FESTIVAL MONDIAL DES THEATRES DE MARIONNETTES A CHARLEVILLE MEZIERES – Salle CHANZY – – Blue Jeans de YEUNG FAÏ du 27 au 29 Septembre 2013

Assistanat à la mise en scène: Yoann Pencolé – Conception:Yeung Faï – Interprétation:Inbal Yomtovian, Yeung Faï et Yoann Pencolé – Scénographie: Yeung Faï Lumière: Christian Peuckert – Assistanat lumière: Adrien Gardel -Vidéo : Jérôme Vernez et Stéphane Janvier – Construction du décor: Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne- See more at: http://www.plateaux.ch/spectacle/blue-jeans/#sthash.JlWM1LeI.dpuf

 

Nous avons tous entendu parler de ces enfants exploités indûment dans le tiers monde ou les pays émergents, écrasés comme le grain sous la meule, pour continuer à engraisser les appétits d’une économie impitoyable.

 Allons-nous renoncer à acheter des blue-jeans en pensant qu’ils ont été fabriqués par de pauvres mains fébriles prisonnières de conditions de travail innommables ? Sûrement pas. Alors à quoi bon en parler, cela se passe ailleurs, c’est très loin et puis les gros poissons se nourrissent  toujours des petits.

 L’image est terrible de cet homme courbé qui fait tourner une immense meule en pierre, elle est au centre de la scène, elle est cruelle mais tellement éloquente. Elle nous transporte dans la préhistoire, elle nous parle du labeur humain, ce ferment de fierté ancestrale. Ah si toute cette énergie, tous ces efforts, nous les employions pour sortir de notre  léthargie. Avons-nous le choix entre celui d’écraser le plus faible ou celui d’être sous la meule.

 Yeung FAI entend montrer en se situant dans les rigoles de notre perception qui vacille désormais entre images télévisuelles et réalité ternaire. Comment faire appel à cette mémoire physique et mentale incluse dans tout être humain mais refoulée sans faire référence à un mode de perception devenu de plus en plus sophistiqué.

 Où peut bien se tenir encore cette flamme magique individuelle à l’heure où la technique prétend pouvoir entrer dans un cerveau humain pour y dégoter ses pensées. Là encore, nous dirons à quoi bon  et que nous sommes hors sujet.

 Yeung FAI n’est-il pas hors sujet parce qu’il se situe entre deux rives, le monde d’hier et le monde d’aujourd’hui, et qu’il fait parler une marionnette à notre place ?

 Il est hors sujet parce que son spectacle est d’une affolante beauté et qu’il maitrise plusieurs techniques : marionnettes Bunraku, à gaine, sur fonds d’images qui se déplacent sur des paravents mobiles.

 La pluviosité des images vidéo un peu trop drue, se joue de notre regard et est parfois quelque peu envahissante pour ceux qui n’entendent s’accrocher qu’à l’histoire de l’enfant marionnette, si expressive, si touchante qu’elle est un bleu à l’âme qui éblouit, qui éclaire.

 Parce qu’elle bénéficie du souffle poétique, inquiet et secret de l’enfance, qu’elle ne tient qu’aux mouvements de ceux qui lui insufflent leur souffle, c’est de notre pouvoir  d’éclairer les formes les plus fragiles mais aussi les plus gracieuses de la sensibilité humaine dont nous parle Yeung FAI et son équipe .

Cette marionnette qui surgit simplement de la paume d’une main nous regarde intensément. Et cette ombre qui veille fluette au-dessus et  malgré nos désirs carnassiers, peut bien atteindre quelque sillon de la pensée humaine parce qu’elle nous parle de nos enfants, de ceux qui vont venir au monde.

 Vain discours humaniste ! Yeung FAI n’a d’autre arme que son énergie créatrice qui vaut bien des discours. Son moyen d’expression c’est la marionnette, un art très populaire en Chine depuis des millénaires. Il a aussi les pieds sur terre. Les faits sont là : 70 % des blues jeans de la planète dont les colorants polluent à outrance  les rivières de la Chine, sont fabriqués par des ouvriers chinois. Son spectacle a valeur de manifeste  contre une situation invivable. Ce n’est pas pour nous donner bonne conscience, nous les Occidentaux, c’est pour nous aider à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Disons que les spectateurs ont beaucoup de chance car la démonstration n’est pas seulement instructive, elle est artistiquement sublime.

