles Zévaco

La mise en scène du procès d’EICHMANN d’Ido SHAKED sur le texte et le montage saisissants de Lauren HOUDA HUSSEIN est sidérante. Le procès quel qu’il soit peut apparaître comme une entité « monstrueuse ». L’on y assiste la plupart du temps à une déportation de la parole, des émotions dans un contexte qui entend abolir ce qui relève de la subjectivité. Ce qu’il y a d’humain, de chaotique, d’indicible est frappé de plein fouet par une mise en scène qui le dépasse. Si l’on attend d’un procès qu’il puisse permettre à un homme en son âme et conscience de dire toute la vérité, qu’il se trouve sur le banc des accusés ou celui des témoins, la déception laissera toujours un goût amer dans la bouche.

Les témoignages terribles des victimes d’EICHMANN (les paroles rapportées proviennent des minutes du procès) n’ont pas permis de l’émouvoir, voire de le faire craquer. Parce qu’il leur a été demandé de s’exprimer dans la même langue que celles des juges et du bourreau .

Qui ne le sait, il n’y rien de plus déstabilisateur pour un homme que l’émotion qui le submerge. C’est le langage qui joue le rôle de parapet avec ses fameuses règles de grammaire, pour la contenir. Mais en vérité, elle est toujours là, elle occupe toutes ces particules du corps vivant, se durcit comme une roche lorsqu’elle n’a pas pu s’évacuer, peut aussi devenir de l’eau stagnante, pourrissante.

Certains politiques savent très bien utiliser ces émotions qui sentent mauvais, la peur, la haine de l’autre, le sentiment de frustration, elles font partie du corps humain.

EICHMANN apparaît comme un homme qui a été vidé de ses émotions, un lobotomisé, un robot sans âme. C’est alors que nous pouvons comprendre que les juges et les victimes n’avaient personne en face d’eux. Comment se battre contre personne, comment lutter pour que l’intolérable ne se reproduise plus, si nous sommes incapables de cerner comment il s’est répandu ?

Une voix discordante s’est exprimée lors du procès EICHMANN, celle d’Hannah ARENDT, philosophe et journaliste. Elle a soulevé la question de la banalité du mal et il lui a été reproché de remettre en question le comportement des victimes, leur soumission. Large débat car il y a eu toutes sortes de victimes, chacune avec son histoire personnelle soudain annihilée, effacée, gommée !

Nous savons pourtant une chose c’est que cette vague énorme de l’holocauste, nombre d’observateurs l’ont vue s’avancer sans qu’aucune digue ait pu la retenir.

Cette vague menaçante, il appartient à ceux qui la dénoncent, de la scruter, elle est aussi peuplée de chacune des particules de notre conscience, elle ne s’appelle ni Hitler, ni Eichmann, ni personne en particulier. Il faut la regarder en face non plus comme un monstre, ni même une banalité mais comme une excroissance de nos dénis, nos ignorances, nos peurs.

En tant que vivants, nous ne devrions pas nous raccrocher à cette chape de plomb de l’oubli ou de l’indifférence, ni à celle du néant et de la mort. Recouvrer le chemin des émotions subjectives, la mise en scène de ce procès, nous y engage, en faisant apparaître cette promiscuité de chacun des protagonistes. Les comédiens jouent tous les rôles aussi bien ceux des témoins que ceux des juges ou de Eichmann sans distinction physique comme à la lecture des minutes du procès par un archiviste qui ne se trouve pas distrait par l’observation charnelle. Cette distanciation se révèle très parlante, parce qu’elle est ponctuée par des gestes d’écriture à même le sol pour marquer cette sensation de déshérence, d’impuissance et quelques mots blafards projetés sur le mur qu’il appartient à chaque spectateur de saisir avec sa propre imagination, sa propre mémoire.

Ce spectacle remarquable fait froid dans le dos mais il réchauffe de l’intérieur !

Paris, le 11 Décembre 2016                                 Evelyne Trân

SAINT-LAZARE VEGAS d’Emmanuel DUPUIS AU THEATRE DE L’ESSAION – 6, rue Pierre au Lard 75004 PARIS – du 8 Décembre 2016 au 14 Janvier 2017 – Les jeudis, vendredis et samedis, à 19h45 – Relâches : 24 décembre, 25 décembre, 31 décembre 2016 –

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Mise en scène : Christophe Givois
Distribution :

Fatima Chaïb-Eddour, Jude Joseph ,  Joyna Moon, Christophe Givois

Durée : 1h15

Voilà une comédie de « Fin du monde » qui n’est pas triste ! D’humeur plutôt fantaisiste, Emmanuel DUPUIS s’est laissé guider par sa fascination pour la Gare Saint Lazare et par quelques rêveries qui l’emportent  lorsqu’il observe des SDF autour de cette gare.

