Madame DIOGENE de Aurélien Delsaux, mis en scène par Aurélien Delsaux avec Jeanne GUILLON à la MANUFACTURE DES ABESSES – 7 rue Véron, 75018 Paris – du 24 Août au 8 Octobre 2016 – du mercredi au samedi à 19 Heures –

madame-diogene-afficheAuteur : Aurélien Delsaux
Artistes : Jeanne Guillon
Metteur en scène : Aurélien Delsaux

Objets, avez vous donc une âme ? Il est étonnant que des psychiatres aient associé la figure du philosophe Diogène qui prônait le dénuement total, au comportement de certaines personnes souvent âgées et isolées souffrant du syndrome d’accumulation compulsive. Il est vrai que la solitude et les objets ne font pas toujours bon ménage dans un logement exigu. Vis à vis des autres, oui, une apparence soignée est la norme et d’après le mythe, Diogène qui se moquait des conventions, choquait ses contemporains par sa mise négligée. Cela dit, Diogène vivait beaucoup dehors et se contentait d ‘une jarre pour dormir.

Le personnage que décrit Aurélien DELSAUX a probablement été une personne « normale ». En vérité, comme les animaux dont l’homme fait partie, le besoin de propreté est instinctif et vital. Mais Madame DIOGENE est en fin de course, elle vit davantage dans sa tête que dans la réalité qu’elle ne veut plus entendre, qui d’une certaine façon l’horrifie comme une présence extérieure menaçante et intrusive.

Cette Madame DIOGENE n’appelle pas à l’aide, elle joue sa dernière partition, un lâcher prise redoutable intime et « merveilleux ». Elle est intéressante dans la mesure où elle nous renvoie à nos propres monstres enfouis en nous.

Le besoin d’accumuler des objets inutiles ne répond-il pas à une compensation affective ? L’inconvénient et l’avantage avec les objets, c’est qu’ils ne bougent pas, ils ne peuvent pas s’échapper, ils assurent une présence indubitable et surtout ils cristallisent les souvenirs.

Chaque Madame DIOGENE a son histoire après tout. Dans cette adaptation théâtrale de son roman, Aurélien DELSAUX lui donne le beau rôle, traitant de façon assez caricaturale les voisins, la nièce qui n’ont qu’une seule envie l’éliminer. C’est en tout cas ce qu’éprouve cette pauvre vieille. Ce faisant l’auteur creuse le fossé entre les gens normaux barricadés dans leurs valeurs conformistes et les marginaux. Du coup, nous aurions envie de les défendre ces braves gens. Tout le monde n’est pas capable de trouver de la poésie dans une meute de cafards qui élisent domicile dans un tas d’ordures. La description qu’en donne la voisine est particulièrement comique et grinçante, la référence à la métamorphose de Kafka imminente.

Sauf que la vision d’Aurélien DELSAUX dispose de cette fraîcheur d’enfance qui s’extasie, grossissant chaque impression comme dans des contes effrayants et fabuleux, peuplés de sorcières et de monstres.

Grâce à l’interprétation généreuse de Jeanne GUILLON et l’imagination foisonnante d’Aurélien DELSAUX, Madame DIOGENE se dresse comme une véritable poétesse :

« Souviens-toi qu’elle est née du chaos toute la beauté de nos îles ».

Paris, le 10 Septembre 2016                               Evelyne Trân

 

LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD de MARIVAUX – MISE EN SCENE DE Salomé VILLIERS au THEATRE DU LUCERNAIRE – 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS du 31 Août au 23 Octobre 2016 à 20 H du mardi au samedi, le dimanche à 18 H.

AFFICHE REPRISE  Le jeu de lamour et du hasard_HDAVEC SALOMÉ VILLIERS ( S I LV I A ) RAPHAËLLE LEMANN (LISETTE) PHILIPPE PERRUSSEL (M. ORGON) BERTRAND MOUNIER (MARIO) FRANÇOIS NAMBOT (DORANTE) ETIENNE LAUNAY (ARLEQUIN)

« Le jeu de l’amour et du hasard » n’est-il pas un titre de pièce magnifique qui résonne comme une exclamation ?

Il y a du mystère chez tout être pour Marivaux. Bien qu’issu de la noblesse, il a débordé de son rang social en devenant journaliste et observateur critique de son époque. C’est une ténébreuse affaire que celle de la hiérarchie sociale et Marivaux en son temps ne peut pas être révolutionnaire. Néanmoins extrêmement sensible à cette frontière sociale qui sépare irrévocablement les maîtres des valets et toujours les riches des pauvres, il réussit à la traverser en élevant la seule flamme qui vaille, celle de l’amour.

L’amour serait l’exception qui confirme la règle, l’impossibilité de déroger au déterminisme social. Tout se passe par le regard des uns et des autres, leurs réflexes, leurs clichés, qu’ils ont si bien assimilés du fait de leur culture, leurs croyances, leur éducation, qu’il semblerait qu’il n’y a pas d’autre issue pour les protagonistes que de se conduire tels qu’ils sont nés, rattachés à leur naissance, faute de quoi aussi perdre leur identité.

