Médée de Pierre Corneille au Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes, mise en scène de Paulo Correia, collaboration artistique de Gaële Boghossian du 21 Mars au 21 Avril 2013

Quels sont les pouvoirs d’un texte, en l’occurrence, la première  tragédie de Corneille, Médée, face au pouvoir de l’image qui depuis son avancée technologique est capable de bombarder notre rétine de façon démiurgique ?

 La magicienne, l’héroïne de la pièce de Corneille ce n’est plus Médée mais plutôt l’image qui est censée s’emparer du regard des spectateurs. Des monstres en pagaille issus de l’imagination de Gustave Doré sont vomis sur l’écran gigantesque qui ourle la scène où Jason, Médée et les autres, en chair et en os, pris au piège de  leurs clones virtuels, ont le souffle coupé  et récitent plutôt qu’ils ne jouent quelques effets textuels de Corneille comme ils se passeraient le ballon.

 C’est Corneille en bande dessinée, à l’ère des jeux vidéo, qui découvre sa pièce devenue aussi sèche qu’une branche fanée, articulée par des héros baudruches.

 Ce parti pris du metteur en scène de vouloir faire entrer Corneille par la belle porte dans notre époque où effectivement une culture visuelle fort riche prend le pas sur la lecture, interpelle les vieux routiers de la littérature qui comme Malraux dans son livre « L’homme précaire et la littérature » s’inquiètent sur son sort.

 La démonstration du metteur en scène nous fait sentir combien les rapports de force entre le cinéma et le théâtre sacrifient l’objet même de leurs pouvoirs magiques, un texte, une écriture devenue leurre, étiquette de flacons obsolètes.

 Le texte de Corneille devient un déroulé de fax qui tombe dans un lieu clos sans être lu, au profit du cliquetis de la machine qui devient monstrueux si l’on imagine que pour l’entendre il ne reste que des silhouettes d’humains sur un écran. Avec une telle sensation effarante, nous avons au moins la simagrée de nous propulser dans l’univers de Ray Bradbury et de Georges Orwell.

 Les jeunes qui disposent d’une culture beaucoup plus ludique et  bruyante que certains rabat-joie  littéraires, apprécieront sans doute de voir Corneille sortir des sentiers battus du lycée, pour les rejoindre cahin-caha dans leur monde onirique et virtuel et si le spectacle qui leur  est destiné les inspire, croyons qu’ils sauront adapter Corneille dans leur langue, car tout de même ce vieux Corneille, il pourrait être plus simple.

 Laisse tomber tes hardes séculaires Corneille et rejoins nous, notre époque sera la tienne ! Que les jeunes boivent à la santé de Corneille et que les rabat- joie se taisent !

 Paris, le 30 Mars 2013                                     Evelyne Trân

 

 

CASANOVA REQUIEM FOR LOVE, un spectacle de Diana DOBREVA au Théâtre de l’Epée de bois à la Cartoucherie de Vincennes du 19 Mars au 7 Avril 2013

Distribution : De Giacomo Casanova, Soren Kierkegaard et Diana Dobreva, mise en scène par Diana Dobreva. Avec Vladimir Karamazov, Hristo Petkov, Biliana Petrinska, Jana Ilieva, Borislava Kostadinova

Si nous nous greffions sur la peau ces vers de Verlaine « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime » nul doute que nous nous exposerions à rencontrer en chemin l’homme qui exploita ce rêve sa vie durant, pour devenir Casanova, l’amant idéal de toutes les femmes.

 Et Diana Dobreva au nom de toutes ces femmes, celles qui s’ignorent, celles qui se souviennent, celles qui espèrent, met en scène ce rêve qui sort de la bouche de Casanova bercé par la quiétude, l’étrangeté de son délire.

 Le spectacle en bulgare captive par sa charge onirique d’autant plus que lorsqu’il n’est pas possible de s’accrocher au sens des paroles des comédiens (quand le surtitrage est en panne) les spectateurs ont tout loisir de suivre les éclairs de souvenirs de Casanova qui envahissent la scène de façon burlesque, surréaliste, avec pour seul plafond, le désir omniscient chez Casanova d’être celui qui va libérer tous les sens d’une pléiade de femmes amoureuses.

