« A quoi sert le théâtre ? » Edito d’André BENEDETTO pour la Rue des Poètes

  Je n’ai jamais eu envie de m’exhiber où  que  ce soit, ni même de me faire remarquer de quelque manière que ce soit. Je souhaite passer inaperçu, ne pas attirer l’attention et ne jamais faire aucun mal.

 Je suis prêt cependant à monter chaque soir sur une scène pour m’exprimer en pleine lumière devant un public et jouer. Je fais même tout ce que je peux pour cela. Il me semble que (malgré tout) c’est bon pour ma santé et il me semble aussi que j’ai quelque chose de très intéressant à dire et à montrer à mes congénères.

 Quoi exactement je dis et je montre, je ne le sais pas bien et ne peux guère l’expliquer. Ça me parait être d’une absolue nécessité. Si nécessaire même qu’il se trouve toujours au moins quelques personnes pour venir me voir et m’écouter.

 Elles m’assistent en quelque sorte et alors le théâtre a lieu. Après quoi, soit dit en passant, mes chers amis, il vaut mieux ne pas trop s’attarder à manger et à boire.

 Ces personnes qui viennent savent peut-être mieux que moi à quoi sert et à quoi leur sert le théâtre. De même que la lumière leur donne une ombre et que le miroir leur donne un reflet, de même le théâtre leur donne un double et même plusieurs : le petit bonhomme dedans qui crie au secours, et toute une foule de sosies bien différents les uns des autres.

 Ce reflet, cette ombre, ces doubles qui bougent et se modifient sans cesse fournissent à ces gens des indications précieuses sur leur corps, sur leur situation dans l’espace et dans le temps, sur leur apparence, leurs airs, leurs gestes, leurs pensées secrètes, leurs sentiments cachés…

 Elles savent ainsi beaucoup mieux où elles sont, qui elles sont, d’où elles viennent et même où elles vont ! Elles ont du moins l’impression de le savoir intensément un bref instant.

 Plus la tempête est grande sur la scène, plus le héros est malmené, et plus il sert de phare pour faire le point à tous ces immobiles dans le silence de la salle, très agités à l’intérieur d’eux-mêmes et très désemparés.

 Le théâtre ça les apaise, ça les soulage et ça les éclaire dedans. On peut alors penser qu’ils deviennent un peu meilleurs tous ensemble.

 André BENEDETTO Théâtre des Carmes Avignon   

 Article paru dans Rue des Poètes en Mai 2000

 

VOLPONE AU THEATRE DU RANELAGH – 5 RUE DES VIGNES 75016 PARIS- DU 28 MARS AU 2 JUIN 2012 –

 De Toni CECCHINATO et Jean COLLETTE d’après Ben JONSON  Adaptation : Jean COLLETTE et Toni CECCHINATO  Mise en scène : Alfred LE RENARD, Céline SORIN  Assistant à la mise en scène : Yannick ROSSET  Conseiller artistique : Serge PAPAGALLI Création musique : Samir DIB Scénographie : Daniel MARTIN Costumes et perruques : Marie-Ange SORESINA Masques et Marionnettes : Christophe KISS Création lumières : Arnaud VIALA Maquillage : Johannita MUTTER  Diffusion : En Votre Compagnie

Avec : Grégory BENOIT, Samir DIB, François JUILLARD, Anne MINO, Yannick ROSSET, Céline SORIN.

Dates / Horairesdu 28 MARS AU 2 JUIN 2012 Du mercredi au samedi à 19h, matinée samedi à 14h et dimanche à 15h RELACHES EXCEPTIONNELLES 1er avril et 11 mai

 Il trône sur  la scène une curieuse boîte, une armoire métallique sans yeux, de la taille d’une cabane qui a l’allure d’un bunker abandonné muni, d’un tout petit cadenas très mignon qui fait déjà sourire. A peine notre regard s’y est-il attaché, magique sans le savoir que la boite s’ouvre comme une fleur.

