RES PUBLICA d’après des histoires vraies du 7 au 28 Juillet 2012 au Théâtre des Lucioles à Avignon à 18 H 25

 Conception, mise en scène Alain MOLLOT

Avec : Kamel Abdelli, Joan Bellviure, Frédéric Chevaux, Véronic Joly, Stéphane Miquel. Scénographie et costumes : Charlotte Villermet. Conception sonore : Gilles Sivilotto. Lumières : Philippe Lacombe. Assistante à la mise en scène : Francesca Riva. Cie La Jacquerie. Durée :

 1 h 20.      Mise en texte Guillaume HASSON

 Ils ne disent pas « Je suis français » ou « je suis marocain » ou « je suis malgache » Il n’empêche, ils se côtoient dans une même rame de métro. Ils  communiquent dans la même langue et habitent le même pays, la France. Tout le monde se souvient de la phrase d’un ancien  président de la république « S’ils n’aiment pas la France, qu’ils la quittent ».Cette phrase aurait pu figurer parmi les témoignages recueillis par Elsa Quinette journaliste, autour d’une question « Pour vous la nation  c’est quoi » qui forment la moire du spectacle d’Alain MOLLOT. Au mot nation, on pourrait préférer le mot pays parce que le mot pays possède des résonances plus affectives  plus charnelles et qu’il n’est pas besoin d’être français pour aimer la France et les français.

Le mot nation réveille tout de même des réflexes très chauvinistes. Etymologiquement, le mot nation dérive du latin « natio » qui signifie naissance. Sont français naturellement, ceux qui y sont nés.  

Quand flottait au-dessus de votre berceau, le drapeau bleu, blanc rouge avec sa superbe devise « Liberté, égalité, fraternité « n’entendiez-vous pas la belle chanson de Charles TRENET »Douce France » ? Voilà un bonbon acidulé qui fait du bien à la gorge aux souvenirs d’hommes et de femmes qui ont tous, de près ou de loin, connu les guerres.

Pour recouvrir ce terme abstrait « la nation » Alain MOLLOT fait fuser les paroles de voix anonymes qui étreignent des panneaux d’histoire qui ont marqué  au fer blanc ou rouge leur destinée. L’on mesure la distance vis à vis d’évènements cuisants comme la torture des résistants, les échauffourées de Mai 68 ou plus récemment les révoltes dans les banlieues. Cela peut faire froid dans le dos mais la perspective est pédagogique. D’ailleurs c’est un vieux professeur de latin qui fait office de gouvernant au milieu d’élèves adultes plutôt agités qui représentent en quelque sorte,  la multi conscience du public. Nous voici gaiment revenus à l’école en train de plancher sur desbouts d’histoire qui  ne sont plus si abstraits puisque nous en sommes partie prenante.

D’aucuns pourraient crier « Mai 68, inutile de me l’enseigner, je l’ai vécu, j’y étais ».

L’expérience théâtrale est intéressante. L’on s’aperçoit cependant que ramenée à la collectivité, la parole individuelle est plus difficilement audible. Introvertis,  planquez vos pieds sous la table ou alors rentrez dans la foule et laissez-vous entrainer par la fièvre qui l’anime, car c’est elle, le cœur de notre histoire « Res publica ». Il y a de l’ambiance comme dans les manifestations où les étudiants de tout bord,  lancent leurs slogans en jetant une œillade à leur cher professeur.

Les comédiens, tous excellents, poussent la roulotte de leur spectacle jusqu’à Avignon,  avec une pèche d’enfer. Alain MOLLOT signe une création  très conviviale, instructive et éloquente, tout public.

