Les gnocchis et mon dentiste loin de Montmartre au Théâtre de l’Epée de Bois à la CARTOUCHERIE DE VINCENNES du 22 Mai au Dimanche 1er Juin 2014

SUSANA

De et par Susana LASTRETO PRIETO

Avec François FRAPIER

Bande son Jacques CASSARD

Lumières Jean-Michel BAUER

Les spectacles de Susana LASTRETA, qu’elle soit ici ou ailleurs, nous embarquent toujours dans un pays pittoresque, celui de l’imaginaire. Parce que Susana LASTRETO est une grande rêveuse.

 Avec beaucoup de pudeur, elle distille son émotion lors de ses retrouvailles avec son pays natal, l’Argentine qu’elle a quittée très jeune en quête d’aventures, à destination de la France. Elle est accompagnée de son dentiste aussi coloré qu’un personnage de Marcel Pagnol, qui dissimule sa tendresse pour Madame Idylle sous  des dehors un peu machistes.

 C’est de bonne guerre, car pour garder les pieds sur terre en dépit de l’océan qui le sépare de Montmartre, il a conservé ses charentaises. Les pieds donc dans sa valise, il assiste impuissant et résigné au manège de sa femme qui a repris une de ses occupations favorites de sa jeunesse : préparer des gnocchis pour tous les membres de sa famille.

 Nous ne divulguerons pas l’issue de ce voyage dans le temps tout à fait désarmant et poignant à multiples égards. Chez  Susana, la nostalgie est toujours relevée par des sursauts d’humour qui frisent le comique.

 François FRAPIER est vraiment excellent, il forme avec Susana  un couple  original, comme la salière et le poivrier.

 Dans la magnifique petite salle de l’Epée de bois, le plancher craque et la musique grince dans le vieux poste de Bertin le dentiste. Quelques fantômes sont convoqués pour faire tourbillonner les drôles de souvenirs d’Idylle qui s’assoit quoiqu’il arrive sur une toute petite chaise comme Boucle d’Or.

 Il s’agit donc bien d’un conte, de ceux dont la vie regorge et qui nous laissent perplexes et heureux de n’avoir pu percer le mystère.

 Cela dit, une petite gorgée de musique au bandonéon serait bienvenue car semble-t-il, Idylle ne fait pas seulement de délicieux gnocchis, elle a encore plein de tours dans la poche de son tablier.

 Soyons au rendez-vous pour accueillir Idylle et Bertin qui atterrissent au THEATRE 14, cet été, pour nous conter leurs aventures de couple et de décalage horaire avec leur drôlerie totalement atypique.

 Paris, le 30 Mai 2014                 Evelyne Trân

 

 

Lucrèce Borgia de Victor Hugo à la Comédie Française – 1 Place Colette 75001 PARIS – Du 24 mai 2014 au 20 juillet 2014 –

Élèves-comédiens :
Ascanio : Paul McAleer
Femmes et Soldats : Heidi-Eva Clavier
Femmes et Soldats : Lola Felouzis
Femmes et Soldats : Pauline Tricot

Équipe artistique :
Mise en scène : Denis Podalydès
Assistante à la mise en scène : Alison Hornus
Scénographie : Eric Ruf
Assistante à la scénographie : Dominique Schmitt
Costumes : Christian Lacroix
Lumières : Stéphanie Daniel
Création sonore : Bernard Vallery
Maquillages et effets spéciaux : Dominique Colladant
Assistantes aux maquillages : Laurence Aué et Muriel Baurens
Masques : Louis Arene
Travail chorégraphique : Kaori Ito

Sommes-nous suffisamment naïfs aujourd’hui pour nous laisser gagner par la stupéfiante candeur qui émane du mélodrame de Victor Hugo, Lucrèce BORGIA.

 Il suffit  pourtant de se retourner dans les œuvres les plus connues de Victor Hugo pour comprendre que la monstruosité fût un des thèmes dominants de son inspiration. L’homme qui rit, le bagnard Jean Valjean, Quasimodo, Frollo, le prêtre de Notre Dame de Paris, les Thénardier,  Don Salluste, le commissaire Javert sont des monstres. Cela donne à penser que Victor Hugo a toujours côtoyé des  monstres et que pour exorciser cette monstruosité, il s’est attaché à la représenter dans ses romans et au théâtre.

 Ce  sentiment de la monstruosité a un aspect dévastateur émotionnellement. Victor Hugo l’a éprouvé lorsqu’il assista très jeune  à la mise à mort en public d’un assassin.  Cette émotion ne l’a jamais quitté puisque toute sa vie, il lutta contre la  peine de mort. Victor Hugo a aussi côtoyé la folie, celle de son frère à l’origine aussi doué que lui et qui fût enfermé à l’asile d’aliénés de CHARENTON.

 Dans Lucrèce BORGIA, les personnages, Lucrèce, Don Alphonse son époux, Gennaro le fils illégitime cherchent éperdument à  s’atteindre. Lucrèce à travers son fils, Gennaro à travers une mère inconnue, Don Alphonse à travers sa femme adorée.

 En résumé, dans cette pièce Victor Hugo se fait l‘avocat du diable, de la chair incestueuse, inassouvie, criminelle. Lucrèce est amenée à découvrir que celui qu’elle voulait condamner à mort se trouve être son fils adoré, issu d’une union incestueuse. . Hugo laisse entendre que Lucrèce a été amputée de sa féminité parce qu’elle a vécu dans un monde d‘hommes dont elle a assimilé les exactions au point de se conduire comme eux. Avait-elle vraiment le choix ?