 Sous nos yeux ahuris, apparait une sorte de bête, assez proche de l’orang outan, cintré par de beaux mannequins androgynes, qui exécute pour la galerie une superbe danse de Saint Guy. On se croirait dans un stand de foire et l’animal en question, Volpone expose ses pectoraux.

 L’histoire du riche marchand autour duquel gravite une quantité de parasites est vieille comme le monde. Mais le personnage de Volpone créé par Ben Janson  contemporain de Shakespeare, n’est pas si bête.  Avec le leurre de l’héritage comme appât, il entend faire son miel de la convoitise de ses parasites, en se faisant passer pour mourant.  Volpone, capitaliste à coup sûr, puisque le beurre et l’argent du beurre, ça marche.

 Dans cette farce truculente, ce n’est pas l’amour qui est ’aveugle mais l’argent. De sorte que l’âme damnée de Volpone, Mosca n’a aucun mal à duper à tour de bras tous les prétendants. Mosca s’y emploie avec un malin plaisir, et tout le monde rit de voir le sort de ces misérables marionnettes, suspendu aux verdicts  d’un tribunal de juges à têtes de crapauds et aux allocutions d’un avocat véreux. Qui a dit que nous pouvions faire confiance à la justice humaine ? La parole est à l’avocat. D’ailleurs, Mosca en porte l’habit avec une élégance à faire pâlir tous nos politiciens.

 La mise en scène finement diabolique et réglée comme du papier à musique déploie sa galerie de pantins avec un charme ravageur, celui du théâtre de guignol quasi intemporel. C’est très expressif et surtout très divertissant.

 Les enfants pourraient voir en Volpone un personnage de dessin animé; il a une façon de montrer son derrière… Enfin, ne le répétez pas, Volpone à mi chemin entre Caliban, Bacchus ou plus près de nous, Oncle Picsou, a de beaux jours devant lui. Il s’exhibe au Ranelagh, un théâtre qui fait penser aux « Enfants du  paradis» et rutiler de plaisir.

Paris, le 29 Mars 2012                               Evelyne Trân

 

 

 

PLATONOV MAIS… d’après Platonov d’Anton Tchekhov au Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes – Route du champ de manoeuvre 75012 PARIS

  • ·         du 23 mars au 15 avril 2012 du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h
  • ·         traduction Françoise Morvan et André Markowicz (Ed. Solitaires intempestifs)
  • ·         par le Théâtre à cru
  • ·         adaptation, conception et mise en scène Alexis Armengol batterie, son : Stéphane Bayoux, lumière : François Blet, scénographie : James Bouquard, régie générale : Rémi Cassabé, diffusion et création costumes : Audrey Gendre, production : Marie Lucet, administration : Isabelle Vignaud
  • ·         avec Stéphane Gasc, Céline Langlois / Valérie Moinet (en alternance), Alexandre Le Nours, Édith Mérieau, Christophe Rodomisto, Laurent Seron-Keller, Camille Trophème

D’emblée, mieux vaut le dire, le nouveau spectacle de la compagnie THEATRE A CRU, PLATONOV MAIS…. ne s’adresse pas aux puristes de Tchekov.Il s’agit d’une adaptation d’une première pièce inachevée de Tchekhov qu’il écrivit  à 18 ans alors qu’il était encore au lycée, et qui ne fut jamais jouée de son vivant.

Qu’est-ce qui pousse un jeune à écrire ? Pourquoi, comment ? Un exégète de  de TCHEKOV, devrait trouver dans cette pièce de jeunesse la marque de son œuvre future.

De fait, cette pièce foisonne d’interrogations existentielles. Il y sourd une certaine angoisse, celle d’un jeune qui se demande ce qu’il va devenir, qu’est ce qu’il va pouvoir faire dans une société qu’il appréhende d’un regard cynique.

Tchékhov vient de vivre l’éclatement du foyer familial suite à la ruine de son père. Dans cette pièce, il évoque le milieu petit bourgeois dont il est issu, il fustige l’oisiveté, l’inertie des étudiants, il s’adresse aussi au père de façon extrêmement crue et violente mais surtout il porte son regard sur les femmes de manière assez inouïe comme si l’avenir de son personnage Platonov, pouvait dépendre d’une ou plusieurs femmes.

