Le septième Kafana de Nicoleta Esinencu, Mihai Fusu et Dumitru Crudu DU 24 avril au 5 mai 2013 au Théâtre de l’opprimé – 78/80, rue du Charolais 75012 PARIS du

«Comment parler de la traite des femmes dans nos société consuméristes » ? telle est la question de Nathalie PIVAIN adaptatrice et metteure en scène du « Septième Kafana » de Mihai FUSU, Nicoleta ESINECU et Dimitru CRUDU,  trois artistes engagés en République de Moldavie, en Europe de l’est.

Les auteurs de cette pièce n’ont pas voulu créer de personnages, ni colorier par des effets de style, les témoignages des femmes devenues esclaves sexuelles qu’ils ont recueillis. Ce sont leurs propres paroles que l’on entend, des paroles échappées, des confidences qui ont réussi à traverser le cloaque de l’indifférence, parfois par miracle.

Qui ne dit mot consent. Ces femmes font partie d’un autre monde. On pourrait dire qu’elles n’ont pas eu de chance et dans ce vaste jeu de l’oie de la destinée humaine, elles sont tombées dans le puits, celui de l’oubli.

Des reportages télévisuels ont rendu compte  de la condition de ces femmes piégées par de belles promesses, qui pour échapper à la misère ont franchi les frontières et doivent vendre leurs corps pour rembourser leurs billets. Mais très souvent ces reportages sont entachés de voyeurisme et les commentaires laissent en réalité peu de place aux paroles des personnes concernées.

Ces femmes n’ont pas besoin d’être montrées du doigt « Ah les pauvres filles, ah les méchants proxénètes ! » Elles ont besoin d’être entendues et si leurs voix ne sont pas audibles c’est parce que beaucoup de choses contribuent à les étouffer. Une vérité de la Palisse, allons donc ! C’est un problème de société. Un problème politique.

Le travail de Nathalie Pivain et des comédiens permet aux spectateurs de se retrouver de plain-pied avec ces femmes et de  comprendre que leurs voix recouvrent notre propre perception. Elles parlent la même langue que nous, elles ne différent en rien de nous, elles sont ordinaires, on peut les rencontrer dans la rue. Et c’est cet ordinaire-là, la misère, la complicité même des pouvoirs en place, qui les transforme en monnaie d’échange, en dollars, en euros.

 Nous ne voudrions pas croire que cela est possible parce que les sirènes des bonnes intentions, les déclarations de droit de l’homme, la journée de la femme,  nous font prendre des vessies pour des lanternes.

L’esclavage existe et cette plaie sur terre concerne n’importe quel humain puisqu’il s’agit d’une atteinte à sa dignité. L’esclavage  sexuel est un crime qui perdure aussi parce que la plupart d’entre nous ne font pas la différence entre la prostitution volontaire et celle qui ne l’est pas.   

Le septième kafana, – kafana signifie tout à la fois bar à café ou bordel – représente l’ultime parcours de ces femmes , qui n’ont plus d’autre issue que la mort ou la démence.

Question de vie ou de mort, question de conscience. En Moldavie, un proche, une amie, un mari  peut vendre une femme, le maire de la commune organiser un convoi de femmes parce qu’il a besoin d’argent, quoi de plus naturel. Cela se passe en Europe et pas seulement bien sûr, et ces prostituées se promènent chez nous à Paris, au bois de Vincennes mais …

On nous dit que ce type d’esclavage existait dans l’antiquité que Sophocle en parlait déjà. Avons-nous besoin de tant  d’alibis pour nous faire une idée du combat que doivent mener un homme et une femme, pour avoir seulement le droit de vivre.

Il faut remercier la contribution de Nathalie Pivain et son équipe à cette lutte. Il a fallu beaucoup de travail, soulignons-le, aux auteurs et à cette metteure en scène,  pour déblayer le terrain, les gravats de l’ignorance et de l’indifférence, pour porter seulement nu et poignant le témoignage de ces femmes enterrées vives.

Seront-elles entendues ? Le septième kafana a été écrit pour elles, il faut aller les écouter. Elles parlent aussi en nous.