 Ce spectacle est à voir dans tous les sens du terme et que raison s’abstienne de vouloir trouver une issue au dérèglement des sens, lesquels fort bien tournés par ailleurs nous offrent de superbes tableaux avec des fantasmes innocents, parfois de pacotille mais si divers si éloquents, qu’ils font sourire et mettre en appétit nos papilles.

 Quel chanceux ce Casanova, même agonisant au fond de son lit, un verre de vin suffit à faire venir à son chevet la femme qui le hante depuis l’enfance, la femme déesse, la femme qui danse et se multiplie comme le souhaite son esprit fantasque.

Diana Dobreva parait avoir versé dans le verre de Casanova l’ivresse qui galvanise tous les comédiens qui sont aussi danseurs sous la houlette de la grande chorégraphe Tatiana Sokolova.

 Dans les yeux de Casanova, nous voyons la femme au meilleur de sa forme, elle est érotique puisqu’ amoureuse et c’est infiniment touchant !

Paris, le 29 Mars 2013                      Evelyne Trân

 

 

 

BOURREAUX D’ENFANTS ! MODESTE PROPOSITION CONCERNANT LES ENFANTS DES CLASSES PAUVRES d’après Jonathan SWIFT, mise en scène François RANCILLAC suivie de L’HOMME QUI RIT d’après Victor HUGO,mise en scène de Christine Guênon, au Théâtre de l’AQUARIUM à la Cartoucherie de Vincennes Route du champ de Manoeuvre 75012 PARIS du 19 Mars au 5 Avril 2013

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ATTIFA DE YAMBOLE – CONTE AFRICAIN – ANNE-SYBILLE COUVERT RACONTE du 07/03/2013 au 31/03/2013 au GRAND PARQUET 35, rue d’AUbervilliers 75018 PARIS.

Le Grand Parquet programme en ce moment deux spectacles « Les indiens rient pas comme nous «  et  « Attifa, de Yambolé, conte africain » qui pointent tous les deux leurs regards sur cette espèce indéterminée, mais très appréciée des agences de voyages : le touriste.

A tort ou à raison, on ne donne pas souvent la parole aux touristes au théâtre, alors qu’au cinéma, le filon a été bien exploré.  N’oublions pas que le touriste est d’abord un consommateur et que lorsqu’il se rend à l’étranger, il entend se faire plaisir, à la mesure du voyage de rêve qu’il a acheté sur catalogue.

 Valérie VERIL a décidé de mettre les pieds dans le plat en composant un personnage qui à la suite d’un voyage organisé en Afrique, a revêtu les guêtres de conteuse. Un personnage qui ne manque pas d’air, qui ne cesse de lever les bras en l’air dans sa toge aux tissus africains, de toute beauté, et qui en usant d’un  arsenal de colifichets très en vue même  autour de la Tour Eiffel, est censée insuffler à ses spectateurs, de l’exotisme bon marché.

Valérie VERIL excelle en conteuse comique, son personnage a des allures de Bécassine, juste pour la forme. Pour le fond, exit sa figure de dame patronnesse qui figure sur l’affiche, son visage très animé, et plutôt cocasse singe des propos désobligeants, au ras du verre, juste avant que cela déborde et qu’un tel ne vienne vous le jeter à la figure. Un tel qui serait africain, italien, allemand, qui n’a pas envie d’entendre qu’il est con, sale, mal éduqué …, et  ce même de la bouche d’une gentille dame qui s’apprête à faire de  l’humanitaire.

 En somme, cette Madame Anne-Sybille Couvert cumule sous son bonnet tous les préjugés de bon aloi qui permettent de faire bonne contenance face à l’étranger qui n’est pas comme nous, mais c’est difficile de l’expliquer aux enfants.  

 Heureusement qu’elle est drôle, cette brave dame car d’aucuns pourraient la trouver insupportable, d’une niaiserie à faire pâlir nos humeurs les plus noires.