Lucrèce est en quelque sorte la jumelle de  son frère César BORGIA, ce qui lui permet de régner en apparence comme un monstre. Mais Victor Hugo  pose cette question bizarre qui a dû le tourmenter puisqu’il questionne la mère. Faut-il penser qu’une mère est un monstre lorsqu’elle engendre des monstres ou dispose-t-elle ne serait-ce que d’une façon infime quelque ferment de divin lorsqu’elle engendre un bel enfant pur tel que Gennaro ? Ne sommes-nous pas tous issus du ventre d’une femme ?

 A mon sens, il ne faut pas parler d’inceste quand il  s’agit d’évoquer les liens charnels , viscéraux d’une femme et son enfant. Parce que Lucrèce a envie d’être regardée comme une femme par celui seul qu’elle croit en être capable, son fils mais son enfant aurait pu être une fille.

 A cet égard, le choix de Denis PODALYDES de donner le rôle de Lucrèce à Guillaume GALLIENNE et celui de Gennaro à Suliane BRAHIM  permet de surligner l’ambivalence profonde des personnages à la recherche d’une intimité qui leur fait défaut.

 Les épaules nues de Lucrèce interprétée par Guillaume GALLIENNE révèlent leur féminité de façon beaucoup  plus accrue  que celles d’une vraie femme et c’est cela qui touche parce que cela nous parle vraiment de cette féminité que Lucrèce n’a pu exprimer.

 Dans le fond , l’interprète Guillaume GALLIENNE emprunte le même chemin que les acteurs du théâtre KABUKI Japonais où les rôles féminins sont joués par des hommes.

 Quand dans cette pièce, Victor Hugo exprime que pour le jeune GENNARO, ce n’est pas la vérité qui compte mais son désir, l’illusion que sa mère ne peut être que sublime, il témoigne de bien de folies humaines.

 Le décorum vénitien, la beauté des  palais ducaux, forment des tableaux de maîtres, mais l’exigence esthétique du metteur en scène n’est qu’une toile de fond pour une exigence encore supérieure, celle d’appréhender Lucrèce BORGIA, sans ostentation, à pleine voix, car étonnamment dans ce mélodrame, tous les personnages sont sincères. C’est ce prédicat, vouloir donner des formes humaines à des monstres qui sous-tend Lucrèce BORGIA.

  L’argument peut paraitre naïf, mais  n’oublions pas qu’Hugo donne la parole à des monstres et que ce faisant, il engage sa foi en l’homme, les yeux dans les yeux.

 Lucrèce se joue elle-même mais elle ne peut pas se jouer de son sentiment pour son fils.  Elle est travestie  par ses actes antérieurs mais elle ne se voit pas. Elle est tragiquement prisonnière de son nom et le B de Borgia qui symboliquement est arraché du drapeau par son fils va paradoxalement la révéler à elle-même. Lucrèce, cette femme monstrueuse sera-t-elle un jour crédible ?

 Cette question de la crédibilité va plus loin, elle convoque tous les racismes, l’intolérance, les peurs et les dénis qui forcent  les gens à porter des masques pour être acceptés dans la société.

 C’est ce cri du cœur de Victor Hugo qui fait vibrer en chœur tous les comédiens dans cette étrange, fastueuse interprétation de LUCRECE BORGIA donnant au mélodrame sa lettre de noblesse, celle de faire frémir nos masques. Le ridicule ne tue pas dit-on mais parfois il émeut comme Eléphant man, il ouvre nos cernes.

 Suliane BRAHIM,  impressionnante,  est un hypersensible GENNARO, Éric RUF un prodigieux époux jaloux. Et Guillaume GALLIENNE est Lucrèce, tout simplement Lucrèce. Il en a le droit et le talent comme Flaubert qui disait de Madame BOVARY : c’est moi. Allez chercher l’erreur, elle ne  peut  être qu’humaine.

 Paris, le 29 Mai 2014                    Evelyne Trân

 

LE CAVALIER SEUL DE JACQUES AUDIBERTI – Mise en scène Marcel Maréchal – au Théâtre 14 – 20 Avenue Marc Sangnier 75014 PARIS – Du 22 Mai au 25 Juillet 2014 –

le cavalier seul

Avec

Marina Vlady, Marcel Maréchal, Emmanuel Dechartre,

Mathias Maréchal, Antony Cochin, Michel Demiautte,

Nassim Haddouche, Céline Martin Sisteron et Julian Peres

 

Le cavalier seul à l’époque des croisades qui part pour Jérusalem en passant par Byzance, n’est-ce pas AUDIBERTI lui-même qui chauffe à blanc ses souvenirs d’épopées grandioses rapportées entre autres par Chrétien de Troyes.

 Le jeune et sémillant Mirtus, soit qu’il soit sorti de la cuisse du fier  et austère Perceval en quête du graal, soit qu’il ait rencontré un parent de Rabelais à Toulouse, sa terre natale, se présente comme un jeune homme de bonne famille, qui quitte le foyer, poussé par un urgent besoin d’aventure et pour qui la croisade n’est qu’un prétexte de bon aloi.

 Il n’empêche, Mirtus n’a pour bagage ou blanc-seing que son arrogant foulard de croisé et quelques rudiments bibliques, en somme une sorte de passeport qu’il brandira tout le long de son périple à ses hôtes orientaux, lors de joutes philosophico-politico religieuses ahurissantes.