 Paris, le 30 Septembre 2013                          Evelyne Trân            

 

 

Les amours vulnérables de Desdémone et Othello au THEATRE DES AMANDIERS

De Manuel Piolat Soleymat et Razerka Ben Sadia-Lavant Librement inspiré de Othello le Maure de Venise de William Shakespeare Conception et mise en scène Razerka Ben Sadia-Lavant  Dramaturgie Razerka Ben Sadia-Lavant et Alexandre de Ganay Scénographie Laurent P. Berger Accessoires Jane Joyet Costumes Razerka Ben Sadia-Lavant et Eric Martin Lumière Jaufré Thumerel Chorégraphie des combats Reda Oumouzoune Chorégraphie Teresa Acevedo et Alexandre Théry Musique Mehdi Haddab et Sapho 

Assistants à la mise en scène Soline de Warren et Alexandre de Ganay

 Avec : Teresa Acevedo, Disiz, Clovis Fouin,Alexandra Fournier, Denis Lavant, Reda Oumouzoune, Claire Sermonne, Alexandre Théry,

Chant Sapho, Oud Mehdi Haddad

Razerka BEN-SADIA-LAVANT et Manuel PIOLAT SOLEYMAT se sont réapproprié la tragédie d’OTHELLO dans le dessein de la faire résonner aujourd’hui. Que l’intime et le politique puissent être liés, cela s’entend chez SHAKESPEARE. Schématiquement, le politique est représenté par IAGO, l’intime par OTHELLO, deux personnages qui ne sont absolument pas sur la même longueur d’onde. De là à en déduire que tous les politiques ont quelque chose à voir avec IAGO et qu’OTHELLO se trouve dans la situation de l’étranger, il y a de la marge.

 La sensation d’être étranger effectivement se situe au cœur de l’intime. C’est une sensation qui peut être vécue aussi bien négativement que positivement. Parce que s’il existe des xénophobes, il existe aussi des humanistes qui sont trop heureux de rencontrer des étrangers dans leur propre pays.

 Purs  français sans une goutte de sang étranger et « impurs français »  se retrouveront pour parler d’amour  ou de haine parce qu’il s’agit de sentiments universels. Othello c’est tout de même l’archétype de l’homme jaloux, possessif et malheureux,  Desdémone, l’archétype de la femme amoureuse et soumise. Leurs malheurs sont compréhensibles et même si on peut qualifier de barbare l’attitude d’OTHELLO, il commet un crime qualifié de passionnel.

 La passion nourrit les fantasmes, l’imaginaire érotique et la jalousie. Cela dépasse si bien l’intellect qu’IAGO, le méchant, a le champ libre pour semer le mal. A cet égard, dans le spectacle si l’on ressent bien la perversité de ce personnage, l’on perçoit moins la passion violente qui unit OTHELLO et  DESDEMONE.

 Sur scène sont réunis le rappeur DISIZ, un champion du monde de taekwondo, des danseurs, des comédiens, la chanteuse SAPHO, le musicien  Mehdi HADDAB  qui apportent chacun la richesse propre à sa culture et son art.

 La voix chaude et vibrante de SAPHO et la musique de Mehdi HADDAB évoquent les lamentations d’un chœur antique conscient du malheur qui va se produire. Sur scène DISIZ est un Othello effectivement vulnérable,   pathétique face à un IAGO  diabolique et malgré tout fascinant sous les traits de Denis LAVANT qui possède la malice d’un Jules BERRY.

Desdémone est campée par la belle Alexandra FOURNIER et Emilia la femme de IAGO, interprétée joliment par Claire SERMONNE laisse passer un souffle féministe.

