L’échange de Paul CLAUDEL à l’AKTEON THEATRE – 11, rue du Général Blaise 75011 PARIS – du 17 Janvier au 22 Mars 2014

CLAUDELCompagnie Boss Kapok

Mise en scène Ulysse Di Gregorio
Avec : Margaux Lecolier, Paul Enjalbert, Julie Danlébac, Bruno Sultan

Un vent de jeunesse traverse « L’échange » dont la 1ère version fut écrite par Paul Claudel en 1893 alors qu’il était jeune consul à New York. Sans doute parce que par la bouche de son jeune héros métis, Louis LAINE moitié américain, moitié indien, Claudel parle de liberté en recouvrant presque la voix de son poète préféré Rimbaud.

 Claudel est toujours pénétré de poésie. C’est l’émotion poétique qui lui permet de mettre en scène ce qu’il y a de plus banal, de plus trivial, une histoire de couples, d’échange entre des couples. Il lui faut soulever les consciences derrière la porte infernale des conventions et il y parvient en faisant passer sous cette porte une sorte de frisson tenace qui gicle sur les lèvres de ses personnages.

 Dans ce drame qui se déroule sur une seule journée, quelque part en Amérique, en Caroline du Sud, face à la mer et plus en retrait dans les habitations de deux couples, l’un pauvre, l’autre riche, en terme d’échange, ce qu’entend manifester Claudel, ou du moins ce qu’un invité étranger pourrait éprouver c’est toute l’angoisse  parcheminée qui découle de la réunion des quatre éléments : la terre, le feu, l’eau , l’air.

 Cet éclairage est un peu simpliste mais il permet de comprendre la nature de l’échange entre les quatre personnages qui recréent par le jeu de la parole, le manège quelque peu sournois de leurs inclinations tributaires les unes des autres.

 Parce que le sentiment de la terre, c’est l’essence physique de Marthe, c’est ce qu’elle ne peut effacer de sa vision de l’homme qu’elle idéalise dans laquelle elle se projette comme elle enfoncerait son visage à même la terre pour s’éprouver.

 Louis LAINE, son jeune mari qui a enlevé, un jour Marthe sans réfléchir, est un signe d’air. Il ne peut s’attacher car c’est le mouvement qui l’instruit, c’est le goût de la liberté qu’il éprouve, seul, en s’échappant.

 Plus énigmatique encore est le personnage de Lechy ELBERNON, une artiste dramatique qui se laisse dévorer, happer par la passion, qui jouit dans le tumulte et le plaisir d’enflammer le jeune papillon, Louis LAINE.

 Thomas POLLOCK NAGEOIRE, c’est l’ homme pragmatique qui prend l’argent comme du sel, qui joue avec .En vérité l’argent est son seul jeu, sa carte dans la société dont il use volontiers mais qui ne lui procure pas d’antennes pour comprendre Louis LAINE, son épouse artiste et ni même Marthe.

 Imbriqués les uns aux autres, chacun des personnages paraissent dérouler  leurs partitions, sans s’atteindre. Mais  puisque Claudel entend promulguer cet élément intermédiaire qu’est la parole, dans ce lieu même, ils se rejoignent, se  dépassant en quelque sorte. Thomas oublie un instant ses mobiles matériels aux côtés de Marthe, Louis LAINE reste ébloui par la force de Marthe qui peut embrasser la terre.

 Le motif de l’adultère, est d’ordre symbolique. A travers ses quatre personnages, Claudel malaxe avec une violence sourde nos idées reçues sur l’amour, le couple. Louis LAINE quitte Marthe non pas parce qu’il ne l’aime pas, mais  par besoin d’indépendance.

 Il s’agit d’une nécessité intérieure qui dépasse toutes les règles souscrites par la société. Et même si Marthe parait convenir aux normes, son besoin de fidélité et d’attachement est personnel.

 Le lieudit des émotions laboure les êtres du côté indéfectible du noyau de l’individu lequel n’a pas besoin d’alibi juridique et social, chez  Claudel, pour s’exprimer.

