AFRIKA MANDELA – Un long chemin vers la liberté – au Théâtre du Lucernaire – 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS – du 22 Juin au 27 Août 2016 à 21 Heures du mardi au samedi –

Afrika-MandelaTE X TE     J E A N – J A CQ U E S A B E L G RENEAU

M I S E  E N  S C È N E    KAT Y G R A N D I

AVEC

MODESTE NZAPASSARA (LA MÉMOIRE DE MANDELA)

PATRICIA VARNAY (LA JOURNALISTE )

JEAN-JACQUES ABEL GRENEAU ( P I ETER BOTHA)

LUMIÈRES ET RÉGIE GÉNÉRALE : FOUAD SOUAKER

PRODUCTION : SEA ART

CORÉAL I SATION : THÉÂTRE LUCERNAIRE, LIEU PARTENAIRE DE LA SAISON ÉGALITÉ 3 I N I T I É E PAR HF ÎLE-DE-FRANCE

L’arbre MANDELA, ses branches, ses racines, tel le baobab mythique est à ce point vivant qu’il peut même devenir bouc émissaire des espoirs déçus des Africains du sud toujours confrontés aujourd’hui à la misère économique et sociale.

Le message de Nelson MANDELA c’est celui de la patience, d’une humilité vaillante. L’homme a trouvé la force de tenir bon, ce qui est extraordinaire, pendant vingt sept ans en prison, grâce à la conscience de ses limites.

C’est l’homme en chair et en os qu’entend évoquer dans cette pièce Jean-Jacques Abel GRENEAU. A travers cette évocation, il est possible de comprendre que s’il n’avait pas tout d’abord été un homme, il n’aurait pas pu devenir le porte parole de l’A.N.C. qui n’avait qu’un seul objectif la fin de l’apartheid.

Face à lui un autre homme Pieter Willem BOTHA qui consacra sa vie au nationalisme Afrikaner, symbole de l’apartheid, qui plus par pragmatisme que par conviction initia des réformes contre la ségrégation raciale.

Dans cette pièce MANDELA fait penser à un philosophe, un vieux sage qui pratique la méditation, qui remet à sa place la journaliste étourdie qui vient l’interviewer en clamant « J’ai rendez vous avec l’histoire, j’ai rendez vous avec l’homme de l’histoire ».

Lui qui est athée répond avec humour « N’oubliez pas qu’un saint est un pêcheur qui cherche à s’améliorer » et encore « Je suis la mémoire, je dirai ce que je veux ».

L’homme issu d’une famille royale  Thembu de l’ethnie Xhosa  a reçu une éducation africaine traditionnelle et européenne.

S’il utilise la dialectique juriste européenne puisqu’il est avocat, il ne peut renier la sève culturelle africaine . Nous devons entendre aussi ce message.

La pièce débute par le beau poème de Ingrid JONKER « l’enfant n’est pas mort… l’enfant devenu homme arpente toute l’Afrique, l’enfant devenu géant voyage dans le monde entier sans laissez-passer ».

Cet enfant évoque à la fois Mandela et tous ceux à venir.

Nous avons apprécié la mise en scène très aérée de Katy GRANDI qui donne la dimension de la générosité et de l’humilité de MANDELA. Seul un grillage barbelé, celui de la prison, suggère combien fut long et semé d’embûches le long chemin vers la liberté.

Confronté à la jeune et fraîche journaliste interprétée par Patricia VARNAY et le fier BOTHA joué par Jean-Jacques Abel GRENEAU, Nelson MANDELA a l’assurance de celui qui sait en son âme et conscience qu’il n’étouffera jamais le cri de la liberté. Son interprète Modeste NZAPASSARA illumine littéralement le verbe poétique de Jean-Jacques Abel GRENEAU, très instructif humainement.

Paris, le 31 Juillet 2016                    Évelyne Trân

 

LE JOUEUR D’ECHECS de Stefan SWEIG au Théâtre du Lucernaire 53 rue Notre Dame des Champs 7500 PARIS jusqu’au 27 Août 2016 à 19 Heures du mardi au samedi – Relâche le 25 Août 2016 –

Le joueur déchecs 2Auteur : Stefan SWEIG
Artistes : André SALZET
Metteur en scène : Yves KERBOUL

Stefan SWEIG a souvent mis en scène des personnages solitaires dans leur bulle intérieure, presque coupés du monde. Mais il n’y aurait pas d’histoire s’ils ne se trouvaient pas confrontés à un événement extérieur, une émotion qui viennent bouleverser leurs illusions d’autarcie individuelle.