 C’est l’occasion pour Audiberti de mettre à l’épreuve certains dogmes de la religion chrétienne de façon totalement burlesque notamment lorsque Mirtus enjoint le plus sérieusement du monde un autocrate digne du Roi Ubu à ne pas se dérober au sacré coït conjugal.

 Nous l’avons compris Mirtus aime les femmes, aime la vie et il a beau dégainer dès lors que sa susceptibilité religieuse est attaquée, l’incompétence de ses agresseurs finit par mettre en débandade ses attributs catholiques.

 Pourtant toujours à la  recherche du sépulcre, Mirtus rejoint Jérusalem en pleine guerre, et fait une rencontre providentielle.Un homme  se présente à lui comme étant Dieu  à travers un discours prophétique. Mais peu de temps après, voilà ce même homme qui hurle sa souffrance sur un poteau de torture.

 Cette vision d’horreur suffira à détourner le regard de Mirtus  du dogme du péché et des hérésies  religieuses sous couvert desquelles, des hommes se massacrent. D’instinct, il se révolte et c’est cet instinct qui mêle l’esprit  et la chair qu’Audiberti exprime avec fièvre dans une pièce drôle, épique et bouleversante.

 Audiberti s’était adressé au jeune Marcel MARECHAL en 1963 pour monter cette pièce. Cinquante ans ont passé, la pièce ni le metteur en scène, ni le comédien n’ont vieilli. Sans doute parce que la langue d’Audiberti est d’une liberté incroyable et que Marcel MARECHAL l’a vraiment dans la peau.

 Les costumes extravagants et cocasses sont une joie pour l’œil, tous les comédiens excellents. Le cœur ne peut s’empêcher de sourire en revoyant Marina VLADY, notre Joconde audibertienne. Mathias MARECHAL, le fringant Mirtus est particulièrement séduisant et Emmanuel DECHARTRE saisissant en homme-dieu.

 Voilà un spectacle vraiment réjouissant, baroque et surréaliste intemporel. Comme la fée électricité de Raoul Dufy, Audiberti c’est le cavalier seul qui n’a d’autre fer de lance que son imagination visionnaire. Il faut se laisser  surprendre et emporter, c’est libératoire !

 Paris, le 25 Mai 2014                   Evelyne Trân

 

Le jardinier de la mer rouge / Théâtre de Charenton – Petit T2R – Du Mardi 20 au Samedi 31 Mai à 20h30 & Dimanches 25 Mai et 1er Juin 2014 à 16h

P.S. : Gérald DUCHEMIN, Bruno BERNARDIN, Caroline ROUCOULES, Flavie AVARGUES étaient les invités de l’émission « DEUX SOUS DE SCENE » du Samedi 24 Mai 2014 sur Radio Libertaire (en podcast sur le site grille des émissions de Radio Libertaire 89.4 )
 
 
Compagnie Les Apicoles* • De Gérald Duchemin et Rémy Jousse • 
Mise en scène Bruno Bernardin • Collaboration artistique Caroline Roucoules • 
 Avec Flavie Avarguès Caterina Barone Benoit Gourley, Yves Javault Hervé Masquelier • Scénographie Cie Laforaine – Linda Hede & Eric Broissier • Bande sonore et musicale Paulin Khoshkbari & François Marnier • Création lumière Maria Barroso avec le soutien de l’équipe technique des Théâtres • Attachée de presse Elodie Kugelmann.

 LE JARDINIER DE LA MER ROUGE

 

Le Jardinier de la mer rouge, le titre de la pièce de Gérald  DUCHEMIN et Rémy JOUSSE, illustre d’emblée l’état d’esprit de ses auteurs, les pieds sur terre et cependant capables de s’immerger ailleurs, serait ce jusqu’à la mer rouge.

 La pièce se présente comme une intrigue policière à partir d’un fait divers qui va bouleverser la tranquillité apparente ou l’inertie d’une commune, Loches en Touraine dans les années 70 : le jardinier d’une institution psychiatrique enlève un jeune adolescent autiste.

 L’enquête confiée à un juge d’instruction proche de la retraite entraîne les spectateurs dans les coulisses, des institutions, celle de la justice, celle de la psychiatrie. Comme dans les romans de Simenon ou les « Cinq dernières minutes » du Commissaire Bourrel, il s’agit pour les auteurs de prendre le pouls d’une société à un moment donné, d’un point de vue humain et hors la loi d’une certaine façon.

 Au fur et à mesure de l’enquête, les spectateurs découvrent que tous les personnages sont plus ou moins concernés de près ou de loin par la disparition du jeune autiste.

 Quelle est la place des malades mentaux dans nos sociétés ? Cette question résonne avec acuité dès lors que nous prenons conscience que celui qui est étiqueté malade mental fait si  bien partie de notre monde qu’il peut être un frère, une sœur, un enfant et serait-il un étranger que cela signifierait que nous prenions la posture d’étrangers vis-à-vis de lui.

 Non les individus, les citoyens ne peuvent pas se cantonner aux rôles qui leur sont assignés dans la société. En tout cas, c’est ce que pense le jardinier respecté et apprécié par tous. Certes sa réponse à une situation impossible est violente mais elle traduit réellement le sentiment de tous ceux qui ont eu l’impression de se battre contre des murs pour faire évoluer les conditions de vie des handicapés mentaux.

 La pièce montre comment chacun des protagonistes, le juge, la  greffière, le gendarme, la juge, la mère célibataire et comédienne doivent déborder de leurs rôles pour communiquer entre eux, parce que chacun a une histoire, chacun est amené à s’interroger sur l’autre pour sortir de sa propre bulle.

