Mères sans chatte écrit en 2007 et A (II) Rh+ en 2011 de Nicoleta Esinencu par la Compagnie de Briques et de Craie.Traduction française de Mirella Patureau au TRITON – 11 Bis Rue du Coq Français, 93260 Lilas (Les) les 30 et 31 Octobre 2015 à 20 HEURES – SALLE 2 –

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Mise en scène et interprétation

CAMILLE HAZARD et SEBASTIEN PEYRUCQ

Quelles nouvelles de la MOLDAVIE ? Connaissez vous ce petit pays d’Europe orientale, situé entre la  Roumanie et l’Ukraine, longtemps sous la domination du régime soviétique , qui proclama son indépendance en 1991 ?

Nicoleta ESINENCU, une jeune auteure Moldave, se fait l’interprète des tensions qui règnent dans ce pays dans les deux monologues Mères sans chatte et A (II) RH+, mis en scène par Camille HAZARD,

Dans Mères sans chatte, une jeune fille devenue la caisse de résonance, bien malgré elle, de son environnement familial, laisse jaillir toutes les phrases que lui ont assenées sa mère, sa tante, sa grand mère comme autant de coups de marteau destinés à lui enfoncer dans le crâne des règles de bonne conduite. En réalité, ces phrases « ordinaires » trahissent l’énervement, le stress quotidien infernal de ses proches, la misère matérielle et morale. Mais ces paroles sont comme des vipères, elles continuent à circuler dans la cerveau de la jeune fille qui les récite pour les exorciser.

Dans A (II) RH+, la parole est donnée à un père de famille englué aussi dans la misère jusqu’au cou, qui évacue sa haine, sa rancœur, en récriminant contre les étrangers. Il propose même d’instaurer des journées de haine contre les tziganes, les hongrois, les américains etc. Toute la semaine ne peut y passer. Ces propos sont odieux, infects mais comme ceux du précédent monologue, ils sont révélateurs, d’un mal de vivre. Cette culture de la haine l’auteure la montre à vif, tel un poison asphyxiant qu’il faut pourtant regarder en face pour mieux le combattre.

Avec beaucoup de fraîcheur, Camille HAZARD interprète la jeune fille qui se débat contre un tonneau de mauvaises pensées en prenant les voix de mégères péremptoires, telles qu’elle les a entendues et entend encore avec son cœur d’enfant.

Sébastien PEYRUCQ joue de tout son corps pour exprimer la détresse morale, la folie de ce père de famille extrêmement troublant.

Nicoleta ESINENCU ne ménage pas ses auditeurs. Les paroles qu’elles lâchent font l’effet de cailloux dans la bouche qui laissent les lèvres ensanglantées. Ça fait mal, très mal mais en même temps, il s’agit de blessures qui tracent la mémoire. Sortir le mal, percer le pus, c’est nécessaire pour empêcher la gangrène.

Camille HAZARD nous offre une mise en scène dépouillée qui convient à cette écriture violente. Discrètement avec grâce, elle inclut dans la scénographie du 2ème monologue, une vidéo où l’on voit sa main exécuter un dessin d’enfant.

C’est un beau spectacle cruellement parlant. Nous irons en Moldavie, en guise de soutien à ceux qui partagent l’énergie, le courage deNicoleta ESINACU . Merci Camille HAZARD et toute son équipe pour cette belle découverte !

Paris, le 12 Novembre 2015                       Evelyne Trân

LOU VOLT – LES DOIGTS DANS LA PRISE – UN SPECTACLE D’HUMOUR MUSICAL d’après une idée de LOU VOLT – Le jeudi, vendredi et samedi à 19h30 jusqu’au 2 Janvier 2016 au Théâtre de l’Archipel – 17 Bd de Strasbourg 75010 PARIS –

ARCHIPEL

Artiste : Lou Volt

Auteurs : Xavier Thibault (Grand orchestre du Splendid), Eric Toulis (Les Escrocs)
Mise en scène : Yves Carlevaris
Costumes : Françoise Sauvillé

Lou VOLT que nous avons découverte en plein cœur de Paris, est un phénomène. Nous pourrions dire un phénomène de foire, de foire à chansons . On sent chez elle, un besoin irrésistible de chanter. Figurez vous qu’elle chante des chansons à textes pas tristes du tout, composées pour elle par Xavier THIBAULT du Grand Orchestre du Splendid, dans la veine des esprits des chansonniers, satiriques, boute en train, explosifs mais jamais méchants.

C’est dans une ambiance très music-hall qu’elle accueille le public à l’Archipel. Aussi folle qu’une Jacqueline MAILLAN, elle n’hésite pas à ridiculiser sa belle plastique, pour jouer le jeu et la vie d’une artiste de music- hall à paillettes, oui, qui se la joue puisqu’elle prétend être l’amie de Céline DION qui lui prête son orchestre.Celui ci l’accompagne en effet, grâce à une transmission télévisuelle, en duplex, en direct de LAS VEGAS !