Paris, le 28 AVRIL 2013                    Evelyne Trân

Traduction Aude Rossel éditions L’Espace d’un instant (2004) mise en scène Nathalie Pivain assistante Céline Meyer avec Céline Barcq, Frédéric Gustaedt, Nathalie Pivain, Salomé Richez lumière Raphaël Rosa régie générale Dominique Dolmieu Cie Fractal Théâtre avec le soutien d’ARCADI et de la DRAC

 

LE NAZI ET LE BARBIER de Edgar Hilsenrath à LA MANUFACTURE DES ABESSES – 7 , rue Véron 75018 PARIS – mis en scène par Tatiana Werner avec David Nathanson –

P.S. : David NATHANSON était  invité  en 1ère partie de l’émission « Deux sous de scène » sur RADIO LIBERTAIRE, le samedi  11 MAI 2013 (disponible à l’écoute sur le site « grille des émissions de Radio Libertaire » et téléchargeable.)

Qui ne se souvient pas de Charlot dans son salon de barbier dans le « Dictateur » ? Si une fleur peut encore pousser dans la fange, c’est  bien celle du rire, n’en déplaise aux bien-pensants.

Soyons lucides, certains spectateurs avec leur quota de tristesse dans la tête, ont plutôt envie d’aller se distraire en allant au théâtre. Leur dire qu’ils peuvent économiquement se changer les idées en allant voir « Le nazi et le barbier »ne tient pas de la gageure.

« Le nazi et le barbier » adapté du roman éponyme de Edgar HILSENRATH, est une farce très consistante, croustillante  qui tire ses ingrédients de la vie même de son auteur, juif allemand.

Le personnage Max Schultz est l’anti-héros par excellence, il est allemand de souche aryenne, mais batard et victime de viols répétés de la part de son beau-père. Dans les années 30, il a pour frère de lait, un juif, Itzig Finkelstein. Il devient nazi parce que c’est à la mode, puis génocidaire, ce qui lui donne l’occasion de tuer son brave ami aux yeux bleus et sa famille. Pire, après la guerre, il usurpe l’identité d’Itzig et mène la vie d’un juif, un sioniste fanatique respecté.

 A travers ce personnage odieux, nous frôlons, la schizophrénie, le quant à soi d’une identité barbare qui endosse celle d’une victime. Bourreau et victime dans le même corps, ça peut démanger et même déranger.

 « Presque toute l’histoire est une suite d’atrocités inutiles » songeait Voltaire. Sans nul doute, il eût reconnu dans la vie de Max Schultz, les mêmes horreurs qui ont conduit Candide à ne plus vouloir que cultiver son jardin.

A l’enseigne pourtant, en fin de parcours, un dieu spectateur qui se roulerait les pouces. Dans son fauteuil de barbier, Max Schultz se retrouve poings liés avec sa conscience. Dérision suprême, on lui greffe un cœur de rabbin.  « Si  Dieu est mort, tout est permis » faisait dire à un de ces personnages Dostoïevski.

Dans ce portrait cynique de ces bouffons qui usurpent nos identités  – mais lesquelles ? – se dégage la figure grotesque mais encore humaine d’un individu, dos au mur, de sa seule conscience.

Le récit de Max Schultz est épicé d’anecdotes plus truculentes, les unes que les autres. S’agit-il de la confession d’un bourreau ordinaire ? Il y a de quoi faire frémir, encore et encore notre bonhommie naturelle. Il faut tout le talent de David Nathanson, en osmose avec sa metteure en scène Tatiana WERNER,  pour réussir à  émouvoir et captiver les spectateurs pendant une heure 40.

A l’heure de l’apéritif, encore à jeun, c’est le genre de spectacle qui donne un coup de fouet au corps et à l’esprit. Attention, c’est très fort !

 Paris, le 27 Avril 2013                    Evelyne Trân

 

VICTOR EN MUSIQUE, HUGO EN LIBERTE – Brigitte FOSSEY récitante, Yves HENRY piano à la Salle GAVEAU le 23 AVRIL 2013

Textes de Victor Hugo
Piano : Chopin, Schumann, Liszt, Scriabine, Rachmaninoff, Ravel

Délicieux, ce petit concert avec Brigitte FOSSEY et Yves HENRY. Elle ne récite pas, elle joue et se donne à coeur joie à la prose poétique de  Victor Hugo, comme une petite fille s’ébattrait dans un pré. 

Une enfant émerveillée qui boit les paroles du poète et qui par la magie d’un livre ( Comme Hugo en parle lui même) rend grâce à la fée imagination qui permet aux spectateurs de revoir Esmeralda danser parmi eux, et Jean Valjean tout contrit coincé entre deux gendarmes, ou encore l’infante étonnée ou encore Hugo, tribun, appelant à combattre la misère.