Comment aborder une femme ? Quel adolescent ne s’est pas posé la question ? Il y a toujours eu plusieurs types de femmes : l’amante, la mère des enfants, l’amie confidente.

Voilà le cynisme affiché du personnage mis à dure épreuve. Platonov ne veut pas choisir, il parle à toutes à la fois parce qu’il les aime toutes et que sans doute à travers elles, il a le sentiment d’exister.

Est-il criminel d’aimer plusieurs femmes ? Platonov se pose aussi cette question. Cela peut paraitre très naïf aux esprits adultes et corrompus. Mais Platonov, aux prémisses, peut encore la soulever cette épine dorsale du désir, le sentiment.

Dans la navette qui ramenait les spectateurs au métro, un jeune homme a demandé, l’air plutôt inquiet, à une dame mûre inconnue : « Quelle femme  choisiriez-vous ? – Si j’étais un homme a répondu la dame, je me les serais toutes faites». Les copines ont éclaté de rire mais le jeune homme est resté muet devant cette réponse plutôt vulgaire.

Parce que Tchekhov est tout sauf vulgaire. C’est là où le bât blesse. C’est l’un des auteurs qui a su peindre de façon la plus subtile les intermittences du cœur de ses héroïnes. Dans cette œuvre de jeunesse, le regard de Tchekhov est encore brouillé mais il annonce d’autres pièces majeures comme « Les trois sœurs », La cerisaie », » La mouette » et nous ne pouvons qu’inviter les jeunes spectateurs à les découvrir également.

Le metteur en scène dit avoir voulu capter dans cette pièce : la volonté de changement intime et politique. La scène du théâtre est spacieuse, elle permet de faire se mouvoir sur un même plateau plusieurs plans, plusieurs champs de vision concomitants. Ceux-là même qui assiègent l’esprit du personnage  débordé par ses affaires amoureuses et ses velléités de départ, de changement. Voilà qui n’est pas nouveau. On croirait entendre le cri de révolte de Daniel BALAVOINE dans un face à face avec MITTERAND, le 16 Mars 198O et sa chanson « Je ne suis pas un héros » :

Quand les cris de femmes 

S’accrochent à mes larmes, je sais 

Que c’est pour m’aider à porter tous mes chagrins 

Je me dis qu’elles rêvent 

Mais ça leur fait du bien

 Un espace d’ailleurs est réservé à un petit orchestre (batterie, piano, guitare) tantôt joyeux, tantôt discret. Il faut saluer la performance de Camille Trophème au piano, au chant, qui joue l’épouse de Platonov et la fiancée de Nicolaï.

 Un spectacle pluriel -, chant, musique, texte, lecture – qui entend tirer des arcanes d’une pièce inachevée d’un jeune écrivain Tchekhov, quelques signaux pour l’avenir, comme une bouffée d’oxygène, capable d’aller à la rencontre d’un public vaste et très demandeur.

 Paris, le 24 Mars 2012                        Evelyne Trân

 

 

Brûle ! de Ludovic POUZERATE à L’espace CONFLUENCES – 190 Bd de Charonne 75011 PARIS

Du 21 au 31 mars à 20h30 (relâche le 26 mars) Complet le 30 mars

Le 25 mars concert du groupe de rap Les Indics à l’issue de la représentation.

Mise en scène : Ludovic Pouzerate Avec : Stéphane Brouleaux, Étienne Parc, Antoine Brugiere, Elsa Hourcade, Clément Victor, Bertrand Barré et Les Indics Durée : 1h 30

Le moins que l’on puisse dire c’est que sur le plateau de l’espace Confluences, ça sent le soufre car l’auteur et metteur en scène de « Brûle !» n’y va pas à la petite cuiller pour ausculter  les ressentis de certains membres de notre société. La pièce pourrait être qualifiée de politique parce que les témoignages sur le monde du travail posent toujours cette question de la place de l’individu dans une société où la loi du plus fort reste toujours la meilleure. Tant pis pour le cliché, car l’auteur fait partir comme des pétards et autant de résonances possibles, les prises de consciences d’individus que la collectivité regarde du mauvais œil, en les pointant du doigt « Pauvre type, va ! ».