 Un spectacle au parfum oriental, secoué de danse et musique rock, qui fait également écho au rap avec la présence de DISIZ. Un spectacle suffisamment habité  pour devenir explosif au fil  des représentations et ses rencontres avec le public.

 Paris, le 24 Septembre 2013                        Evelyne Trân

 

 

LYRIC HISPANIC par la compagnie COINCIDENCES MUSICALES au Théâtre de l’Epée de Bois du 18 au 29 Septembre 2013 à 20 H 30

Chant : Magali PALIES

Danse : Loreto AZOCAR ou Karine GONZALES ou DIANA REGANO

Guitare ; Rémi JOUSSELME

Mise en scène : Jean-Luc PALIES – Régie générale : Maximilien GENTELET – Assistante régie/video : Laura VERVEUR – Scénographie : Luca JIMENEZ – Costumes  : Camille STORA et Alice TOUVET

Il rôde des airs qui ensorcèlent l’esprit et le corps et nous revient aussitôt en mémoire le célèbre poème de Gérard de Nerval « EL DESDICHADO » dont les derniers vers :

« Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée »

 semblent tout à fait adaptés pour décrire l’ambiance du joli récital de musique lyrique espagnole, mis en scène par Jean Luc PALIES dans la superbe salle en bois du Théâtre de l’Epée de bois.

 L’originalité du spectacle tient au fait que le metteur en scène s’est inspiré des auto sacramentelles, pièces de théâtre qui accompagnaient les cérémonies religieuses, pour aborder des thèmes « L’amour, le désir, la mort, les larmes »  considérés comme païens et interdits à la fin du 18ème siècle.

 Le public connaisseur ou pas aura le plaisir de se laisser porter par des mélodies devenues classiques de Turina, Lorca, De Falla, Granados etc.

 Vêtues de longues robes noires, la chanteuse et la danseuse semblent se confondre dans leurs mouvements, la danse élançant la voix ou inversement.

 Le tout avec une grande sobriété, une économie d’effets, en symbiose avec le jeu du guitariste. C’est vraiment avec beaucoup de plaisir que nous entendons résonner si proches comme si on pouvait les  toucher les notes  qui s’échappent de la guitare sèche.

 La lumière, toute en veille, mais prête à en découdre, porte un regard  attentif, subtil et délicat sur les acteurs du spectacle qui évoluent dans un décor simple, juste deux pans de bois de chaque côté de la scène. Au fond se détache imposante et ténébreuse, une colonne en rideau noir traversée par une étrange larme rouge.

  En résumé, un spectacle où le vœu d’harmonie semble inspirer aussi bien la danseuse de flamenco, le guitariste Rémi JOUSSELME et la voix de Magali PALIES exprimant tour à tour, les soupirs de la sainte « païenne » et les cris de la fée.

 Paris, le 22 Septembre 2013                            Evelyne Trân

 

C’est provisoire – Spectacle d’humour d’Irma Rose – Mise en scène de Jean-Claude COTILLARD – A l’ESSAION THEATRE- 6, rue Pierre au Lard 75004 PARIS du 14 Novembre au 21 Décembre 2013

Très étrange cette jeune femme Irma qui donne l’impression de faire un marathon sur un tout petit bout de scène. Tournicoti, tournicota, Irma a des ailes très bruyantes, mais le ventre sociétal dans lequel elle nage comme un embryon « ovniesque » a des relents d’amertume. Parce que le tissus de la réalité où tout le monde se retrouve, la sacro-sainte famille, s’il ne passe pas  sous le fer à repasser, dispose néanmoins de quelques touffes d’absurdités récréatives  nous faisant toujours prendre des vessies pour des lanternes mais après tout, pourquoi pas.

 Attention de ne pas vous retrouve face à Irma, elle vous déguste le portrait avec férocité, que vous soyez infirmière, femme au foyer, bourgeoise alambiquée, assistante maternelle ou joggeuse dominicale. Cela dit, elle donne envie de l’embrasser parce qu’elle a une façon de dire  du mal de vous plutôt drôle et finalement très tendre.