Gageons que les parents ne pourront s’empêcher d’interroger les réactions de leur progéniture « Pour toi la nation, c’est quoi ? »

 Paris, le 30 Juin 2012             Evelyne Trân

Et encore… Je m’retiens! » d’Isabelle ALONSO au Collège de la Salle Place Pasteur 84000 AVIGNON du 7 au 28 Juillet 2012 à 17 h

 Il en est de l’espèce humaine comme de l’espèce animale.  Qui n’a pas applaudi cette miraculeuse capacité d’adaptation de certains animaux qui adoptent l’apparence du feuillage environnant pour mieux s’y camoufler. Nous oublions facilement que l’humain fait partie aussi de la nature. Cette ignorance nous permet de croire que nous inventons tout, or les images que les humains  tendent à donner d’eux-mêmes obéissent à des réflexes de camouflage de nature éblouissante. A cet égard la publicité joue le rôle de la nature pleine d’appâts, capable de vendre à profusion des leurres  d’hommes et femmes beaux et heureux jouissant d’un paradis sur terre.

 Cela vient à l’esprit parce qu’Isabelle ALONSO,  dans la force  de l’âge (ce qui est un compliment pour un homme et résonne plus péjorativement pour une femme)  semble tout droit sortir d’un magazine féminin à papier glacé. Ceci dit, elle feuillette pour nous tout au  long de son spectacle, avec un fulminant humour, des pages fort croustillantes  de l’imagier féministe qui devient, sous sa plume, une sorte  de pâté doré au four plutôt appétissant et surtout très surréaliste.

 Qui mieux qu’une femme peut parler des femmes. Nous les femmes, nous aurons beau jeu de dénoncer dans la langue française et sa grammaire tout  ce qui sépare le genre féminin du genre masculin. Cet exercice est jubilatoire. Mais il faut bien jubiler, rigolait Elie Kakou, déguisé en attachée de presse. Question style, Isabelle ALONSO n’en manque pas, elle effeuille des vérités avec quelques  spasmes poétiques. Une sorte de gloussement inouï  chatouille notre gosier. Pas facile de parler avec élégance des déconvenues féminines mais  Isabelle ALONSO n’enfonce pas des portes, elle les fait bailler, bouffer en quelque sorte  de façon à plisser les yeux, les oreilles des spectateurs et spectatrices. Pourquoi la mer est-elle du genre féminin et le hoquet du genre masculin ? C’est pas sérieux tout ça ! Quand on pense qu’au siècle dernier la femme devait demander la permission à son mari  pour n’importe quelle transaction financière. Le moyen âge au siècle dernier ?!!!!  Et nous croyons être libérées, nous les femmes, pas si sûr. On n’efface pas des siècles d’assujettissement avec un stylo qui bave. Seul l’escargot a le droit de baver heureux  parce qu’il est hermaphrodite.

 Aussi, il est de salubrité publique pour nos antennes rougissantes d’aller écouter  maîtresse Isabelle ALONSO agiter sa férule d’hardie féministe. C’est sur le Pont d’Avignon, qu’elle y danse, elle y danse avec les mots.

  Paris, le 28 Juin 2012       Evelyne Trân

 

 

OLEANNA de David Mamet au Théâtre du Lucernaire – 53 Rue de Notre-Dame des Champs 75006 PARIS –

 Du mardi au samedi à 20h Du 20 juin au 1er septembre

Auteur : David Mamet
Auteur du texte français : Pierre Laville
Mise en scène : Patrick Roldez
Avec : Marie Thomas et David Seigneur
Durée : 1H10

P.S Patrick ROLDEZ, Marie THOMAS,  sont les invités de « DEUX SOUS DE SCENE » en direct sur l’antenne de Radio Libertaire, 89.4 , Samedi 7 Juillet 2012 de 15 H 30 à 17 H ( l’émission peut être écoutée ou  enregistrée grâce au podcast) .

Il y a une réalité incontournable que le discours ne saurait atteindre, c’est celle de l’émotion. La pièce de David MAMET plonge les spectateurs dans un véritable cauchemar, un huis clos entre un professeur et son étudiante. C’est une situation cauchemardesque si l’on songe que la rencontre entre ces deux individus n’aurait pas lieu d’être en dehors de cette situation préconçue, les rapports de hiérarchie complètements assujettis aux  conventions sociales dont le mot d’ordre est « Pas de bruit, pas de scandale ».