 Cela dit, si nous sommes enclins à la trouver odieuse c’est que la satire de Valérie VERIL a le mérite de faire virer au vinaigre l’esprit de tolérance, en montrant avec quelle sournoiserie sous couvert de bonnes intentions, certains ont besoin de manifester leur mépris indécrottable vis-à-vis de l’étranger sans essuyer le venin qui coule sous leur menton.

 Anne-Sybille Couvert a sans doute pour marque de fabrique la bêtise . La bêtise est une vertu en soi car elle est capable d’hérisser le poil, d’autant plus qu’elle demande aux enfants de rejoindre son camp et là c’est un comble. Nous savons les enfants plus intelligents que les adultes car on ne nait pas raciste, on le devient. Il n’y a pas de propos innocents et les préjugés insidieux peuvent bien pondre leurs œufs dans des têtes fraiches.

 Des préjugés inoffensifs  qui accouchent d’une bonne conscience cela n’existe pas. Anne Sybille fait un peu trop la bête, et ses trophées de chasse devraient faire parler quelques têtes coupées. Avec un interlocuteur de taille, moins ridicule que la petite fille Attifa qui tombe dans la gueule du loup, gageons qu’Anne–Sybille avalée par le grand noir aux dents blanches, se transformera à son tour en petite poupée blanche. Nous assisterons alors à l’apparition d’un vrai sorcier, un peu griot sur les bords, dont le rire étincelant soulignera la présence et le talent de Valérie VERIL.

  Paris, le 16 Mars 2013            Evelyne Trân

LA MORT DE MARGUERITE DURAS Texte : Eduardo Pavlovsky – Mise en scène Bertrand Marcos avec Jean-Paul Sermadiras à la Manufacture des Abbesses – 7, rue Véron 75018 PARIS –

P.S. Jean-Paul SERMADIRAS et Bertrand MARCOS étaient les invités de l’émission « DEUX SOUS DE SCENE » sur Radio Libertaire, le samedi 30 Mars 2013 (En podcast sur le site de Radio Libertaire, Grille des émissions)

Au centre de la scène à peu près obscure, un homme scrute un mur et monologue longuement à propos d’une mouche en train d’agoniser.

 Evidemment, c’est ridicule, mais après tout, la grande romancière Marguerite Duras a bien daigné un jour s’attrister sur le sort d’une mouche.

 Paradoxalement, il est plus facile de s’attendrir sur le destin d’une mouche, d’une fleur que sur soi même  … Une mouche, un détail, mais il n’y a que les détails qui comptent nous assurent les artistes.

 L’homme a indubitablement l’esprit fantasque et est peut être du genre à prendre des vessies pour des lanternes. Dans tous les cas ces propos sont déconcertants, déroutants. Emanent-ils d’un fou, d’un cabossé, désemplumé de la vie ? Pas assez sérieux, dans tous les cas, pour mériter que l’on perde du temps à l’écouter.

 Et puis tout à coup cet homme raconte sa vie. On ne sait pas comment : exit la mouche puisqu’elle est morte.  Voilà le bonhomme seul, tout seul, soudain rattrapé par des souvenirs en grappes, qui semblent surgir d’une toile d’araignée de la mémoire.

 C’est bizarre, ses souvenirs ont un côté crabes dans un panier. Il y a des moments dans la vie où il suffit de presser un peu le tube d’une mémoire en dentifrice pour avoir juste sur la brosse à dents, un extrait représentatif de sa propre vie. Sorte d’empreinte digitale, où se trouvent compressées toutes sortes d’éléments hétéroclites : histoires d’amour, divers traumatismes et même des réminiscences littéraires.

 Mais en vérité, les anecdotes qui nous sont racontées sonnent tout à fait vrai. Un écrivain ne le dira jamais assez, la réalité dépasse toujours la fiction.

 L’auteur de la pièce est un acteur, psychiatre et dramaturge Argentin. Il est probable que certaines références politiques, sociales auxquelles fait référence l’étrange personnage nous échappent. Néanmoins, nous entendons cette promiscuité du vécu et du fantasme.

 La relation entre l’homme et sa chérie, à la voix douce et grave d’Anouk Grinberg, se trouve dans la même ligne de mire de son attention pour une mouche. Pourquoi ? Parce qu’il raccorde la mouche à une personne solitaire, ici à Marguerite Duras. Parce qu’il parle de solitude à deux ou de cette solitude qui inquiète l’autre.