Dans ce jeu de masques où les bourgeois sont déguisés en valets et ces derniers en maîtres de maison, l’amour peut se déclarer avec pureté sauf que les protagonistes éclaboussés par cette fraîcheur sentimentale, sont bien obligés de se demander s’ils sont aimés pour eux mêmes- mais qu’est-ce que soi-même – pour ou malgré leur condition sociale, leur richesse ou leur pauvreté.

Conflit entre l’apparence et l’être . Marivaux n’entend pas aller si loin. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette pièce de montrer la réalité telle qu’elle est. Ce qui est affaire de sentiment reste individuel et ne changera pas les codes de la société. Sublimes du point de vue de l’amour, Silvia et Dorante se révèlent particulièrement peu amènes vis à vis de leurs valets jusqu’à éprouver de la répulsion à leur égard. Les masques n’y peuvent rien, la tache indélébile de la naissance fonctionne, les bourgeois et les nobles sont distingués, un domestique comme Arlequin doit être par essence grossier et mal éduqué. Que peut-on contre l’adage proverbial « Chaque pain a son fromage » ?

A ce niveau, le libéralisme aimable du père Orgon qui accepte la fantaisie de sa fille de se déguiser est de pure forme. Quant à la tentative d’émancipation féminine de Silvia, elle est encore très timide puisqu’elle doit se déguiser pour la faire valoir.

Dans la mise en scène de Salomé VILLIERS, une certaine outrance se dégage des valets notamment à travers leurs costumes voyants et vulgaires. L’esprit boulevard n’est pas loin et la pèche des comédiens accentue l’aspect ludique de la pièce. Quelques clips vidéos avec la musique rock et pop des sixties donnent le ton de la pièce interprétée comme une farce sociale.

Il appartient aux spectateurs d’y retrouver la cruauté qui suinte derrière les apparats de la comédie. Les comédiens sont excellents, notamment RAPHAËLLE LEMANN qui joue Lisette avec beaucoup de vitalité.

C’est cette vitalité inhérente à la pièce qui nous emporte comme dans un manège tourbillonnant avec ses occupants effarés faisant des signes au public : alea jacta est !

Paris, le 3 Septembre 2016                    Evelyne Trân

 

 

Derniers fragments d’un long voyage d’après le journal de Christian SINGER avec Jézabel d’Alexis au GUICHET MONTPARNASSE – 15 Rue du Maine 75014 PARIS – du 2 Septembre au 30 Octobre 2016, Vendredi et Samedi à 20 H 30, le Dimanche à 16 H 30.

derniers fragments

AVEC
Christiane Singer : Auteur
Dominique Fataccioli : Scénographe
Céline Marrou : Metteur en scène,Scénographe
Jézabel D’Alexis : Comédienne

Voix et voie se confondent dans leur homonymie pour poursuivre leur voyage. A l’annonce de sa mort prochaine, il ne lui resterait plus que six mois à vivre, Chrsitine SINGER vit la maladie comme une expérience, une épreuve. Et elle l’accueille en quelque sorte comme une présence invisible.

La maladie qui assiège son corps bouscule sa conscience, l’écarquille, c’est une relation intime qu’elle instaure avec cette maladie à la façon d’une condamnée à mort, à l’instar du condamné à mort de Victor Hugo, qui lape ébloui et avide chaque instant comme s’il était le dernier.

La réalité de la maladie forme mur, cloison, elle sépare des autres réalités mais Christine SINGER entend passer son visage à travers le mur, elle a toujours envie de vivre même torturée.

Son témoignage n’est ni intellectuel ni larmoyant. Il émane d’une personne pour qui l’écriture est une marche en avant. C’est la pensée qui tant bien que mal essaie de se frayer un passage à travers des mots. Dans ces derniers fragments, l’expérience de l’écriture et celle de la maladie nourrissent le vœu de l’écrivaine d’élever sa conscience, en tout cas de recouvrir sa pensée de son ultime étape charnelle.

Parce qu’il s’agit toujours de recouvrer la voix, passer par-dessus la souffrance sans l’occulter, au contraire en parler. Souffrir c’est encore être vivant. Dans ce journal où chaque date est une page arrachée à la mort, Christiane SINGER ne peut que s’éblouir encore toujours de vivre, d’accueillir chaque rémission de la douleur comme une respiration inespérée, extraordinaire, mystique.

Son témoignage est de nature à donner de l’espoir, du courage surtout à tout un chacun confronté à l’épreuve de la maladie. Au moment même où elle sent qu’elle va lui échapper, Christiane SINGER entend la fleur de vie lui frôler le visage et cette fleur, ce cadeau, elle l’appelle l’amour.

La présence de la mort invisible pourrait se confondre avec la présence d’un amour invisible. L’expérience n’est pas raisonnée elle fait partie du champ du corps et de l’esprit.

La mise en scène et la scénographie épurées de Céline MARROU et Dominique FATACCIOLI ont à cœur d’accompagner l’apparition de la comédienne Jézabel d’ALEXIS, véritable soleil noir de ce spectacle, confondant, magnifique.

Paris, le 3 Septembre 2016                           Évelyne Trân