FESTIVAL SENS INTERDITS – REGARDS DE FEMMES – BEYROUTH/LE CAIRE – BEIRUT SEPIA – Texte, mise en scène et jeu Chrystèle KHODR & HODA « JOUR ET NUIT » – Texte et mise en conte de Chirine EL ANSARY- Au Théâtre des Asphodèles de LYON, les 27 et 28 Octobre 2013

Chrystèle KHODR est une conteuse à pieds nus fabuleuse.

Elle est capable d’abolir cette frontière entre les vivants et les revenants si souvent évoquée par les poètes.

 Sa voix chaude et profonde, sa démarche très féminine, féline et sensuelle mais empreinte de gravité lui permettent de  traverser les murs, les souvenirs des morts, des décombres, dans cette ville de BEYROUTH martyrisée  pour aller y recueillir des voix vivantes qui parlent de choses apparemment anodines mais qui soulignent l’importance des détails, de chaque chose dans un contexte de guerre . Ces voix si nécessaires qui résistent à la terreur pour convoquer le quotidien, pour s’accrocher à la vie.

 Le texte qu’elle a écrit est très beau, et mériterait d’être édité, car encore sous le charme de sa voix, nous souhaiterions prolonger ce moment précieux et cette superbe rencontre.

 L’autre rencontre, nous la devons à Chirine EL ANSARY qui fait parler les habitants d’une seule et même rue dans son quartier de Wast El Balad au Caire après la révolution.

 On se croirait dans un conte de mille et une nuits sous une affluence de témoignages, poignants, étranges, parfois chaotiques. Il n’est pas toujours facile pour le spectateur de suivre le fil de cette toile d’araignée impressionnante. Mais le texte est très riche et nous aimerions pouvoir y replonger, guidés par la voix douce et claire de Chirine EL ANSARY.

 Il faut remercier le festival SENS INTERDITS de favoriser de tels spectacles. Pour certains artistes, nous imaginons combien sont inespérés ces espaces où ils peuvent s’exprimer librement. Parce que la parole est insoumise par nature, il lui faut aller de l’avant, donc bouger. « Les contes sont le début de la parole » dit un conteur kanak, c’est ce que nous avons pu vérifier avec Chrystèle KHODR et Chirine  EL ANSARY, passionnément.

Paris, le 31 Octobre 2013                                   Evelyne Trân

FESTIVAL SENS INTERDITS – REQUIEMACHINE – Adaptation d’après [Poèmes] de Wladyslaw Broniewski – Direction de Marta Górnicka au Théâtre de la Renaissance à OULLINS, le 27 Octobre 2013 .

Ils étaient plus d’une vingtaine de polonais, hommes et femmes confondus à investir la scène du Théâtre de la Renaissance pour manifester en chœur sous la direction de Marta GORNICKA  leur rage de vivre, leur détermination à lutter contre l’oppression que représente le système libéral  quand les travailleurs n’ont pas d’autre choix soit de se plier à des conditions de travail épuisantes, soit d’être au chômage.

 Un chœur au sens noble, antique, pas un troupeau, une véritable boule de feu qui au fur et à mesure que la parole s’engrange, fuse, traverse les artères, rejoint les muscles, rejaillit sur les visages, prend conscience de sa force spirituelle, au sens étymologique du terme, celui de souffle.

 Que disent-ils, que crient-ils ? N’est ce pas ce genre de pensées qui traversent l’esprit quand on est à bout, à bout de fatigue, à bout de nerfs ou quand il faut aller au bout de soi même parce qu’ il y a cette épée de Damoclès de la misère, du chômage.

 Mais quand toutes ces pensées enterrées, tous ces soupirs, jaillissent d’un seul jet, oui, c’est une explosion fantastique, bouleversante qui donne leur ampleur à des mots aussi simples que boire, manger, silence.

 La présence de ce chœur sur scène est si  impressionnante que je crois pouvoir m’en souvenir toujours. L’expression a un côté brutal, les gestes sont saccadés, ce ne sont pas des voix de rossignols mais des voix qui sortent du ventre, des tripes, qui scrutent l’horizon avec fierté, des voix qui retentissent au-dedans au dehors, à pieds nus, à mains nues pour former un chant d’espoir , de reconnaissance.