Vas-y que je te regarde à la loupe. Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Casse-toi pauvre … Vous n’avez pas le monopole de la vulgarité, vous savez. Vous allez assister à des règlements de comptes.

 En vérité, la parole individuelle ne se fond pas complètement dans le discours social. Oui, il existe des gens qui refusent de sacrifier leur individualité pour faire partie d’une collectivité. Mais il y en a d’autres qui se confondent avec leur rôle social au point de s’oublier.

 Si le patron d’une petite entreprise a comme slogan en tête « Chacun pour soi, Dieu pour tous », nul doute qu’il risque à plus ou moins long terme le naufrage. Ludovic Zouerate met en scène le court-circuit d’une petite entreprise sans relief, en épinglant les réflexes primaires de ses protagonistes qui se tapent dessus et finissent par laisser entrer dans leur vaisseau fantôme, les rats, les paumés qui étaient à leur porte. Et en définitive, ce sont ces crétins de la vie qui ont le plus de choses à dire.

 Cela donne un spectacle assez unique en son genre, psychédélique. Comme s’il voulait gommer toutes les frontières, exprimer l’égarement, l’impression de dérive et d’angoisse de ces gens, Luc Pouzerate ne nous tend à aucun moment la perche d’un répit pour respirer. Pourtant, le propos exigeant requiert une certaine lisibilité et donc un certain recul du spectateur. Les irruptions des monologues et des lames de fond du groupe de rap, Les Indics, créent des ruptures qui ne facilitent pas la communication entre chacun des comédiens parfois isolés dans leurs rôles.

Ont-ils vraiment besoin de tendresse tous ces personnages ?  La violence dans cette pièce ne réside pas dans la bataille de polochons, elle est là pour masquer l’impuissance, la désespérance, la honte ou exprimer une sorte d’abrutissement.

Sommes- nous tous tant que nous sommes des ânes bâtés ? Allons-nous nous identifier à ces déçus de la vie ? « On n’est pas là pour se faire engueuler » chantait Boris Vian. Vous en serez convaincus en allant à ce spectacle au propre et au figuré. C’est réfléchissant !

Le 23 Mars 2012                               Evelyne Trân 

 

L’exhortation du poète

L’exhortation du poète

  

  Il  pleuvait et personne n’a voulu raccompagner tes paroles à la berge. Quelqu’un a trouvé du scandale à tes mots sans excuse. L’un, les a badigeonnés d’indifférence, l’autre a désiré les ignorer. Alors le poème est tombé dans la trappe, il s’est mû en effluve, en colère. Il s’est arraché en lambeaux de la feuille de papier et il s’est dit à lui-même : Sur cette tombe transparente, les mots en aveuglette ont le droit de sortir et de tricher avec le soleil.
Le poète s’agenouille devant une grande vasque qu’il appelle poème et il en sort des mots, capsules d’étincelles et de rêves. Il dit : l’eau s’est transformée en caillou et vous aussi pouvez avoir l’allure de cailloux ordinaires qui tapisseraient le corps de l’homme. Vous ne demandez qu’à être réveillés. Alors, témoignez de vos transparences aveugles. Un cri, une pensée vous porteront. Sortez du dictionnaire, logez vous dans un corps et tant pis si ce corps parle une langue anxieuse comme une bête, si vous transitez par l’estomac ou par le sexe.

D’où sortez-vous sinon d’un homme ou d’une femme ? Soyez vivants, témoignez pour eux que leur condition soit misérable ou honnête. Témoignez, racontez  comment vous sortez de leurs tripes parfois, d’un verre de vin ou d’une délicieuse contemplation ? Retenez-vous à leur souffle, à leur respiration, à leur bégaiement. Soyez humains et pas trop déguisés, s’il vous plaît. Loin des couverts et des tables bien mises, retrouvez votre fonction première, celle d’exprimer les cris, les chuchotements, les tremblements de corps qui s’insurgent contre la censure, qui crient pour trouver un peu d’air tout simplement. N’attendez d’autre reconnaissance que le bonheur d’avoir pu sortir d’un homme ou d’une femme, dans le cheminement, les buissons, les épines, les clairières de leurs voix.