S’il paraît foncièrement individualiste Stefan SWEIG est conscient que l’homme est un être social . Le boire et le manger ne suffisent pas à un individu pour vivre, sans communication humaine, il est voué à la mort.

Plancher de solitude, lumière accrue de l’extérieur qui bouscule un être contraint par réflexe de protection à se replier sur lui même ou mouvements insipides d’actions qui se déroulent sans émotion particulière, configurent des états de consciences indépendants ou parallèles qui peuvent fort bien s’ignorer.

C’est manifestement ce qu’exprime Stefan SWEIG dans sa nouvelle « Le joueur d’échec » ou l’auteur qui a l’esprit d’escalier prend un malin plaisir à faire descendre le lecteur, juste muni d’une petite torche au fond d’un mystère humain.

Au départ, le narrateur obligeant et aimable raconte juste une anecdote souriante, sa rencontre lors d’une croisière avec un champion du monde d’échecs. Le narrateur est juste un homme curieux, doué d’un certain flair psychologique, pour qui la nature humaine n’a pas de secrets, quoique. Pour occuper sa croisière, il décide d’organiser une partie d’échecs entre un homme d’affaires imbu de sa personne et le champion également assez arrogant.

Le profil psychologique de ces personnages n’est pas très excitant, le champion et l’homme d’affaires étant aussi bornés l’un que l’autre. C’est alors que survient un 3ème personnage qui va chambouler cette partie d’échecs vouée à l’ennui.

Nous n’en dirons pas plus car toute la saveur de cette nouvelle tient au suspense, à cette façon si particulière qu’a l’auteur d’éclairer par de menues descriptions comportementales chacun des protagonistes.

Le point de l’intrigue, c’est bien sûr ce 3ème homme qui va jouer la partie d’échecs sans qu’aucun de ses partenaires, hormis le narrateur, ne s’intéresse à ses réelles motivations.

Il s’agit bien du dernier homme, celui qui a subi l’isolement et la torture dans une geôle des nazis en Autriche dont l’apparition à l’occasion d’une partie d’échecs ne viendra troubler que de façon éphémère et absconse l’ordre des choses. Qu’importe le vécu de cet homme qui pourrait s’appeler personne, il est venu pour jouer, il a joué. Échec et mat.

De toute évidence dans cette nouvelle qui sera publiée à titre posthume, Stefan SWEIG barre d’une grande ombre une autre partie d’échecs celle de la guerre en Europe déclarée par Hitler qui le poussa à s ‘exiler à Londres puis au Brésil avant de se suicider .

Dans cette nouvelle sont perceptibles nombre de faux fuyants de notre conscience, de multiples mouvements d’ombre et de lumière que la mise en scène d’Yves KERBOUL s’est attachée à exprimer de façon sobre mais très sensible.

Le jeu très transparent d’André SALZET qui signe cette remarquable adaptation, laisse courir les émotions au-delà des murs. C’est face à nous mêmes que nous nous retrouvons. L’appel au secours de Stefan SWEIG est hélas toujours d’actualité !

Paris, le 30 Juillet 2016                      Evelyne Trân

La cerisaie, variations chantées de Anton Tchekhov , mise en scène par Susana Lastreto du Jeudi 28 Juillet au samedi 30 Juillet 2016 à 20 H 30 (matinée également le samedi à 16 H 30) au THEATRE 14 – 20 avenue Marc Sangnier 75014 Paris –

la-cerisaie-variationsArtistes : Alain Carbonnel, Hughes De La Salle, Hélène Hardouin, Juanita Boada, Nathalie Jeannet, Matila Malliarakis, Igor Oberg, Solange Wotkiewicz, Annabel de Courson, Jorge Migoya.
 

Chiche ! Susana LASTRETO a peut-être bien planté un cerisier dans son théâtre en hommage à Anton TCHEKHOV et à sa cerisaie, libérant de turbulents souvenirs où se mêlent à la fois Peter BROOK et Michel PiCCOLI.

Quinze ans que la Compagnie GRRR est en résidence d’été au THEATRE 14 mais la belle aventure est sur le point de se terminer. Et la Cerisaie dit-elle a réveillé des échos de leur propre histoire :

« Mettre en scène la Cerisaie est un défi, il nécessite des moyens que nous n’avons pas encore trouvé ».