Lou VOLT se déchaîne véritablement. Mais derrière l’hystérie de façade pour faire rire, le public entend aussi le cœur d’une femme, qui ne peut s’exprimer pleinement qu’en chantant. Très physique, son woman show se révèle aussi très émouvant.

On sent dans la salle, une véritable proximité entre Lou Volt et le public. Son enthousiasme est communicatif et fait plonger les spectateurs dans son univers loufoque, décalé, « sauvage ».

Ambiance unique donc. Oui, vraiment Lou VOLT mérite le détour. Beau brin de femme qui a de la gouaille comme Arletty, de la distinction comme Jacqueline Maillan, un beau timbre de voix et cette superbe ressource, l’amour du public !

Paris, le 11 Novembre 2015                             Evelyne Trân

LA VOLUPTE DE L’HONNEUR DE LUIGI PIRANDELLO – Mise en scène de Marie-José MALIS du 5 au 20 Novembre 2015 – 2 Rue Edouard Poisson 93300 AUBERVILLIERS –

banniere_-volupte_de_lhonneuravec Pascal Batigne, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Victor Ponomarev, Michèle Goddet…

Juan Antonio Crespillo Angelo Baldovino   Sylvia Etcheto Agata Renni   Michèle Goddet La signora Maddalena  

Victor Ponomarev Le marquis Fabio Colli  Olivier Horeau Maurizio Setti  Pascal Batigne Le curé de Santa Marta

et en alternance,Ophélie Clavié et Ysé   Louise Roch et Nil  une femme de chambre et son enfant

Etes vous prêts pour partir à la rencontre d’un héros ? Et avant même que vous ayez eu le temps de répondre, voici Pirandello qui vous pousse sur la scène. Il est derrière le rideau et il vous souffle « le héros c’est vous » . Ce que vous n’avez jamais cru pouvoir être dans la vie, vous allez le jouer sur scène.

C’est ce qui se passe pour BALDOVINO, un homme « déchu » qui ne croit plus en lui même . Embauché pour servir de mari à une jeune femme engrossée par un marquis qui ne peut pas l’épouser, il va mettre un point d’honneur à jouer ce rôle de mari non plus dans la forme mais en toute conscience.

Sauver les apparences, voilà l’essentiel ! Rappelons qu’en 1900, être fille-mère, surtout dans la haute société, constituait un scandale, une véritable honte. Aujourd’hui, les mœurs ont évolué croit-on, on peut parler de tout, de la sexualité, des maladies « honteuses » etc, mais l’apparence fera toujours partie du jeu social, c’est un étendoir, un filet mouvant qui a pour objet d’éloigner les intérêts individuels du lieu commun de référence, une société hiérarchisée, étatisée, réglée.

A vrai dire, ce n’est pas tant la transparence qui prime que l’ignorance qui constitue un réflexe de rejet de l’autre banal voire naturel. BALDOVINO devenu loup dans la bergerie en connaît tous les codes. Il entend aller jusqu’au bout du rôle qui lui a été donné, mu par un certain désespoir. C’est l’homme, la personne qu’entend ignorer la famille qui l’a embauché, qui parle, qui agit. Un homme victime, un homme qu’il serait possible d’effacer, de jeter, après avoir servi. Sauf que connaisseur du secret familial, BALDOVINO va refuser la possibilité, après tout plus tranquille, de n’être qu’un faux semblant.

Chez Pirandello, l’occurrence est toujours affective, émotionnelle. Chez l’homme, il perçoit les parties mutilées. C’est au moment où BALDOVINO s’éprouve sans bras, que son « moi je » vient à s’exprimer, qu’une canne invisible le porte. Quand il croit avoir fait le tour de lui même, qu’il est à bout, qu’il sait qu’il n’y a pas d’issue, une femme lui tend les bras.

BOLDOVINO n’a qu’un seul tort aux yeux des autres, c’est de s’impliquer et de s’exprimer. Dans cette famille, il n’est question que de confort, confort des bienséances, des apparences. Comment oublier que ses valeurs de confort, de respectabilité ne peuvent subsister que si elles nettoient tout autour d’elles, les mauvaises herbes, les taches, les scandales, à quel prix ?

Adaptatrice et metteure en scène de La Volupté de l’Honneur, Marie José MALIS confie « Je ne sais pas faire du théâtre rapide, voire simplement rythmé : j’ai besoin de tout le temps de la pensée et du sentiment pour les acteurs ».