 Les choristes s‘emparent de leur partition : un mélange de poèmes de Broniewski, de chansons socialistes, de proverbes philosophiques, avec une telle passion, un tel enthousiasme, que leurs voix guidées par la rayonnante Marta GORNICKA, sont de celles qui poursuivent leur chemin dans les têtes, qui donnent du peps au cœur, c’est bon pour le moral !

 Paris, le 30 Octobre 2013                        Evelyne Trân

FESTIVAL SENS INTERDITS 2013 – Я есть « Je suis » Mise en scène : Tatiana Frolova | Compagnie : Teatr KnaM du 26 au 30 0ctobre 2013 aux CELESTINS THEATRE DE LYON

Avec Elena Bessonova, Dmitry Bocharov, Vladimir Dmitriev

Matière documentaire texte et images : entretiens, témoignages, autobiographies collectés par les artistes du KnAM / Extraits d’articles, études et ouvrages historiques et mémoriels ; extraits des livres Le Dictionnaire de la Commune et Le Livre de l’oubli de Bernard Noël / Dispositif et mixage vidéo – Tatiana Frolova / Lumière – Tatiana Frolova, Dmitry Bocharov / Son – Vladimir Smirnov / Musique – Benji Merrison

 Un petit week-end à SENS INTERDITS, le festival créé depuis 2009 par Patrick PENOT, co-directeur du Théâtre des Célestins à LYON,  c’est une étape majeure pour le voyageur qui croit qu’il n’y a pas de meilleure carte politique que celle de citoyen du monde.

  Le théâtre, la scène du théâtre fonctionnent comme un cœur qui doit sans cesse être irrigué pour continuer à battre. Nous ne parlerons pas de sang neuf mais de sang riche qui court dans toutes les régions  du monde, traverse nombre d’obstacles et qui a parfois la bonne idée de venir se mélanger au nôtre, qui que nous soyons,   où que nous soyons.

  On l’appelle l’étranger, on l’ appelle l’autre, on a envie de lui demander d’où il vient, qu’est ce qu’il fait, et aussi de le remercier d’avoir répondu à l’invitation de Patrick PENOT.

  Car ces étrangers, ces artistes venus d’ailleurs croient profondément qu’ils ont des messages à transmettre concernant les conditions de vie humaine sur terre, ils ont à cœur de résister contre la dictature, la privation des libertés, la loi du silence, et leurs voix sont nécessaires sinon vitales pour lutter contre la calamité des guerres dans ce monde.

  Comment rester insensibles à leurs témoignages, à leur courage aussi. Croyons donc qu’ils ne sèment pas à tous vents, que ce n’est pas n’importe comment mais poussés par un sentiment de nécessité qu’ils acceptent, le temps d’un festival, d’être sous les projecteurs.

  Parce que Patrick PENOT entend laisser la parole à ceux qui ne l’ont pas, d’ordinaire, il fait la part belle aux compagnies modestes dirigées par des femmes. L’une de ces compagnies, c’est la compagnie du Teatr KnAM qui est installée au fin fond de la Sibérie dans la ville de Komsomolsk-sur-Amour depuis 1985. Officiellement, cette ville a été construite dans les années 30 grâce à l’aide de bénévoles communistes. En réalité, elle a édifiée par des milliers de prisonniers du goulag.

  En quête de mémoire collective et individuelle, Tatiana FROLOVA  a recueilli toutes sortes de témoignages des habitants actuels qui permettent à même l’ardoise des va et vient des deuils, naissances, mariages des individus, de faire leur connaissance presque intimement à travers leurs biographies familiales sur plusieurs générations.

  La création de Tatiana FROLOVA est démonstratrice du fait qu’un individu quel qu’il soit a des racines, qu’il ne peut parler de lui même sans évoquer ses proches, même si le rappel du passé se révèle douloureux.