Ainsi dit le poète qui se débarbouillait le visage dans une grande vasque.

Evelyne Trân

 

 

 

CELINE CAUSSIMON en concert au Théâtre du Lucernaire – 53, rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS –

Le dimanche à 19 Heures, jusqu’au 1er Avril 2012

Avec : Céline Caussimon (chant) et Thierry Bretonnet (accordéon)
Durée : 1h05

Elle a quelque chose d’indomptable Céline CAUSSIMON . « Quel drôle d’animal, on dirait une artiste » aurait dit Francis Blanche. Plusieurs plumes à son arc : comédienne, chanteuse, poète, compositrice, rêveuse, humoriste . En vérité, on l’imaginerait bien en déesse indienne à plusieurs bras, à plusieurs têtes. Une déesse ou tout simplement une femme toujours en train de s’inventer  à partir de tout ce qui lui tombe sur la main, des histoires à bout de sens, à bout, à bout, ou à contre sens. tant il est vrai qu ‘il n’est facile pour personne de  naviguer entre la pluie et le beau temps en rêvant de refaire le monde.

Ce n’est pas à tout bout de champ que l’on essaie de réfléchir sur nos bons vieux réflexes et notre conscience très poilue : le pouvoir d’achat, l’amour bio, le commerce équitable par exemple.Mais Céline CAUSSIMON n’écrit pas sur commande, elle est gouvernée par ses coups de coeur, avec une horloge à plusieurs tempos, qui tient aussi bien de la tortue que du lapin lorsqu’il sort de son terrier, les oreilles dressées.

Elle ne fait pas que chanter d’ailleurs parce que ses chansons dit-elle, elle les connait par coeur. Elle les joue en nous prenant à témoin de sa capacité d’improviser sans tricher. Comment faire pour avoir un pied dans la réalité et arborer parce que c’est le seul habit qui tienne, un petit air d’oiseau détaché qui avoue dans une chanson « Cette vieille petite fille, c’est moi ».

La marelle de Céline CAUSSIMON qui accueille de fortes chansons à l’âme têtue dont font partie la corde, la camisole mais aussi caressons-nous, nous réserve encore de belles surprises.

Cela se passe au Théâtre du Lucernaire, au Théâtre Rouge, le dimanche à 19 heures. Courez-y, c’est vraiment le moment, et lorsqu’il s’agit de faire plaisir aux spectateurs, on peut le dire,   Céline CAUSSIMON accompagnée de l’impromptu et  talentueux accordéoniste Thierry BRETONNET, fait la pluie et le beau temps en chantant !

Paris, le 20 Mars 2012                             Evelyne Trân

 

 

 

 

 

 

 

 

NIETZSCHE, Zarathoustra et autres textes. Conception et jeu Laurence Mayor. A la Maison de la Poésie – Passage Molière, 157 Rue Saint Martin 75003 PARIS

Collaboration artistique et lumière Philippe Ulysse.  Costume Chen Chen Yin 

Du 8 Mars au 1er Avril 2012  Du mercredi au samedi 20 H, Dimanche 16 H

Il faut  manifestement beaucoup d’audace pour emprunter le chemin de Zarathoustra. Ce grand poème philosophique de Nietzche est aussi dangereux   ou hasardeux qu’une randonnée en montagne pour les piétons des villes habitués aux routes plates. Hasardeux mais pas impossible. Innocemment d’ailleurs, Laurence MAYOR porte des chaussures vernies à petits talons et est vêtue d’une robe bleue toute scintillante comme à la fête.