Trois heures trente de spectacle, c’est à la fois très long et très court pour faire émerger ce personnage extraordinaire BALDOVINO. Qui n’a jamais eu la tentation d’en découdre avec ses propres masques ? BALDOVINO, c’est celui qui ramasse cette chair informe de cœur, celui d’une famille « hors la loi » composée d’un amant, une amante, la mère, l’enfant, qui finit par s’identifier à ce pauvre cœur au point de le secouer, le faire palpiter… Et qui rêve sans y croire, à un monde meilleur.

Juan Antonio CRESPILLO vraiment impliqué dans ce rôle de BALDOVINO lui offre beaucoup de nuances. C’est un Arlequin Polichinelle, aussi retors qu’un personnage de Dostoïevski, doublé d’un Pierrot lunaire, éperdu… Sylvia ETCHETO compose avec chaleur cette femme « libre » rêvée par Pirandello, Agata RENNI.

Leurs partenaires,Victor Ponomarev , Olivier Horeau , Pascal Batigne réussissent à exprimer la gêne, le manque d’âme des autres rôles, ceux du marquis, du cousin et du curé, moins gâtés spirituellement par Pirandello. Michèle Goddet  donne beaucoup de générosité au personnage de la mère, la signora Maddalena

Un peu comme un cinéma, les spectateurs peuvent scruter à loisir les visages des protagonistes, car effectivement les personnages prennent leur temps pour parler, ce qui inclut également les silences. Ce n’est pas une perspective théâtrale habituelle. Cela peut se révéler inconfortable pour certains spectateurs. Mais les comédiens donnent l’impression de vivre ce qu’ils disent ou même d’être là avant de prendre la parole comme des familiers, des proches que l’on retrouve dans un salon.

Penser au théâtre cela doit être possible surtout avec d’excellents interprètes. Cela exige, reconnaissons le, une réceptivité, une concentration de la part du public qui aura le choix soit de pénétrer dans l’étoffe particulière de ce spectacle, soit d’y renoncer parce que jugée trop personnelle.

Pour notre part, nous avons choisi de prendre le temps de nous laisser imprégner comme si posant le doigt sur quelque chose d’aussi banal qu’une histoire de famille, sans trop y croire, nous nous laissions envelopper par elle, pour être à ce moment précis où quelque chose va nous échapper, faute d’y penser – la pensée n’est-elle pas remplie de vides -, dans le même état d’esprit que ce BALDOVINO qui chahute pour se réveiller, s’insurgeant contre l’inertie, l’aveuglement de la condition humaine.

De là à dire que nous serions les cobayes spirituels d’un manipulateur de génie Pirandello et d’une metteur en scène engagée, pourquoi pas. Le théâtre est aussi dans notre tête et c’est une drôle d’expérience que d’aller au delà de ses connaissances, de ses désirs et de se retrouver en tête à tête avec des personnages, somme toute, inconnus.

En dépit de quelques effets spectaculaires enfantins, la mise en scène frappe pas sa simplicité, son dépouillement, juste un décor de maison à l’italienne et quelques chaises et table, ici et là. Les personnages de la Volupté de l’Honneur, mis en scène par Marie José MALIS s’incrustent dans la durée. Il y a plusieurs temps, il y a plusieurs moi, il y aura plusieurs fois Marie-José MALIS et cette équipe de talent pour faire rayonner, crisser cette volupté d’honneur, cette île mystérieuse.

Paris, le 11 Novembre 2015                               Evelyne Trân

L’Orchestre de Papier, un spectacle musical de Max VANDERVORST – Mise en scène Alain MOREAU – du 30 Octobre au 15 Novembre 2015 – Vendredi, samedi 19 H, dimanche 15 H, Jeudi 5 et 12 Novembre 14 H – AU GRAND PARQUET en partenariat avec le Centre Wallonie Bruxelles – 35, rue d’Aubervilliers 75018 PARIS –

https://www.youtube.com/watch?v=LX5LzHJEOLs
17 juin 2014 – Ajouté par Max Vandervorst

Extraits du spectacle « L’Orchestre de papier » de Max Vandervorst – captation du 30 juin 2014 à Namur

C’est un farceur, un bricoleur de génie, un musicien hors pair ! Comment donc vous présenter Max VANDERVORST ? Digne du facteur CHEVAL, avec des bouts de papiers, des cartons, des emballages de lessives, de fromages, il crée de toutes pièces des instruments de musique hétéroclites et fabuleux.

Il nous convie pour quelques jours à découvrir sur la scène du Grand parquet, son laboratoire, son atelier enchanté.

Sous nos yeux, il fabrique des objets musicaux insolites. Une affiche devient une flûte, un vieux livre une harpe . Véritable papivore, il n’hésite pas à déchirer des pages de dictionnaire avant même que nous ayons le temps de crier « Au secours ! ». Pour la bonne cause, il déchire encore allègrement des partitions d’un certain LEMOINE qui fut un bourreau professeur de solfège.