 « Le conflit intérieur des  personnages n’est pas moral mais spirituel » nous dit dans sa note d’intention le metteur en scène Ulysse DI GREGORIO. Sa mise en scène donne toute latitude aux comédiens de ne pas seulement jouer, d’être à l’écoute des paroles de leurs personnages qui parfois restent en suspension, et reviennent fouetter l’esprit comme un tourbillon d’air.

 La scène est tapissée d’un drap qui  fait penser au sable et au centre un grand fagot de bois donne envie à l’œil de raccorder en une seule image les quatre personnages qui se rencontrent, se touchent séparément,  forment les quatre branches d’un même tronc humain.

 Le puits de lumière sur cette scène c’est manifestement Marthe à qui Margaux LECOLIER prête toutes les nuances de son visage juvénile, doux et résolu. Paul ENJALBERT a l’allure d’un bel arbuste déraciné par le vent, sauvage et vulnérable, prêt à dévaler des montagnes. Bruno SULTAN est un piquant seigneur bourgeois tandis que Julie DANLEBAC, Lechy ELBERNON, tout à fait étonnante, campe une sorte de déesse antique, à mi-chemin entre la furie et l‘amazone, telle une flamme au bout d’un cierge, au bord des larmes. Il semblerait qu’elle incarne la violence des éléments, la tempête, l’océan qui ne réussissent pas à briser la résistance de Marthe, attachée à la terre.

 D’un point de vue réaliste, nous pouvons nous demander comment des personnages aussi différents peuvent se retrouver réunis en une seule journée en passant du lever du soleil à son coucher, de la vie à la mort. Mais Claudel n’est pas réaliste, de même que le jeune metteur en scène qui croit au souffle, à la seule force du verbe  pour faire rayonner les personnages, avec quelques ruades de fantasmes qui favorisent l’imaginaire, surtout l’imaginaire, pour que les yeux fermés, encore trottine, court ou galope comme va la vie, le vent de leurs paroles. Quel magnifique voyage !

 Paris, le 26 Janvier 2014                Evelyne Trân

 

 

 

CRIME ET CHATIMENT d’après DOSTOIEVSKI au Théâtre de l’ATALANTE – 10 Place Charles Dullin 75018 PARIS – Du vendredi 17 janvier au dimanche 09 février 2014

 

N.B : BENJAMIN KNOBIL était l’invité  de l »émission »DEUX SOUS DE SCENE » sur Radio Libertaire 89.4, le samedi 1er Février 2014 , en  podcast sur le site « grille des émissions de Radio Libertaire ».

crime_photo_14visuel-crime-et-chatiment-webAdaptation et mise en scène : Benjamin Knobil
Avec : Dominique Jacquet, Loredana von Allmen, Romain Lagarde, Mathieu Loth et Frank Michaux
Assistanat à la mise en scène : Agathe Hauser
Dramaturgie : Carine Corajoud
Lumière : Laurent Nennig
Décor : Jean-Luc Taillefert
Assistante décor et suivi de tournée : Stéphanie Lathion
Costumes : Olivier Falconnier
Décor sonore : Jean-Pascal Lamand
Transformation des têtes et accessoires :
Viviane Lima
Administration et diffusion : Sandrine Faure

RASKOLNIKOVQuiconque est entré dans la lecture du roman « Crime et châtiment » ne peut véritablement s’en défaire. Quel dommage de ne pouvoir interviewer aujourd’hui DOSTOIEVSKI sur son chef d’œuvre. Les questions qu’il pose sont toujours d’actualité et nous concernent tous parce qu’elles nous entrainent là où nous prenons garde de poser ni les pieds, ni les yeux, la misère matérielle et psychologique, la folie, la dépression.

 C’est l’histoire du passage à l’acte d’un individu, profondément seul et désespéré qui trouve cependant un secours auprès d’âmes plutôt bienveillantes, une jeune prostituée et un juge.

 Le tour de force de DOSTOIEVSKI, c’est de nous permettre de pénétrer dans la conscience tourmentée  d’un individu de la façon la plus aiguë alors même que son crime a été motivé par l’idée primaire que si tous les salauds de la terre étaient éliminés, celle-ci se  porterait mieux.