 S’agissant d’une intrigue policière, nous ne dévoilerons pas toute la trame qui témoigne aussi de la friction entre le ressenti, l’imaginaire et la froide réalité. L’émotion, le raz de marée des souvenirs, des brûlures de la vie forment un brouillard suggestif et complexe.

 L’atmosphère pesante et étriquée d’un bureau de juge où les plantes ont dû mal à survivre, est fort bien rendue. Le metteur en scène semble vouloir faire prendre leur temps aux protagonistes pour s’exprimer. Les comédiens nous rappellent le côté nature des interprètes des « Cinq dernières minutes » à l’époque de l’ORTF. Nous sommes loin des sitcoms ou des romans photos où chaque plan défile artificiellement.  

 Les auteurs refusent l’artifice. Ils tiennent à rappeler que leur combat a trouvé une issue grâce à une résistante Marie-Madeleine DIENESCH à l’origine de la Loi du 30 Juin 1975 en faveur des personnes handicapées.

 Alors, si le retour à l’histoire de la Résistance à travers le long récit du gendarme n’est pas évident, il rend compte des idéaux moraux du jardinier et de son complice.

  Le combat continue nous disent les auteurs du Jardinier de la mer rouge. Cette mer rouge, ce jardin de la mer où un enfant bédouin autiste rencontra un dauphin. Et,  ce n’est pas un conte, c’est un chemin de vie et d’espérance, d’humanité tout simplement. Sommes-nous juge, jardinier, parent d’enfant handicapé, bourreau ou victime, résistant ou lâche, désespéré ou combatif, ignorant ou indifférent, peut être tout à la fois. Le jardinier de la mer rouge nous interpelle profondément !

 Paris, le 24 Mai 2014          Evelyne Trân

 

 

LE ROI NU Texte d’Evguéni Schwartz – Comédie burlesque – Mise en scène de Léa Schwebel au THEATRE 13 – 103A Bd Auguste BLlanqui 75013 PARIS – du 13 Mai au 22 Juin 2014 –

le roi nu

Avec Mansour Bel Hadj, Julien Jacob, Charly Labourier, Olivia Lamorlette, Solen Le Marec, Amandine Marco et Violette Mauffet

Traduction André Markowicz, Scénographie et création décors Michel Ferry, Création costumes Melisa Leoni, Masques et prothèses Amélie Madeline et Oriane Poncet, Création lumière Jérôme Dejean et Anna Giolo.

Trois contes d’Andersen, le Porcher, la Princesse au petit pois et le Roi nu, ont fait courir la plume d’un auteur Russe du début du 20ème siècle, Evgueni SCHWARTZ. Nous ne connaissons pas grand-chose de la vie de cet écrivain qui écrivit une bonne douzaine de pièces pour les enfants et les adultes. En 1934, lorsqu’il écrivit le ROI NU, soulignons tout de même que la liberté d’expression n’était pas au beau fixe. La pièce fut interdite durant une dizaine d’années.

Il faut dire que dans cette pièce, il se moque allègrement des détenteurs du pouvoir en mettant en scène leurs ridicules.
De nombreuses piques émaillent une histoire loufoque où l’on voit un porcher tomber amoureux d’une princesse promise à un Roi moche, et imbécile.

Avec les 48 personnages qui peuplent la scène, ministres, volailles, cochons, poètes etc., le propos de SCHWARTZ devient hyperréaliste, car les spectateurs découvrent avec bonheur les affinités de la gente humaine avec la gente animale.

Fermière avertie, Léa SCHWEBEL jette ses graines dans un poulailler géant où tout le monde caquette, s’agite, sans répit.

Ses graines euphorisantes permettent aux 7 comédiens de la compagnie TUTTI QUANTI d’endosser avec une vitalité peu commune, la peau de tous ces personnages.

Outre, le propos politique, l’intérêt du spectacle c’est d’assister aux transformations successives des artistes, à bâtons rompus, comme à des tours de magie.

Avouons que le spectateur doit affuter son regard pour dénouer le fil de la trame sous peine d’avoir l’air béat comme le Roi nu interprété par Julien JACOB à ce point burlesque qu’il en devient attendrissant.

Quand on pense que SCHWARTZ créa un ministère des tendres sentiments et qu’une poète figurait dans son gouvernement imaginaire, seul notre esprit critique nous dissuade de justifier le comportement de ce Roi nu, modèle de mauvaise foi de tous nos politiques.

L’on rit de bon cœur de la pertinence ou impertinence de SCHWARTZ, heureux d’avoir pu contempler notre face de Roi nu, à l’envers ou à l’endroit.

  Une leçon de politique divertissante, où enfin la poésie a son mot à dire, véritable petit pois sous une quinzaine de matelas. Prenez-en de la graine, messieurs, mesdames, les politiques.

A notre sens, la leçon est jouissive mais elle gagnerait à être allégée, juste pour permettre à nos pensées poussives de reprendre haleine. Cela dit, la compagnie TUTTI QUANTI joue avec un tel naturel, qu’elle parfume nos petites peaux mortes d’un gant à crin, fort perspicace.