 L’intérêt majeur du huis clos de David Mamet c’est de montrer comment l’émotion, qui ne serait qu’un coup de vent, est de nature à faire basculer le plus beau château de cartes, en l’occurrence, la belle maison qu’un professeur brillant est en train d’acquérir.

 Le coup de vent c’est l’étudiante qui parait au prime abord inoffensive, inhibée par un sentiment d’infériorité. Le tour de force de l’auteur sera de renverser la situation en faisant du  professeur la victime de l’élève, tout simplement parce que cette dernière aura su tirer parti de son sentiment d’humiliation pour humilier à son tour celui qui,  à son corps défendant, l’aura nourri.

 La mauvaise foi est à l’honneur dans  cette pièce, ce qui permet de rendre justice à son efficacité. Elle sert aussi la hargne de l’élève vis à vis du professeur devenu cynique par conformisme.

L’élève finit par tirer le taureau par les cornes et comme il ne peut pas y avoir deux taureaux face à face, il faut assister à l’humiliation du professeur.

 Tout à l’air de se passer au  niveau de la parole. C’est l’imposture du pouvoir intellectuel incarné par un professeur juché sur sa tour d’ivoire que dénonce l’élève qui cherche sa propre voie.

 De sorte qu’elle représente une certaine espérance et qu’au-delà des rapports de  dominé-dominant, au-delà de la  caricature, l’on peut  entendre aussi la voix d’un intellectuel qui doute.

Il n’y a pas de professeurs sans élèves et vice versa. Construite comme une farce, la pièce engage une réflexion sur la transmission des valeurs. Mais qui veut faire l’ange fait la bête, «Qu’attendez-vous de moi» se demandent chacun des protagonistes en se renvoyant la balle.

 La direction des comédiens que l’on doit à Patrick Roldes est si impressionnante que l’on peut se repasser en images comme dans un film muet, les attitudes, les postures, les grimaces, les échauffourées des deux interprètes. Leurs corps parlent autant que leurs mots.

 C’est un spectacle surprenant, sous tension permanente où ce diable de David MAMET joue aussi bien du corps que  de la tête, remarquablement servi par Marie THOMAS et David SEIGNEUR.

 Paris, le 23 Juin 2012                  Evelyne Trân

Les Amants de Séville ou Les Noces de sang de Carmen et Don Juan, festival du Futur Composé au Théâtre Silvia Monfort – 106 rue Brancion 75015 PARIS – du Samedi 16 au Dimanche 24 Juin 2012

OPERA  du 19 juin 2012 au 24 juin 2012

  • opéra comique conçu par Gilles Roland-Manuel
    à partir d’opéras de
    Mozart, Bizet, Rossini
    mise en scène
    Tristan Petitgirard
    avec
    Label compagnie, l’Ensemble Calliopée, la chorale d’AL-les Vives voix et tous les artistes du Futur Composé…

  

Quel beau feu d’artifice de bonheur, hier soir, au théâtre Sylvia MONTFORT, à l’issue de la représentation des Amants de Séville, l’opéra très original imaginé par Gilles Roland- Manuel, Président fondateur du Festival Futur Composé .

 L’association du Futur Composé conjugue la création et l’esprit de tolérance. Tous les deux ans, les organisateurs du festival créent un spectacle auquel sont associés des autistes, des éducateurs, et des artistes professionnels. Au départ, il s’agissait de faire quelque chose ensemble, soignés et soignants. Ensuite, des artistes se sont joints à l’aventure, certains se sont impliqués comme Catherine BONI, artiste lyrique qui travaille avec des autistes.   Des handicapés ont pu devenir comédiens professionnels  formés par le Théâtre du Cristal.

 L’esprit de tolérance avait été symbolisé par le cheval bleu de Franco Brasiglia, une sorte de cheval de Troie qui un jour, a forcé la porte d’un hôpital psychiatrique, témoignant des liens qui s’étaient si bien créés entre « malades » et soignants,  qu’ils devenaient une arme de lutte contre l’exclusion dans une société qui valorise les forts et traite d’assistés les plus faibles.