 « La conscience de Raskolnikov est un reflet torturé …de la société dans lequel il évolue » nous dit le metteur en scène. La vérité et le drame c’est que le crime qui avait une valeur idéologique pour Raskolnikov se transforme en crime crapuleux et sordide.

 Dans l’interprétation du personnage par le comédien, ce qui résonne, c’est que d’une certaine façon, en commettant un crime, c’est sa propre vie que Raskolnikov met en gage, une pulsion de mort qui risque de se retourner contre lui-même. La pulsion de vie étant représentée par les autres personnages, Sonia et le juge notamment.

 Le roman fonctionne comme un thriller psychologique et policier.Raskolnikov est un homme blessé dans son amour propre, mais c’est une blessure entière à laquelle en tant qu’être, il s’identifie totalement. « Il y a moi et les autres », semble tout le temps dire Raskolnikov, les autres qui configurent son cauchemar éveillé.

 En définitive, le juge qui a des allures d’inspecteur Colombo sous les traits de Romain LAGARDE, joue le rôle d’un psychanalyste d’envergure qui ne flaire pas le mal pour le juger mais pour le soustraire. Cela va mieux en le disant.

 La plate-forme rotative qui fait tourner chacun des lieux très gris  où déambule Raskolnikov permet bien de saisir son paysage mental qui n’a que faire du superflu mais qui reste obsédé par la sensation de misère, de tristesse, d’abandon, tout en cherchant un peu de lumière, une raison d’aimer, d’espérer sous la porte.

 Cela chante, cela aboie comme un niche d’air malgré tout car en puisant dans l’âme de Raskolnikov, sa détresse, nous pouvons avoir le réflexe de regarder notre propre montre. Quelle  heure est-il, et comment cela va-t-il dans le monde ? Tout seul, non cela n’est pas possible. L’on entend bien que ce n’est pas la richesse matérielle que recherche Raskonikov qui fait un grand pied de nez  à la société de consommation, mais une raison de croire en l’homme . Il crie plus fort que nous et bien tant mieux, DOSTOIEVSKI nous le dit, ce sont les voyages entre les âmes qui comptent le plus, ce sont tous ses paysages  intérieurs qu’il faut explorer .

 Tous les comédiens incarnent  plusieurs personnages avec aisance, autour du saisissant interprète de Raskolnikov, Frank MICHAUX.

 L’adaptation illustre une vision du roman, émanant  d’un peintre qui dessinerait presque avec gourmandise les situations et les personnages, d’une touche impressionniste avec un regard bon vivant où la douceur et la tendresse se mêlent à la curiosité. Une ambiance qui relate avec une  simplicité rafraichissante, la flaque d’eau  bruissante en tous lieux que représente le roman « Crime et châtiment » de DOSTOIEVSKI.

 Non, ce n’est pas rien de faire surgir d’un simple manège tous les personnages de son roman, c’est une performance que nous devons à la compagnie NONANTE TROIS, basée à Lausanne, qui vient à la rencontre des parisiens au Théâtre  de l’ATALANTE,  passionnément !  

 Paris, le 20 Janvier 2014                       Evelyne Trân

 

            

CORPS ÉTRANGERS de Stéphanie Marchais – mise en scène Thibault Rossigneux – au Théâtre de la Tempête – salle Copi – du 17 Janvier au 16 Février 2014

CORPS ETRANGERSavec
Daniel Blanchard
Laurent Charpentier
Philippe Girard
Géraldine Martineau
Christophe Ruetsch (création sonore au plateau)

avec la voix et l’image de Laure Calamy
et la participation du robot humanoïde Ilumens

scénographie et collaboration artistique Thibault Rossigneux, Xavier Hollebecq et Rachel Marcus
lumières Xavier Hollebecq
vidéo Arthur Gordon et Ugo Mechri
costumes Julie Deljehier
direction technique Ugo Mechri
assistant à la mise en scène Thibault Lecaillon

La scène est plongée dans l’obscurité, celle-là même qui peut fasciner et saisir de peur un enfant qui voit la nuit tomber au fur et à mesure qu’il marche et qu’il sent coller à son corps comme un invisible compagnon inconnu.