 Anton TCHEKHOV lui-même n’a-t-il pas laissé mûrir longtemps ses personnages, notamment Lioubov, Lopakhine, Trofimov, Firs avant de les autoriser à s’incarner sur scène. Il confie à sa chère épouse Olga, son petit cheval,  que « la Cerisaie point dans son cerveau, elle se transforme tous les jours ».

  C’est la joyeuse Compagnie GRRR qui joue tous les personnages en suspension. A vrai dire tout se  mélange car les artistes sont à la fois les personnages et  les comédiens qui les apprivoisent en chansons.

Les cerises ce sont les chansons douces amères, nostalgiques ou coquines qui nous content « l’enfant que j’étais » de Jeanne Moreau ou nous parlent d’un Dieu gargouille et carnaval qui fait soupirer Lioubov «Ah si seulement Dieu pouvait nous venir en aide ! ». Des cerises qui ont la chance d’être alcoolisées par la férule d’excellents musiciens Annabel de Courson et Jorge Migoya.

 Tchekhov était un grand rêveur et sa Cerisaie, une très fine partition, c’est vu du ciel à la terre ou inversement, du fil tendu de l’invisible au visible, et le bonheur de revoir certaines scènes, d’écouter la magnifique tirade de l’étudiant Trofimov :

 « Imaginez, Ania : votre grand-père, votre arrière-grand-père, tous vos ancêtres possédaient des esclaves, ils possédaient des âmes vivantes, et ne sentez-vous pas dans chaque fruit de votre cerisaie, dans chaque feuille, dans chaque tronc, des créatures humaines qui vous regardent, n’entendez-vous donc pas leurs voix ?… » 

et s’émouvoir de la triste fin du vieux domestique  Firs. 

 Tchekhov c’était aussi un bon vivant, et nous voulons bien croire que son dernier geste avant d’expirer et d’avoir vu jouer sa Cerisaie, fut de boire une coupe de champagne.

Avec Susana LASTRETO et toute la troupe de la compagnie GRR, en rêvant de la Cerisaie, nous avons trinqué avec le jeune TCHEKHOV !

Paris, le 29 Juillet 2016                                  Evelyne Trân 

 

 

J’AI SOIF d’après Si c’est un homme de Primo Levi et Les Sept Dernières Paroles du Christ en croix de Joseph Haydn – Avec Musique Sacrée en Avignon les 20 et 21 Juillet 2016 à AVIGNON –

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Poème Si c’est un homme sur une plaque commémorative posée sur la façade de l’hôtel de ville de Livourne le 27 janvier 2014 en hommage aux victimes de la Shoah.

Poème placé en exergue de Si c’est un homme

Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.

Turin, janvier 1947, Primo Levi

Distribution

Mise en scène et jeu Serge Barbuscia 
Orgues Maurizio Salerno, Luc Antonini

Production

Coproduction Musique Sacrée en Avignon, Festival d’Avignon
En partenariat avec l’association Orgue Hommage à Messiaen, la Mairie de Roquemaure, l’association des Amis de l’Orgue de Roquemaure, la Mairie de Malaucène, l’association des Amis de l’Orgue de Malaucène, le Festival des Choeurs Lauréats de Vaison-la-Romaine, le Théâtre du Balcon

J'ai soif

 

Nous souhaiterions presque nous abstraire de la beauté du site, la basilique des Doms d’Avignon, ne pas céder à la tentation d’extase musicale que procure l’écoute de l’oratorio « les sept dernières de paroles du christ » commandé à Joseph Haydn en 1786 pour la semaine sainte, en tant qu’accompagnement aux paroles attribuées au christ lors de sa  crucifixion.

Peut être parce qu’il est possible d’avoir mauvaise conscience de satisfaire notre curiosité, notre désir de sensations sublimes alors même que ce qu’il nous est proposé d’entendre c’est à travers des extraits de l’œuvre de « Si c’était un homme » de Primo LEVI , un témoignage, juste la parole d’un homme en somme, en quête d’humanité, qui vient de subir une expérience de déshumanisation, de négation totale de l’idée que quiconque dans sa vie ordinaire peut se faire d’un humain.

Primo LEVI n’a pas fait partie de ces victimes du camp d’Auschwitz sélectionnées pour la chambre à gaz. Il a pu observer, tout en faisant partie, ceux qui étaient condamnés à une mort lente, à se vider de leur substance jusqu’à s’effacer du monde des humains.