 En vérité, le célèbre Samuel BECKETT a fait beaucoup de tort à cette fraction de la population « exclue » avec sa pièce « En attendant Godot ». Immanquablement, le cliché se greffe sur notre pauvre cervelle nous illusionnant sur le caractère hautement  philosophique des miséreux.

Dieu merci, tout le monde n’a pas lu Beckett et ceux qui trouvent comique ce clochard de Charlot ne font pas le rapprochement  avec les mendiants ivres qui les accostent.

  Cela dit peut être bien qu’Emmanuel DUPUIS inconsciemment  ou pas porte sur les épaules un passé encore tout  frais. Le photomaton qu’il érige en personnage pourrait bien faire figure aussi d’une belle boite de conserve géante dont l’étiquette porteuse des rêves de ses deux héros, Caul et Brinduc subirait  les vertiges d’un passé flageolant et d’un dérèglement  de contes atmosphériques absolument déconcertants.

 L’on assiste grosso modo à une bataille de polochons entre nos petits clichés  de bon aloi : Dieu, ce grand fourre-tout, la Machine, l’assistante sociale, le sentiment que les SDF sont des gens comme les autres,  et l’incroyable optimisme d’Emmanuel DUPUIS qui croit vraiment aux vertus de l’onirisme (un mot savant servant de synonyme à rêverie)  qui va bon train puisqu’au final  grâce à ce formidable coup de pied au derrière que constitue l’imagination, Caul, cet indécrottable SDF ira rejoindre sa dulcinée ailleurs !

 Un peu d’optimisme en ces temps de morosité, cela fait du bien. Il est possible de s’étonner du manque de méchanceté ou d’agressivité des protagonistes. Mais apparemment, l’auteur entend préserver la présomption d’innocence de ces personnages plus scotchés à l’ordinaire (qui vaut de l’or) qu’à ses complications. Dès lors, tout est possible partir de Saint Lazare pour aller à LAS VEGAS. S’il y a quelque chose qui cloche, cela tient au fait que ces personnages « malheureusement ordinaires » soient capables d’appréhender une réalité complètement déréglée. Peut-être n’ont-ils pas le choix ou alors un monde meilleur serait-il en train de se peaufiner à l’horizon ? Un monde où les hommes auraient gardé leur parfum d’enfance et où la poésie et sa copine, l’imagination régneraient enfin ! L’équipe théâtrale porteuse d’un tel programme ne doit pas ménager ses efforts pour conduire à la victoire ces SDF hors du commun !

 Paris, le 9 Décembre 2016                    Evelyne Trân

 

 

« L’Empereur, c’est moi! » de Hugo Horiot. Mise en scène de Vincent Poirier au STUDIO HEBERTOT – 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris Du 15 au 20 novembre, à 21h00, le dimanche à 15h –

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avec 

Hugo Horiot,

et Clémence Colin.

Ne serions nous pas tous un peu autistes par hasard ? Certainement pas. Et pourtant, le qualificatif autiste est utilisé dans la vie courante pour décrire une personne jugée peu communicative, dans sa bulle. Le terme est péjoratif. Il est à peu près certain que des personnes réputées « normales» se sont trouvées un jour ou l’autre dans une situation très proche de l’autisme, par suite d’une émotion, d’un chaos intérieur, qui impliquait une rupture momentanée avec l’extérieur. Cette rupture Hugo HORIOT, l’a connue très jeune pour ainsi dire à la naissance et elle a duré toute son enfance.

Que Hugo HENRIOT ait pu mettre des mots sur cette douloureuse expérience, relève de l’exceptionnel. Nous imaginons le soutien que lui a apporté sa mère et la grâce du théâtre qu’il pratiqué dès l’âge de 15 ans.

Hugo HORIOT est un oursin d’émotions mais les pics de sa carapace très tendre, il a réussi à les apprivoiser, à les soulever de façon presque aérienne, ce qui lui a permis de les projeter dans son imaginaire et de se saisir enfin de mots.

Hugo HORIOT est un véritable combattant, un rebelle inné qui se refuse à l’ordre établi. Qu’est-ce que ça veut dire après tout ces curieuses lois humaines qui décident qu’à partir du moment que vous êtes né, vous devez signer un contrat avec ceux qui vous accueillent. Contrat d’obéissance aux lois, aux coutumes, aux à priori qui vous encadrent. Il faut être comme les autres, comme la plupart des autres, sinon vous n’êtes pas normal !

Hugo HORIOT raconte ce choc inouï à la naissance. Hugo n’a jamais été un bébé poupon, gage d’innocence. Est-ce si facile de faire comprendre aux autres que vous n’êtes pas un bébé mais une personne ? Les revendications des nouveaux nés, à vrai dire se noient dans les braillements.