 A la fin, cette chroniqueuse du quotidien se transmue en petit chien qui bave, qui pleurerait presque. « Je vous aime et je vous hais », semble-t-elle dire à la petite frange d’humanité qui lui colle à la peau, comme  elle essuierait ses pieds sur un paillasson pour le faire dégorger de sa belle poussière, celle qui fait éternuer de rire ceux qui pestent dans la salle d’attente.

 Irma Rose a du talent, de la présence, nous lui suggérerons juste d’agrémenter son marathon de quelques pauses friandises, pour laisser le temps au spectateur d’humer le soufre sous ses pieds comme un bon chien averti, capable de renifler sa belle humeur ironique.

 Paris, le 21 Septembre  2013                     Evelyne Trân

Le soldat ventre-creux de Hanock LEVIN – Mise en scène de Véronique WIDOCK au Théâtre de la tempête – Cartoucherie de Vincennes, route du champ de manoeuvre 75012 PARIS du 11 au 29 Septembre 2013 à 20 H 30.

Distribution Traduction Jacqueline Carnaud et Laurence Sendrowicz Publié aux éditions théâtrales la femme : Roxane Borgna Le soldat ventre creux : Stéphane Facco Le soldat ventre plein : Vincent Debost Le soldat ventre à terre : Henri Costa Le grand père : Christophe Pinon

En alternance l’enfant: Nicolas COUFFIN et Mateo FREY.

Scénographie : Gérard Didier Lumières Pierre Gaillardot Costumes ; Didier Jacquemin Chorégraphie choeur d’enfants : Geneviève Sorin

Il revient de loin. Il a fait 5 ans de guerre. Quelle guerre ? Est-il parti au combat comme on va au travail. Avait-il le choix ? Défendait-il sa patrie, un idéal ? Fait-il partie des vainqueurs ou des perdants ? Nous n’en saurons rien. Hanokh LEVIN qui met en scène le soldat ventre-creux gomme ces questions. Elles n’ont plus d’importance dès lors que l’homme se retrouve seul, n’ayant qu’une seule identité à partager, celle d’un être humain. Il crie haut et fort « Je m’appelle Sosie ».Il  pourrait aussi bien clamer « Je suis un homme comme les autres ». Mais il se raccroche à son nom parce que c’est tout de même important d’avoir un nom et tant pis s’il y en a d’autres qui portent le même.

 Il suffirait qu’une porte s’ouvre, que sa femme et son enfant le reconnaissent. Mais voilà, il n’a pas d’autre identité que son bagage de douleurs, de solitude, c’est une loque humaine quasiment. Parmi ceux qui ont retrouvé leurs places d’origine, il  y a un homme aveugle et un autre muet.

 Vont se succéder sur scène deux autres « Sosie », le solde-ventre-plein et el soldat ventre à terre.  Mais quel est donc le vraie Sosie, celui qui peut se prévaloir d’être propriétaire d’une maison avec femme et enfant ? C’est le soldat ventre-plein, bien sûr, parce qu’il est le plus fort et qu’il assujettit femme et enfant.

 Le soldat ventre-creux est donc sans domicile, comme un chien errant. Faut-il qu’il attende la mort du soldat ventre plein pour retrouver sa place ? Ce que Hanokh LEVIN laisse entendre c’est que l’humiliation, le sentiment d’injustice vont renforcer la pugnacité de l’homme déchu. Il va ruminer sa colère. Ca n’est pas possible, dit-il, que quelqu’un ait pris sa place. C’est insupportable.

 L’homme fait partie du règne animal, et c’est une vérité de la Palisse que de souligner que l’homme est un loup pour l’homme. La pièce d’Hanokh LEVIN met en parallèle les sorts de trois individus qui se réclament du même nom «»Sosie ». La seule ligne de démarcation qui pourrait rassembler ces trois « Sosie », c’est leur humanité. Mais où se trouve-t-elle ?