Très joli choix de textes de Brigtte FOSSEY qui fait la part belle aux poèmes les plus simples, les plus émouvants de Hugo dont la fraicheur chasse l’esprit chagrin et fait  rêver au bonheur, pourquoi pas, d’être un piano entre les mains virtuoses d’Yves HENRY.

Une merveilleuse soirée !

Paris, le 24 Avril 2013                          Evelyne Trân  

 

Matelot Poème dédié à Philippe JARRY – Improvisation musicale TIM LASER : SITAR – PERCUSSION DIJIRIDOO, GUIMBARDE & MICHEL SEULS FLUTE, PERCUSSION, BOL TIBETAIN

MATELOT(1) 3MN 24  
Improvisation musicale de TIM LASER & MICHEL SEULS
 
 
 J’irai mouiller au large de ta mémoire, matelot,
Pour une fleur d’écriture salée.
 Ton toit sera étoilé, vois-tu et ton absence criminelle.
 Celle de Mallarmé qui disait « La chair est triste, hélas,
 Et j’ai lu tous les livres ».
 Comme un grand œil au dessous de la mer, décrit
 la coque de ton innocence abrupte,
 à travers une planche, avant le coup du marteau,
 indéfinissable, évanouie, ta main tendue, sans adresse,
 parlera l’étendue de la mer et ta solitude blessée.
 
Tu as pris au mot le verbe « aller »
 Et ceux qui te demandent « comment vas-tu ? » sont cons,
 mais ce n’est pas grave
 car l’eau trouble de ta mémoire nourrit l’écorce encore jeune
 de tes épousailles avec l’arbre.
 
Et sur l’eau, la vérité n’aura l’air que d’un lézard effarouché,
 Et sur tes épaules, l’enfant aura l’impression de toucher le ciel,
 Et sans excuse, tu existeras.
 
 Au large de ta mémoire,
  j’irai refaire le geste de l’enfant à genoux face à la mer
  Mon Dieu, mon père, mon Dieu ma mère,
  pourquoi m’avez vous fait naître ?
 Et tu approuveras leur silence,
 dans un coin de mouchoir, ta douleur,
 comme un peu de fièvre, comme un peu de flamme pour les éclairer.
 
Evelyne Trân
 
 
 
 
 
 
 

 

A tire-d’aile de Pauline BAYLE au CINE XIII THEATRE – 1 Avenue Junot 75018 PARIS – du 24 Avril au 11 Mai 2013 –

  • Distribution : De et mise en scène Pauline Bayle. Avec Pauline Bayle, Pauline Belle, Loïc Renard, Solène Rossignol, Yann Tassin
  • Genre : Théâtre contemporain
  • P.S. : Pauline Bayle, Pauline Belle, Loïc Renardétait  invités  à l’émission « Deux sous de scène » sur RADIO LIBERTAIRE, le samedi 27 Avril 2013 (disponible à l’écoute sur le site « grille des émissions de Radio Libertaire » et téléchargeable.)
  • A tire-d’aile, la jolie pièce de Pauline BAYLE nous ramène sur les rivages un peu brouillés de l’adolescence, à ce point d’éternuement assez insensé lorsqu’avant de prendre leur envol, des êtres prennent le temps de scruter la paille défaite de leur nid sachant qu’ils n’y reviendront pas. L’impression fantastique qui se dégage de cette expérience unique et folle, – Rimbaud ne l’a-t-il pas vécue ? – pourrait passer à la trappe des réalités, quand les parents  sont là pour donner un coup de pied aux fesses de leur progéniture. Mais il arrive parfois qu’ils ne soient pas là, ces chers adultes au propre comme au figuré, ce qui laisse  une liberté inouïe aux enfants de rêver leur vie comme quelque chose dont ils seraient responsables, qu’ils créeraient avec  leur propre imagination, leurs propres forces, leurs moyens aussi  pauvres soient-ils, en explorant de fond en comble juste leur sentiment d’exister. Folie, non pas folie. Exigence, non pas  exigence. Il faut que certains mots se refusent à  soi. Il faut savoir que l’on parle dans le vide. La chair d’adulte n’est pas encore là pour colmater les brèches. C’est l’inavouable que l’on entend c’est-à-dire cela qui n’a pas encore pris la pâte du bien dire, trop arrosé ou durci par la littérature.  Quoique, les personnages que met en scène Pauline BAYLE, lisent chacun dans leur coin, ils se chamaillent pour des riens, ils scrutent leur potage et dialoguent avec Serge un oiseau empaillé. Ils n’ont pas de portables, pas de télévision mais ils profitent de leurs inspections, dans le lieu clos de leurs émois, ignorants d’un monde extérieur qui ne se soucie pas d’eux, qui fait partie du possible mais au même titre que l’oiseau, que le rituel du dîner et le sempiternel plat de nouilles.