 Se retrouver seul avec la nuit fait partie de ces expériences extraordinaires que peut éprouver un être humain, à l’origine de la dimension fantastique  de son environnement. Cette dimension est lumineuse parce que toutes les choses auxquelles on ne fait pas attention dans la journée semblent avoir à cœur de s’exprimer la nuit.

 C’est dans les ténèbres que l’on peut se soucier de l’inconnu qui vient à notre rencontre et dont tout le monde nous dit qu’il est probablement un ennemi, un assassin.

 Dans la pièce très poétique de Stéphanie MARCHAIS, il y a des personnages qui dialoguent avec la mort de façon tout à fait familière parce que la mort existe en tant qu’impression et que de cette impression peut découler des êtres qu’on dira surnaturels comme la petite fille de 10 ans que l’on sait morte mais qui possède sa propre plénitude, une sorte d’essence mystérieuse, inassimilable . La petite fille de 10 ans devient une créature insolite au même titre que son père géant et bossu devenu le point de mire d’un savant médecin, une sorte de Docteur Frankenstein qui ne supporte pas l’idée de ne pas pouvoir connaitre un homme et donc pour qui aucun homme ne devrait  avoir de secret.  

 Il faudrait craindre cet assassin en puissance, ce monstre que représente le Docteur Hunter,  mais le sage géant bossu n’en a cure et il le prouve de façon naturelle lorsqu’il se dresse sur la table de dissection, un des moments forts de la pièce, pour parler au médecin fou.

 Tout au long de son poème, l’auteure fait circuler les voix qui se déplacent en fonction de l’imaginaire de chacun, sous la commissure des ténèbres, du brouillard, fabuleux, enfantin.

 Il s’agit donc d’une fable en quelque sorte sablier qui demande aux auditeurs spectateurs de se laisser porter par le courant  de voix de personnages dénudés  sinon par leurs désirs, par leurs fantasmes.

 La mise en scène semble vouloir coller à la peau même du texte dans une traduction visuelle et sonore, sobre et suggestive. Les interprètes marchent à même la terre qui sent la terre. La silhouette gigantesque du géant nous transporte dans un théâtre d’ombres de marionnettes.  S’imprime dans l’espace comme un morceau de rêve de tableau de Gustave MOREAU.

 Il semblerait que quelques gouttes de Nosfératu soient passées dans les veines d’O’WELL le géant bossu, qu’incarne superbement Philippe GIRARD. Laurent CHARPENTIER, quant à lui, donne une dimension humaine et nerveuse au personnage antipathique du Docteur HUNTER,

Daniel BLANCHARD interprète celui qui tient aux normes très justement. Géraldine MARTINEAU qui endosse les rôles de la petite fille et de la jeune femme, tout en sensibilité, apporte la grâce, la lumière qui jaillit, qui sort des ténèbres.

 Une belle création intelligente, questionnante, qui déborde de nos quartiers  d’ombres et de silence.

 Paris, le 20 Janvier 2014    Evelyne Trân

HOMME POUR HOMME de Bertolt Brecht – mise en scène Clément Poirée – du 16 Janvier au 16 Février 2014 – au Théâtre de la Tempête – salle Serreau

Homme-pour-homme_portrait_w193avec
Bruno Blairet
Laure Calamy
Eddie Chignara
Thibaut Corrion
Pierre Giafferri
Anthony Paliotti
Patrick Paroux
Benjamin Wangermee

scénographie Erwan Creff
lumières Maëlle Payonne
musique et son Stéphanie Gibert
costumes Hanna Sjodin assistée de Camille Lamy
vidéo Nicolas Simonin
maquillages Pauline Bry
régie générale Farid Laroussi
assistanat à la mise en scène Sacha Todorov

Homme-pour-homme_portrait_w193 Voilà une pièce de Bertolt BRECHT écrite en 1925 et remaniée en 1938 qui ne manque pas de mordant. Il n’est pas évident de se replonger dans l’atmosphère coloniale de cette époque; parfois il suffit de jeter un œil dans les magazines de nos grands-parents pour se rendre compte des représentations de l’armée, la plupart du temps naïves et bon enfant.

