Histoire d’un poète – Conte dédié à Vincent JARRY-

Le saviez-vous, il y a un pays qui s’appelle la poésie et ses habitants s’appellent les poètes. Le saviez-vous, les mots passent comme des courants d’air et parfois ils ne s’entendent pas.

« Moi, j’ai quelque chose de très important à vous dire disait l’un  d’eux » et il tapait du poing sur la table pour que tout le monde se taise pour l’écouter.

Mais la poésie ce n’est rien d’autre qu’un peu de vent, un peu de sel, du souffle  sur des mots qui sont des réalités abstraites.

Je vais vous raconter l’histoire d’un poète qui braillait comme un bébé dans son berceau. Ses parents accouraient, le berçaient puis le poète s’endormait. Tous les jours, le même cirque recommençait.

A la fin les parents ont dit au poète « D’accord tu existes, mais s’il te plait, exprime toi de façon que nous puissions te comprendre car les cris nous en avons assez, qu’as-tu donc de si important à nous dire ? Est-ce la faim ou le manque d’amour qui te démangent ? » .

Et le poète de répondre à ses parents «  Je voudrais exprimer tout ce qu’il y a en moi, je suis un être humain unique et j’ai, hélas,  l’impression de ne pas vous intéresser, vous vous occupez de moi comme d’une plante mais j’ai un esprit aussi ».

« C’est entendu lui disent les parents. Nous allons te laisser un coin de jardin et tu pourras cultiver des mots et faire des poèmes autant que tu voudras mais saches une chose, la poésie c’est comme n’importe quelle plante, elle a besoin de soleil et de pluie pour pousser »

L’enfant poète écrivit quelques mots sur un bout de papier et les enterra dans le jardin. Il avait écrit trois fois le mot amour et puis le mot arbre, et puis le mot esprit. Une année s’écoula et il ne voyait rien venir, pas la moindre pousse de petit poème en fleur.

Alors l’enfant reprit une feuille de papier, il écrivit à la plume plusieurs mots et pour une raison inconnue se mit à pleurer. Les larmes se mélangèrent aux mots  et il ne pouvait plus lire ce qu’il avait écrit. Les mots s’étaient noyés dans ses larmes.

C’est alors que le mot larme avança vers lui. Il se dessina sous ses yeux et se mit à danser, à faire des pirouettes et à descendre, descendre jusqu’à l’arête de la page, au bord du précipice.

Larme bateau, songea-t-il et dans un sursaut, il décida de se suspendre  aux lettres décousues  et de suivre le courant de la coulure  à l’intérieur de la larme.

Il couvait de ses yeux la larme sur la page : un mot et une chose. Quel bonheur de voir la larme écrite sous la goutte comme  si elle s’était dessinée elle-même.

Il ferma les yeux. L’encre et les larmes séchèrent. Il se remit à pleurer et à dessiner des mots qui se souriaient, animés d’une force étrange à la lumière de ses songes comme dans un bateau.

Paris, le 8 Mai 2013                        Evelyne Trân

 

 

 

 

 

 


 

 

 
 

ALA TE SUNOGO / DIEU NE DORT PAS – Un spectacle de BlonBa – Du 2 au 26 mai 2013 – Tout public à partir de 10 ans – Jeudi, vendredi et samedi : 20 H. Dimanche 15 H. Durée 1 h 15. Théâtre du Grand Parquet Jardins d’Eole, 35 rue d’Aubervilliers, 75018 PARIS

Avec : Adama Bagayoko, Alimata Baldé, Diarrah Sanogo, Sidy Soumaoro, Souleymane Sanogo et Tidiani Ndiaye (en alternance). Texte : Jean-Louis Sagot-Duvauroux,

Mise en scène :

Jean-Louis Sagot-Duvauroux et Ndji Traoré,

Musique : Issiaka Kanté, Idrissa Soumaoro Lumières : Youssouf Péliaba, Pierre Cornouaille et les conseils de François Ha Van (mise en scène) et Aly Karambé (chorégraphie)

 Voilà une belle initiative du GRAND PARQUET d’inviter à son bord la Compagnie théâtrale  de BLONBA,  centre d’art et de culture à BAMAKO au MALI qui a dû interrompre ses activités depuis la crise politique de mars 2012.

  L’antenne française de BLONBA dirige le Théâtre de l’Arlequin à MORSANG SUR ORGE et nous propose un spectacle haut en couleurs (prémonitoire puisque sa création a été suspendue lors du coup d’état du 22 Mars 2012), théâtral et chorégraphique, dans la tradition  du Kotéba  « farce burlesque de critique sociale jouée dans les villages ».