  Il s’agit de théâtre documentaire à partir de témoignages d’individus réels et c’est formidable puisqu’il est impossible de se retrancher derrière la formule « toute ressemblance avec des personnages ou des événements existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence ».

  Avec une virtuosité certaine, tels des sorciers des temps modernes, les comédiens aux manettes se projettent sur des rétroprojecteurs, qui ont la fonction de miroirs décalés, brouillant les pistes d’une façon effarante suggérant aussi comment l’action de la mémoire peut aussi bien être fulgurante, douloureuse , violente qu’aléatoire.

  Peut- être ne faut il pas confondre le silence et l’oubli. Et puis l’outil scientifique ou technologique n’est pas une arme absolue pour parler de la maladie d’Alzheimer. C’est à cause de cette maladie qui a frappé ses proches que Tatiana FROLOVA a mesuré l’étendue de la vulnérabilité humaine et qu’elle a eu envie de faire  le rapprochement avec la situation politique de  Komsomolsk-sur-Amour, cette ville dont les habitants pourraient être soupçonnés d’amnésie en ignorant qu’elle a été bâtie par des forçats.

  Qu’est ce que l’oubli ? A travers des textes de Bernard NOEL, son essence poétique résonne, flirte avec l’imaginaire mais il y a oubli et oubli…. Dieu merci, nous ne souvenons pas de tout  mais oserai je appuyer sur la détente, n’oublions pas ces mémoires uniques qui sont celles du corps, de l’émotion, de la chair et croyons qu’elles peuvent parfois aussi se substituer à la parole,  à la langue de bois. Parfois, il suffit d’un geste, d’un regard, pour témoigner « Je suis ».

  Cette éloquence là, elle est à notre portée. La présence  exceptionnelle de la compagnie du Teatr KnAM au Théâtre des Célestins, c’est une belle manne venue de Sibérie qui vient interpeller notre propre mémoire de façon lumineuse, ardente et efficace. La politique à visage humain, il faut y croire !

  Paris, le 29 Octobre 2013                     Evelyne Trân

 

 

 

 

 

GOUTTES DANS L’OCEAN de Rainer Werner FASSBINDER à LA FOLIE THEATRE – 6, rue de la Folie Méricourt 75011 PARIS –

Traduction de Jean-François Poirier
Mise en scène de Sylvain Martin
Avec William Astre, Pierre Derenne,Juliette Dutent, Florence Wagner
Création Lumière de Gillian Duda
Scénographie de Sylvain Martin

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les années 70, sous l’influence du mouvement hippie, beaucoup de jeunes prônaient l’amour libre, la libération sexuelle, voire la révolution sexuelle qui jetterait à bas les sacro-saintes valeurs du mariage et de la famille.

 Mais que signifient la liberté affichée, la levée des interdits, des tabous sexuels, pour un jeune d’à peine 20 ans, l’âge qu’avait FASSBINDER lorsqu’il écrivit « Gouttes dans l’océan ». Franz, le héros de la pièce découvre qu’il peut aimer un homme alors même qu’il est engagé dans une relation avec une femme, qui n’est pas passionnelle mais qui lui assure une certaine quiétude morale et matérielle.

 Le choc affectif qui bouleverse Franz enlise ce dernier qui ne dispose d’aucun bouclier face à l’arrogance de Léopold . Ce dernier assume sans complexes sa bisexualité et Anna sa dernière compagne  n’idéalise en lui que le futur père de ses enfants.

 Considéré par Léopold comme un objet sexuel et par Anna comme un géniteur, Franz ne voit pas d’autre issue que le suicide.

 Beaucoup de sarcasme dans cette corrida de l’amour, mais Franz n’est pas un taureau ni même un mouton,  seulement une victime occasionnelle de dominants prédateurs.

 Eros et Thanatos disait Georges Bataille. En se livrant au plaisir sans vergogne, Léopold et Anna ne se conduisent pas autrement que des animaux qui n’auraient pas conscience de la mort laquelle n’a pas d’autre sens que de marquer une place vide sur l’instant, une absence vite oubliée.