 L’injustice, les sentiments d’humiliation, de spoliation, l’instinct du territoire qui vont jusqu’à confondre sa terre avec sa propre chair. Tout cela c’est du vécu, C’est du cœur humain ou plutôt de ses tripes qu’Hanokh LEVIN cherche à extraire le germe de la guerre, mais sans angélisme.On l’aura compris, quand le soldat ventre-creux aura pris la place du soldat ventre plein, il jettera à son tour le prochain sosie qui frappera à sa porte.

 La pièce porte un message politique. Hanokh LEVIN a vécu le conflit israélo-palestinien. Mais évidemment, à travers le soldat inconnu, le vocable de sosie, c’est la perception de l’humain face à la fatalité de la guerre qu’il entend faire rayonner. Parce que les expériences de chaque sosie, peuvent finir par se regrouper, elles ont chacune leur mot à dire. Celui qui voit apprend de celui qui est aveugle. L’usurpateur  est menacé par celui qu’il a volé. Tous doivent confronter leurs situations, leurs vécus parce que s’appeler tout seul Sosie dans un monde où les autres ne comptent pas, cela n’a tout  simplement pas de sens.

 Nous ne pouvons pas nous réfugier du côté de l’évidence, du sentiment de fatalité, da la farce politique, ni même de la foi en un meilleur monde, un certain paradis après la mort. Il y a une histoire commune, il y a le sentiment d’être humain à plusieurs qui donne une raison d’être, d’espérer. Dans cette sombre fable, même si l’amour ne parle pas, on croit le deviner encore sous les traits d’un enfant qui observe tout en silence.

Et la femme qui ne dit rien, qui a le rôle antique de celle qui attend le retour du guerrier. Elle est un phare à qui on a coupé la parole, elle est femme objet, elle est propriété de l’homme. N’est-elle donc qu’un ventre sans nom ?

 Pouvons-nous nous croire exemptés de toutes ces questions parce que cela va de soi, le mariage, l’amour, la mort et ainsi de suite…Ce n’est pas toutes ces questions qui vont changer le monde, mais tout de même à l’issue de la représentation de cette pièce, nous avons l’impression d’avoir ramassé un des morceaux brisés de notre face humaine. Le  miroir que nous offre Hanock LEVIN,  est fissuré, entaillé; il n’empêche, nous nous y voyons et comment !

 La mise en scène de Véronique Widock sert magistralement la pièce de Hanokh LEVIN. La langue du ventre, on l’entend à même le sol, l’obscurité. Il n’y a pas d’autre présence sur scène que celle des comédiens et leur verbe. C’est cela qui éponge tout. Entre leurs mains, la poussière, la neige, les tonneaux etc., expriment un rapport à la matière complètement physique, sans préalable, sans détours. Cet aspect physique, brut, des choses et des hommes, qui domine dans cette pièce et dans bien d’autres de Hanokh LEVIN, notamment, la Putain de l’Ohio, percute la perception du spectateur qui doit se retourner à l’intérieur de lui-même : Mais qui sont donc ces hommes primitifs ? Le soldat au ventre creux parle aussi de notre cervelle flageolante.

 Il faut saluer toute l’équipe des comédiens et techniciens qui assurent un spectacle de qualité, permettant de faire résonner l’esprit tangible d’Hanokh LEVIN dans un au-delà qui curieusement nous  concerne. Ne sommes-nous pas tous tant que nous sommes, sosie de l’un, sosie de l’autre ?

 Paris, le 15 Septembre 2013          Evelyne Trân

 

DURAS, LA VIE QUI VA – Textes choisis de Marguerite DURAS – au Théâtre de Poche – 75 Bd du Montparnasse 75006 PARIS – Textes de Marguerite DURAS – MISE EN SCENE ET ADAPTATION JEAN-MARIE LEHEC ET CLAIRE DELUCA – Du 13 septembre au 10 novembre – du mardi au samedi 19h30, dimanche 15h30

Nous ne la connaissions pas si coquine, si fruitée la langue de Marguerite DURAS. Aussi vive qu’un lézard dans l’herbe, elle se planque sous les pierres chaudes ou bien se glisse sur les chevilles de Monsieur et Madame tout le monde qui devisent de tout et de rien en laissant   libre cours, libre ruissellement, aux bulles de l’instant qui enserrent leurs fantasmes favoris.