«   L’argument de la pièce est simple : les fonctionnaires mettent des bâtons dans les roues d’un jeune entrepreneur de spectacle qui n’en peut plus. Une jeune fille au grand cœur lui présente un danseur de rue qu’il commence par rejeter puis par accepter grâce à l’intervention de Bougouniéré, ce qui donne lieu à des joyeuses démonstrations chorégraphiques contemporaines et « préhistoriques ».

  La célèbre comédienne Diarrah SANOGO incarne le personnage de Bougouniéré, une femme du peuple « gueularde » mais  bienveillante.

 Adama BAGAYOKO interprète avec brio, à lui tout seul, 4 personnages dont une femme absolument  irrésistible, tous  fonctionnaires corrompus jusqu’à la moelle…

 Sidy SOUMAORO campe avec ferveur le  jeune opérateur culturel bamakois, Cheikna.

 Alimata BALDE joue avec tendresse Goundo, la fille de Bougouniéré,  émue par la beauté du jeune danseur muet, SOLO, enfant de la rue qui ne peut s’exprimer qu’en dansant (Souleymane SANOGO et Tidiani NDIAYE en  alternance).

  La pièce repose essentiellement sur le jeu des acteurs qui disposent de  personnages  aussi marqués que ceux de la commedia dell’ arte, mais il s’agit d’une vraie farce dans le sens où l’on trouve de tout dans ce spectacle : la drôlerie (génial Adama BAGAYOKO), la poésie (le danseur muet), la comédie de mœurs (Bougouniéré et sa fille), la politique (véhément discours de Cheikna contre la corruption).

  Mais tout s’achève par la danse et la musique Bambara,  qui galvanise les amateurs de danse africaine, moderne et traditionnelle. L’ambiance est à la fête, la scène se transforme en piste de danse et les spectateurs en valseurs. « Y a d’la joie » comme dirait Trenet.  Et mon Dieu qu’il en faut dans ce bas monde «ALA TE SUNOGO » ! 

  Paris, le 3 Mai 2013                             Evelyne Trân

 

 

 

 

 

Le Cirque des Mirages dans Vagabonds des Mers, un conte musical fantastique au Théâtre MICHEL – 38 Rue des Mathurins 75008 PARIS -Mise en scène Sarkis Tcheumlekdjian avec Yanowski et Fred Parker du 4 Avril au 31 Mai 2013

Avec ce nouveau spectacle du Cirque des mirages, voilà que notre imagination prend les voiles, bien arrimée à ces vagabonds des mers.

 Pour traduire l’emportement, la fièvre, la fascination qu’exerce sur les hommes la violence de la nature, les artistes ont créé des instruments de musique auxquels  ils associent tout naturellement la parole, le chant,  la danse,  et tout cela depuis la nuit des temps.

 L a nuit des temps, rendez vous compte ! Propre à envoyer sur scène des créatures tricotées par des écrivains extravagants tutoyant aussi bien Frankenstein, Moby Dick, Dracula,  Edgar Allan Poe, Jules Verne, etc.

 YANOWSKI qui fait partie de ces écrivains extravagants, ne s’embarrasse pas de lieux communs. Hanté par Circé, la magicienne qu’il évoque à souffle coupé, son corps est le siège des démons de son invention.

 Capable de mimer le navire en plein naufrage, le désert, la tempête, le comédien impressionne par sa stature :

Oh! marins perdus,
Au, loin dans cette ombre
Sur la nef qui sombre
Que de bras tendus …(Victor Hugo)

  et sa voix tantôt d’un calme inquiétant tantôt de stentor.

 Tour de magie de la mise en scène, avec FRED PARKER pour équipage, nous avons l’illusion qu’il joue du piano sur le ponton d’un navire chancelant mais parcouru par le diadème d’une lune en pleine effervescence.

 Nous croyons discerner quelques zébrures de DEBUSSY ou de SATIE, mais il s’agit de compositions sur mesure de FRED PARKER pour suivre son  compagnon de voyage,  en démesure  pour tromper l’ombre, n’est ce pas, cette peur du noir enfantine et fantasque.

 Capitaine au long cours, capitaine tout court, dandy sorti des faubourgs de Londres ou des ruelles  de Venise, au 18ème ou 19ème siècles, se peut-il que YANOWSKI, avec la complicité de FRED PARKER se soit trompé d’époque ?