     L’impossible c’est l’autre dès lors qu’il s’impose, et la sœur ainée de la fratrie, ils sont cinq frères et sœurs, ne s’impose que par devoir.

     Si la pièce fait songer à celle de Jean Cocteau, « Les enfants terribles » c’est qu’elle puise dans la même irréductibilité des possibles, qui n’est pas n’importe quoi, mais qui dériverait de tout pour aller on ne sait où, parmi soi. Tandis que Jean Cocteau fait catapulter une même impression où c’est l’espace qui devient le temps, Pauline BAYLE lève les yeux vers un oiseau suspendu, mort ou vivant qui paraphrase l’aptitude des 5 adolescents à parler de la mort tout autour de la vie,  comme d’une présence originale.

     Comment mouiller le sol de l’imaginaire, les enfants savent le faire, les adolescents encore, mais les adultes plus du tout sauf quand ils ont le cran de se déclarer poètes, ce qui leur permet de passer à travers quelques murs comme Marcel Aymé.

     L’absence et la présence à l’autre deviennent le point de fuite commun à plusieurs rêves, plusieurs êtres qui ont envie d’affirmer leur existence au-delà de la communauté. Rêves d’autrui, rêves de soi se chevauchent sans se faire trop de mal au profit de divers monologues, journaux intimes. A chacun son jogging  solitaire   avant de se retrouver à table.

     Sous les griffes de l’adolescence comme marquée au coin de la nappe, la pièce de Pauline BAYLE cligne des yeux avec douceur et profondeur. Nous imaginons sans mal le bonheur pour ses jeunes partenaires de créer des personnages qui nous parlent d’ici et d’aujourd’hui, à tire-d’aile avec talent.

  • Une auteure, des jeunes acteurs à découvrir, à encourager, à reconnaître. Après la pluie, le beau temps, après la vieillesse, la jeunesse. Sur les hauteurs de Montmartre, au ciné 13, nous avons assisté à une embellie théâtrale salutaire. Paris, le 20 Avril 2013             Evelyne Trân 

Notre Avare d’après Molière – Adaptation et mise en scène Jean BOILLOT au Théâtre de l’Aquarium – Route du champ de manœuvre 75012 PARIS du 9 au 28 Avril 2013

Expurger de la pièce « L’Avare » son célèbre HARPAGON pour donner la parole à ses enfants, il fallait y penser. Harpagon est mort et les enfants, Elise, Valère, Cléante et Marianne, les quatre amoureux revivent les évènements qui les ont réunis.

Les comédiens n’utilisent que le texte de Molière et il s’avère que les répliques des personnages débusquées de leur contexte, arrivant parfois comme des sommations, « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » sont investies  de telle façon que leur charge émotionnelle témoigne de l’omniprésence du père dans leur mémoire.

Ce qui a été dit, ce qui été fait, résonne toujours. Chez ses personnages qui sont en train de revivre leur histoire, ce qu’ils ont à dire est gravé dans  leur cœur, leurs souvenirs. Leurs paroles sont des portefaix, des coups d’épée, un moyen pour les protagonistes de conjurer l’héritage  d’Harpagon, terrible puisqu’il était  prêt à sacrifier leur  bonheur à son seul profit.

Il est très étonnant de voir  tous ces personnages libérés  de la « cassette » de l’avare, exprimer la turbulence de leurs sentiments, en mimant ou en reproduisant aussi bien les paroles d’Harpagon que celles de  leurs partenaires. Ils échangent leurs rôles avec une vivacité vertigineuse, s’adressent au public, le prennent  à témoin. Car ils entendent crier leur existence, ils représentent la jeunesse, et même si la comparaison peut paraitre énorme, il y a en eux ce germe de révolte qui souleva les jeunes en Mai 1968.

Mais le spectacle est avant tout très divertissant, il faut les voir ces comédiens caméléons capables d’endosser plusieurs figures  en se partageant les mots d’une même réplique.