Lorsqu’il apparaît au dessus de sa flûte de Pan géante, ce chef d’orchestre exulte, il a accompli son concert de lutherie sauvage !

En réalité, cet iconoclaste est un savant qui explore les qualités sonores du papier, cette matière transformable et recyclable à l’envie. La démarche se révèle fort poétique et libératrice. Elle nous oblige à regarder et à écouter d’une autre oreille, ces affreux prospectus qu’on jette à la poubelle. L’or musical que recèle le papier est partout pour Max VANDERVORST.

Croyez que nous n’exagérons pas, cela ne s’invente pas ! Ou plutôt si en direct, sur la scène du Grand Parquet où les spectateurs pourront profiter de quelques leçons de ce professeur extravagant et devenir musiciens eux mêmes avec pour seuls instruments, des rouleaux de papier, sous la direction du génial chef d’orchestre Max VANDERVORST. Un déplacement sonore inoubliable !

Paris, le 8 Novembre 2015                               Evelyne Trân

UN PICASSO de Jeffrey HATCHER au THEATRE DE NESLE – 8, rue de NESLE 75006 PARIS – Du 22 octobre au 15 novembre, du jeudi au samedi à 21h00 en FRANÇAIS, le dimanche à 19h00 en ANGLAIS.

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Au théâtre de NESLE, à deux pas de l’atelier où Picasso créa son célèbre tableau GUERNICA, au 7 rue des Grands Augustins, a lieu une évocation étrange d’un épisode de la vie de PICASSO, en pleine occupation nazie.

Il y est question de trois tableaux de PICASSO confisqués par les nazis pour servir de matériaux à un autodafé d’œuvres dégénérées.

L’auteur de la pièce « Un Picasso » Jeffrey HATCHER réussit, c’est tout son art, à « faire marcher » les spectateurs aussi bien que son personnage Picasso autour de ce suspense concernant la condamnation à mort d’œuvres d’art, d’autant plus affreuse qu’elle concerne Picasso déjà célèbre et créateur de GUERNICA.

PICASSO pris au piège est sommé par une belle fonctionnaire nazie de choisir parmi 3 œuvres celle qui sera promise à l’autodafé. Ce sera l’occasion pour lui de défendre ses tableaux qu’il doit déclarer faux pour les sauver du feu.

Son interlocutrice, Mademoiselle FISCHER entend pousser jusqu’à ces derniers retranchements l’artiste PICASSO. Nous ne comprendrons véritablement pourquoi qu’à la fin de la pièce. Le dénouement est très émouvant.

Cette pièce originale, mise en scène par Steven ULLMAN et Natalia LAZARUS, ne manque pas de saveur et prend même des tournures érotiques. Jeffrey HATCHER parait fort bien renseigné sur la vie et l’ œuvre de Picasso. Nous nous étonnerons juste d’apprendre de la bouche de Picasso qu’Apollinaire homosexuel avait le béguin pour lui. Et pourquoi pas ?

Natalia LAZARUS, excellente, compose une Mlle FISCHER consumée de l’intérieur, bouleversante. Charles FATHY donne toute sa prestance au personnage Picasso .

Un très bon moment de théâtre où l’air de rien se dévoilent quelques pans de la personnalité de cet artiste et cela sonne juste tant il est vrai que Picasso hante encore ce quartier. Remercions ces Américains de nous le rappeler si joliment !

Paris, le 8 Novembre 2015                        Evelyne Trân

ROBERT LE DIABLE – CABARET DESNOS conçu par Marion BIERRY du 19 Octobre 2015 au 18 Janvier 2016, les Lundis à 20 Heures 30 au Théâtre Poche Montparnasse – 75 Bd du Montparnasse 750006 PARIS –

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Avec Marion BIERRY – Vincent HEDEN – Sandrine MOLARO – Alexandre BIERRY

« Diable de poète ! » a t-on envie de s’exclamer à propos de Robert DESNOS, pour qui la poésie c’était la vie, tout simplement. Il fut poète de rue, il naquit près des Halles, poète journaliste de radio, ce qui lui permit de dire en plaisantant qu’il était le poète le plus écouté de France, poète de combat, n’hésitant pas à se mettre en danger pour défendre son idéal de liberté, poète de résistance, en pleine force créative, rattrapé par la mort à 45 ans dans un camp déportés en Tchécoslovaquie, un mois après l’armistice.

Ce n’était ni un pédant, ni un amuseur public, quoique, c’était un vrai surréaliste à sa manière non à celle de BRETON. Il y avait de l’électron libre en lui.

Dans la mise en scène de Marion BIERRY son esprit donne vraiment l’impression de vagabonder comme un papillon, un insecte à antennes qui peut se faufiler partout à condition d’être bien accueilli.