 En l’espace d’une heure, l’homme en partant de la contemplation  d’une simple mouche aura fait le tour de sa propre vie avec une certaine mélancolie, teintée d’humour jaune.

 L’exercice du monologue est périlleux  mais Jean-Paul SERMADIRAS, comédien de grande classe,  en modulant sa voix réussit à entrainer les spectateurs vers cet obscur personnage.

 Il en est plein de drôles d’humains qui peuvent se permettre par désespoir de dire ce qu’ils pensent et ce qu’ils voient. Alors il ne faut pas les croire ceux qui disent « Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite »

 L’homme dans la pièce n’a pas de nom, il est comme la mouche et après tout Marguerite est un nom de fleur et la mort du genre féminin.

 La mise en scène dépouillée sait mettre en valeur chacune des apparitions, et nous avons l’opportunité d’imaginer les nôtres au fil de ce miroir grandissant.

 Paris, le 12 Mars 2013         Evelyne Trân

MEDEE l’insomnie de l’amour monstre – Mise en scène de Diana DOBREVA – du 19 Mars au 7 Avril 2013 au Théâtre de l’Epée de Bois Cartoucherie – Route du Champ de Manoeuvre 75012 Paris

Spectacle en Français d’après le mythe de Médée

Sur des textes de Euripide, Ovide, Heiner Muller, Jorge-Luis Borges, Diana Dobreva

Écrit et mis en scène par Diana Dobreva

Acteurs: Diana Dobreva: Médée

Olivier Raynal:  Jason

Jean-Charles Mouveaux: Le précepteur

Aneli Pino: La nourrice

Les enfants Durée : 1h10  Spectacle créé au Théâtre Laboratoire Sfumato de Sofia

Le personnage de Médée restera pour l’éternité la femme qui a tué ses enfants.Il n’y a pas d’équivalent masculin de Médée . Si ce personnage exerce tant de fascination c’est qu’il touche au coeur même de la femme, son ventre . Dans l’antiquité, les dieux avaient recours aux sacrifices humains . On se souvient d’Agamemnon qui sacrifie sa fille Iphigénie. C’est encore Dieu qui tente Abraham en lui demandant de tuer son fils Isaac. Bien évidemment, derrière tous ces dieux, ce sont des débordements humains, des faits divers de l’ordre du sensationnel  qui sont rapportés.

Médée fait partie de ces individus qui n’entendent de loi que celle qui est dictée par leurs passions, leurs croyances, leur nécessité vitale. Médée est un monstre parce qu’elle est incapable d’appréhender d’autres voix que la sienne.

Pourtant à travers l’interprétation de Diana DOBREVA, l’humanité de Médée transparait. Elle supplie Jason, de rester auprès d’elle, elle enserre ses enfants dans les bras avant de leur donner la mort.  La passion n’est pas un état ordinaire, Médée est dans un état second c’est cet aspect là que priviligie Diana DOBREVA, de sorte que nous sont épargnés, les visions d’horreur de Jason et les cris des victimes. L’atmosphère est quasi religieuse. L’ordre humain est exprimé par un conteur au visage peint qui jouerait le rôle du choeur antique . C’est une figure équivoque comme celle de la nourrice dotée d’une coiffe, une sorte de heaume très étrange.

La scène prend la forme d’un atrium, aux angles bien carrés et dépouillés . La beauté et la froideur du décor doivent avoir pour rôle de contenir la violence des héros, aussi bien dans leurs ébats que dans leurs affrontements.

Il semble que c’est dans une sorte d’orgasme punitif que Médée sacrifie ses enfants qui ne sont en définitive pour elle que des membres de sa proche chair unis à ceux de Jason.

L’histoire d’amour entre Jason et Médée est physique, Eros et Thanatos s’y trouvent liés comme des frères siamois. Médée écrit avec le sang de ses enfants la trahison de Jason , elle signe par la mort, la fin de son amour pour Jason, l’homme à la toison d’or.