C’est dire qu’elle se moque éperdument d’être réaliste. Elle embrasse le poème de Zarathoustra comme s’il lui était donné, avec délectation et gourmandise. Il est vrai que les aphorismes qui pleuvent dans l’esprit de Nietzsche pourraient lui  avoir été inspirés par ses propres tribulations. A Eze dans le midi, un petit  village perché sur un rocher, les villageois se souviennent de Nietzsche qui emprunta le chemin étroit et un peu escarpé qui descend vers la mer. Perspective magnifique pour l’esprit de la montagne qui se regarde dans la mer.

Nietzsche partagea ses promenades avec Lou Andrea Salomé dont il tomba amoureux et qui devint la muse de Rilke et la disciple de Freud. Par la bouche de Laurence Mayor, il est facile d’imaginer Nietzsche parler poésie avec Lou.  Parce que la langue de Zarathoustra est aussi mouvementée, incantatoire qu’un appel à l’amour des hommes ou d’une femme, désespéré, provocateur, ambivalent. Zarathoustra comme le double nain de Nietzsche laisse couler une plainte :

« Ils ne me comprennent pas, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ses oreilles ils pensent que je suis froid et me prennent pour un railleur aux farces sinistres »

Les arbres pourraient souffler les paroles de Zarathoustra, les montagnes, et mêmes les lampadaires sur place aux yeux aveugles. Zarathoustra n’est pas en quête de l’impossible, l’impossible se trouve en lui et c’est celui de tout homme qui refuse d’être l’arbre qui cache la forêt, qui dit :

« J’aime celui qui ne garde pas pour lui une seule goutte d’esprit mais qui veut être entièrement l’esprit de sa vertu »

« J’aime celui dont l’âme déborde, de sorte qu’il s’oublie lui-même »

La petite cave voûtée de la maison de la poésie tremble sous le verbe de Nietzsche. Et quand la voix de Laurence Mayor rôde derrière les murs, grâce aux jeux de lumière de Philippe Ulysse, on se  croirait en plein film fantastique, derrière le miroir.

Un spectacle impressionnant qui donne envie de lire dans les paroles de Zarathoustra, en se sentant pousser des ailes comme Laurence Mayor, en prenant quelques petites pauses toutefois pour affronter avec Nietzsche « L’esprit de pesanteur » et rire aussi de ces gorgées d’aphorismes cristallins et sibyllins. Zarathoustra, viens trinquer avec nous, santé !

 Paris, le 17 Mars 2012                              Evelyne Trân

 

Lettre à ma mère. Adaptation théâtrale du roman de Georges Simenon de et avec Robert BENOIT au Théâtre du Lucernaire – 53 Rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS –

Collaboration artistique Natalia Apekisheva 

 Lumière : Emmanuel Wetischek

A partir du 29 Février 2012. Du mardi au samedi 18 H 3O

 Une écriture blanche à la fois sûre et délicate apparait sur un écran, il s’agit d’une lettre qui a peut-être été écrite à l’encre des nuages. Tandis que nous nous interrogeons, l’auteur surgit du silence et la lettre devient non pas seulement un monologue puisqu’elle est aussi bien adressée à lui-même qu’à sa mère, mais une sorte de réceptacle comme un tissus de chair.

 Grâce à la voix si tranquille et naturelle de Robert Benoit, on découvre comment l’écriture avant d’être figée en caractères d’imprimerie, possède ces éléments que sont l’eau et la roche  pour glisser dans l’intime soupière de nos corps terrestres.

 En réalité, pour apparaitre presque limpide, l’écriture de Georges Simenon a été travaillée. Ce n’est pas la même chose d’écrire un roman policier et de parler de sa mère. Elle est morte, elle vient de mourir mais il peut bien lui parler puisqu’à partir d’elle, il renoue  d’une façon plus charnelle avec ses interrogations sur la vie : qu’est ce qui fait qu’un homme est un homme et sa propre mère une femme ? Qu’est ce qui peut bien rapprocher des êtres et qu’est ce qui peut les élever au-delà de la circonspection sournoise, sinon le sentiment que chaque être est une personne.

  Il s’agit pour Simenon d’élever sa mère au rang de personne non pas seulement parce qu’elle l’a mis au monde mais aussi pour réparer une injustice authentique, la séparation, ou l’impossible ou difficile communication entre les êtres, leurs destinées qui se vouvoient davantage qu’elles ne se tutoient, leurs solitudes.