L’instinct de comédie  est à l’œuvre, celui-là qui permet de dépasser le tragique  et qui d’ailleurs se promulgue au quotidien comme le souligne le metteur en scène qui parle de « tentative de théâtre naturel ».

« Notre Avare » devient alors une sorte de psychodrame familial où chacun est tenté de se regarder aussi avec les yeux des autres ou bien se trouve rattrapé par l’autre.

Et l’esprit de Molière est bien là pour nous fait  rire quand nous devrions pleurer, et même si nous connaissons par cœur certaines  tirades, elles deviennent dans ce spectacle les fils tendus de tant d’interprétations, qu’émus et un peu sonnés, les spectateurs se disent qu’ils ont pris un coup de jeune avec ce bon vieux Molière.

Paris, le 14 Avril 2013           Evelyne Trân

 

 

La pluie d’été d’après le roman de Marguerite DURAS – Adapatation et mise en scène Lucas BONNIFAIT au Théâtre de l’Aquarium Route du champ de manœuvre 75012 PARIS

Au début du spectacle, les acteurs font partie du public installé sur des bancs et lisent leur texte. On se croirait presque dans une cour de récréation ou à théâtre ouvert à Avignon. Les yeux suivent le trajet des réparties des comédiens comme à un jeu de ballon. On retrouve assez vite la voix de Marguerite Duras à travers ses personnages.

 C’est une conteuse, une rêveuse, on aurait envie de dire qu’elle a des haïkus dans la bouche et même quelques cailloux. Le nœud de l’histoire découle d’une question pour laquelle il n’y a pas de réponse mais tellement de ressenti, que l’on peut comprendre que ladite question pour les autres et pour  le personnage central, Ernesto l’enfant, va l’occuper toute  sa vie : il n’a pas besoin pas d’aller à l’école  puisqu’il comprend tout sans l’avoir appris.

 Les dialogues entre l’enfant, les parents et l’instituteur progressivement prennent le large. Une toute petite phrase extraordinaire de l’enfant : « A l’école, on m’apprend des choses que je sais pas.. », c’est un peu comme une aiguille d’horloge qui ne tourne pas rond et qui existe cependant, vue de loin, recourbée dans ses franges, solitaire . On s’aperçoit rapidement que les parents et l’instituteur, la sœur, doivent avoir aussi enfouies en eux des paroles qui peuvent bousculer leurs interlocuteurs, les intriguer, parce qu’elles ne veulent rien dire.

 Une question de chose simplement. Quelqu’un vous déshabille du regard mais il ne vous parle pas. Quelqu’un vous parle mais ne vous  dit rien. Impossible de sommer la réalité de vous assurer que vous ne rêvez pas. Mais qu’est-ce qu’il dit, qu’est-ce qu’il dit ? Qui  n’a pas été témoin d’absurdités passagères, de paroles qui contredisaient complètement l’attitude d’un interlocuteur, jetant un trouble indifférent, ou bien annonçant  une rupture, une pause, cela qui faisant crisser le silence, jouit de son intempérance.

 Peut-être y a-t-il un peu de mer sous les mots, un peu de rêve, enfin toujours de l’intraduisible et tant mieux !  Quand une pensée devient cela qui dérape ou l’inaccessible ou présence de l’invisible ou d’un troisième interlocuteur absent, oui l’on sait que celui qui vous parle se parle aussi bien à lui-même qu’à l’autre invisible, une sorte d’inconnu qui brillerait naturellement autour du silence, qui manifesterait en tout cas la distance entre soi et une personne témoin.

 Dans le langage, c’est le pistil de la fleur qui intéresse Duras, sa poussière qui essaime en se dispersant et qui parfois sous un coup de vent vous pique les yeux et  les oreilles.

 De toute évidence, les comédiens Jean  Claude BONNIFAIT et Ava HERVIER  savent émarger avec finesse et même de la gaité autour de la marelle de Duras. Par contraste, Raouf RAIS, Ernesto, exprime davantage la tristesse, le ressac et l’angoisse existentielle assez prégnante.

 Le metteur en scène a choisi la sobriété qui sied à la langue de Duras. Les spectateurs doivent parfois laisser passer des anges par-dessus les rêveries des personnages mais c’est pour mieux voir s’éclore devant eux le mystère des mots qui embrassent leur univers.