 Dans cette pièce qui s’étire un peu en longueur, se succèdent la scène de drague de Léopold et Franz, leur vie de couple passionnelle, pimentée de scènes de ménage, les retrouvailles de Franz et Anna et puis juste avant le suicide de Franz, la scène d’échangisme sexuel, d’amour libre où Léopold, sans se préoccuper des sentiments  de Véra son ex-femme et de Franz,  attire Anna dans sa chambre.

 Fassbinder ne porte pas de  jugements sur ces personnages, il les montre dans des situations, somme toute, banales. Mais c’est cette banalité même qui amène la tragédie. Pour Léopold et Anna, tout est normal. Celui qui n’est pas normal, c’est celui qui ne se sent pas à l’aise, c’est Franz déchiré entre sa passion pour Léopold et un sentiment d’humiliation, de dépendance vis-à-vis de ses partenaires.

 L’interprétation de Pierre DERENNE permet bien d’entrevoir la vulnérabilité de Franz qui évoque certains personnages de Cocteau. William ASTRE joue avec sensibilité un Léopold nuancé dont l’arrogance pourrait camoufler un désespoir antérieur. Juliette DUTENT interprète Anna avec beaucoup de naturel et Florence WAGNER fait planer beaucoup de mystère autour de Véra la femme soumise de Léopold.

 La mise en scène dépouillée de Sylvain MARTIN ne déploie aucun artifice, elle a un côté naturaliste. Les comédiens se déshabillent puis se rhabillent souvent. Ce sont leurs corps qui investissent la scène qui mettent en quelque sorte en exergue leur fragilité humaine, leur respiration, au-delà de l’apparence, au-delà de l’habit social.

 Cette sobriété sert avec finesse cette pièce de FASSBINDER qui livre les prémices de son œuvre au cinéma, avec son regard particulier à la fois lucide et inquiet .

 Il y est question de souffrance et d’amour, d’Eros et Thanatos, mais il s’y profile aussi une certaine lumière, une certaine douceur presque Baudelairienne.

Voilà un spectacle fort et captivant !

 Paris, le 21 Octobre 2013                     Evelyne Trân

 

 

QUEUE DE POISSONNE de Laurie CANNAC d’après « la Petite sirène » de Hans Chistian Andersen au GRAND PARQUET – 35 Rue d’Aubervilliers 75018 PARIS – Jardins d’Eole -du 18 Octobre au 3 Novembre 2013 – Vendredi et samedi à 19 H – DImanche à 15 H, Jeudi 24 et 31 à 10 H et 15 H

 

 

 

 

 

Mise en scène  Ilka Schönbein / Conception, marionnettes, manipulation et jeu: Laurie Cannac

L’histoire de la petite sirène fait penser naturellement à tous ces adolescents mal dans leur peau qui tentent désespérément de sortir de leur coquille pour capter l’attention d’un prince charmant ou d’une princesse charmante.

Va-t-elle réussir à se faire aimer se demande le lecteur qui participe aux émois de la petite sirène, et puis c’est le coup de tonnerre, le gros chagrin qui libère les larmes, ces larmes vaines qui continuent à s’ébattre contre un rocher, le cœur indifférent du Prince,  et cette sensation incroyable que la petite sirène en perdant sa virginité, sa queue de poissonne, s’est éveillée à l’amour, qu’elle est devenue humaine, elle qui se croyait monstre.

 Le joli conte d’Andersen parle simplement de la difficulté d’aimer, d’être accepté par les autres. C’est un conte initiatique, universel parce qu’il agite les figures du surmoi, la grande mère, le moi, le ça, « la queue de poissonne ». Et pourtant il n’avait pas lu Freud !

 L’interprétation du conte par Laurie Cannac et la metteure en scène Ilka Schönbein, est littéralement bouleversante parce qu’elle magnifie physiquement et visuellement cette histoire de métamorphose de sirène en humaine.

 Laurie Cannac fait corps avec les marionnettes comme une sœur siamoise, de sorte que le Prince, la grand-mère, la sirène apparaissent toujours comme des excroissances naturelles.