 Avec beaucoup d’humour Gilles Roland MANUEL a organisé la rencontre entre Don Juan et Carmen, deux célèbres séducteurs espagnols. L’idée audacieuse a conquis Catherine BONI et le jeune mais aguerri metteur en scène Tristan  PETIT GIRARD.

 Les mouvements des tableaux composés de comédiens, autistes, artistes (Avez-vous remarqué  comme les mots autistes et artistes qui ne se distinguent que par une lettre vont bien ensemble) sont menés d’une main de maître qui valorise chaque entrée en scène, chaque intervention et tous les chœurs qui interprètent des chants tirés de quatre opéras : Carmen de BIZET, les Noces de Figaro de MOZART, le Barbier de Séville de ROSSINI et le répertoire FLAMENCO.

 Et comme les costumes sont magnifiques, les danseurs impressionnants, les comédiens et les musiciens inspirés, le public ravi serait prêt à envahir la scène pour danser à son tour.

 Un spectacle qui vaut  le détour et  le retour. C’est maintenant, il faut s’y rendre toute affaire tenante, c’est extra comme disait Léo Ferré  !!!!

 Paris, le 20 Juin 2012                                      Evelyne Trân

 

LA PITIE DANGEREUSE d’après le roman de Stefan ZWEIG au Théâtre du Lucernaire – 53 rue Notre-Dame des champs, 75006 Paris –

Du mardi au samedi à 21h30
Du 6 juin au 30 septembre 2012
Dimanches 10, 17 juin et 16, 23 et 30 septembre à 15h

Relâches les 20 et 21 juillet

Auteur : Stefan Zweig
 Mise en scène : Stéphane Olivié Bisson
Avec : En alternance : Arnaud denissel, Maxime Bailleul ; David Salles, Roger Miremont ; Elodie Menant, Jean-charles Rieznikoff, Salima Glamine
Durée : 1h10

Appel d’air, appel d’âmes !  La pitié dangereuse de Stefan Zweig fait partie de ces romans propres à attiser nos interrogations perpétuelles sur les difficultés des relations humaines et qui offrent grâce au  miroir du narrateur, un terrain favorable à l’expression des mondes intérieurs d’individus, prisonniers de leur  rôle social.

 Avec Stefan Zweig, nous découvrons comment nous pouvons être humains, en prenant simplement notre temps, celui d’observer, s’intéresser à tout ce qui passe par un visage, tout ce qui résonne dans l’attitude d’un individu, cela qui crie, tressaille, bronche,  sourit ou souffre en silence.

 Ses héros sont souvent des êtres comprimés par leur solitude, qui se confessent avec une certaine élégance. Les personnages commencent à se lâcher lorsqu’ils ne sont plus narrateurs mais acteurs. C’est ce qu’a bien ressenti, l’adaptatrice du roman pour le théâtre, Elodie Menant.

 Pour résumer, la pitié dangereuse c’est l’histoire d’un jeune homme confronté à ses émotions vis-à-vis d’une jeune femme qui possède toutes les caractéristiques de  l’étrangère, d’une part, à cause de son infirmité,  d’autre part aussi, parce que tout indique chez elle, une nature passionnée.

 Dire que ce personnage, Edith, tombe éperdument amoureuse du lieutenant  qui vient lui rendre visite par pitié, c’est un peu court.

En réalité, le lieutenant est également infirme parce qu’il se trouve désarmé, impuissant devant la souffrance d’autrui. La mise en scène,  l’interprétation du comédien Arnaud Denissel, qui fait de ce jeune lieutenant,  un individu gauche, timide, effaré, inclinent le spectateur à éprouver de la pitié pour celui-là même qui en est submergé.