L’ensemble de la mise en scène donne l’impression d’un pinceau qui projette l’état mental de Médée . Dans ces conditions, les personnages deviennent des simulacres, des fantômes, ils n’ont pas d’autre consistance, d’autre réalité que celle qu’entrevoit Médée. Elle sacrifie ses enfants comme dans un rêve. C’est d’ailleurs le moment le plus fort du spectacle,  le plus délicat, le plus sensible.  Tout devient flou, renversant dans l’ombre un atrium imposant, austère et glacé.

Certains reliefs de la mise en scène  peuvent paraître trop accusés et un personnage aussi important que Jason avoir peu de texte, mais la prestation poignante de Diana DOBREVA qui interpréte une Médée, plus humaine que monstrueuse, vaut vraiment le détour.

Paris, le 10 Mars 2013                                           Evelyne Trân

 

 

PHEDRE de RACINE à la Comédie française avec une mise en scène de Michael Marmarinos – en alternance du 2 mars au 26 Juin 2013

Avec
Cécile Brune, Panope, femme de la suite de Phèdre
Éric Génovèse, Théramène, gouverneur d’Hippolyte
Clotilde de Bayser, OEnone, nourrice et confidente de Phèdre
Elsa Lepoivre, Phèdre, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé
Pierre Niney, Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, reine des Amazones (en alternance)
Jennifer Decker, Aricie, princesse du sang royal d’Athènes
Samuel Labarthe, Thésée, fils d’Egée, roi d’Athènes
Benjamin Lavernhe, Hippolyte, fils de Thésée et d’Antiope, reine des Amazones (en alternance)
Émilie Prevosteau, Ismène, confidente d’Aricie
Scénographie, Lili Pézanou
Costumes, Virginie Merlin
Musique originale et réalisation sonore, Dimitris Kamarotos
Lumières, Pascal Noël
Assistante à la mise en scène, Alexandra Pavlidou
Collaboratrice artistique et interprète, Myrto Katsiki
Images du spectacle filmées par Nikos Pastras
Musique enregistrée par le quatuor ENEA
 
Lorsqu’on voit s’avancer Phèdre sur le devant la scène, au dernier acte de la tragédie, c’est un peu  comme si la petite vague lointaine mais vivace qui nous faisait signe dans l’écume, venait par surprise nous éclabousser.
 
C’est toute l’étendue de la mer qu’elle ramène derrière elle, c’est encore elle que l’on imagine debout puis renversée par une vague,  toute frémissante parler seule d’amour.
 
Le metteur en scène Michael MARMARINOS a raison de dire que les mots sont des oiseaux. Une chose est sûre c’est qu’ils sont physiques et que la langue de Racine à le pouvoir d’habiller les corps, les mettre en valeur.
 
 L’intrigue de la tragédie met en balance d’un côté les passions humaines, de l’autre, l’ordre de la Cité. Phèdre, l’épouse de Thésée, un héros légendaire, est éprise de son beau fils Hyppolyte lequel est amoureux d’une étrangère Aricie de souche royale. Mais en vérité Racine s’intéresse bien davantage aux personnages de Phèdre et d’Hyppolyte qu’à celui de Thésée .
 
Le lieu est idéal, les personnages sont les hôtes d’un paysage exceptionnel, la mer et une île, le ciel à perte de vue. Ce paysage s’accorde à leur dignité qui n’a pas besoin d’artifices.
 
Racine dessine ses personnages avec des mots, chacun  ont leurs morceaux de bravoure dans un court laps de temps inouï, arraché au cœur de Phèdre jusqu’à sa mort. Ou comment l’aveu d’un amour interdit suffit à répandre la désolation.
 
Dans le long poème de Racine, ce qui est saisissant c’est que l’amour n’est plus une abstraction, il s’incarne véritablement comme un instructeur invisible de la toute-puissance du désir chez des êtres démunis, bouleversés par une émotion extraordinaire qui tient aux racines de l’existence. Etre c’est aimer, lorsque Phèdre dit « J’aime «  c’est un peu comme si elle venait de naître. Auparavant, elle menait une vie réglée, cernée par le devoir.
 