C’est tout de même surprenant de voir le Prince sortir d’une côte de la sirène et les mains gantées de la sorcière grand-mère se tendre vers le visage de la sirène devenue aussi fragile qu’une bouteille jetée à la mer.

 L’imagination va son train, elle est physique, sensuelle, énorme. La  barque en osier, fœtale s’ouvre comme une bouche, une sorte de vagin comme pour accoucher du regard étonné de la sirène qui ne rêve que d’amour.

 Virile et féminine à la fois, la voix d’Alexandra Lupidi scande à l’accordéon la force du désir qui pousse la sirène hors d’elle-même.

 Et l’on entend la chair subjuguée de la sirène sous ses oripeaux et ses lambeaux d’amour déçu, renaitre de ses cendres, métamorphosée, rayonnante comme si le fait d’avoir bu ses larmes pouvait faire rimer ce joli mot de sirène avec sérénité.L’amour a gagné puisqu’il est éternel et récréatif.

 Laure Cannac et Ilka Schönbein ont péché le mot « poissonne » dans le conte d’Andersen qui n’existe pas dans le dictionnaire, mais qui est tout frémissant de vitalité . Sa jolie queue humble et attendrissante éblouit aussi bien les yeux que l’abdomen. Tout public peut s’y reconnaître !

  Paris, le 19 Octobre 2013            Evelyne Trân

 

TERESINA de Fabio MARRA au THEATRE POCHE MONTPARNASSE – 75 Bd du Montparnasse 75006 PARIS du 1er Octobre au 10 Novembre 2013 – Du mardi au samedi 21 H 30 – Dimanche 17 H –

Avec Sonia PALAU et Fabio MARRA

La commedia dell’arte au 21ème siècle, croyez vous que c’est possible ? Eh bien  oui,  grâce aux diligences de la Compagnie CARROZZONE TEATRO qui, depuis  2005, crée régulièrement des comédies de FABIO MARRA.

  Fabio MARRA sait fort bien faire germer des tragi-comédies actuelles sur le terreau de la tradition théâtrale napolitaine. Nous citerons notamment « Dans les chaussures d’un autre »  programmé au LUCERNAIRE en 2012.

 Avec sa première pièce « TERESINA », les spectateurs rentrent de plain pied dans l’univers de la commedia dell’arte avec des personnages masqués aux caractères bien typés : Teresina « mère courage » amoureuse, Pulcinella amant volage et poltron qui forment un couple infernal.

 La comédie est introduite par Pulcinella  et son fils, tous deux marionnettistes ambulants, ce qui vaut aux spectateurs d’assister aussi à un spectacle de marionnettes à gaine, jubilatoire.

 Dans la salle, l’ambiance est à la fête. Il faut  mettre de côté son esprit rationnel pour sourire des situations acadabrantesques  dans lesquelles se met le couple infernal.

 Fabio MARRA a le sens du rythme de sorte que les scènes de sa comédie tournent aussi vite qu’un manège ou une toupie. Joliment costumée, Sonia PALAU est une Teresina irrésistible.

  Pour goûter aux charmes de la commedia dell’arte, avant tout un théâtre populaire qui s’adresse à tous, c’est-à-dire aussi aux enfants,  nous vous recommandons ce joli spectacle extrêmement frais et divertissant.

 Paris, le 15 Octobre 2013                       Evelyne Trân

 

OPEN SPACE – Conception et mise en scène de Mathilda MAY au Théâtre JEAN VILAR de SURESNES du 10 au 20 Octobre 2013

Avec : Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet, Dédeine Volk-Leonovitch
Scénographie : Alain Lagarde
Musique : Nicolas Montazaud, Mathilda May
Collaboration artistique : Jean-François Auguste
Lumières : Roberto Venturi
Costumes : Valérie Adda

Collez votre œil dans l’embouchure d’un entonnoir et laissez-vous glisser. Vous êtes peut être dans un film de Méliès, vous clignez de l’œil sans arrêt car une grosse tache vous brouille la vision. Ajourez donc votre perspective, vous ne rêvez pas, on vous repasse au théâtre, sur une grande scène, juste un petit  lambeau de votre  quotidien au boulot. Une toute petite goutte grossie à la  loupe qui résume d’un trait 20, 10, 30 années de travail.