Primo LEVI a conscience que l’expérience qu’il a vécue est impossible à communiquer. En tant que survivant, il a pu sauvegarder en lui ce réflexe d’assistance à personne en danger. C’est le sens, l’essence même du mot humain qui s’est déchiré sous ses yeux. Après une telle épreuve, une remise en question de l’homme, de ses valeurs, de ses croyances balayées par une réalité meurtrière innommable, s’impose. Aucun homme n’est préparé à vivre des situations aussi extrêmes. La glorification des héros ne sert que de bouclier et d’écran artificiel, de déni de la fragilité morale, psychologique, physique d’un homme mis en danger par un autre. Œil pour œil, dent pour dent, là n’est pas la question.

Il est question de survie. Primo LEVI n’ a pas seulement éprouvé l’humiliation morale, il a éprouvé la tentation de l’oubli. Après une catastrophe, après la mort, la vie reprend ses droits et son cours ordinaire, tout se passe comme si rien ne s’était passé, ce qui signifie que ce malheur là profitant de l’oubli peut à nouveau se déclarer.

Qu’est ce qui fabrique un homme ? Pour paraphraser Simone de BEAUVOIR, nous pourrions dire, on ne naît pas humain on le devient . Il ne s’agit pas tant d’une quête d’identité que de donner un sens humain à l’existence, puisqu’évidemment la destruction de l’homme par l’homme n’a pas de sens.

Le message de Primo LEVI est humble, il ne s’adresse pas aux héros, à ceux qui cultivent la force pour écraser les plus faibles, il s’adresse à ce qu’il y a de plus d’ordinaire, d’enfoui aussi dans la conscience, nos réflexes de lâcheté, de peur et de haine que la raison si elle n’est pas accompagnée de volonté, ne suffit pas à contenir.

Nous pouvons remercier Serge BARBUSCIA d’avoir fait entendre ce message de Primo LEVI qui parcourt son corps tout entier et dont la voix parfois paraît aussi émue que celle d’un enfant…

C’est beau parce que nous sommes vivants, ne l’oublions pas !

Paris, le 24 Juillet 2016                      Evelyne Trân

Artaud-passionde Patrice TRIGANO au Théâtre ARTEPHILE : 7, rue du Bourg Neuf 84000 Avignon – du 7 Juillet au 30 Juillet 2016 à 15 H 45 –

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Portrait de Florence LOEB par Antonin Artaud (photo D.R.)
durée : 1h / cie Terrain de Jeu / texte : Patrice Trigano / mise en scène : Agnès Bourgeois / avec : Jean-Luc Debattice, Agnès Bourgeois / scénographie : Didier Payen / musique (live) : Fred Costa, Frédéric Minière / costumes : Laurence Forbin / Lumière : Laurent Bolognini.
production : Terrain de jeu / soutien : Anis-Gras à Arcueil / la cie Terrain de Jeu est conventionnée par la DRAC Ile de France et la région IDF.

Le regard d’une toute jeune fille puis d’une vieille femme sur Antonin ARTAUD, c’est celui de Florence LOEB, la fille du galeriste Pierre LOEB qui a inspiré Patrice TRIGANO, l’auteur de cette pièce « Artaud passion ».

Antonin ARTAUD a fait un portrait de Florence LOEB extrêmement suggestif et pénétrant, daté du 4 Décembre 1946. Il avait rencontré Florence LOEB, lors de son retour à Paris après 9 années d’internement, 2 ans avant sa mort, lors d’un vernissage de ses dessins à la galerie  de Pierre LOEB.

C’est un charbon ardent que cette rencontre entre une adolescente et un vieillard. Étonnamment, loin de la rebuter ou de la dégoûter la présence physique d’Artaud fascine la jeune fille.

C’est un corps écriture qu’elle devine, un corps devenu le présentoir d’une souffrance humaine abyssale, exsangue mais animé par une sorte de voyance extra humaine.

Noue entendons Florence tutoyer Artaud comme s’il l’habitait . Par la parole elle invoque sa présence sur scène, elle l’idéalise forcément, elle en fait un dieu :

« Mon mentor, mon pygmalion, la torche vivante que tu étais a éclairé le monde … Par la tendresse qui émane de la profondeur de tes yeux bleus, je tombe sous ton charme… ».

C’est d’ailleurs tout le charme de ce spectacle de laisser planer l’idée du simple amour, de sa pureté, même si elle peut faire ricaner. Derrière la violence du personnage vindicatif et révolté, il y avait la douceur. C’est l’être qui en témoigne dont le personnage de Florence se fait l’interprête à travers son ressenti affectif et non intellectuel.