Marion BIERRY a choisi un espace frugal, dépouillé, pour permettre à cet esprit de se poser, voltiger, sans fards ni trompettes, par la grâce de quelques poèmes qu’il a épluchés jadis lui même en bon vivant et qui fondent dans la bouche des artistes en riant , en chantant, en rêvant, en jouant. Oui, son esprit est là qui butine autour de fleurs de poèmes qui ont poussé dans son jardin. Jardin riche et varié où crépite toute son imagination sensorielle et fantaisiste.

Comme s’ils jouaient à colin maillard ou à chat perché dans une cour de récréation, les 4 comédiens s’échangent les poèmes vivement. Il y a des transformations dans l’air. L’électron libre qui chantait la Complainte des caleçons, l’Éléphant qui n’a qu’une patte, devient frondeur, il attaque avec son chant du Tabou, véritable réquisitoire contre les nazis.

Déconcertant Robert Desnos, insaisissable récolteur de sensations, allumeur de bonheurs simples et parfois mélancoliques, Marion BIERRY et son équipe lui font bel accueil au Théâtre Poche Montparnasse. Magique rencontre avec un poète libre, à ne pas manquer !

Paris, le 8 Novembre 2015                               Evelyne Trân

 

LA FIN DE L’HOMME ROUGE ou Le temps du désenchantement Du mercredi 04 novembre au lundi 07 décembre 2015 au THEATRE DE L’ATALANTE – 10 Place Charles Dullin, 75018 Paris –

la fin de l'homme rouge

Les lundis, mercredis et vendredis à 20h30   Les jeudis et samedis à 19h00
Les dimanches à 17h00     Relâche les mardis

Adaptation et mise en scène: Stéphanie Loïk

Avec Nadja Bourgeois, Heidi-Eva Clavier, Lucile Chevalier, Véra Ermakova-Kouznetsov, Marie-Caroline Le Garrec, Adrien Guitton, Martin Karmann, Abdel-Rahym Madi, Jérémy Petit

Création lumières: Gérard Gillot Création musicale, Chef de Choeur: Jacques Labarrière Création costumes : Mina Ly Préparation et chants russes: Véra Ermakova

 

La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement de Svetlana ALEXIEVITCH peut demander des jours de lecture. Nous imaginons volontiers des lecteurs ou des lectrices plongés dans ce livre dans le métro aux heures d’affluence. C’est le meilleur climat pour aborder cette œuvre, pour s’éprouver à la fois dans et au dehors, entouré , individu coincé au milieu de la foule et en faisant partie.

Pas de conscience individuelle sans conscience collective et inversement. A l’intérieur de la forêt des centaines de témoignages qu’a recueillies Svetlana ALEXIEVITCH, c’est le clignotant « rouge, qui lui est apparu tel un phare sanglant, tel un étendard brandi par l’homo sovieticus . Qu’est ce donc qui peut faire flotter le drapeau, si ce n’est le vent de l’histoire. Alors avec tous ses témoins, l’auteure de la fin de l’homme rouge, de l’homme communiste, entend signifier que les individus avec leurs petites histoires font partie de la grande histoire, ce grand arbre qui entend cacher la forêt humaine.

Elle est celle des émotions qui restent en marge, qui cramponnent l’individu dans le brouillard, le clouent parfois au sol, émotions utilisées par la propagande .Car ceux qui ont le pouvoir, ce sont ceux qui savent manipuler, la vox populi. C’est la raison pour laquelle, Svetlana ALEXIEVITCH a choisi de descendre jusqu’aux chevilles de ces témoins, qui ont touché le sol de cette grande Russie.

Trente ans d’histoire où se chevauchent en montagnes russes des perspectives qui se côtoient et s’ignorent . Celles des générations qui ont vécu en croyant dur comme fer au dieu Staline, qui ont vécu la seconde guerre mondiale, la perestroïka , la guerre contre l’Afghanistan, celles qui découvrent la société de consommation.

L’adaptatrice de ce roman fleuve, Stéphanie LOIK sait qu’il existe un espace temps, celui de la scène au théâtre, celui de l’orchestre au concert, celui de la tolérance, qui permet aux voix les plus divergentes de s’exprimer en chœur.

Ce manifeste de mémoire exige l’écoute de chaque participant qui doit trouver sa place particulière au sein du collectif. La mise en scène de Stéphanie LOIK fait penser à une symphonie exécutée par des corps chargés, chacun de sa mémoire particulière, qui lâchent leurs notes, leurs paroles ici et maintenant dans la terre commune.