 A cœur d’enfance dans la poche, qui déborde, à la  craie blanche sur le tableau vert, comme une éponge, le  spectacle dessine avec beaucoup de sensibilité un des meilleurs visages de Duras.

 Paris, le 13 Avril 2013                  Evelyne Trân

 

 

C’EST LA FAUTE A LE CORBUSIER – Comédie urbaine de Louise DOUTRELIGNE, mise en scène de Jean-Luc PALIES au Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes – Route du champ de manœuvre 75012 PARIS – du 9 au 28 Avril 2013 à 21 Heures.

Admettons qu’il s’agisse d’une petite bombe à retardement, une petite boite de pandore où s’entremêlent, les opinions, les désirata, les confidences de monsieur et madame tout le monde concernant leur environnement, leurs lieux de vie à la ville, à la campagne, le tout agglutiné pour vaporiser les futurs projets de nos politiques d’une odeur sinon de sainteté, d’amabilité.

 Nous le savons bien, les politiques sont tenus de prendre en charge les préoccupations de leurs concitoyens, notamment en ce qui concerne le logement. Encore faut-il avoir l’idée de convier au débat, le pape de l’architecture, un certain LE CORBUSIER, un créateur de haute sphère, révolutionnaire.

 Quoi, les propos d’un quidam coincé derrière les barreaux de son hlm rêvé et baptisé Résidence LE CORBUSIER pourraient et devraient  être pris en considération par les architectes de notre futur  environnement ?

 Si certains architectes entendent aller à la rencontre des citoyens des habitats qu’ils vont réhabiliter, démolir ou créer, cela signifie qu’au béton, aux chartes, aux consignes de développement durable de plus en plus lourdes, vont s’ajouter les doléances des mal-logés !

 Du cœur à l’ouvrage, il  en faut et c’est à l’intention de ces hommes et femmes courageux, ces citoyens en mal d’écoute que Louise DOUTRELIGNE signe une comédie urbaine, de façon à cristalliser, une rencontre possible, utopique des architectes et la population.

 Dans le fond ces architectes qui pénètrent dans  le local social au  pied d’un tour ressemblent à s’y méprendre à ces politiques qui font le siège derrière la porte des électeurs pour récolter leurs voix.

 Bon chic, bon genre, ils se laissent séquestrer par le gardien d’origine brésilienne et acceptent bon gré, mal gré d’écouter les doléances des résidants. L’ambiance est conviviale, comme dans une kermesse avec orchestre, chanteuse, petits fours et pauses vidéo.

 En somme du théâtre réalité où chacun comme dans un buffet vient pécher des réflexions, des motifs de rencontre, d’utopie sur un sujet qui nous concerne tous, l’avenir de nos villes, de notre environnement mais sans trop se prendre la tête, en se laissant simplement étourdir et emporter par – comme le dit LE CORBUSIER -des rêves qui puissent devenir réalités. Ne l’oublions pas tous ces immeubles, ces maisons ne tiennent debout que parce  qu’ils sont habités. Peut-on demander aux architectes d’être aussi des artistes, des  poètes, quand le béton ça coûte  si cher ?

 Gageons que la comédie de Louise DOUTRELIGNE servie par une mise en scène fort animée et des comédiens enthousiastes, comme les ruisseaux font les grands fleuves,  fera sourire ensemble sur le même trottoir LE CORBUSIER et le gardien d’une de nos tours. Joyeuse utopie !

 Paris, le 12 Avril 2013            Evelyne Trân

Au THEATRE 13 / SEINE – 30, rue du Chevaleret 75013 PARIS – ON A FAIT CE QU’ON A PU MAIS TOUT S’EST PASSE COMME D’HABITUDE de Philippe FENWICK – Epopée scénique, théâtre et cirque pour le récit frénétique d’une tournée de Brest à Vladivostok- Mise en scène de l’auteur du 2 Avril au 14 Avril 2013

Aux côtés de Sarah SCHWARZ et ZED musicien

Avec chaque soir, des artistes invités (Cirque ou Music-Hall).

Il a des rêves qui lui courent après et c’est bien normal, Philippe FENWICK est tombé dans la potion magique du théâtre avant même d’être né.

 Son épopée théâtrale de Brest à Vladivostok ne manque pas de  sel ni d’incongruités. Tout se passe comme s’il se déplaçait sur un sol lunaire avec une bicyclette dont les pneus crèveraient tous les mille kilomètres sans réussir à mettre à plat sa libido théâtrale époustouflante.