 Bertolt BRECHT ose une véritable caricature de la fonction soldatesque en mettant en scène les tribulations d’un garnison de soldats britanniques implantée en Inde qui n’a d’autre loisir avant de partir au combat que de se livrer à l’ivrognerie et la débauche. Dans ce contexte, n’importe quel poisson pourrait se laisser prendre. Le naïf GALY GAY, docker irlandais tombe dans la soupe et est utilisé par les soldats pour jouer la doublure d’un de leurs collègues qui manque à l’appel. De fil en aiguille, contraint pas les circonstances Galy Gay doit finalement renoncer à son identité première pour revêtir celle du soldat manquant. Cela donne lieu à un monologue digne de Shakespeare :

« A quoi Galy Gay reconnait-il qu’il  est lui-même Galy Gay ? Si on lui tranche le bras et qu’il le trouve dans la brèche d’un mur, l’œil de Galy Gay reconnaitra t-il le bras de Galy Gay ? « 

 Le sujet de la pièce c’est la dépersonnalisation de l’individu au profit d’une société qui l’asservit sans état d’âme. Nous ne savons pas si véritablement Galy Gay a perdu son âme pour revêtir l’apparence d’un soldat arrogant mais la question est posée de l’homme social et de l’homme tout court qui se rejoignent dans cette parodie de la condition humaine avec des accents de cruauté que le grotesque des situations  accentue.

 Cette pièce résonne comme une marmite bouillonnante sur scène, le dispositif scénique est original, fantaisiste et festif  avec des personnages particulièrement outranciers tels que le sergent QUINTE DE SANG et Léocadia BEGBICK, la cantinière.

 La mise en scène fait appel à l’imagination avec une grande vivacité et la distribution est remarquable. La pièce de BRECHT  très riche, mérite d’être pénétrée aussi en sourdine et il faut reconnaitre que telle qu’elle est très touffue, elle demande un certain recul de la part du spectateur.

 Le metteur en scène a choisi de rentrer de plain-pied dans cette pièce de jeunesse de BRECHT sans élaguer quelques longueurs. Telle quelle, elle résonne avec beaucoup d’acuité, car ces tableaux d’époque coloniale encore tout ruisselants des apostrophes de BRECHT n’ont pas fini de nous interpeller.

Paris le 19 Janvier 2014                    Evelyne Trân

LOVE LETTERS de A. R. Gurney – Traduction et adaptation d’Alexia Perimony – Avec Anouk Aimée et Gérard Depardieu – Du 04 au 15 Janvier 2014

loveletters

Il s’agissait pour l’auteur d’une série de gammes qu’il n’avait pas réussi à publier. Lorsqu’un jour il décida de les faire lire en public, la pièce eût un succès international.

Cette correspondance entre deux individus, un homme et une femme qui débute lorsque les personnes sont encore enfants et se termine à la mort d’un destinataire, n’a rien d’exceptionnel.  Elle relate le plus souvent des évènements ordinaires, des situations banales. Mais elle a le mérite de bousculer notre imagination, de nous permettre de nous attarder sur tous ces vides, ces absences, ces rendez-vous manqués ou pas de l’existence, leurs illusions ou leurs fracas.

 Cela fonctionne comme un journal intime à deux et sous l’effervescence de la plume, sous l’œil résigné ou songeur du scripteur qui trace quelques mots sur une page, ce n’est pas tant leurs significations, les  histoires qu’ils rapportent que le sentiment qui permet à la plume de se poser, qui témoigne de la personne qui se trouve derrière.

 Alors oui, il faut comprendre que chacun des destinataires des lettres ne saisit pas seulement les mots qui sont écrits, il entend la voix de celui qui a pris son temps pour les poser.

 Et cela est d’autant plus possible que nous savons que les scripteurs écrivent au stylo plume et que leur écriture se penche sous l’impulsion du corps et gestuellement  en exprime la présence.

 Il est véritablement saisissant d’assister à la lecture de ces lettres par la voix des deux comédiens Gérard Depardieu et Anouk Aimée, qui doivent être eux-mêmes des correspondanciers pour arriver à rendre compte avec une telle intensité, du bonheur de recevoir une lettre, du bonheur de se connaitre  à la fois destinataire et expéditeur.

 Tout le long de la lecture, nous retenons notre souffle en rêvant quelque peu de jouer le rôle du facteur qui pousse la  lettre vers son destinataire.