Artaud ne cessera de prendre la parole, c’est un incroyable résistant – il a subi des dizaines d’électrochocs – mais il est lucide. Il suit obstinément le chemin qu’il s’est donné :

« J’ai choisi le domaine de la douleur comme d’autres celui du rayonnement et de l’entassement de la matière… »

« Toute création est un acte de guerre contre la faim, contre la maladie, contre la vie, contre la mort, contre le destin, c’est pourquoi il n’y a pas de meilleure révolution que le théâtre. Le théâtre double la vie. La vie double le vrai théâtre… ».

Il y a du sentiment dans ce spectacle. Artaud dégaine, c’est un Don Quichotte au pays des Indiens des Tarahumaros, un slameur bégayant lors de sa conférence au Vieux Colombier, un poète qui inspire un beau duo de musiciens au saxo, à la guimbarde et le créateur d’une curieuse machine cinétique en forme d’hélice. Toute l’équipe s’est donné le mot pour faire piaffer l’imagination sensitive, affective, explosive d’Artaud.

Agnès BOURGEOIS illumine cette Florence amoureuse qui a certainement séduit le « sauvage » Artaud qui « délicatement me fait part de ses problèmes ». Quant à Jean-Luc DEBATTICE, il fait rayonner avec émotion toute l’ardeur des propos d’Artaud.

Un très beau spectacle qui offre aux spectateurs une vision d’Artaud, tout à fait palpitante. A ne pas manquer !

Paris, le 23 Juillet 2016                      Évelyne Trân

 

À FLEUR DE PEAU par le Groupe F – 17 juillet 2016 – Palais de Venaria – Festival Teatro a corte 2016 –

DO8_2410ÉCRITURE ET DIRECTEUR DE CONCEPTION CHRISTOPHE BERTHONNEAU / COMPOSITION MUSICALE SCOTT GIBBONS 7 CREATIONS TECHNIQUES THOMAS NOMBALLAIS / PRODUCTEUR EXÉCUTIF CÉDRIC MOREAU / ANIMATION VIDEO THIERRY DORVAL – YANN LOÏC LAMBERT / COLLABORATION ARTISTIQUE DOMINIQUE NOEL / COSTUMES ANN WILLIAMS – GITTA HEINZ-FRANQUET / AVEC BARBARA AMAR, BERTRAND GUERRY, CÉDRIC MOREAU, DIDIER BONNARDEL, BRAU GILLES, JEAN-LUC Pennetier, JEAN-MICHEL RIOU, JEAN-PATRICK PELLETIER, JOHANNA Bortuzzo, MARIO SAREL, RACHEL CRONIER, SYLVAIN MAN, THOMAS NOMBALLAIS

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Le festival Teatro a Corte 2016 a réussi à faire entrer dans l’imposant parc de la VENERIA, près de 3000 personnes venues assister au magnifique spectacle pyrotechnique conçu par le GROUPE F, une compagnie française, réputée dans l’art du feu qui a travaillé notamment pour BJORK et a illuminé la Tour Eiffel en l’an 2000.

De curieuses silhouettes de cosmonautes accompagnées de créatures qui crépitent sous leurs flammes vont et viennent autour d’une ruche en forme de pyramide volcanique pour essaimer dans le ciel de fulgurantes fusées d’artifice, créer des jets de flambeaux qui font office de jets d’eau, tout en évoluant en suspension comme de véritables spationautes. .

Quel est donc le sens du manège de ces personnages. Faut-il comprendre qu’ils sont d’essence extra-terrestre puisqu’ils communiquent avec des créatures de feu ?

Le feu tout de même reste un mystère. Nous connaissons tous la formule « Il ne faut pas jouer avec le feu » Mais le feu a des antennes cosmiques auxquelles sont particulièrement sensibles les artisans de ce spectacle époustouflant visuellement.

Balade terrestre ou balade cosmique ? Après tout la terre ne fait-elle pas partie du cosmos. Nous pouvons bien nous projeter dans l’espace et le temps confondus pour assister à ce ballet entre l’homme d’aujourd’hui et l’homme du futur.

La sensation de vertige que procure la promiscuité d’un être aussi fragile que l’homme avec le cosmos résonne de façon très émouvante dans cette proposition tout à fait fantastique.