 La représentation théâtrale permet au spectateur de retrouver son rôle premier au sens propre, celui d’assister à un évènement spectaculaire : une jeune femme paralysée trône au milieu de la scène, et soudain,  elle se lève comme si elle avait bu quelque filtre magique, comme s’il lui fallait rendre l’âme par amour, comme si la vie ne tenait qu’à un fil, celui de l’amour.

C’est totalement irrationnel, mais c’est rendu grâce à l’interprétation bouleversante d’Elodie Menant.

 Du coup, les tergiversations du lieutenant passent au second plan. Battue en brèche, sa conscience devient une forteresse vide qui fuit sous les remparts.

 « La volonté de l’individu, ce grain de poussière » fermentent la conscience humaine comme les gouttes d’eau,  la mer.

 Un spectacle réussi, où tout concourt, la mise en scène, le jeu des interprètes, à évoquer ce que met toujours en relation, Stefan Zweig : la conscience collective, ici, l’atmosphère pesante d’une société à la veille de la première guerre mondiale, et la conscience  individuelle, sous le seuil de la pitié, « La pitié dangereuse ».

  Le 15 Juin 2012                 Evelyne Trân

Le destin non incroyable d’une fille presque ordinaire de Christophe CHALUFOUR au Théâtre de l’AKTEON – 11 Rue du Général Blaise75011 PARIS du 6 au 30 Juin 2012 DU MERCREDI AU SAMEDI A 21 H 30

  Mise en scène Valentin Capron  Jeux  Hortense Belhôte, Valentin Capron,

Christophe Chalufour, Sarah Cohen-Hadria, Fréderique Renda

Un destin sur un plateau comme au self-service avec entrée, plat et dessert. Vous  faites  la  queue comme tout le monde, vous dévorez des yeux les menus et ensuite vous passez à la  caisse. Cela vous en bouche un coin, n’est-ce pas. Avec Christophe CHALIFOUR, les plats défilent à toute allure. Très doué, il pourrait vous fabriquer une bio à la mesure de vos délires. Dans les coulisses, à la cuisine, il dispose sur ses étagères de toutes les épices et condiments possibles. Toutes ses fioles sont remplies à ras bord de citations d’auteurs  célèbres qui  ne demandent qu’à s’échapper pour aller et venir parfumer, attendrir votre sympathique destinée. C’est ainsi que sans le savoir, Emilie, l’héroïne de sa pièce, en proie à une bouffée guerrière, devenue déléguée syndicale, déclame une partition du Cid de Corneille, ou bien victime de l’amour s’enlise dans les vapeurs énamourées d’Anouk Aimée sous les yeux de Jean Louis Trintignant.

En réalité, le destin d’Emilie ne peut se décliner en clichés sommaires. Dopé par la sauce Shakespeare, Tchékhov et bien d’autres, le biographe exulte tant et si bien que les spectateurs se retrouvent dans l’ambiance d’un marché aux puces, prêts à  tendre la main  aux compagnons  d’Emmaüs. Cela devient très vite gigantesque : pas tout à fait la muraille de Chine mais presque, une montagne de vêtements que s’approprient avec une célérité digne des abeilles,  les comédiens personnages conteurs de l’histoire d’Emilie.

 En ce moment, il y a une exposition au Musée du Quai Branly, intitulée « Les maîtres du désordre». Dans le convoi de nos destinées, j’aperçois sans peine debout sur  le train de marchandises, ces joyeux comédiens nous faire des signes en chantant « Nous sommes les maîtres du désordre ». Quel plaisir de se dire en levant les yeux vers les nuages ‘Tiens je crois que j’ai entendu Musset et les Pink Floyd et Gabin».

 Il y en aura pour toutes les musettes. Que les  spectateurs  ne craignent pas de prendre le train en marche, une locomotive électrisée même par des vieux classiques, dès lors qu’elle est conduite par des jeunes artistes imaginatifs est capable de renverser bien des vapeurs.

