
A propos de Francis Blanche, interprète de M. Plume d’Henri Michaux dans le spectacle « ET CAETERA » (du 7 au 27 Mars 1966) avec Ursula Kubler
Jo Dekmine : Comment j’avais fait la connaissance de F.B. à l’époque, je ne me rappelle plus. On allait bouffer ensemble. Et puis, un jour, en voiture, je me mets à éructer de l’Henri Michaux, et lui enchaine sur le même texte. Donc, on était là où l’on devait être. C’était formidable. Il me disait sa passion pour le living theatre de New York, pour le free jazz, pour tout ce qui se faisait dans l’imaginaire du moment. Il me confiait aussi :
« Je fais des films comiques, où, quelquefois, je donne des indications au metteur en scène parce qu’il est perdu. Je dis « peut être on fera ça, ce serait peut être drôle »
C’était ce genre de choses qu’on lui demandait de faire et qui lui apportait une immense célébrité populaire. C’est un peu ça, qui fait que le monde extraordinaire qu’il développa de par les textes avec Pierre Dac et ses écritures de chansons, et bien n’était peut être pas celui du cinéma, où il était connu. Et du coup, le public énorme de Francis Blanche a été très moyennement au rendez-vous du spectacle d’Henri Michaux dans mon théâtre 140 de Bruxelles parce qu’il ne se reconnaissait pas dans la proposition. Alors, on avait décidé de faire 3 semaines pour le bonheur, et cela ne s’est pas passé si facilement au niveau de la fréquentation, mais d’une manière très, très heureuse au niveau de la passion, oui, de la passion – si vous avez déjà vu tomber une femme amoureuse – et je le vois encore répétant. Au fond, ce spectacle a été de l’ordre d’un engagement absolument absolu de sa part, où il était en dehors des contrats commerciaux déjà signés. Il était ailleurs.
Evelyne Trân : Quand on a dépouillé les archives, on s’est aperçu qu’il avait une pochette avec beaucoup d’articles sur « Et cætera ».
Jo Dekmine : Donc, ça l’a bien marqué. C’est une aventure complètement marginale. On a pris ensemble un risque énorme, joyeux. Et, peu après, on s’est revu au casino de Granville. Il était avec une copine qui faisait un spectacle comme ça, un spectacle chouette. Mais j’allais à Granville quand même juste pour le voir. Ce genre de casino, où, finalement, il y a des bouteilles de champagne, mais les gens boivent de la bière, alors, ça n’a pas pris. Ce spectacle était bien, mais pas du tout dans le ton du 140. C’était à dire qu’il était plus sketch, plus boulevard.
Après le spectacle, je lui dis :
« Il y a ça et ça que j’aime beaucoup, mais ce n’est pas trop pour chez moi. »
D’où le merveilleux mot de Francis, c’est : « Jo a raison, c’est pas pour lui ».
Il savait. Il savait. On s’est embrassé, c’était formidable. On se revoyait. Il avait invité du monde, attends, pas des bourges.
Jean-Marie Blanche : Ah oui, je me rappelle d’en haut du bâtiment de la Reine sur la Place des Vosges, où demeurait mon père.
Jo Dekmine :Qu’est ce que tu as connu ?
Jean-Marie Blanche : J’ai connu des amis de sang. J’ai connu Carmet, j’ai connu Maillan, j’ai connu Darry Cowl.
Jo Dekmine : Darry Cowl. Personne ne sait qu’au départ il était pianiste.
C’est difficile à dire, mais, en fait, le souvenir le plus fort, c’est celui que je vais dire et cela englobe toute la conversation que nous avions.
Ce ton, quel ton. Il a été passionné par ça et il a donné là-dedans. C’était une très belle chose parce que cela témoigne totalement de l’exactitude de ses passions. C’était pas lui officiellement, qu’il faisait très bien. Il avait une science de ça et je me rappelle l’avoir vu bien avant avec Pierre Dac dans un cabaret qui doit être… qui doit porter le nom d’une station à Saint Germain. Il y a un cabaret entre Saint Germain et Odéon, où même des types sans argent, des étudiants – j’étais de ceux là – pouvaient se rendre, et passer un moment de la nuit comme faux spectateurs. Ce n’était pas au moment où il y passait, il y avait quand même du public où passait Léo Ferré en tour de chant et où passait, celui qui a écrit des chansons, celui qui a écrit la Marie Joseph, c’était qui ?