 Les deux amants, frère ou sœur ou simplement amis, ne se répondent pas toujours, jouent volontiers du hors sujet, mais leurs intonations frissonnent, débordent sur les silences, sur les brusques ironies, et les platitudes aussi de leurs phrases. Ils ne font pas de littérature et pourtant à travers une lettre magnifique, Gérard Depardieu confie à Anouk Aimée que sur une page se trouve une partie de lui-même.

 En rendant hommage à toutes ces lettres manuscrites invisibles que nous pourrions commettre, Gérard Depardieu et Anouk Aimée avec beaucoup de grâce, nous rappellent le bonheur de lire et d’écrire. Les deux pigeons de La Fontaine n’écrivaient-ils pas à leur façon dans le ciel et ne continuent-ils pas d’écrire ?

 Paris, le  12 Janvier 2014        Evelyne Trân

 

La leçon de Eugène IONESCO – Mise en scène : Jean-Pierre Brière – AU théâtre de l’ESSAION – 6, rue Pierre au Lard 75004 PARIS du 9 Janvier au 22 Mars 2014

P.S. : Marie Crouail et David Stevens étaient les invités de l’émission « DEUX SOUS DE SCENE » le samedi 25 jANVIER 2014  sur Radio Libertaire 89.4 en podcast sur le site « Grille des émissions de Radio Libertaire ». 

LA LECONles jeudis, vendredis, samedis à 20 H  Distribution : Marie Crouail, Karine Huguenin, David Stevens

Conception scénographique : Didier Préaudat

Costume : Pascale Barré

Prenez un texte d’Eugène IONESCO « La leçon » devenu un classique, ajoutez-y quelques pincées de Thomas BERNHARD, remuez doucement pour que la pâte prenne et enfin plongez y trois comédiens talentueux,  vous aurez, c’est certain, un de ces spectacles mémorables qui figurera dans les annales de la cave de l’ESSAION sous la rubrique « Le grotesque à l’état pur ».
 
 Pour une leçon, il s’agit d’une belle leçon et par-dessus le marché dramatique car nous le savons pour l’avoir peut être vécu, le grotesque frise le dramatique.
 
 Pour ouvrir les portières des affreuses conventions  IONESCO n’a qu’à pencher son œil sur la plaque bien huilée de ces rôles que nous avons tous abordé un jour ou l’autre en tant qu’élève ou professeur. Et si nous avons conservé au fin fond de notre mémoire quelques bribes de cauchemar concernant les relations impossibles entre une élève et son prof, comment ne pas jubiler d’assister à leurs dérives qui découlent du pouvoir de dire et ne pas dire sous le fallacieux prétexte de la leçon.
 
 Les déboires de la leçon arithmétique puis philologique se jettent  dans le fleuve de la leçon de choses, tout simplement absurde, quand l’élève, pourtant bien motivée, se retrouve les pattes en l’air, le visage boursoufflé par l’encre d’un stylo fuyard, et le professeur armé non plus d’une baguette mais d’un marteau qu’il prend pour un couteau qui parle « Que cela finisse par entrer dans votre crâne ».
 
 Quant à la bonne du prof qui n’a rien à envier à la bonne du curé d’Annie Cordy, nous savons qu’elle est sinon complice, instigatrice  de ce désastre, sans doute pour se venger de n’avoir pas le premier rôle.
 
 Les comédiens excellents sont d’un naturel si éblouissant que les spectateurs ont besoin de se pincer pour savoir s’ils ne rêvent pas. Qu’il fasse tout de même attention, cet époustouflant David STEVENS, qu’un spectateur ne prenne  son courage à deux mains en allant au secours de l’infortunée élève.
 
 Le metteur en scène Jean Pierre BRIERE semble avoir réglé sa mise en scène comme on installe une souricière. Le fromage c’est la leçon, la tapette c’est le spectacle et nous, spectateurs sommes des souris ravies.
 
 L’affiche du spectacle particulièrement austère, sombre comme une porte d’église, recèle des mystères plutôt chauds et colorés. Il est vrai qu’IONESCO sous sa physionomie de maître de l’absurde était profondément sérieux. Voilà une mise en scène qui lui rend hommage merveilleusement.
 