Nous pourrions dire fosse commune sauf que cette mémoire est vivante, respirable, entendante. Chant inespéré, ourdi hélas par les psychodrames… Il y a des témoignages qui changent de peau et c’est là qu’on comprend que la souffrance ne doit pas rester terrée individuellement, que l’écoute d’un autre a valeur de réceptacle ouvert, solidaire. Qu’attendons nous du regard de l’autre, qu’il soit méprisant, moqueur, critique, agressif ou bienveillant ?

Vaste question ! Bien-pensance, allons donc ! Soupirs ! Nous sommes concernés, entourés. Voici que je songe à des milliers de kilométres de cette belle Russie, à cette strophe du poème « L’âge de raison » de Francis Blanche :

La ville écrase la forêt

pour y installer son décor

sans songer au bruit que ferait

le chant de tous les oiseaux morts.

C’est à méditer, n’est-ce pas, comme le magnifique spectacle que nous offrent Stéphanie LOIK et sa belle équipe de comédiens chanteurs, inspirés, dans la lisière de cette forêt commune, inconscient collectif qui tend à la conscience.

Paris, le 7 Novembre 2015                           EvelyneTrân

LES BIENFAISANTS par la Cie Qui Porte Quoi au THEATRE DE L’OPPRIME 78 rue du Charolais 75012 PARIS – du 4 au 15 novembre 2014 – Du Mercredi au Samedi 20h30 – Dimanche 18h30

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Texte Raphaël Thet Mise en scène  Gaëlle Bourgeois Avec Vincent Marguet Dalia Bonnet, Nicolas Bresteau, Christophe Ntakabanyura, Mathilde Roehrich, Caroline Stefanucci Scénographie Emmanuel Mazé et Création Lumière Elodie Murat

Qui voudrait être qualifié de bienfaisant aujourd’hui ?  Peu de monde sans doute parce que le cynisme, l’ironie, l’humour permettent mieux de tenir la rampe, dans les réseaux sociaux,  notamment.

 Le vocable de bienfaisant nous renvoie naturellement à celui de malfaisant. Quelle curieuse connotation,  est-ce à dire que nous n’en avons pas fini avec une perception manichéenne du monde.

 Avec Raphaël THET,  nous faisons connaissance avec des « Bienfaisants » tout à fait ordinaires, sauf qu’ils sont comédiens, sauf qu’ils ont des vocations humanitaires, sauf qu’ils sont encore jeunes et plein d’idéaux.

 Nous les voyons sous la tente de leur théâtre au Togo, dans les coulisses, parler de la pièce que la meneuse de la troupe a créée pour sensibiliser la population au problème du sida, de leurs soucis d’interprétation sur scène,  de leurs conflits amoureux,  de leurs ambitions, de leur engagement humanitaire. Tout cela dans l’urgence, celle de la représentation de la pièce qui est en train de se jouer, celle des nouvelles qui risquent de changer la donne, un comédien appelé par un réalisateur connu, hésite à abandonner la compagnie. Et puis, il y a surtout le mal qui va tomber comme une lettre à la poste. Dans son affairement, une jeune comédienne tombe sur le résultat d’un dépistage anonyme révélant que l’un des membres de la compagnie est séropositif.

 Mais qui est donc malade dans la troupe se demande, plus ou moins paniqué, chacun des membres, excepté l’intéressé qui trouve le moyen de nier sa maladie.  La pièce prend des tournures pirandelliennes et ce n’est pas une mince qualité.

 Ajoutons qu’elle traite d’un sujet, la maladie du sida  qui reste  tabou, plus encore que le cancer, Sans doute parce qu’il s’agit d’une maladie sexuellement transmissible, d’une maladie contagieuse.

 En mettant en scène une troupe de théâtre jouant une pièce à vocation humanitaire, Raphaël THET fait d’une pierre deux coups, la faisant rebondir à l’envers et à l’endroit, côté cour, côté jardin, coté missionnaires,  côté autochtones. Il montre aussi que le théâtre est dans la vie quand il faut improviser, quand le « chacun pour soi » n’est plus de mise au sein d’une équipe, quand pour les comédiens résonne, de façon accrue, la frontière entre leur vocation « jouer » et être au sens le plus vertigineux qui soit, sans masques.

 Le propos n’est pas moralisateur mais il met le doigt sur  une réalité, la difficulté pour un individu d’affronter le regard des autres, famille ou collectivité, quand il est porteur d’une maladie qui fait peur. Tout va bien quand tout le monde est d’accord, rassuré, mais comme la tentation du groupe est violente de chasser la brebis galeuse hors de son champ. Facile de regarder le mal chez les autres, en Afrique par exemple, mais l’ausculter dans ses propres murs, c’est une autre histoire.