Jean-Marie Blanche : Je ne sais pas, mais ça me rappelle la « Belle Arabelle ».
Jo Dekmine : Qui s’en est vanté ? Quelqu’un d’autre s’en est vanté.
Jean-Marie Blanche : C’est pendant « La belle Arabelle » que mon père et ma mère se sont rencontrés. Attendez, j’en tiens une. Ma mère, récemment, m’a dit qu’ils avaient deux jours de repos. Aussi mon père l’a emmenée à Bruxelles, et c’est là, à Bruxelles, que j’ai été conçu. F.B. a fait toutes les chansons -on dit tous les lyrics- de la « Belle Arabelle »
Jo Dekmine : J’ignorai. Donc, ce jeu entre nous, c’était à la fois le talent, la recherche du jeu et l’amitié.
Jean-Marie Blanche : Vous avez connu Robert Dhéry. Tous ces « branques » habitaient dans le quartier des Batignolles à Paris. C’est ce qui explique la création du spectacle au charmant titre : « Les Branquignols » sur le mot de mon père habitant, ça ne s’invente pas, rue de la Félicité. C’est la source.
Jo Dekmine :En fait, c’était l’époque de la Contrescarpe. Alors un jour -on va peut être le trouver- en fait, la période post rose rouge, voilà. Mais j’ai connu ça, j’étais étudiant aux Beaux Arts. Je faisais des illustrations de livres, d’expositions, de critique d’art et en même temps, je créais mes cabarets littéraires où passaient Boris Vian, Léo Ferré, Marc et André, l’époque des Frères Ennemis. La chanson en question, « La Marie Joseph », je l’attribue à Stéphane Goldman.
Que dire de plus si ce n’est que de toutes les programmations que j’ai faites durant 46 ans, celle-là a été le fruit d’un complot, d’une tendresse particulière puisque, celle de F.B., il a fallu tout construire, tout faire. C’était un projet qui a dû être répété, alors que moi je n’ai pratiquement jamais présenté de spectacle qui ait été répété sous mon œil. Donc, c’est peut être le seul, une aventure unique et c’est vrai, quand j’évoque Francis, c’est l’émotion. C’est dur d’ajouter quelque chose à ça. Ces périodes successives. Il y a eu toute cette école Saint Germain. Il y a eu parallèlement à cela l’écriture Dada, l’écriture surréaliste, une forme d’humour qui n’était pas le comique, et qui, malheureusement, est revenu, le comique télé n’ayant rien à voir avec ça, rien, mais des gens triomphent de ça.
Evelyne Trân : Henri Michaux, a t-il participé aux répétitions ?
Jo Dekmine : Pas du tout. Il était négatif. Il avait très peur de ce que l’on allait faire avec lui. Très, très peur.
Evelyne Trân : Il a quand même donné l’autorisation. Il y a des droits d’auteur tout de même.
Jo Dekmine : C’est pas clair. L’autorisation, on a du la recevoir. En attendant, lui, il n’était pas pour qu’un spectacle se fabrique sur lui. Il ignorait que j’avais 17 textes en cabaret.
Enormément, j’édite tout Henri Michaux. On ne lui a pas dit. On avait excessivement d’égards pour lui. On voyage pour lui.
Evelyne Trân : Francis Blanche, ça ne m’étonne pas qu’il ait été si heureux de jouer du Henri Michaux. Michaux, c’est un poète tout de même.
Jo Dekmine ouvre « Mon oursin et moi » et lit « la vieille anglaise » de F.B.
Jo Dekmine : Et puis, en plus, c’est écrit avec cette espèce de simplicité : c’est comme « les vacances de Mr Hulot ».
Propos recueillis, le 2 Juillet 2009 à Bruxelles