Paris, le 20 Juillet 2016                            Évelyne Trân

LA PARTIDA – Vero Cendoya – Le 16 Juillet 2016 dans le parc du Château de RACCONIGI – Festival Teatro a corte 2016 –

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DO8_1958REGIA E COREOGRAFIA VERO CENDOYA / DIREZIONE MUSICALE ADELE MADAU / ASSISTENTE REGIA E MOVIMENTI GEMA DIAZ / DANZATRICI DORY SANCHEZ, XARO CAMPO, LINN JOHANSSON, NATALIA D’ANUNZZIO, SARAH ANGLADA / CALCIATORI GASTÓN DE LA TORRE, BABOU CHAM, ADRIAN NIETO, ALIK SANTIAGO CORDECH, REYNALDO ZERPA / ARBITRO MIKEL FIOL / COLLABORAZIONE SPECIALE BLANCA PORTILLO / COSTUMI KIKE PALMA E ESTER MUÑOZ / PRODUZIONE ISABEL BONILLA BESSET / COPRODUZIONE FIRA DE TÀRREGA E CENTRO COREOGRÁFICO EL GRANER

CON LA PARTECIPAZIONE DI ADELMO LUCCOLI, DENISE AIMAR, GIOVANNA MAGNOLIA, GIUSEPPE SACCOTELLI, NADIA CANEVARO, SARA SACCOTELLI, TAMARA SEGAL, VALERIA MIRABELLA

C’est un des spectacles les plus originaux de ce festival. La chorégraphe catalane Vero CENDOYA a eu l’idée lumineuse de mettre en scène une partie de foot entre danseuses et footballeurs.

Faut-il insister sur le fait que les danseurs soient des danseuses, ne serait-ce que pour induire l’idée que la danse qui valorise la grâce, la légèreté, serait une discipline plus adaptée au genre féminin que le foot plus brutal, plus violent et de toute façon beaucoup plus pratiqué par les hommes que par les femmes.

Au delà des valeurs clichés, des apparences, il y a les règles de ces deux disciplines, le foot et la danse que Vero CENDOYA s’est plu à explorer pour mettre en évidence leurs affinités.

Sur le terrain, elles sont contraintes de se combiner, s’adapter.Vraiment un surprenant spectacle ! Ceux qui ne comprennent rien aux règles du football ne peuvent que s’émouvoir de voir des footballeurs danser. Qui l’eût cru ? Quand aux danseuses, elles ont de l’énergie à revendre et se révèlent de subtiles footballeuses !

L’arbitre est un danseur, chanteur, comédien, extravagant qui court dans tous les sens. Il est possible de douter de son impartialité.

Les danseuses ont semble t-il, beaucoup de mal à imposer leur mode d’expression face à l’incompréhension, les rejets de la part des footballeurs. Mais une partie est en jeu, pour gagner il faut apprendre à connaître l’adversaire.

Le pari est audacieux mais au fil de la partie, les deux clans qui ont appris à jouer ensemble finissent par se rapprocher, à reconnaître chez l’autre un compagnon de jeu et non plus un adversaire.

Le sport serait il un moyen de libérer les ressorts positifs de l’inconscient collectif . Dans ce match, il est à l’œuvre de façon onirique, poétique et festive. Le public supporter du spectacle reprend en chœur les chansons des équipes dont la musique est créée par des musiciens de Turin.

Le festival Teatro a corte aura eu son Euro de la danse et du sport grâce à cette rencontre captivante qui exalte l’esprit et le corps !

Paris, le 20 Juillet 2016                         Evelyne Trân

 

 

HAKANAI le 15 Juillet 2016 – RIVOLI CASTELLO/PREMIERE NATIONALE – FESTIVAL TEATRO A CORTE 2016 –

hakanai750IDEAZIONE ADRIEN MONDOT E CLAIRE BARDAINNE / DANZA AKIKO KAJIHARA / INTERPRETAZIONE DIGITALE LOÏS DROUGLAZET / CREAZIONE SUONO CHRISTOPHE SARTORI, LOÏS DROUGLAZET / INTERPRETAZIONE SONORA CLÉMENT AUBRY / DESIGN COSTRUZIONI MARTIN GAUTRON, VINCENT PERREUX / STRUMENTI DIGITALI LOÏS DROUGLAZET / LUCI JÉRÉMY CHARTIER / SUPERVISORE ESTERNO CHARLOTTE FARCET / COSTUMI JOHANNA ELALOUF / DIRETTORE TECNICO ALEXIS BERGERON /

 

Bien sûr il y a la sophistication des moyens déployés pour faire coïncider le  virtuel et le solide. Une danseuse japonaise évolue au milieu d’images absolument virtuelles un peu en somme comme celles qui s’échappent de nos rêves intimes. Il en va ainsi aussi de nos sentiments, de ses pensées qui s’oublient. L’homme est à la fois celui qui court après le papillon pour le clouer au mur et celui qui pleure de n’avoir pas d’ailes pour voler. Il faut qu’il jette un sort sur ses émotions, qu’il les sublime, qu’il conjure le fait qu’il va disparaitre  pour devenir terrain de jeu de forces contradictoires, entre flux et reflux. Alors la danseuse devient une sorte de bouée réfléchie  ou secouée par les rayures du temps, ses trous, ses ornières, ces bouffées vaseuses ou transparentes.