Paris, le 18 Mai 2014               Evelyne Trân

LE ROI LEAR de William SHAKESPEARE- Texte français d’Yves BONNEFOY au THEATRE DE LA VILLE – 2 PLACE DU CHATELET 75004 PARIS – Mise en scène de Christian Schiaretti du 12 au 28 Mai 2014

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avec
Serge Merlin
Lear, roi de Grande-Bretagne

Pauline Bayle Cordélia, fille de Lear
Andrew Bennett Le fou de Lear
Magali Bonat Régane, fille de Lear
Olivier Borle*
Oswald, intendant de Goneril
Paterne Boungou** Curan, courtisan
Clément Carabédian*
Le roi de France, gentilhomme
Philippe Duclos
Le comte de Gloucester
Philippe Dusigne** Un vieillard, métayer de Gloucester ; Un médecin
Christophe Maltot
Edgar, fils de Gloucester
Mathieu Petit Le duc de Bourgogne

Clara Simpson** Goneril, fille de Lear
Philippe Sire
Le duc d’Albany, mari de Goneril
Julien Tiphaine*
Le duc de Cornouailles, mari de Régane
Vincent Winterhalter 
Le comte de Kent
Marc Zinga
Edmond, le bâtard de Gloucester
et
Victor Bratovic, Romain Bressy, Franck Fargier, Lucas Fernandez, Florent Maréchal, Sven Narbonne, Joël Prudent, Loïc Yavorsky


*Comédiens de la troupe du TNP,
** Comédiens de la Maison des comédiens

D’aucuns diront qu’il n’y a rien de métaphysique dans la tragédie du Roi LEAR qui raconte la déchéance d’un roi aveuglé par ses passions.

 Il est possible d’imaginer que si le Roi Lear ne donne qu’une condition au legs de ses terres à ses trois filles, leurs déclarations d’amour, c’est que durant toute sa vie, il ne les a  jamais entendues. En résumé le vieux Roi Lear dit à ses filles : « Dites-moi que vous m’aimez et je vous donnerai tout ce que j’ai « 

 Ce caprice de vieillard devient la brèche qui va opérer  le tremblement de terre, la dissolution de son royaume et faire basculer la conscience du,Roi Lear vers la folie.

 Shakespeare utilise une véritable torche, celle de la parole du bouffon qui se frotte aux personnages pour dénoncer leurs déguisements.

 Dans cette tragédie hormis Cordelia qui refuse de déclarer son amour pour devenir héritière, les personnages pour s’exprimer doivent  déguiser leurs âmes.

 Très intéressante à cet égard, la position d’Edgar, le fils bâtard de Gloucester qui pour trouver sa place doit manœuvrer et faire figure de traître. Quant aux filles les moins aimées du Roi Lear, on peut comprendre qu’elles veuillent s’affirmer  en rejetant un père sénile.

 Le désir est omniscient  dans cette tragédie. Question d’espace vital, pour exister les filles  poussent vers la mort leur  père qui découvre alors qu’il n’a aucune place dans leur cœur.

 Mais tous les personnages qu’ils soient bons ou mauvais, dignes ou réduits à l’indignité sont liés les uns autres puisqu’ils vivent dans le même monde.

 Ce n’est pas tant aux circonstances d’une tragédie annoncée que s’attache Shakespeare mais bien plutôt à leurs effets sur les consciences.

 De l’aveu de ses personnages, la condition humaine est terrible puisque les hommes sont capables du meilleur et du pire. Même acculé à la solitude la plus extrême du fait de sa déchéance,  un homme doit encore affronter le regard de l’autre qui le méprise :

 Par la bouche  d’Edgar le fils renié de Gloucester le fidèle du Roi Lear, Shakespeare a ses mots :

 « Pourtant c’est mieux ainsi : se savoir méprisé que  l’être à son insu par ceux qui nous louent ! A ses pires moments, le plus pauvre fétu qu’ait brisé la fortune  a toujours un espoir… »

 Le texte de Shakespeare dans la traduction d’Yves BONNEFOY est de toute beauté. C’est la chair qui se fait poème. Il faut l’entendre dans sa déréliction forcer le délire du Roi Lear incarné de façon spectaculaire par Serge MERLIN qui brandit le miroir de la folie comme le seul capable  de sortir de sa léthargie la fatalité.

 Très imposante, l’enceinte en arc de cercle aligne des portes noires comme des portes en deuil d’où se déversent en foule, la cour et la famille du Roi Lear avec tout le faste de leurs costumes.

 Par contraste, les scènes d’errance du Roi Lear et des autres bannis,  sont presque chatoyantes. Parce que cette errance dans la bouche de Shakespeare a un goût de liberté et d’extravagance.

 Dans cet éclat de miroir obscurci par le charbon, l’on voit plusieurs personnages dévaler dans la poussière mais c’est alors que leurs paroles résonnent le mieux.

 A ce moment-là, on aurait presque envie de fermer les yeux pour n’écouter que ces chutes de mots, murmures  et éclaboussements de voix qui ne peuvent plus se déguiser.

 Avec une belle distribution de comédiens, Christian SCHIARETTI fait trembler la plume noire de Shakespeare. Dans sa mise en scène sobre et efficace, il y ait question  d’apparition, celle d’un homme qui quitte le pouvoir. C’est renversant. L’âme du spectateur peut se transposer  au temps de Shakespeare  puisque le théâtre a toujours la même enseigne, celle de refléter notre monde. Il n’a pas vraiment changé. 

  Paris, le 17 Mai 2014                    Evelyne Trân       

 

Misterioso-119 de Koffi Kwahulé – Mise en scène de Laurence RENN au THEATRE DE LA TEMPETE à la CARTOUCHERIE DE VINCENNES du 9 Mai au 8 Juin 2014

MISTERIOSO

De Koffi Kwahulé

Mise en scène de Laurence Renn

Avec Jana BittnerovnaMaïmouna CoulibalyGabrielle JéruDouce MirabaudNatacha MircovichKarelle Prugnaud

 Il est très difficile le rapport entre voyeur et regardé. Le spectateur peut-il s’assimiler à un voyeur ? La pièce MISTERIOSO 119 fait entrer les spectateurs dans une prison de femmes. Fiction ou réalité ? La vérité c’est que la prison est une des expériences les plus cruelles que puisse connaitre un individu parce qu’il s’agit d’une condamnation à la privation de liberté. Mais cette vérité de la Palisse, il  faut l’avoir vécue pour en parler.