 L’enquête est extraordinaire  car de la même sorte que l’on assiste à la tombée du soir, l’on assiste à la tombée de souvenirs qui pour  être anecdotiques sont  aussi indéfinissables que les personnes qui nous touchent.

 L’intrigue est si captivante qu’il est impossible de décrocher des lèvres de Robert Benoit qui avance, avance toujours pour dessiner devant nous le portrait d’une femme à travers le regard de Simenon, attentif, et qui se plait à jouer le rôle de fils, être pour une fois présent avec sa mère dans un roman.

 La voix de Robert Benoit a la qualité de l’éponge de mer, elle ne s’autorise aucune redondance, et grâce à lui l’on découvre un Simenon, plus impressionné qu’impressionnant, toujours en quête de visages. C’est passionnant !

Paris, le 11 Mars 2012                 Evelyne Trân

GEORGES CLOONEY ET MOI de Norbert SAFFAR à LA COMEDIE SAINT MICHEL – 95 Bd Saint Michel 75005 PARIS –

Avec Norbert SAFFAR et Alexandra SARRAMONA. Mise en scène : Myriam BENAIM . Les samedis à 20 H et les dimanches à 18 H 30

Un homme et une femme et c’est reparti. Depuis la séquence d’Adam et Eve au Jardin d’Eden, nous avons des circonstances atténuantes. Une pomme nous est tombée sur la tête. Commotion oblige, nous nous en sommes jamais remis. Au paradis, il faut bien le dire, Adam et Eve s’ennuyaient, ils n’avaient pas grand-chose à se raconter. Ils passaient leur temps à faire l’amour  et à éplucher des légumes. A cette époque, il n’y avait pas la télévision. Qu’importe, puisqu’il y a encore des auteurs pour nous prouver qu’Adam et Eve voyagent dans le temps et n’ont pas pris une ride. Le mythe ne dit pas si la fameuse pomme qui est à l’origine de toutes nos convoitises et désillusions, a été croquée jusqu’au trognon.

  A grand renfort d’ouvrages philosophiques, qui pèsent des tonnes, notamment ceux de Freud et de Schopenhauer, un homme voit  sortir de la pomme sa belle secrétaire, tandis que la femme, actualité oblige, s’apprêterait à croquer Georges Clooney en personne.

 Rassurez-vous, la pomme n’est pas empoisonnée, elle est juste un peu aphrodisiaque. Alexandra SARRAMONA qui joue Eve, est très sexy et pimpante,  Norbert SAFAR en rôle d’Adam, chamboulé,  est aussi attendrissant, voire comique, que Jacques Brel muté en Bourvil. Mais hélas, nous ne sommes plus au paradis, mais en pleine société de consommation, des Georges Clooney, en veux-tu, en voilà ! Et les secrétaires, elles courent les rues ! Quant au thème de l’infidélité conjugale, il a beau avoir été sucé jusqu’au trognon, on n’a pas encore trouvé de vaccin contre ces vers :

« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » ou encore

«J’ai réchauffé un serpent dans mon sein

Pendant ma vie toute entière »

 Que l’on badine ou pas avec l’amour, nous avons bien raison de rêver pour rire;  en tout cas c’est ce que nous suggère l’auteur de « Georges Clooney et moi » avec sa pétulante partenaire Alexandra SARRAMONA.

 Paris, le 9 Mars 2012

Evelyne Trân

 

LA RIMB . Le destin secret d’Arthur Rimbaud d’après le texte de Xavier GRALL au Théâtre du Lucernaire

au théâtre du Lucernaire 53, rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS

Du 29 Février au 21 Avril 2012 du Mardi au samedi à 19 H

Mise en scène : Jean-Noël Dahan Distribution : Martine Vandeville,

  • Scénographie/ lumières Julien Peyssel
  • Création sonore : Jean-Marc Istria

 Composition, décomposition…Il est d’étrange d’imaginer que la figure de la mère ait pu déjà être absorbée par la figure du fils. Ou bien au contraire que la mère renaisse en tant que femme des cendres du fils. On retrouve d’ailleurs l’écho d’un hommage à la femme dans les poésies de Rimbaud.