 Regroupés dans un bureau open space, les employés vivent dans leur bulle, et sous la houlette de Mathida May, fiévreuse Mary Poppins, qui les tient à la baguette, ils refont les sempiternels gestes qui justifient leur existence : pianoter sur un ordinateur, éplucher des tonnes de paperasses, se maquiller, aller aux toilettes et surtout répondre au téléphone.

 Au ralenti, tous ces gestes répétitifs deviennent très drôles. De temps en temps sous la belle loupe de Mathilda May, ces employés zigotos se figent, ils s’agglutinent les uns sur les autres comme pour former un sculpture vivante qui rappelle les pièces montées de valises et d’horloges du sculpteur ARMAN devant la gare Saint Lazare et qui, hélas, n’y sont plus.

 Sur la  bobine, une journée de travail c’est tellement ordinaire, qu’il n’y a qu’à grossir un détail et rêver qu’un grain de sable va s’échapper et faire exploser un temps écumé sans relâche. Ces petites bestioles d’employés englués dans leurs habitudes, leurs rituels, anniversaire, café, thé, pause cigarette, se libèrent  dès qu’une providentielle musique s’échappe de leurs portables. Et bien entendu, nous les voyons rêver tout haut d’amour et d’eau fraiche.

 Sérénade, musique électro choc, giclent sur ces pauvres individus qui s’affairent comme des cochons d’inde dans un laboratoire. On se passe volontiers d’écouter leurs conversations, car ils parlent « borborygme » une vulgaire langue étrangère qui sied amplement à leurs occupations.

  Voilà un spectacle qui peut bien hérisser le poil de ceux qui en connaissent un rayon sur les vertus du travail en communauté. En enfilade qu’ils se souviennent du fabuleux hangar du film d’Orson Wells où l’on voit une multitude dactylos en noir et blanc faire grincer leurs machines à écrire.

 Kafka revisité par Jean Christophe Averty avec un peu de West Side Story, et une louche de film muet burlesque de Buster Keaton ou bien une gorgée de miel à la Tati. Sans nul doute le regard de Mathilda  May est perspicace. Cela dit, elle est trop généreuse et il faut faire preuve d’un appétit d’ogre pour déguster tous les plats qu’elle nous sert.

 Mais nous pouvons rendre grâce à son savoir-faire de chorégraphe, les comédiens sont époustouflants, impressionnants .On ne peut s’empêcher en les contemplant de songer au sort du pauvre fonctionnaire d’assurance de Kafka qui se transforme en cloporte. C’est trop drôle !  Sauve qui peut, chers employés !

 Paris, le 14 Octobre  2013    Evelyne Trân

 

 

ARAGON ce livre ouvert du 7 au 27 Octobre au Théâtre de Ménilmontant – 15 Rue du Retrait 75020 PARIS –


Alain PARIS était l’invité de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur  Radio Libertaire (89.4) le samedi 19 Octobre 2013 ( en podcast sur la grille des émissions de R.L.) 

Metteur en scène : Alain PARIS – Compositeur et musicien : Stéphane PUCA  avec : Alain PARIS et Stéphane PUC

Qu’y a-t-il de lisible véritablement dans une notice biographique concernant un écrivain ? Une liste de dates qui affiche la filiation, la formation, les publications de l’auteur. C’est aussi sec que la ramure d’un arbre qui se reflète sur une tombe.

 Qui êtes-vous donc Monsieur Aragon ? Aussi incroyable que cela puisse paraitre, Aragon a scruté tout le long de sa vie une tombe, celle d’un secret familial qui a débuté à sa naissance considérée comme une faute, une tache par des géniteurs qui ne pouvaient pas le reconnaitre sans faillir à leur position sociale bourgeoise.

 Officieusement, Aragon était un enfant adopté par sa grand-mère.Et il sut seulement avant de partir à l’armée que celle qu’il croyait être sa sœur était en réalité sa mère. Quant à son père qui se présentait comme parrain, il ne voulut jamais le reconnaitre.