 Koffi KWAHULE raccorde les témoignages de femmes détenues à sa propre perception de solitude qui résonne comme un blockhaus. Il dit « Globalement, le monde est un lieu clos ». Il n’y aurait pas d’autre issue à la solitude que la mort ou l’amour. Ce fut aussi l‘expérience de Jean Genêt.  

 Il est beaucoup question de regard dans cette pièce parce que dans un huis clos, il est difficile d’échapper au regard de l’autre ou des autres. Il y a ceux qui forment un groupe et il y aurait toujours celui qui fait figure de brebis galeuse parce qu’il s’isole.

 La violence des détenues vis-à-vis d’une des leurs est montrée de façon très brutale. La violence est aveugle. On peut comprendre que les yeux de ces femmes sont d‘ores et déjà brûlés par l’obscurité, et le sentiment d’être enfermées, coupées du monde comme si elles étaient enterrées vives.

 Les prisonnières ne sont pas nommées comme si elles n’avaient plus besoin d’identité ou que celle-ci n’existait qu’à travers l’objet de leur condamnation. Leurs étiquettes, c’est leurs crimes. Même l’animatrice de théâtre n’a pas de nom et se présente comme une femme sans fenêtre.

 Dans la douche où elles se retrouvent à poil les détenues peuvent être regardées  par quiconque. Notre façon de regarder l’autre ne sera jamais pure, nous le savons bien. Dans ce contexte, la nudité des corps est totalement expressive de la condition de ces femmes, elle permet de déborder du matériel. Fichtre des critères de beauté, les corps sont beaux parce qu’ils ne parlent que d’eux-mêmes. C’est ainsi que la femme sans fenêtre récupère son identité, en s’offrant nue à une détenue.

 Il s’agissait de dire que la pudeur était interdite aux prisonnières mais par un renversement de perspective, Koffi KWAHULE s’attachant à donner de l’esprit aux corps, MISTERIOSO 119 débouche sur une histoire d’amour tragique.

 Au sein de cette tragédie, les témoignages des détenues pourraient apparaitre extérieurs. Il s’avère que leur présence extrêmement vive nous raccorde à notre  environnement, au-delà d’un cadre littéraire propre aux élégies de la passion. Dans cette pièce, le texte devient l’ardoise où se retrouvent plusieurs voix qui tracent de façon douloureuse, en titubant, le chemin pour dépasser les barbelés de nos consciences.

 Dans un décor très suggestif avec des escaliers en fer qui entourent au centre de la scène une sorte d’aquarium géant ou pipette de laboratoire, les comédiennes porte-paroles de prisonnières sans nom sont bouleversantes.

 Parler de prison, non ça n’est vraiment pas évident. A la fin de la représentation, en signe d’espoir, les comédiennes se sont libérées en dansant avec le saxophoniste de jazz Frédéric GASTARD. Des airs de jazz chers à Koffi KAWAHULE, résonnent, en effet, pendant toute la pièce.

 La metteure en scène Laurence RENN PENEL orchestre la violence qui règne dans MISTERIOSO 119 avec une main de fer dans un gant de velours. C’est à son regard que nous devons  l’illumination finale, elle est subversive comme toutes les émotions.

 Paris, le 10 Mai 2014                    Evelyne Trân

 

PEER GYNT de Henrik IBSEN – Mise en scène de Christine BERG – Au THEATRE DE LA TEMPETE à la Cartoucherie de Vincennes – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris – du 08/05/2014 au 08/06/2014 –

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Avec
Mustafa BenaïboutLoïc BrabantCéline ChéenneVanessa FonteAntoine PhilippotStéphan Ramirez
Photos Ici et maintenant
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IBSEN n’a pas la réputation d’un optimiste, peu s’en faut. En accouchant de PEER GYNT une pièce qu’il a écrite en 1867 lors d’un voyage en Italie, destinée à être lue et non à être jouée, IBSEN s’est rendu compte qu’il avait enfanté un monstre, mi-homme mi-troll en la personne de PEER GYNT.La pièce est longue et c’est normal puisqu’elle raconte la vie d’un homme d’une vitalité débordante mais dépourvu de complexes qu’ils soient moraux ou religieux.Peer GYNT c’est le voyou qui envoie tout valser au gré de ses humeurs. Adoré par sa mère, il se croit tout permis. Sa philosophie pourtant qui n’est pas mince tient en une seule phrase « Etre soi-même » .Vaste programme qui lui permettra de rebondir en dépit de cruelles épreuves qui finiront par émousser sa cuirasse d’égoïsme.Photo Ici et maintenant12517532124_aa4ccb9dab_o

La folie appelle la folie. Mais qu’est-ce que la folie ? Ibsen sait-il lui-même au moment où il écrit sa pièce où va l’entrainer son personnage. Forcé à fuir en raison de ses forfaits, Peer GYNT se retrouve dans une famille de trolls, véritables petits démons à langage humain. Mais Peer GYNT n’entend adhérer à aucun dogme et refuse de s’enchainer à leur verbiage démoniaque. Devenu père d’un petit troll malgré lui, tatoué d’une nouvelle phrase philosophique « Suffis-toi, toi-même » il fuit encore.