  Paris le 10 Juin 2012                       Evelyne Trân

 

 

Un chien dans ma vie. Une comédie canine de Sophie GUITER au Grand Parquet du 7 Juin au 1er Juillet 2012

 « Chienne de vie » Ben voyons ! Ne râlez pas, c’est inutile ! Dîtes plutôt, ma vie est une chienne. Allez savoir pourquoi, le mot chienne à des relents péjoratifs. Un chien dans ma vie, voilà un titre qui résonne plus doux, plus sensible. Mais à quelle sorte de chien avons-nous affaire dans la pièce que nous délivre la talentueuse auteure, comédienne Sophie GUITER ?

 Un sans domicile fixe, un pauvre chien  « décanisé » qui n’a rien à envier au sort d’une pauvre  vétérinaire qui finit par échouer dans le hangar déshumanisé de croquettes pour chiens et chats.

 Il y a de la psyché dans l’air. De tout temps, les hommes se sont demandé si les animaux avaient une âme. Sophie GUITER ne se pose même  pas la question. Pour elle, cela va  de soi et pour preuve, elle met en scène une sorte d’histoire d’amour entre un chien et une jeune femme solitaire.

 C’est une situation plutôt confondante que celle d’un chien qui trouve refuge chez une vétérinaire qui se prend pour un psychanalyste et installe sur son divan le chien bourru, abandonné par son maître.

 Quelques tableaux surréalistes sont de bon aloi. D’autant que le chien est joué de façon très convaincante par Thierry Gibault qui se gratte le museau et grogne avec beaucoup de malice.

 On croit rêver lorsque l’on voit la vétérinaire en robe de mariée allongée côte à côte avec son compagnon sur l’herbe. Chien-homme, femme-chienne ? Pourquoi pas. Nos réflexes ne vont-ils pas dans le  même sens, que nous soyons humains ou chiens.  Que demandons-nous à la  vie ? Un peu d’amour, un peu de rêve.  Le chien qui s’appelle « Fous le camp » aboie de temps en temps parce qu’il a besoin d’être aimé. Et la vétérinaire qui n’est pas intellectuelle bien qu’elle se soit essayée à la psychanalyse, a un cœur si tendre.

 Il s’agit probablement d’une situation vécue transposée au théâtre. Une histoire d’amour si curieuse qu’elle devrait permettre à bien des insensibles de regarder d’un autre œil ces animaux domestiques.

Après tout, s’ils avaient une âme et s’ils parlaient, ils pourraient remplacer bien des hommes au chevet des femmes.

 Dans la pièce, « Fous le camp »n’a qu’un seul défaut, il est bavard.Nous l’excuserons, parce que c’est un chien très intelligent qui comprend sa dame. Etre compris, quel bonheur !

Sophie GUIBERT signe un bel hommage à nos compagnons les chiens. Cela se passe au GRAND PARQUET,  sous un chapiteau de cirque chatoyant et le spectacle de ce couple inattendu, donne le vertige.

 Paris, le 10 Juin 2012   Evelyne Trân

YAACOBI ET LEIDENTAL de Hanokh Levin – Mise en scène de Alain BATIS au Théâtre de l’Epée de Bois – Cartoucherie de Vincennes- Du 6 au 10 juin 2012 du mardi au samedi à 21 H , dimanche à 18 H

 Pour se remplir de bonne humeur en fourrant sous le lit tous nos mauvais sentiments, il suffit de se  lever du pied droit comme Yaacobi, un beau matin en déclarant « Je suis le maître de ma vie ». C’est comme ça, les états d’âme, ça ne s’épluche pas comme des patates, ça tombe sous le sens « Eureka, j’ai décidé d’être heureux, eureka j’ai décidé de n’en faire qu’à ma tête ». Cela fait penser  aussitôt à l’enseigne délavée du petit pavillon qui jouxte le théâtre de l’Epée de Bois, « Au fol espoir ».

Ce fol espoir, ce feu follet de la vie, éclaire les spectateurs ravis comme des enfants venant de découvrir une nouvelle pousse dans le jardin avec un orchestre d’arbres fruitiers : violoncelle, piano, clarinette et voix.