De tous petits fantasmes à la Prévert, histoires de lion, de baril à essence, d’oiseau, qui rebondissent à vue d’œil oui, aussi légères que des bulles de savon mais qui suffisent à leur subsistance, étreignant  quelques émotions  aussi enfantines, aussi décourageantes  qu’une souris verte dans le pré.

 Quand les adultes se mettent à gazouiller, on peut supposer que leur âme d’enfant n’est pas si loin, et qu’il suffit d’une petite cour de récréation invisible aux esprits chagrins, pour les faire sortir de leurs  coquilles.

 A cet exercice, Marguerite DURAS excelle .Elle avait choisi Claire DELUCA pour mettre en scène plusieurs de ses pièces, notamment les Eaux et forêts, la Musica, le Shago et Yes, Peut-être,  dans les années soixante. Il s’agit d’une eau joyeuse qui circule toujours  dans l’esprit de Claire DELUCA particulièrement lumineux dans ce récital à la claire fontaine.

 Jean Marie LEHEC lui emboite le pas avec finesse. Le manège de ces enfants qui se croyaient adultes ou inversement, est tendre et émouvant, voire rafraichissant.

 Un moment de grâce à la DURAS comme une gorgée d’eau sur la nuque, un ange qui passe, qui chatouille.

 Paris, le 14 Septembre 2013          Evelyne Trân

 

FUREUR de Victor HAÏM – Mise en scène : Stéphanie WURTZ – Distribution : Benjamin BOLLEN – Du 9 Septembre 2013 au 17 Mars 2014 – Les lundis à 19H 30 – au Théâtre de l’ESSAION – 6, rue Pierre au Lard 75004 PARIS

P.S : Victor HAIM et Benjamin BOLLEN sont les invités de l’émission DEUX SOUS DE SCENE, sur RADIO LIBERTAIRE 89.4, en 1ère partie, le samedi 21 Septembre 2013 de 15 H 40 à 17 H. 

S’est il égaré sur la scène de l’imagination  de  Victor Haïm, ce chef d’orchestre déjanté que nous avons connu interprété par son auteur lui-même ?

 Sous des dehors grotesques, le monologue du chef d’orchestre  qui laisse éclater sa colère à l’encontre des musiciens qui l’ont mis à la porte, est aussi pathétique  et ahurissant qu’une course contre la mort.

 Comme s’il n’avait plus rien à perdre sans doute, le chef d’orchestre se livre à une sorte de strip-tease où il confond tout, lui et les autres, avec pour seule baguette une énergie dévorante, ourdie par sa colère mais aussi des blessures de parcours.

 Au cours de ce strip-tease judicieusement agrémenté de morceaux de musique (Beethoven, Mahler, Bach, Strauss, Verdi etc) ce chef « innommable »  évoquera son enfance, sa mère, ses conquêtes, en réglant son compte au passage avec son milieu où l’argent serait la seule devise.

 Pour un texte « monstrueux » qui regorge d’invectives et qui soulève beaucoup de lièvres,  il fallait un comédien « monstrueux ». Benjamin BOLLEN qui incarne ce chef d’orchestre avec une juvénilité désarmante, est stupéfiant.

 Les bouffées délirantes dont semble souffrir son personnage, galvanisent le comédien qui, à lui tout seul, délivre un véritable festival de mimiques, de drôleries avec une joyeuse appétence.

 Il invente le personnage sous les auspices d’une folie qui doit tout transgresser. Celle folie, c’est la passion de la musique : il voit et il jouit même sexuellement avec les yeux de la musique.

Du coup, on comprend mieux sa colère contre les musiciens, parce qu’elle témoigne d’un sentiment d’impuissance désespéré, exaspéré : l’infiniment petit face à l’infiniment grand.

 La metteure en scène Stéphanie WURTZ privilégie l’invention chez le comédien qui compose un personnage hors normes, endiablé, qui n’a que faire de la psychologie, et semble sortir de la baignoire imaginative de Victor HAIM, frémissant de vitalité, sous les bulles d’injures qui craquent sous les dents et du bon savon onirique. Dans le fond c’est la fureur de vivre qu’il incarne, plus que celle de maudire.