12517070185_3fc788f1e4_oPhoto Ici et maintenant

Les aventures sont nombreuses et les personnages insolites abondent tels que la Femme en vert, le Courbe, le fondeur de boutons. Peer GYNT a l’allure d’un anti-Candide il n’est ni bon, ni foncièrement mauvais. Anticlérical par nature, il devient prophète par opportunisme ou pragmatisme. Car il a un don Peer GYNT, une capacité d’adaptation aux situations les plus difficiles. Notamment, lorsque sa mère lui annonce qu’elle va mourir, il invente pour elle sa mort en faisant danser son lit et en lui racontant une fable pieuse jusqu’à son dernier souffle.

La pièce croustille des inventions philosophales de Peer GYNT qui se rengorge de ses épopées, s’oubliant dans ses palabres au point de prendre la place de ses précédentes victimes.

Leurre ou illusion, l’important c’est d’y croire ! Peer GYNT ne fait plus la différence entre ses rêves et la réalité ou alors il assiste comme un spectateur à leurs échauffourées. Quand la mort vient enfin frapper à sa porte en la personne du fondeur de boutons, Peer GYNT se révolte. Alors tout à coup, elle est perceptible cette angoisse de la mort, elle est déchirante. Mais il est tellement drôle aussi ce fondeur de boutons avec sa grosse cuiller que lorsque la déchirure se fond en berceuse au-dessus de Peer GYNT, la tête sur les genoux d’une femme aimée, c’est la poésie qui l’emporte, le rêve pour toujours.

Antoine PHILLIPOT incarne Peer GYNT avec une aisance remarquable et ses partenaires qui endossent la peau de 40 personnages totalement solidaires font tourner le manège, avec une bonne humeur contagieuse.

Christine BERG s’est inspirée du théâtre de foire pour cette fantaisie débridée et à l’aune de ce lit à roulettes qui virevolte sur la scène, la fameuse roue qui tourne pendant un vol d’oiseaux s’octroie quelques douceurs de vivre avec des tableaux fantômes à multiples facettes, qui tremblent et transpirent comme les spectateurs, à l’écoute de Peer GYNT, un saint parmi les artistes, ou bien un troll éternel.

Ajoutons que ce spectacle extrêmement sensible jouit d’une belle orchestration musicale composée par Gabriel PHILIPPOT et Julien LEMOINE.

Après ce tour de manège impressionnant, croyons que les spectateurs auront envie de lire la pièce d’IBSEN dans son intégralité. C’est le genre de fantaisie qui procure du bien être par petites vagues bien pensées :

« Sais-tu ce que c’est que de vivre ?… C’est descendre à pied sec le fleuve du temps en restant soi-même » Ce rêve là est sans dilemmes.

Paris, le 9 Mai 2014                 Evelyne Trân

 

KOHLHAAS – Adaptation libre d’après Heinrich Von KLEIST au TARMAC, Scène Internationale Francophone – 159 Av Gambetta 75020 PARIS du 6 au 9 Mai 2014 puis à l’Entrepôt à AVIGNON ( Festival Off) du 5 au 27 Juillet à 18 H.

adaptation libre d’après Michael Kohlhaas d’Heinrich von Kleist
poèmes de Erich Mühsam

KOHLHAAS TER

mise en scène Claus Overkamp
direction artistique Kurt Pothen

avec Roger Hilgers, Eno Krojanker, Annika Serong, Matthias Weiland, Marie-Joëlle Wolf

KOHLHAAS 4

adaptation française Gil, Émile Lansman
scénographie et accessoires Céline Leuchter
constructions Gerd Vogel, Atelier Held
création lumière Michel Delvigne
musique Gerd Oly

costumes Emilie Cottam, Viola Streicher

L’histoire de Kohlhaas, ce riche marchand de chevaux qui à la suite d’une injustice, lève une armée de serfs et de mercenaires contre l’état de Saxe est absolument édifiante. Elle se déroule dans un XVI siècle sans foi ni loi sinon celles du Prince de Saxe et d’un certain Luther.

Le sentiment d’injustice peut aussi bien couler dans les veines d’un bourgeois que d’un paysan ou un prolétaire. Sa réminiscence est universelle et les créatures qui ont combattu pour la justice sont devenus des héros mythiques, qui fouettent l’imaginaire et l’inconscient collectif en s’adressant à la conscience de tout homme, de tout individu.

Edifiant mais possible qu’un homme armé de sa seule conviction fasse trembler le pouvoir en place. Dans ce combat, il y laissera la vie comme Jeanne d’Arc, Spartacus, Che Guevara et bien d’autres, mais il aura su cristalliser les efforts et la flamme de ceux qui n’ont pas eu la parole, qui luttent au quotidien pour faire valoir leurs droits, au bas de l’échelle. Car peut bien valoir la parole d’un individu isolé face au pouvoir en place.

Et voilà qu’une troupe de théâtre belge, l’AGORA THEATER s’empare de cette histoire fabuleuse adaptée d’une nouvelle historique de KLEIST, une figure littéraire allemande, incontournable.

Toute histoire doit pouvoir être racontée pensent les comédiens. En l’occurrence, ils ne disposent que de leurs hardes d’acteurs ambulants, de tours de cirque, d’instruments de musique, hétéroclites, d’un théâtre de marionnettes. Mais ils sont en communication permanente avec le public; comme dans une foire ou un théâtre de rue, ils recrachent l’histoire de Kohlhaas avec la même énergie que des cracheurs de feu.