Phèdre n’est reconnue pour elle-même que par sa nourrice Œnone qui vit par procuration des sentiments que sa condition ne lui permet pas. Mais elle aussi, elle aime sa maitresse sans retour.
 
Il y a un  ruissellement de la langue de Racine, à tel point que la voix de chacun des interprètes s’élève même au-dessus des mots qu’elle traverse. Et les mots dans les phrases s’accordent pour exprimer le chemin hasardeux d’une pensée à la croisée du sentiment et de la raison. Dire du Racine, c’est de la pure folie, puisque les mots vont jusqu’à dépasser la pensée…Ils ont une réalité physique, ils touchent l’herbe, ils  s’accrochent aux ronces, ils scrutent les nuages et ils sont même capables de s’évanouir.
 
C’est prodigieux… Et il nous est bien égal que Racine soit catalogué comme auteur classique. Ce qu’il fait surgir ce sont des paysages de l’âme humaine, arborés par la nature même.
 
Le metteur en scène n’a pas d’autre prétention  que de laisser parler Racine, en offrant au temps de la partition, quelques reflets songeurs, immuables, la mer au loin, une radio qui grommelle, pour dire comment à travers cela qui ne change pas, les passions peuvent se déchainer.
 
Presque en état de grâce, les interprètes  fusionnent avec leurs personnages, naturellement. Il faudrait tous les citer, et parmi eux notamment Clotilde de Bayser, poignante Œnone, Eric Génovèse, Théramène passionné, lorsqu’il raconte la mort d’Hyppolyte et puis bien sûr Elsa LEPOIVRE, si bouleversante Phèdre, à la fois jeune fille et femme, capable de torturer l’âme de bonheur.
 
Il n’y a pas d’assurance tous risques contre l’amour. Ceux qui se rendront à la Comédie Françoise prennent le risque de tomber amoureux de Phèdre, n’en déplaise à Racine !
 
Paris, le 9 Mars 2013                                 Evelyne Trân
 
 
 

Le contraire du soleil de Paola GRECO et Carlos SOLITO, mise en scène de Paola GRECO au Théâtre de Ménilmontant le 27 Février 2013

D’après le livre de Carlos Solito. Textes de Carlos Solito et Paola Greco

Avec: Michael Gaya Amiar , Rachid Fadlaoui, Olivier Kuhn

Assistante à la mise en scène: Ilenia Grammauro

Extraits vidéo de Paola Greco et Alessandro Brossollet

Montage Alessandro Brossolet

  •  Est-il possible de raconter au théâtre l’expérience la plus cruelle que peuvent subir des humains, à savoir celle de l’enfermement ? Dans un atelier de théâtre à Catane en Italie, Paola GRECO a travaillé avec  des détenus de de la section de la haute sécurité « 41 Bis ». Elle s’est associée également à un spéléologue et photographe Carlos SOLITO. La pièce « Tout le contraire du soleil » a été écrite à quatre mains. Sur scène, il s’agit aussi d’une expérience difficile pour le public. L’atmosphère est plombée de bout en bout.

 Le rapprochement entre les explorations  de Carlos SOLITO de l’univers « inconnu, fascinant et mystérieux «  des grottes et les conditions de vie de détenus, est loin d’être évident.  Dans sa note d’intention Paola GRECO explique « SOLITO nous fait traverser le noir, accepter la solitude ». C’est une philosophie personnelle qui, à mon sens, n’est pas  acceptable par tous.

 S’il s’agit de s’engouffrer dans un au-delà des apparences, que fait-on de la réalité et de l’imagination au jour le jour, du vivant et de l’imprévisible et du » sauve qui peut » au ras des pâquerettes  aussi nécessaire que l’eau, le sel et le pain. En prison, «Un rai de soleil devient le Bon Dieu » m’a raconté un ancien détenu. Paul Verlaine a écrit des poèmes sublimes dans sa geôle où l’on entend la pluie couler sur les toits. Jean Genêt a réalisé un film vraiment extraordinaire « Un chant d’amour » qui relate l’histoire de deux prisonniers illuminés, transfigurés  par leur amour.