 Voila un spectacle en forme de feu d’artifice qui révèle un comédien phénoménal Benjamin BOLLEN et rend grâce aux vertus de la colère même textuelle. Oh, ce féroce humour qui déride les fesses !  C’est super !

 Paris, le 18 Septembre 2013               Evelyne Trân

ZELDA ET SCOTT de Renaud MEYER à partir du 4 Septembre 2013 au Théâtre de La Bruyère – 5, rue La Bruyère 75009 PARIS –

Chorégraphie Lionel HOCHE Lumières Hervé GARY

avec Sara GIRAUDEAU, Julien BOISSELIER et Jean-Paul BORDES et le Manhattan Jazz Band, Xavier BORNENS (Trompette), François FUCHS (Contrebasse), Aidje TAFIAL (Batterie)

Mise en scène Renaud MEYER Décor Jean-Marc STEHLE assisté de Catherine RANKL Costumes Dominique BORG

Zelda et Scott comme deux fleurs immortelles, collées sur la page d’un livre des années vingt, Gatsby le magnifique de Francis Scott Fitzgerald. Comme si le livre venait de lui tomber des mains, Renaud MEYER les voit s’échapper en trombe, les deux créatures  qui exécutent aussitôt une danse endiablée que les connaisseurs sauront attribuer soit au Shimmy soit au Charleston.

 Les années folles, les années folles, nous y sommes, comme à Paris que traversèrent Fitzgerald et sa muse Zelda.La fièvre est communicative, nous voilà pincés sous des clichés touristiques, c’est Joséphine BAKER qui  glisse étincelante dans la musique de jazz hot qui fait trembler les lustres d’un salon mondain.

 Comment évoquer la vie du couple mythique de Zelda et Scott Fitzgerald en deux heures ! Renaud MEYER a choisi l’évocation illustrée, celle qui fait appel aux sens, qui tourbillonnent dans la tête après un verre d’alcool ingurgité à jeun.

 Ils étaient jeunes, ils étaient beaux. Il était célèbre, elle était incroyablement séduisante. Ils se sont rencontrés et leurs verres en s’aimantant,  se sont brisés. Ils ont bu leur vie, voilà tout, jusqu’à la lie.

 Evidemment, tout cela fait frémir… Zelda voulait sortir toute nue d’un journal de célébrités, elle a fini sa vie dans une clinique psychiatrique. Scott n’avait de sang que pour l’écriture, et il est mort en écrivant.

 Mais ce qui est fascinant chez Zelda et Scott, c’est que leurs destins forment des écritures de vie qui s’entrelacent  et se rejoignent, des écritures très expressives, dansantes, sensibles et poignantes.

 Toutes ces pulsations inspirent  les jeux des interprètes. Sara Giraudeau est une garçonne, un peu gavroche sur les bords, fantasque, sale gosse délurée. Julien BOISSELIER  campe un Scott presque raisonnable sous les vapeurs d’alcool  et HEMINGWAY incarné par Jean Paul BORDES,  sans qui Paris ne serait pas une fête, fait sourire tant il est sérieux.

 De très jolis tableaux arrosés de musique en live, composée par le Manhattan Jazz Band  assurent un ton suave  et fébrile à la fois à ce spectacle où la légèreté prime sur l’intention dramatique, laissant libre cours au poème « Correspondances » de Baudelaire :

 Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants…
Et d’autres corrompus, riches et triomphants…
qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

 

Difficile de résister à une telle ambiance !