Et l’on assiste à une chevauchée onirique incroyable où les acteurs prenant à bras le corps un drame historique lui offrent toute la démesure de leur imagination faite de bric et de broc qui a toute la fraicheur, l’innocence de l’enfance. Vraiment ahurissante, cette description de la guerre où l’on voit un tennisman alias Kohlhaas, frapper du revers une multitude de marionnettes.

Dans ce jeu de massacre jubilatoire, les enfants sont invités à jeter des boules de papiers mâchés sur la tronche des comédiens fardés et « marionnettisés ».

Le décor fait apparaitre à la fois d’un côté l’orchestre, de l’autre la loge des artistes et au centre le rideau rouge à glissières d’un théâtre de guignol.

Le metteur en scène semble refuser les frontières. C’est l’imagination qui prime, celle des corps, qui libèrent une énergie si naturelle, que les clowneries et les jeux de masques, toujours dans le champ de l’histoire, n’empêchent pas d’ouïr les accents de gravité du personnage de Kohlhaas et son message de liberté.

Après avoir mimé et porté à la dérision, au burlesque, les situations de guerre et d’impostures, les artistes conteurs et griots enfoirés donnent leurs voix à Kohlhaas, comme à un homme de notre temps.

De l’audace, toujours de l’audace avec le public, c’est la gageure de l’AGORA THEATER qui réussit à faire sourire à la fois les enfants et les adultes. Comment ne pas tirer le chapeau à cette compagnie, pour sa version complétement décoiffante du drame de KOHLHAAS, fraiche et vigorifiante, époustouflante !

Paris, le 8 Mai 2014                            Evelyne Trân

 

 

 

 

AUTOUR DE MA PIERRE IL NE FERA PAS NUIT de Fabrice MELQUIOT au Théâtre Côté Cour dans le cadre des Floréales Théâtrales 12, rue Edouard Lockroy – 75011 Paris (M° ParmentierDU 2 MAI AU 1 ER JUIN 2014

AUTOUR DE MA PIERRE IL NE FERA PAS NUIT

AUTOUR DE MA PIERRE, IL NE FERA PAS NUIT
Une comédie dramatique et musicale de FABRICE MELQUIOT

MISE EN SCÈNE COLLECTIF SERVICES RETOUCHES
DURÉE DU SPECTACLE 1H15     ÂGE DÈS 14 ANS
AVEC
ADRIEN CAPITAINE Ivan
LAURA DE BOISCHEVALIER Dolorès
FABIAN FERRARI Louis Bayle/Lullaby
RAPHAEL MOSTAIS Dan
AGATHE QUELQUEJAY Laurie
MATHIEU REVERDY Juste
MUSIQUE
ELVIS PRESLEY
ADRIANO CELENTANO
FREDERIC MILANO
SON FREDERIC MILANO
LUMIERE VIVIANE FOURNIER
AFFICHE MANUELE FIOR
PHOTOGRAPHIES PIERRE DOLZANI et CHRISTINE SIDNAS
 
Pour le plaisir du texte et du jeu, six comédiens formés à l’Ecole Claude MATHIEU, se sont emparé d’une comédie dramatique et musicale de Fabrice MELQUIOT « AUTOUR DE MA PIERRE, IL NE FERA PAS NUIT ».

Le titre énigmatique ou sibyllin pourrait fort bien annoncer un poème. Ici, il annonce une rêverie bordélique faisant référence au bordel de la vie, tout court, quand toute tentative de ramener les rêves d’une tribu familiale, à la réalité, revient à désigner l‘emblématique arche de Noé.

L’étoffe de la pièce est légère. Sur la moire, on peut y lire la trame d’’une histoire familiale où comme sur une feuille, chaque nervure représente un individu et au milieu de la feuille encore duvetée, il y a un trou sur le rebord duquel il faut imaginer les nervures comme rétrécies, amputées.

Dan le frère aîné d’Yvan vient d’être tué alors qu’il était en train de piller une tombe. A partir de ce drame, qui est peut être un mauvais songe, à partir de cette détonation, Fabrice MELQUIOT laisse courir sa manivelle où sur une bande de vie qu’il fait défiler par secousses et par flash-back, tous les membres de la famille plus un étranger poète, apparaissent, comme s’ils faisaient partie du rêve de Dan.

Quand les rêves de plusieurs personnes se dirigent vers le même mirage où le même rivage, ils s’inclinent vers l’océan, ils s’oublient un instant pour devenir un point lumineux, là-bas, destiné à éclairer tous ceux qui n’ont pas dépassé la berge.

Ils sont simples les souhaits de chacun des personnages – argent, amour, Elvis Presley, Cadillac blanche- on peut souffler dedans comme dans des ballons.

Il s’agit en somme d’un rêve collectif auquel chaque comédien apporte son propre souffle avec quelques intermèdes musicaux signés Elvis Presley, Adriano Celentano et Frédéric Milano.

L’appréciation ne peut être que très subjective. Fragile est le tissu d’un rêve. Celui de la pièce « Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit » pourtant demande à être trempé par l’imagination des interprètes pour faire dégouliner toute son impertinence et son irrévérencieuse légèreté.

Mais il n’y a pas de mode d’emploi sauf à flairer le palimpseste sous le texte, et se rêver soi-même en train de jouer la pièce. C’est un tour de force qui demande sans doute quelques chuintements de manivelle, mais dont est capable la belle équipe de ce spectacle qui s’emploie à faire sourire, des clichés et des fantasmes éternellement jeunes.

Paris, le 3 Mai 2014                    Evelyne Trân