Car les personnages de cet auteur aussi attentionné qu’un entomologiste vis-à-vis de ses bestioles, sont de drôles de lézards agités, apeurés, très prosaïques en somme. Ils parlent du malheur comme d’une cuillère mal lavée, ils courent après leurs désirs comme à la chasse aux  papillons ou à l’ennui, de sorte que  cela suffit entièrement à  leur train de vie, à la trame de leur existence. Et si, et si pour changer, racontent-ils en fin de piste, je faisais de la politique, je rentrais au couvent…

Avec Hanokh Levin, tout passe à la trappe : l’amour, l’amitié, la sincérité, le sexe. Le désir leur tient lieu de casquette et quand elle n’est plus ensoleillée, ça ne tourne plus rond dans leurs petites têtes, ils rempilent pour un autre tour avec des chansons désopilantes pour se tenir les côtes, et faire rire la galerie des musiciens, observateurs planqués dans les arbres.

 Nous avons droit à des tableaux succulents : chambre nuptiale, terrasse de café, jusqu’à celui de l’homme, Leidental qui s’offre en cadeau de mariage. La vie, un jeu de farce et attrape, tout simplement. A partir de ce constat, le « tout est permis » braille comme un nouveau-né.

  Notre sens de la bienséance en prend pour son grade, mais nous sommes au théâtre là où il est encore possible d’entendre un ange passer quand la belle Ruth dont  l’estomac balance  entre deux mâles, avoue « Je suis une salope ».

 Voilà un spectacle complet pour les yeux, les oreilles et notre sens aussi de l’équilibre, car ne l’oublions pas la terre continue de tourner et si les chiens aboient après la lune, les hommes aboient après leurs rêves, en symbiose avec  les musiciens, anges ou sorciers d’après Hanockh Levin.

 Nous avons apprécié la scénographie très sobre et lumineuse qui permet à notre imaginaire et à celui des comédiens d’entrer en piste de façon époustouflante. Et nous avons envie de remercier la traductrice des pièces de Hanockh Levin, Laurence  Sendrowicz, l’auteure des Cerises au Kirsch, les comédiens tous formidables, Raphaël Almosni, Jean-Yves Duparc, Emmanuelle Rozès, les musiciens transportés par la création musicale de Cyriaque Bellot : Lousie Chirinian (violoncelle), Alain Karpati (clarinette), Marc-Henri Lamande (piano) et  bien entendu, Alain Batis, le metteur en scène, le maitre d’œuvre de ce spectacle enchanteur qui devrait faire le tour du monde !

 Paris, le 9 Juin 2012             Evelyne Trân

 

 
 
   
   
Création musicale Cyriaque Bellot
Scénographie Sandrine Lamblin
Lumières Jean-Louis Martineau
Costumes et maquillages Jean-Bernard Scotto
Direction vocale Mira  Young
Régie  tournée Nicolas  Gros et Emilie Tramier

 

 

 

 

LA DISPUTE de Marivaux Mise en scène Vincent Dussart – Récréation 2011 – Du 7 au 28 juillet 2012 au Festival Off d’Avignon Collège de la Salle / Théâtre du Préau

  Quand le sentiment du tragique découle d’un cri plaintif, inattendu. J’ai fait cette surprenante découverte en élevant une famille de cochons d’inde. En l’espace d’une année, cette famille a tout connu, les deuils, les naissances, le meurtre, l’inceste etc.

Un jour, j’ai installé dans leur foyer, ma première cochonne d’inde Bérénice avec ses deux enfants jumeaux, un mâle et une femelle. Le fils et la mère se sont si bien entendus qu’ils ont tué la 2ème femelle indésirable dont le cri résonne encore dans mes oreilles.

Fort déçue par les mœurs de ces animaux, j’ai fini par les vendre au marché aux oiseaux de l’ile de la cité. Mais j’étais assurée que Bérénice déjà grand-mère, toujours en pleine forme, continuerait ses conquêtes. Vous me direz cela n’a rien à voir avec la comédie à laquelle nous convie Marivaux. Cependant, les êtres qu’il nous demande de regarder à travers la lucarne de notre bienséance nous surprennent autant que des souris élevées en laboratoire.