 Aragon n‘évoqua véritablement ce drame qu’à la fin de sa vie mais son œuvre poétique et romanesque est révélatrice d’un sentiment fortuit de l’existence si exacerbé que l’on peut imaginer qu’écrire pour lui c’était avoir pour parents des mots qui en se rencontrant poursuivaient leur processus de création, la sienne.

 Il y a tout  ce trajet des mots que certains appellent fantômes avant d’arriver à l’élocution. C’est ce trajet-là qui est fantastique et que donne à parcourir Alain Paris dans sa saisissante interprétation  d’Aragon lui-même à partir de textes en poèmes, en chansons et en prose

 Qu’on le croit ou ne le croit pas, il n’y a pas d’explication de textes. Les mots peuvent être criés à l’intérieur d’une chambre close, voilée ou se muer en récitation ou chanter face à un public, ils ne tiennent debout que grâce à leur interprète qui doit savoir que les mots dans le cas d’un poète tel qu’Aragon procèdent de la fusion de tant d’émotions qu’ils ont dû avant de pouvoir être lus, imprimés et dits avoir traversé tels des trains fantômes un grand nombre de tunnels.

 C’est en tant qu’immanence d’une chair « maudite » que les  mots s’exposent. On peut écouter des poèmes à l’air libre mais comment ne pas penser que c’est parce qu’ils remuent de l’intérieur, qu’ils ont transité aussi par le silence, qu’ils peuvent devenir l’apanage d’un homme qui ne disait pas « je n’ai rien à dire » mais « je n’ai rien à être ».

 Il ne s’agit pourtant pas d’un rapport nombriliste à l’écriture. Alain PARIS donne à voir, à écouter des mots qui frissonnent, qui se détachent  de leur bouquet de poèmes ou de chansons, suspendus agrippés ou remués par l’air, aussi fragiles, et néanmoins tactiles que les feuilles d’un arbre qui se frôlent, se penchent ou s’épanchent. On y voit couler des larmes, de la sueur, et des embrassées de vide. « C’est ici là que je te touche » dans le transport d’un seul vers. C’est la question du geste parfois incompris qui signifie la parole.

 Avec Alain PARIS, il est possible d’écouter un poème d’Aragon aussi ouvertement qu’un arbre vient se refléter dans un rêve.

 Il se déplace entre une chambre intérieure voilée confinée – celle de la douleur d’Aragon qui ne peut pas faire de bruit, qu’elle se terre en quelque sorte pour ne pas dire « je » mais voilà ; la confession que l’on entend, il l’a prêtée à quelques personnages – et la scène providentielle, où soudain sa voix peut se remplir de joie, d’amour, emportée par la vie.

 Il n’y a plus de solitude et les mélodies jouées à l’accordéon par Stéphane PUC orchestrent un voyage riche de surprises.

C’est un Aragon en chair et en os que l’on découvre magistralement  mis en scène par l’interprète lui-même. C’est tout simplement bouleversant !

  Paris, le 13 Octobre 2013             Evelyne Trân

 

Les amours de Jacques d’après Jacques le fataliste et son maître » de DIDEROT – Adaptation de François LIS au Théâtre de l’ESSAION – 6 Rue Pierre au Lard 75004 PARIS à partir du 10 Septembre 2013, tous les mardis à 20 Heures

Pièce de François Lis
Montée par Stéphanie Wurtz
Avec François Lis , Alexandre Bidaud

 

P.S. François LIS et Alexandre BIDAUT étaient les invités de l’émission DEUX SOUS DE SCENE sur Radio Libertaire 89.4, le samedi 12 Octobre 2013 (en podcast sur la grille des émissions de Radio Libertaire).

Ce n’est pas l’un des spécialistes de Denis DIDEROT, Laurent VERSINI que nous saluons au passage qui nous démentira, l’esprit de l’auteur de « Jacques le fataliste et son maître », est si moderne que l’on peut bien imaginer qu’il gravite encore autour de notre croûte terrestre, prêt à deviser avec n’importe quel païen, ou enfoiré qui prétendrait damer le pied au temps, en digne métaphysicien de l’amour.