 Que la mère puisse retentir ou s’exprimer tantôt comme une ogresse, tantôt comme une femme aimante à travers le regard d’un enfant, cela épingle notre rêve de l’être femme. Qui voudrait tel un monstre s’offrir à la vision de l’être aimé, déformé par ses multiples visages. C’est une histoire d’amour impossible  que nous raconte Xavier Grall, celle d’une mère et de son enfant.

 La Rimb souffre dans ses entrailles parce que toute son existence elle l‘a attelée à son rôle de mère, gardienne du foyer, gardienne de l’ordre, sous la tutelle de la religion.

 La Rimb a beau jeu de clamer qu’elle fait partie de la terre noire des Ardennes, elle n’a pas d’autre choix que de la cultiver et de la révérer. Il ne se passe rien à Charleville, il faudrait ausculter les briques, les pierres, les tombes du cimetière pour espérer voir suinter quelques confidences des habitants. Le paysage, les ponts qui enjambent la vallée sont volontiers plus amènes et souriants que les bâtisses bourgeoises et bourrues, figées dans un spectral silence.

 Rimbaud, c’est celui qui amorce le tremblement de terre, la terre mère, il est né pour faire souffrir sa mère. Bouche comme une cicatrice infâme disait à peu près Apollinaire.  Xavier Grall parait tout imprégné de la poésie du poète. Quel adolescent n’a pas  eu l’impression de voyager en lisant Rimbaud, nombre de ses poésies  sont le fruit de ses vagabondages dans les Ardennes. Mais il n’ a pas voyagé seulement avec ses pieds, ses genoux, il a voyagé avec son esprit. Il a voyagé aussi en tant que fils dans la tête de sa mère, concrètement : il lui a souvent écrit; fantastiquement : il était toujours ailleurs.

 A travers le soliloque de la Rimb, on entend une mère qui part à la recherche de son fils, un fils idéalisé,  mais aussi un fils qu’elle décrit comme un être témoin de son propre orgueil, sa dureté, son ignorance, son impuissance.

 La Rimb n’entend rien, dit-elle à la poésie. Elle crache son venin sur « La Verlaine ».Et pourtant à brûle pourpoint,  elle parle de douleur, elle s’accroche à la douleur pour se rapprocher d’Arthur. Est-il possible qu’elle ait pu être témoin du délire poétique de son fils, au moment de mourir ?

 A quoi sert la poésie ? Le soliloque est en réalité l’entonnoir où affluent protégées ou abusées par la pénombre, les plusieurs voix d’une femme qui convoque l’esprit de son fils. Elle l’appelle comme si elle voulait se rappeler à lui. Et petit à petit se dessinent les figures d’une mère et d’un fils déchirés, hors normes, hors idéal, tout simplement humains.

  Impressionnant délire, porté par une grande tragédienne Martine Vandeville. Elle est à la fois grave et ailée, la mère Rimb, si peu conformiste finalement, si entachée qu’elle est, sans se l’avouer,  par la destinée de son fils.

 La scénographie nous entraine dans un endroit à la fois familier et secret, une buanderie ou un grenier où les ombres jouent entre elles, pour  accueillir l’invisible et des fantômes d’ objets aussi dérisoires qu’une canne ou un lustre qui pendouille. Et pourtant elle est bien vivante, cette mère Rimb, capable aussi bien de sortir de ses gonds que de se replier dans le chuchotement.

 Jean-Noël Dahan signe une mise en scène, toute en exaltation retenue qui fait penser à  BERGMAN ce cinéaste amoureux de visages de femmes. Vous irez, grâce à ce spectacle, là où la terre et la poésie jaillissent de la bouche d’une même femme, la Rimb, Vitalie RIMBAUD, née CUIF et paysanne. Quel voyage !   

 Paris, le 3 Mars 2012

Evelyne Trân