 Dans ce théâtre dans le théâtre comme des poupées russes, les comédiens étonnent pas leur aisance, leur vivacité. Ils sont tous formidables, notamment Christophe NTAKABANYURA, à la présence désopilante.  La mise en scène nerveuse et sensitive  de Gaelle BOURGEOIS ainsi que  la scénographie astucieuse d’Emmanuel MAZE, mettent  en émulsion ces jolis feux de Bengale que sont les artistes qui jouent en quelque sorte leurs propres rôles, en quête de sens, en quête d’action.

 Et nous avons envie de défendre ce théâtre là, un auteur contemporain qui trempe sa plume dans l’actualité, dans la langue des jeunes d’aujourd’hui avec naturel et beaucoup d’exigence, en interprète d’une génération qui doit apprendre à digérer peu à peu l’héritage de ses parents. Le sida, rappelons-nous, a déjà un quart de siècle. C’est à peu près l’âge des membres de la Compagnie Qui Porte Quoi ? , à la fois jeune et mûre, en tout cas pleine de promesses, porteuse d’un théâtre vivant, qui se remet en question sur le terrain, dans la vie, jamais  blasé, en pleine exploration. C’est le genre de théâtre que nous avons envie d’encourager ad vitam aeternam !

 Paris, le 21 Février 2014,

mis à jour,   le 5 Novembre 2015                       Evelyne Trân

 

HAUTE-AUTRICHE de Franz–Xaver Kroetz du 5 Novembre au 6 Décembre du jeudi au samedi à 19h30 – dimanche à 15h00 au VINGTIEME THEATRE 7 rue des Plâtrières 75020 PARIS

HAUTE_AUTRICHE_2Mise en scène : Didier Perrier
Traduction : Claude Yersin
Scénographie : Olivier Droux
Costumes : Céline Kartès
Lumière : Jérôme Bertin
Création : sonore Hélène Cœur
Réalisation vidéo : Antoine Gérard
Avec : Mélanie Faye, Laurent Nouzille
Musique originale et chant : Chantal Laxenaire

Coréalisation Vingtième Théâtre et Les Déchargeurs / Le Pôle Diffusion en accord
avec Cie L’Échappée

www.lepolediffusion.com/spectacle/haute-autriche
Crédit visuel : Amin Toulors – Le Pôle Diffusion

Y a-t-il une symphonie du quotidien, de sa grisaille et de ses surprises inespérées ? Métro, boulot, dodo, voila une rengaine que nous croyons incompressible. Au théâtre pourtant, les visages cernés de ces gens anonymes peuvent s’animer de façon incroyable. Ils peuvent même devenir les héros d’une comédie dramatique. Ce sont ces gens là, apparemment insignifiants, les passe partout qui intéressent le dramaturge Franz –Xaver KROETZ .

Le lieu clos d’un appartement qui sans être misérable respire la pauvreté, devient la scène d’instants de vie d’un jeune couple amoureux.

Mais il n’y a pas de romans sans histoires, sans drames. Ici , le drame, c’est la pauvreté. Pas seulement la pauvreté matérielle, la pauvreté d’horizon.

Sans rêves, sans désirs, les hommes ne peuvent tenir debout ! Et c’est vrai aussi pour tous les êtres vivants. L’homme rêve d’ascension sociale, la femme d’objets de consommation …

L’appartement nu où l’on entend les gloussements d’amour du jeune couple au fur à mesure laisse transparaitre les ombres des chaines qui vont semer le trouble dans le foyer.

Ici les murs ont des oreilles, ils voient tout et ne jugent pas. Ils accueillent le cadeau d’anniversaire, une corbeille de fruits en porcelaine, ils la voient se remplir et ils assistent à sa disparition. Ils entendent le couple faire l’amour réver de voyages, faire leurs comptes, manger à table, la routine … Et puis un jour, l’homme et le femme crient, ils ne sont pas d’accord sur une question très grave, celle d’accueillir ou non un enfant, le leur.

Le regard de l’auteur et la mise en scène de Didier PERIER qui couve et recouvre les va et vient d’ ombres et lumières dans cet appartement, font l’effet de passe murailles.

Il y a de très beaux chants portés par la voix de Chantal LAXENAIRE qui accompagnent chaque changement de situation. L’appartement semble tourner comme un manège; chaque quartier de scène va défroisser au fur et à mesure des pans de personnalité de l’homme et de la femme. A la fin de la pièce, nous restons tout étonnés d’avoir assisté à leur transformation.

Véritable performance de la part des comédiens Mélanie FAYE, Laurent NOUZILLE qui progressivement passent de l’innocence à la révolte, de l’épreuve à l’espérance, de la soumission à la résistance.

Quelle prise sur la vie ? Quelle batterie ? Quel sang ? Oui, c’est bien le nôtre et on y voit courir la tache de la pauvreté qui n’est pas seulement visible, qui s’insinue dans les pensées, les comportements, les actions de tous les jours, et qui bride , bride ne cesse de brider l’espérance de vie. A cet égard là, le regard de KROETZ est politique, il ouvre la blessure car il y a des plaies et la pauvreté en est une qu’il faut regarder en face.