 Comme dans un jeu de cartes, il échut à l’un de tirer celle du valet  à l’autre celle du roi. On appelle cela le hasard ou la fatalité. Il n’y a pas de justice en ce bas monde. Si dans le grand grimoire de l’univers se trouvent consignées aussi bien la destinée d’une  fourmi que celle d’un homme, au diable l’avarice. Puisque nous savons au moins que le destin d’un individu est borné par deux pôles, la naissance et la mort, laissons-nous donc vivre entre les deux.

  Quand le bon sens rime avec plaisir, nous entendons Jacques le valet courir plus vite que son ombre de maître,  lequel étriqué dans son costume et son éducation, finit pas imploser de l’intérieur aux récits épiques de son valet.

 Car c’est un voyage fabuleux que celui de l’amour qui peut bien nous délivrer de certains complexes de condition sociale. Même les pauvres font l’amour !

 Alexandre BIDAUD qui joue le Maitre avec une contention remarquable donne l’impression de sortir d’une église, la bible sous le bras. Qu’à cela ne tienne, les merlans vont bientôt frire dans ses yeux et dans les oreilles des auditeurs,  car les récits des amours de Jacques sont très, très croustillants.

 Et la belle langue de Diderot se révélé sensuelle et suave dans un petit délire orgastique auquel se livre Jacques pour s’égayer et égayer son maître.

 François LIS exulte dans le rôle d’un Jacques enfin libre face à son maître.

 Sa pièce adaptée de « Jacques Le fataliste et son maître », mise en scène par Stéphanie WURTZ, est un morceau de choix, une belle invitation à faire deviser encore notre imagination à travers l’œuvre touffue de Diderot dont on fête le tricentenaire de la naissance. Qu’ils sont donc jeunes nos anciens !

 « J’ai adoré » disait une jeune étudiante à l’issue du spectacle. Une belle claque amoureuse de Diderot en ce début du 21ème siècle, très questionneur, c’est plus que bienvenu, c’est indispensable !

 Paris, le 12 Octobre 2013     Evelyne Trân

FESTIVAL MONDIAL DES THEATRES DE MARIONNETTES de CHARLEVILLE-MEZIERES : MATHILDE – STUFFED PUPPET THEATRE à la Médiathèque VOYELLES du 27 au 29 Septembre 2013

Idée , texte, création des marionnettes et mise en scène : NEVILLE TRANTER; assistant à la mise en scène TIM VELRAEDS 

Elles sont tellement attendrissantes, expressives et cocasses, les marionnettes de NEVILLE TRANTER qu’on peut bien leur pardonner  de délivrer les clichés les plus attendus concernant la vie de personnes âgées en maison de retraite.

Il est très possible d’ailleurs que des pensionnaires de maisons de retraite se retrouvent dans ces portraits et que le marionnettiste qui a dû les rencontrer n’invente rien.

Dans tous les cas, Mathilde, la créature qu’il a dénichée, est absolument fabuleuse. Du haut de ses 102 ans, elle dégage une pèche d’enfer,  et continue à faire de la gym, suspendue à une barre. Tandis que toute la Résidence s’apprête à fêter son anniversaire, Directeur et entrepreneur des Pompes funèbres compris, elle ne rêve que de son amour de jeunesse.

NEVILLE TRANTER se dédouble tant et si bien qu’il devient le confident de Mathilde. Entre eux, il passe un courant si fort, une émotion telle que lorsqu’il la presse dans ses bras pour un tour de danse, nous comprenons que le rêve de Mathilde s’est réalisé, elle a retrouvé son amour.

Pour cette fulgurance amoureuse et la leçon de vitalité que nous offre Mathilde, nous recommandons ce spectacle* et puis il faut bien le dire, NEVILLE TRANTER est un marionnettiste hors pair !

Paris le 6 Octobre 2013     Evelyne Trân

* Tournée Grand T en décentralisé :

27 mars à 20h30 à Clisson

28 mars à 20h30 à Teillé

29 mars à 20h30 à La Chevrolière