 Paris, le 14 Septembre 2013                Evelyne Trân

 

LE MISANTHROPE DE MOLIERE à LA CIGALE – 124 Bd Rochechouart 75018 PARIS – du 3 au 19 Septembre 2013 – Mise en scène Michèle ANDRÉ

Assistante à la mise en scène Nathalie RÉGNIER
Décor : Vincent PAROT et Philippe ANDRÉ
Costumes : Jean-Jacques DELMOTTE
Lumières : Jean-Pierre MICHEL
Musique originale : Maxime RICHELME
Production exécutive : Karine LETELLIER

Avec (par ordre alphabétique) :
Jonathan BIZET (Acaste) – Hugo BRUNSWICK (Dubois)
Arnaud DENIS (Alceste) – Catherine GRIFFONI (Arsinoé)
Jules HOUDART (Basque) – Lætitia LABURTHE-TOLRA (Célimène)
Sébastien LEBINZ (Garde de la Maréchaussée de France)  Jean-Laurent SILVI (Philinte) – Elisabeth VENTURA (Eliante
Hervé REY (Clitandre) – Stéphane RONCHEWSKI (Oronte)

Des majestueux rideaux forment le fond de scène d’un salon qui va devenir le témoin d’affaires de cœur et  de raison des personnages de Molière, des nobles de la Cour.

Cette notion de cour est difficilement perceptible aujourd’hui, c’est celle du roi Louis XIV, le protecteur de Molière. Les règles de bienséance qui régissent cette société où il convient de toujours faire bonne figure sont devenues bourgeoises. Dans cette société, il n’est pas de bon ton de dire tout haut ce que l’on pense tout bas. Alceste fait office de râleur universel qui grogne contre une société  dont il est issu, de façon excessive certes mais avec des accents de vérité qui ont l’allure de coups d’épée dans l’eau.

Il n’importe, les ressorts du personnage d’Alceste sont passionnants, ils témoignent de l’ambiguïté des relations d’un certain Molière libre penseur avant la lettre avec la Cour et son roi.

Les personnages antagonistes d’Alceste et Philinte ne sont pas seulement de beaux orateurs, ils font courir l’onde des atermoiements d’une société humaine où les rapports de force contraignent les plus faibles à se taire pour tout simplement ne pas perdre leur place.

En ce sens, Alceste est un mauvais politique aussi bien sur la scène publique que sur la scène de l’intimité. Peut-on imaginer le désespoir d’un homme qui rêvait de régner dans le cœur  de sa belle et qui s’en trouve expulsé par une triste réalité : l’incompatibilité d’humeur.

Quant à la belle  Célimène dont tous les commentateurs soulignent la légèreté, elle fait preuve de beaucoup de maturité du haut de ses vingt ans car elle affirme le droit de jouir, de s’amuser, elle assume cette liberté en dépit des médisances. Et elle tient du personnage d’Alceste pour sa sincérité. C’est une femme libre.

Qui s’aviserait d’agrémenter de nos jours la conversation de paroles bien pendues d’Alceste et de Célimène, ne passerait pas inaperçu parce qu’elles résonnent toujours .

Alceste :

 « Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre,
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments  ».

  

Célimène :

 « La solitude effraye une âme de vingt ans  »

 

Nous envions les comédiens qui interprètent de tels rôles. La mise en scène de Michèle ANDRE, très respectueuse du »Jardin à la française » que constitue le texte de Molière, ne craint cependant pas l’anachronisme. Les femmes arborent de superbes toilettes mais Alceste semble se contenter d’habits passe partout. Arnaud DENIS est un Alceste d’aujourd’hui au jeu très naturel mais on  se prend à rêver qu’il renferme en lui la rage insolente et douloureuse des rappeurs et  slameurs que  Molière aurait sûrement  applaudis.  Laeticia LABURTHE –TOLRA,  Célimène, ne hausse jamais le ton, elle  impressionne par ses propos plein d’esprit et sa distinction. Mais nous ne pourrions pas nous passer d’Oronte, le prétentieux poète et d’Arsinoé, la fausse prude, joués  avec une suave drôlerie par Stéphane RONCHEWSKI et Catherine GRIFFONI.

 Quelles sont belles la mailles du filet des discours de tous ces personnages et elles tiennent bon depuis des siècles !  La langue de Molière sait renvoyer la balle et comme par hasard à LA CIGALE, elle se porte comme un charme.

 Paris, le 6 Septembre 2013                Evelyne Trân