Quels étaient donc les mœurs de nos ancêtres primitifs, faut-il remettre en cause le jardin d’Eden ? Cette famille nombreuse que constitue l’humanité, pourrait elle être le fruit d’une discorde originelle plus juteuse que la pomme que se sont partagés Adam et Eve. Etrange tout de même ce scénario de Marivaux qui met en scène deux couples d’échantillons humains, élevés en cage, par  des domestiques improbables, à titre expérimental, pour le bien  de l’humanité qui a besoin de savoir tout de même : Qui de la femme ou l’homme est responsable de la zizanie sur   terre,  de nos comédies ou tragédies de mœurs.

Si Marivaux pointe du doigt la femelle c’est parce qu’il est évident pour lui que l’essence féminine porte en elle le venin de la séduction. Mais, nous assistons aussi aux premiers émois de l’adolescence et les tuteurs cerbères possèdent les réflexes convenus des parents qui mettront toujours en garde leur marmaille sur la vanité de leurs désirs avant de les abandonner à leur sort. Donc, cette histoire d’élevage d’échantillons humains coupés de la société nous renvoie assez facilement au microcosme de la famille. Pourtant c’est la forme accentuée d’Eglé, la première Eve, qui retient vraiment l’attention de Marivaux. Elle est héroïne parce que solitaire et ne renoncera jamais au reflet  qui la prolonge et qui va bien au-delà de la prévenance du regard d’un seul homme. Oui, dit Marivaux l’inconstance naquit aux bords de lèvres d’une femme, et ce sont les hommes qui subissent ses caprices depuis la nuit des temps.  Ils ne sont pas infidèles, ils obéissent simplement à  leurs charmes qui doivent bien être plusieurs pour former une famille. Eglé, petite adolescente qui sonde ses charmes dans le miroir ne peut qu’être déçue par le regard du premier homme car celui s’inscrit dans la réalité dont elle n’a que faire, comprenant qu’il arrêtera sa course fantastique.

 Marivaux serait-il féministe ? Le fait est qu’il suggère une condition féminine fort complexe, qui dépasse l’argument même de la pièce.

Dans la mise en scène de Vincent Dessart, nous avons la vision de corps  qui se collent, se décollent les uns des autres, et finissent par s’entre-déchirer. Une vision de la société humaine au premier acte, tragique. Les acteurs sont rendus à leur animalité, telle que l’entend Marivaux, c’est-à-dire une animalité qui ne devient repoussante que parce qu’elle renvoie au clivage de la conscience qui aurait du mal à accepter cette origine animale, alors même qu’il s’agit encore et toujours de magnifier ce qui distingue l’homme de l’animal.

Un clin d’œil nous renvoie aux spectacles de télé réalité actuels qui n’ont rien à envier à cette mise en cage  par Marivaux d’embryons humains. C’est plutôt drôle, cela frôle l’absurde et le misérable. Faut-il donc aussi changer notre regard ? J’entends que celui qui regarde a influence sur celui qui est regardé et que celui qui louche en douce à travers le trou de la serrure pourrait bien jouer le rôle de l’arroseur arrosé .Ca peut faire très mal. La mise en abyme de Marivaux est toujours aussi actuelle. Dans ce théâtre d’ombres, les protagonistes parfois ont l’air de déplacer, de trainer soit des branches d’arbres tronqués,  soit des arbres entiers, qui émergeraient de leur conscience flageolante. Ils dansent avec leurs corps et crient avec leurs gestes. Et en suspension, la langue oh combien fraiche de Marivaux les arrose. C’est un spectacle émouvant, fort bien servi par ses interprètes et la mise en scène à la fois discrète et offensive.

 Et me revient le cri plaintif d’Eglé qui s’échappe de notre miroir !

   Paris, le 23 Janvier 2011   et le 6 Juin 2012                   Evelyne Trân