 Est-il possible de dompter ses impressions, sont-elles vraiment élastiques ? La danseuse qui telle un araignée fluide fait rebondir les grillages, les filets de son enclos a-t-elle le pouvoir de dialoguer avec la pluie, le tsunami, les bombes ?  Peut-elle vraiment jouer à cache à cache avec toutes ses sensations, est-elle seule ou un objet cobaye observé par des savants, est-elle une souris, ou bien est-elle libre sans le savoir parce qu’elle prend plaisir à jouer, à jongler avec les images qui tombent du ciel, enfantines comme les ombres de mobiles qui s’agitent dans le berceau d’un nourrisson, éphémères comme une course de nuages dans le ciel.

 Danseuse papillon libre, Akiko KAHIJARA nous donne envie d’y croire obstinément. Les mouvements de son corps végétal vont bien au-delà de la cascade d’images. Nous refusons l’idée qu’elle puisse être prisonnière. Il y a chez elle un mystère qu’invoquent certainement les créateurs du spectacle  apprentis sorciers engagés dans leur recherche artistique et technologique au cœur de notre environnement.

 Paris le 17 Juillet 2016                           Evelyne Trân

A STRING SECTION – RACCONIGI PARCO – le 16 Juillet 2016 – FESTIVAL TEATRO A CORTE 2016 –

DO8_1619DO8_1636CON LEEN DEWILDE, LISA KENDAL, RACHEL RIMMER, CAROLINE D’HAESE, ORLA SHINE
COREOGRAFIA LEEN DEWILDE
REGIA MOLE WETHERELL

40 minuti
PRIMA NAZIONALE – Regno Unito

 

Ceux qui ne sont pas cloués sur des chaises à longueur de journée dans un bureau ne s’éprouveront pas forcément concernés par le spectacle surréaliste et fou qui a été présenté par la Compagnie du Royaume Uni, RECKLESS SLEEPERS, dans le parc du Château RACCONIGI.

Curieux spectacle qui bouscule à la fois la raison et les sens. Ce que l’on voit paraît pourtant fort simple. Ce sont cinq jeunes femmes élégantes vêtues de noir qui scient les chaises sur lesquelles elles sont assises.

Obéissent-elles à un ordre venu d’en haut, sont-elles payées pour exécuter une tâche qui n’a pas de sens . Une chose est sûre c’est qu’elle font preuve d’un zèle inouï, dans un rapport quasi sado masochiste à leur outil de travail puisque plus elles travaillent, plus elles scient leurs chaises, plus elles se mettent dans des situations grotesques et dangereuses.

Faut-il que le travail soit toujours associé à la peine, au labeur, à la transpiration ? Rappelons étymologiquement en français le mot travail découle du latin tripâlium qui est un instrument de torture.

Oh pauvres chaises torturées par d’appétissantes jeunes femmes aux jeux de jambes particulièrement affriolants, devenues objets indésirables et supports niais de la bêtise humaine.

Ou bien s’agit il d’une métaphore de notre capacité de destruction, d’indifférence cruelle vis à vis des objets qui nous entourent ?

Pulsion de vie, pulsion de mort se focalisent sur un même objet, ici, une chaise pour le détruire. Est-ce le bonheur de commettre un acte gratuit, valorisant uniquement notre vitalité, notre bonne volonté ?

Elles s’essoufflent à scier leurs chaises et trouvent pourtant le moyen en dépit de la monotonie de leur travail d’utiliser toutes les postures possibles et inimaginables pour venir à bout de leur tâche.

Toutes bêtes avec leurs chaises cassées, elles n’ont plus rien à dire. C’était leur jeu à elles, leur façon de dialoguer avec des chaises, la main à la scie mais la jambe bien en l’air !

Un jeu cruel de petites filles ! Pourquoi aller chercher plus loin. Vous leur avez fait la peau à ses sièges qui vous collent aux fesses et vous vous êtes bien dépensées ! Viva la la liberté !