 Dans la pièce de Paola GRECO et Carlos SOLITO, l’on assiste à une sorte d’agonie de trois hommes parce qu’ils manquent d’air. IL est difficile de détacher leur individualité propre,  tant ils sont absorbés par leur long poème. Le public, du coup, peut s’éprouver exclus, de l’autre côté du mur comme un  visiteur en train de loucher à travers les grilles d’un couvent. En guise de  voile, la projection d’un film sourd, où apparaissent les visages des détenus à l’extérieur, avant leur emprisonnement. Les prisonniers après leur longue méditation tourmentée n’ont pas d’autre issue que celle d’aller dormir pour se transporter, là où ils ont encore la liberté de rêver…

 Paris, le 3 Mars 2013             Evelyne Trân

 

 

Les indiens rient pas comme nous . Une comédie de Zazie HAYOUN au Grand Parquet – Jardin d’Eole, 35, rue d’Aubervilliers 75018 PARIS – du 7 au 31 Mars 2013

Texte et mise en scène : Zazie HAYOUN avec Noémie DELAVENNAT, Melinda GILLET, Zazie HAYOUN et Claire PREVOST.

Et si nous partions en Inde … Aujourd’hui tous les voyages possibles et imaginables sont sur catalogue, et les candidats au tourisme ne sont pas tenus d’apprendre la langue du pays où ils vont atterrir comme les aspirants à la citoyenneté française. Vous me direz cela n’a rien à voir, la différence est de taille. Et pourtant, les trois filles esseulées dont Zazie HAYOUN nous dresse le portrait sont  aussi démunies moralement, culturellement que des réfugiés sans papiers avec des rêves aussi légers que leur porte monnaie. Pour tout bagage, quelques clichés sur le pays suffisamment lourds pour les empêcher de quitter les sentiers battus.Dans la comédie légère que nous sert Zazie HAYOUN, nous assistons au voyage statique de trois frustrées qui font penser à des personnages de Claire Bretecher, aussi nunuches.

Un journaliste invisible semble filmer les trois touristes, dans l’aéroport, leur chambre d’hôtel, la rue, le taxi, le tout en nous faisant partager leurs fantasmes, leurs conversations de la même sauce que celles que nous entendons dans le bus ou le métro; puisque c’est devenu à la mode, il faut raconter tout haut ses problèmes à fond de portable sans se soucier du voisinage. Le téléphone portable est devenu un personnage à part entière qui éclipse tout le  reste. Comme ça, on oublie qu’on est dans le métro, on oublie qu’on est perdu dans la foule,  et on éprouve une subliminale sensation de puissance. On me téléphone, je téléphone, donc j’existe.

Les autochtones n’ont qu’à aller se rhabiller. De ce point de vue, la comédie de Zazie HAYOUN est très démonstrative . Les  trois touristes, il  faudra bien nous rendre à l’évidence,  ne sont pas fichues de décoller d’elles mêmes. Alors leur voyage, il  est aussi bidon qu’un bidon, reste à se demander comment les Hindous perçoivent les touristes, sinon comme des pigeons en mal de voyage.

Un petit théâtre de marionnettes, copies conformes des trois personnages, digère avec cocasserie les tribulations des trois demoiselles. Ce petit théâtre qui  vient et roule comme  un interlude entre chaque scène, est tout  à fait charmant.

Le contraste pertinent entre les marionnettes et le jeu prosaïque des trois comédiennes gagnerait à être plus appuyé, plus exploré. C’est une idée de mise en scène excellente. Car il faut de la couleur, pour donner la pèche à ces touristes qui s’enlisent dans leurs états d’âme . Visages pâles contre hindous et têtes de guignol, en 2013 , ça ne ressemble pas un film de cow boy, ni à un voyage épique de Marco Polo. Ça n’est pas  téléphoné, c’est du pur jus à  la paille, pour des gens comme tout le monde, eh oui, parfois en panne devant leur téléviseur. Soyons fous, gageons que Zazie HAYOUN  continuera à enjamber la rambarde de notre quotidien morose pour nous jeter dans les bras d’indiens qui rient pas comme nous, s’ils existent ! Et c’est toujours à vérifier, nous dit-elle, en souriant .

Paris, le 2 Mars 2013                                           Evelyne Trân