La normalité est une sorte de liquide transparent qui laisse passer n’importe quel individu sans broncher. La plupart des individus font le saut vers la réalité parce qu’il n’y a pas d’autre porte. Hugo semble t-il avait choisi de rester derrière la porte, soit parce qu’il n’avait pas confiance, soit parce que cette réalité ne lui disait rien qui vaille. Pas normal ? Il s’est cogné contre cette porte parce que derrière il entendait la voix de sa mère et qu’il voulait la rejoindre en dépit de ses doutes, ses frayeurs, sa colère.

Quand la réalité fait des grumeaux, qu’elle n’est pas aussi lisse et transparente qu’on voudrait le croire ! Deux et deux font quatre et les trains ne déraillent qu’exceptionnellement. Faut-il comparer les humains à des trains, à des chiffres ?

Il importe d’écouter le témoignage d’Hugo HORIOT, qui est absolument bouleversant, voire instructif. Tous, pour la plupart, avons enfoui dans notre mémoire cette brebis galeuse, la nôtre, qui disait non, qui bêlait affreusement. Hugo n’a pas voulu l’enfouir, il l’a dégagée de lui même pour la faire sortir , sachant qu’elle avait des choses à dire, sachant qu’elle nous concernait.

Et elle se révèle très tendre au fond comme Clémence COLIN qui interprète dans la langue des signes cet autre moi d’Hugo HORIOT.

La mise en scène sobre et pudique de Vincent POIRIER met en valeur la personnalité d’Hugo HORIOT qui réussit à déployer sur scène toute la force de son imaginaire sans oublier le public devenu terre plein d’une réalité émue aux larmes.

Paris, le 5 Décembre 2016                       Evelyne Trân

 

Parcœur d’ Arnaud Arbessier au THEATRE DES DECHARGEURS – 3, rue des Déchargeurs 75001 PARIS – du 9 sep 2016 au 16 déc 2016 – Vendredi à 19h30 –

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Qui ne se souvient de sa première émotion en récitant par cœur une poésie à la demande d’un maître ou d’une maîtresse ? Pour ma part, ce moment fut fabuleux. J’ignorai le mot trac mais j’étais terrorisée . Or au fur à mesure que les mots s’échappaient, sortaient du gouffre, j’ai éprouvé que le professeur m’écoutait. J’en fus tellement étonnée ! De quel texte s’agissait-il, je l’ai oublié mais il remue invisible dans ma mémoire, il me parle certainement comme il a parlé à ce professeur.

Passeur de mots, c’est l’un des plus beaux métiers au monde; j’ai connu un poète mourant, qui ne touchait plus terre, qui communiquait grâce à ses poésies pétries en lui qu’il continuait à balbutier comme si elles faisaient partie de son corps, de ses mains, de ses yeux. C’était lui !

Arnaud ARBESSIER, comédien, fils de Louis ARBESSIER de la Comédie Française, nous raconte simplement sa relation avec les mots, une relation amoureuse. Il dit que les mots sont magiques et que oui, il importe pour la vivre cette passion, d’apprendre par cœur un texte quel qu’il soit pourvu qu’il soit aimé.

Il remonte à la source, il nous parle de son père qui savait si bien dire le poème Villequier de Victor Hugo, de sa rencontre avec des textes de Léo FERRE.

Deux fleuves parallèles mis en musique juste par la voix, le poème Villequier et le poème Il n’y a plus rien . L’un s’adresse à Dieu pour demander pourquoi sa chère Léopoldine est morte, l’autre, révolté et sauvage gravit des chemins de dépression intense. Je me souviens encore de Léo FERRE chantant Avec le temps  dans une émission de Jacques MARTIN, à la fin de sa vie. Lui si combatif, avait l’air si désespéré, si las !

Mais les fleuves ne cessent de cligner des yeux, ils vivent après tout. La chanson  Avec le temps interprétée par Arnaud ARBESSIER peut dire autre chose, laisser s’exprimer quelque lumière derrière le désespoir.

Écouter Il n’y a plus rien à travers la voix d’Arnaud ARBESSIER c’est comme grimper sur un chemin de montagne caillouteux, les yeux dans le vent, la poussière, le soleil. Il n’y a plus rien, il y a tout.

Quel bel hommage aux poètes, aux comédiens ! Quelle belle rencontre ! Laissez penser les mots en vous puisque en vérité les mots agissent d’une certaine façon comme des cailloux qui scintillent sur les chemins qui touchent vos semelles. La ligne n’est pas droite bien sûr, le parcours prend du temps, c’est presque une aventure, c’est toujours de l’or au bout de la course !

Paris, le 5 Décembre 2016                          Évelyne Trân