 C’est aussi un astronaute inventif et obstiné, un peu comme Don Quichotte et si la terre ne tourne pas aussi rond qu’on le dit, il faut qu’il discute avec son inconscient, cette belle trouvaille de Sigmund FREUD.

 Son inconscient c’est nous les spectateurs, enfin pourquoi pas, et surtout les créatures qu’il rencontre toujours prêtes à l’assurer qu’il ne rêve pas pour rien et à le prouver sur scène telle la  belle funambule dont nous avons pu apprécier les tours d’acrobatie sur le fil, et son numéro de domptrice de cochon noir poétique, hallucinant.

 A vrai dire, le cauchemar kafkaïen des 1300 jours qu’il a passé avec sa compagnie pour réaliser son projet de tournée  théâtrale de Brest ( il y fait soleil aussi) à Vladivostok (il y neige mais sa grand-mère était russe), le cochon noir, la funambule, ni Zap, le musicien appelé à la rescousse, ni la voix de Joe Dassin, ni la belle transformiste, le double yin de Fenwick, n’en ont cure.

 Seul, Philippe FENWICK se voit contraint de consigner toutes les paperasses, toutes les embûches administratives, matérielles, toujours sourdes à son projet. Il  s’arrache les cheveux sur scène  (ceux qui lui restent), il attrape la fièvre scripturale, il écrit, il écrit, il discourt, il discourt et surtout il lance un appel désespéré à tous les cœurs artistes susceptibles de le comprendre, un flambeau à la main, celui du théâtre vivant.

 Et ce cœur tout chaud qu’il balance sur  la scène, comme sa tête qui penche de droite à gauche entre rêve et poussière, nous incite à l’applaudir et à l’encourager « Continue Fenwick, vas-y, nous sommes avec toi, nous créatures de ton inconscient, pour que le théâtre vive et résiste jusqu’au  bout du monde et même au-delà ! ».

 Paris, le 7 Avril 2013            Evelyne Trân

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je n’ai pas de toit qui m’abrite, et il pleut dans mes yeux… D’après l’œuvre de Rainer Maria Rilke au Théâtre du Lucernaire 53, rue Notre-Dame des Champs 75006 PARIS du 3 Avril au 25 Mai 2013

Conception : Jérémie SONNTAG et Florian GOETZ Mise en scène : Florian GOETZ
Interprétation : Jérémie SONNTAG

P.S. : Jérémie SONNTAG et Florian GOETZ   étaient  invités  à l’émission « Deux sous de scène » sur RADIO LIBERTAIRE, le samedi 4 Mail 2013 (disponible à l’écoute sur le site « grille des émissions de Radio Libertaire » et téléchargeable.)

La voix de Jérémie SONNTAG marche sur l’eau des poèmes de RILKE tel un arpenteur de rêves insoumis, qui reflètent la lueur du jour en pleine nuit.

Le spectateur en apnée se laisse submerger comme s’il  entendait un poète semer au dessus de lui, quelque poudre magique capable de lui offrir sur le chemin des sables mouvants de l’écriture , l’impression MERVEILLEUSE de toucher quelque objet de rêve connu de lui seul.

C’est une récréation dans l’univers poétique de Rilke, affranchie tous effets superfétatoires, librement écoulée, juste et quasi contemplative. Ce sont les grains de mots  qui parlent comme si la main contre un mur transpirant, l’interprète entendait exprimer l’indicible invisible Mallarméen évoqué par Rilke dans une sorte de va et vient à tous risques, même celui de disparaitre sous les mots.

C’est aussi une expérience très étrange de baigner dans l’eau des mots d’un poète à la fois si réfléchi et si imaginatif mais guidés par Jérémie SONNTAG, dans les profondeurs, nous atteignons la berge, ruisselants de mots, d’idées de pensées, et nous nous disons, nous voilà riches  de poèmes qui sont dans l’air qui sillonnent le ciel et la terre et la boue, qui sont à notre portée parce qu’ils ont un esprit. Des poèmes nuages qui disparaissent puis se reforment, en continuelle transformation .

Essayez donc de toucher un rêve nous dit Rilke. Futurs ou vieux poètes, ce spectacle est pour vous, si vous ne craignez pas d’ être pris la main dans le sac avec plusieurs poèmes. Poètes, vos papiers comme disait Ferré !!!!

Paris, le 6 AVRIL 2013                      Evelyne Trân