Oui, le spectateur peut succomber au mirage de tenir au bout de ses prunelles, une sculpture mouvante, un bandeau de fresque érotique et croire que les cinq danseuses ne s’acharnent sur les moulures de leurs chaises que pour faire siffler le temps qui passe en remuant ciel et matière.

Elles ne peuvent pas se défendre les chaises, nous le savons bien et de la même façon comment se défendre du fantasme de donner un coup à la chaise de repos pour se dire oui, je suis libre, je peux m’en passer.

Bêtes comme des pieds de chaises ! Cherchez la bête ! Le spectacle est une véritable devinette qui peut se dégourdir en tous lieux, entrepôt, église, etc. Il était normal que le nuage de ces jeunes femmes drôle et poétique se déplace au château de RACCONIGI, dans le cadre du festival Teatro a corte, toujours goûteur de surprises !

Paris, le 20 Juillet 2016                                Evelyne Trân

DON QUICHOTTE, FARCE ÉPIQUE / 18H30 d’APRES CERVANTES au THEATRE DU LUCERNAIRE – 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS du 22 Juin au 20 Août 2016 du mardi au samedi à 18 H 30

don-quichotteMetteur en scène : Jean-Laurent Silvi

Avec Sylvain Mossot, Axel Blind, Barbara Castin, Anthony Henrot

Si nous pouvions rire de certaines vedettes politiques qui promettent la lune pour balayer notre vision terre à terre de la réalité, comme nous rions des mésaventures de Don Quichotte le chevalier errant et de son écuyer Sancho Pança, nous pourrions adhérer à cette observation lancée par Don Quichotte lui même à Sancho Pança : Quelque chose te brouille la vue.

« Qu’est ce donc, aujourd’hui, la chevalerie errante ? » demande naïvement l’intervieweuse à Don Quichotte aussi sûr de lui même qu’il le fut à sa naissance, il y a déjà cinq siècles. Ce valeureux personnage, est un grand illuminé qui prend ses désirs pour la réalité . C’est un fou mais un fou sympathique parce qu’il se dégage une certaine pureté dans l’exaltation de ses désirs. Entier, il est incapable de compromis, c’est une tête brûlée mais qui a du cœur.

La vanité voilà la grande affaire humaine, c’est elle qui gonfle les appétits de gloire et de pouvoir, et ce faisant permet d’occire, sinon oublier la dépression, la mélancolie, la tristesse qui nous poussent à ressasser « Le monde va mal, toujours mal ».

La vanité, personne n’y échappe, même le laboureur,Sancho Pança séduit par la carotte que lui tend Don Quichotte, de devenir gouverneur d’une belle île.

L’imagination chaleureuse de Don Quichotte qui lui permet de voir une prostituée comme une princesse retrousse le regard négatif et limité toujours en jeu dans les relations humaines. Comme nous aurions besoin d’un Don Quichotte à l’assaut dans nos métros bondés, capable de rabattre le caquet à celui qui se permet de lancer à la cantonade « S’il y avait moins d’étrangers, il y aurait plus de place ».

Évidemment, le roman de Cervantès est si profus, qu’il n’est pas possible de le raconter en une heure sur scène. Mais le metteur en scène Jean-Laurent SILVI, gagné par l’ardeur de Don Quichotte, grâce au pouvoir de la fée improvisation, donne des ailes aux interprètes qui jouent quelques fragments incontournables de l’ épopée : l’aventure des moulins à vent, la rencontre à la sierra Morena d’un chevalier étrange et dénudé Cardenio, le récit ahurissant de Sancho Pança, destiné à détourner Don Quichotte – sous l’emprise d’un coup de Friston l’enchanteur – d’une aventure atroce et terrifiante, les armées qui se révèlent n’être que des troupeaux de moutons …

Axel BLIND, Sancho Pança plus vrai que nature et Sylvain MOSSOT en Don Quichotte enragé, forment un duo tragi-comique irrésistible. Barbara CASTIN, l’intervieweuse et la princesse Micomicona est tout à fait piquante et Anthony HENROT, le maître de cérémonie et surtout Cardénio, excellent.

Si vous n’avez pas le courage de lire les mille pages de Don Quichotte, cet été, nous vous invitons à découvrir néanmoins, ce que le livre a essaimé chez cette joyeuse équipe, une farce épique énergisante qui met du baume au cœur !

Paris, le 13 Juillet 2016                                 Évelyne Trân