 Pour remettre les pendules à l’heure, les spectateurs sont invités à éclaircir  ce mystère et à toucher du doigt et de l’oreille les indices qui leur permettront  d’assouvir leur curiosité. A défaut, piégés par le cirque des mirages, ils auront tout loisir de faire connaissance avec ses excentriques et fabuleux habitants  YANOWSKI  et FRED PARKER.

 Paris, le 2 Mai 2013                                     Evelyne Trân

 

DE SI TENDRES LIENS DE LOLEH BELLON au THEATRE DARIUS MILHAUD 80 Allée Darius Milhaud – 75019 PARIS – Mise en scène : Benjamin Castaneda avec Françoise Levesque, Véronique Martin – Du 21 Avril au 5 Juin 2013 – Dimanche à 15 H l

 P.S. : Benjamin CASTENEDA, Françoise LEVESQUE et Véronique MARTIN ,  était  invités  à l’émission « Deux sous de scène » sur RADIO LIBERTAIRE, le samedi 18 MAI 2013 (disponible à l’écoute sur le site « grille des émissions de Radio Libertaire » et téléchargeable.)

  • Elle n’est pas très grande la salle du Théâtre Darius Milhaud où se joue en ce moment tous les dimanches, la pièce « De si tendres liens » de Loleh Bellon. Les spectateurs se serrent les uns contre les autres, mais cette promiscuité éphémère, cette sensation d’être accrochés au cœur d’un nid sous un  grand arbre, s’accordent à  l’histoire d’une fille et de sa mère, une histoire comme une grosse pelote de laine dont les fils courent et s’emmêlent, sur une quarantaine d’années, mais qui à la lumière du sentiment, des allées et venues des souvenirs, ont quelque chose de perpétuel, de toujours là.

Tous les évènements d’une vie partagée entre une mère et sa fille se trouvent filtrés par le quotidien, celui de deux pièces, le salon et la chambre, dans un petit appartement modeste, un peu comme si on avait laissé, dans un coin, un magnétophone qui aurait enregistré, au fil des ans, des menues conversations sans donner les dates. Alors, il ne reste plus qu’à l’auditeur de se concentrer sur les intonations des voix, quelques bruits d’objets ici et là, quelques indices pour comprendre qu’il s’agit de l’histoire d’amour de deux êtres, qui parle pour l’éternité.

Ils  peuvent nous paraitre très banals tous ces petits événements qui ponctuent la vie de ces deux femmes : la peur du noir, les premières règles, la crise d’adolescence, le premier enfant, la vieillesse qui frappe à la porte, le sentiment de jalousie de la fille vis-à-vis de l’amant de la mère. Mais ce qui est intéressant c’est de voir comment les voix de ces femmes, leurs corps, leurs gestes traversent tous les obstacles en parallèle, en perpendiculaire, tissant leur vie à partir d’une même toile d’araignée qui secréterait leur amour, cette étrange fibre révélatrice aussi bien de leurs différences.

Les deux interprètes traduisent si bien les états d’âme des deux personnages, qu’à moins d’avoir un cœur en béton armé, il est difficile d’échapper à ces sentiments, somme toute, universels : la solitude, la peur de la mort et surtout de la séparation avec un être cher.

Loleh Bellon ne porte pas de jugements. Les relations entre une mère et sa fille ne peuvent pas être lisses. En dépit du huis clos – la mère élève seule sa fille – en dépit de l’amour exclusif que réclame la fille à sa mère, chacune des deux femmes pour exister doit faire valoir sa personnalité.

Là encore, Loleh Bellon ne nous apprend rien, elle ne dénude pas les fils d’une psychologie élémentaire, elle peint devant nous les visages de deux femmes  qui se reflètent l’un dans l’autre, avec une attention soutenue, avec grand art, toute la délicatesse, toute la retenue nécessaire, faisant rejaillir de l’ordinaire, la même lumière, les mêmes ombres qui agissent dans un flot perpétuel sur nous-mêmes.

Pour exprimer toutes les étapes de la vie  de femmes, de la prime  enfance à  la vieillesse, Benjamin CASTENEDA, le metteur en scène, a choisi deux actrices remarquables, Françoise LEVESQUE et Véronique MARTIN, et dans cette belle bouteille à la mer, notre esprit voyage, sur crêtes de vagues, juste à la lueur de nos propres sentiments.

Ces vagues familières, sous l’œil vif du metteur en scène qui orchestre habilement toutes ces voix de femmes, nous assaillent jusqu’au bout du mât, cet âpre  sentiment de vécu.

Mais la mer est belle et son peintre Loleh Bellon, si transparente !

Paris, le 1er Mai 2013                        Evelyne Trân