Un spectacle intense et remuant , porté par des interprètes qui jouent comme s’ils jouaient la peau de leurs personnages, c’est formidable !

Paris, le 13 Juillet 2015,  mis à jour le 4 Novembre 2015

                                             Evelyne Trân

FIN DE PARTIE DE SAMUEL BECKETT Du 12 Novembre 2015 au 13 Février 2016 Du jeudi au samedi à 19h30 au THEATRE DE L’ESSAION – 6 , rue Pierre au lard (à l’angle du 24 rue du Renard) 75004 Paris –

FIN DE PARTIE

Nous avons vu la pièce « Fin de partie » de Samuel BECKETT, il y a quelques mois, mais les visages des personnages continuent à nous poursuivre tant la présence des comédiens est  étonnante.

 Que raconte « Fin de partie » ? Pas grand-chose aurions-nous envie de répondre, mais tout de même, on y voit la fatalité trembler comme un tremblement de terre.

 En résumé, il s’agit d’un homme handicapé moteur et aveugle qui passe son temps à harceler son serviteur, voire même son esclave.

 L’homme attend la mort de toute évidence. L’infirmité dont il est victime – comme son père et l’épouse de ce dernier, devenus homme et femme troncs suite à un accident imbécile de vélo –  c’est la première étape vers la mort. Le seul homme valide  de la pièce annonce son infirmité future car il ne peut plus s’asseoir.

 Le sujet est sinistre mais  pas triste car évidemment, Samuel BECKETT n’entend pas s’apitoyer sur le sort de ces humains infirmes. Il pose une question qui nous concerne tous, y a-t-il  une porte de secours dans l’existence d’un homme autre que  la mort.

 Il semble que pour HAMM, la porte de secours soit celle de CLOV son esclave, mais aussi son imagination, car il aime raconter des histoires et il continue à rêver de la mer. La porte de secours de son père, c’est la tendresse qu’il éprouve pour son épouse mourante. On imagine peut être à tort que le dévouement que CLOV manifeste pour HAMM, constitue une sorte de raison de vivre, si ce n’est un moyen d’échapper au vide de son existence.

 La mort c’est une question de temps, nous dit BECKETT qui dans cette pièce explore théâtralement, à travers la conversation, cette vertu lumineuse du temps de s’échapper, de chevaucher à travers les pensées, de s’attacher à des petites phrases, des mouvements, des gestes banaux, des silences etc. D’une certaine façon, le temps est partout; nous vivants, nous sommes le temps.

 Cette sensation a quelque chose de merveilleux parce qu’elle exprime la vie et l’aléatoire de toute chose. Il suffit d’un balai pour passer le temps et toutes les banalités de la vie nous renforcent dans l’idée que quoique nous fassions, nous sommes, nous vivants, assujettis au temps. Et cette sensation, elle s’éprouve notamment lorsque contraints à l’immobilité lors d’un voyage en train ou en avion, le temps se rappelle à nous  dans cette insidieuse question « Que vais-je faire en attendant ? »

 Chacun répond à sa façon. HAMM rumine et imagine, CLOV lave le parquet, les deux vieux dorment et lorsque la vieille meurt, l’événement ne surprend personne.

 Le mince épisode du rat dans la cuisine qu’il faut rattraper,  symbolise encore ce temps qu’il faut tuer. Curieux rapport au temps et à la vie également que cette scène où l’on voit HAMM  appeler à sa rescousse un faux chien en peluche.

 Les personnages  sont si bien liés par le temps, leur vie, que l’absence ou la mort de l’un, invoquée, prend une dimension humaine collective, bon ou mal gré.

 Philippe CATOIRE interprète avec une belle truculence ce HAMM dictateur, pitoyable et émouvant. Jérôme KEEN exprime remarquablement un CLOV inquiétant, intérieur, qui s’oppose à l’extravagant HAMM. Marie HENRIAU, Nell et Gérard CHEYLUS, Nagg, comme deux vieux jumeaux, dans leurs tonneaux, sont spectaculaires.

 La mise en scène de Jean-Claude SACHOT est juste et saisissante. C’est que paradoxalement, une sorte d’hymne à la vie se dégage de cette fable métaphysique. On y sent des personnages qui se raccrochent désespérément à la vie, incompris d’eux-mêmes et des autres, mais toujours prêts à en découdre. Tout de même quand on y pense, elle pèse lourd la vanité humaine, sur ce fil fragile de la vie, elle est explosive dans cette mise en scène de la  Fin de Partie de BECKETT.

 Paris, le 2 Février 2015

mis à jour le 4 Novembre 2015             Evelyne Trân