 Paris, le 12 Janvier 2014         Evelyne Trân
 

 

 

 

UNE FETE du 8 au 26 Janvier 2014 PAR LE CENTRE DRAMATIQUE DE LA COURNEUVE – Enquête, récolte, écriture d’Elisabeth Hölzle au CENTRE CULTUREL JEAN HOUDREMONT – 11 Av du Général Leclerc 93120 LA COURNEUVE

Avec UNE FETEMarc Allgeyer
Myriam Derbal
Maria Gomez
Jean-François Maenner
Jean-Luc Mathevet
Jean-Pierre Rouvellat
Rainer Sievert
Scénographie
Antoine Franchet
Création lumière
Julien Barbazin
 
 
P. S : Marie GOMEZ et Jean-François MAENNER étaient les invités de l’émission « DEUX SOUS DE SCENE » sur RADIO LIBERTAIRE 89.4 le samedi 11 Janvier 2014. Emission écoutable en podcast sur le site « Grille des émissions de Radio Libertaire.
 
La troupe du Théâtre de la COURNEUVE fête ses quarante ans. La troupe fait partie du paysage humain de la COURNEUVE, la plupart de ses comédiens en sont issus, et leur théâtre cristallise non seulement des époques, des évènements mais les rencontres avec le public que la troupe cultive, bon pied, bon œil, avec ses spectacles mais aussi ses ateliers de création, sa roulotte circassienne capable d’aller réveiller les murs des cités, dans les quartiers les plus reculés de la COURNEUVE. 
 
Et pourquoi faire, sinon pour raconter que le théâtre peut déplacer des montagnes à sa façon, car il est un art à taille humaine qui fait appel à  cette partie tangible de chacun, l’émotion, l’imagination, souvent planquées, ou asphyxiées par les sirènes des médias. Quand on vous dit que vous pouvez respirer avec vos pieds, avec vos mains, votre corps, simplement, vous vous demandez  si vous allez y arriver. Adieu téléphone portable, télé, ordinateur ! Si vous avez besoin d’un guide, choisissez donc la troupe de la COURNEUVE qui vous entraine dans une véritable caverne d’Ali Baba. Sur la scène du Centre Jean HOUDREMONT, le capharnaüm est extraordinaire, cela ruisselle de trésors inaudibles, infaillibles, des tronches de valises, de miroirs, de chaises, de livres, d’armoires, de souvenirs qui courent comme des souris. Le décor c’est le reflet de l’âme des  comédiens pour qui il n’y a pas un accessoire, un miroir ébréché, une vieille lampe,  un costume qui ne viennent leur rappeler quelque émotion théâtrale, qui n’enclenchent  le petit couic de la folie ordinaire, toujours entre deux feux. Car tous les souvenirs s’emmêlent, les intimes, les extravagants, les rêvés, les futurs.

 Il en résulte un spectacle inclassable, unique en son genre, où les comédiens  sont les personnages d’une aventure théâtrale commune et insolite, traversant leurs émotions, leurs fantasmes, dans tous les sens, à la diable, en improvisant sûrement, en chantant, en déclamant, dans une sorte de psychodrame halluciné.

  Comment réveiller de telles créatures, qui semblent avoir perdu tout sens de la réalité. Mais la réalité, c’est nous le public, abasourdi par cette fête inimaginable, qui comprend qu’Elisabeth Hölzle, d’une plume légère, soulève avec délicatesse, cette incroyable boite de pandore théâtrale* que constitue la troupe de la COURNEUVE.

 Dingue et loufoque poétique et luxuriant , voilà un spectacle qui malgré les quarante ans de la troupe, suggère l’intemporalité inexorable de tous ces comédiens , de véritables personnages de théâtre à LA COURNEUVE, des travailleurs du théâtre qui n’ont d’autre raison d’être que d’apporter leur manne de  rêve  au public. Fabuleux !

* Pour le meilleur, car à mon sens la boite de Pandore s’ouvre aussi pour le meilleur et qu’il y a au fond l’espérance.

Paris, le 11 Janvier 2014                 Evelyne Trân