ELEONORE BOVON chante Ferrat le temps d’aimer, au Théâtre Darius Millhaud 80 Allée Darius Milhaud 75019 PARIS

Le Dimanche à 18 Heures jusqu’au 18 Décembre 2011

P.S :  Eléonore BOVON est l’invitée de « DEUX SOUS DE SCENE » sur Radio Libertaire 89.4 de 15 H 30 à 17 H. Samedi 3 Décembre 2011  

Avec Eléonore Bovon (chant et violon), Jean-Luc Tassel (piano) et David Aboab (contrebasse)

Quel joli sort vient de nous jeter Eléonore Bovon avec Jean Ferrat, à nous, public transi, timide : celui d’aimer. Evidemment, nous pouvions nous y attendre, vu le titre du spectacle, mais nous n’allions pas à la soupe populaire, nous voulions découvrir  comment Jean Ferrat pouvait se métamorphoser en jeune femme.

Parce que Ferrat est vraiment là, à travers la voix chaude, vibrante d’Eléonore Bovon. D’ailleurs, cette voix donne parfois l’impression de venir de très loin, parce qu’elle court sur plusieurs étendues, plusieurs couches, pour donner à lire un peu comme l’on marche aussi sur la douleur : « La souffrance enfante les songes, comme une ruche ses abeilles », « En longs sanglots inachevés, je vous aime, je vous aime ».

Il faut un talent extraordinaire pour pouvoir crier « Je vous aime, je vous aime » à tout bout de champ, sans une once de mièvrerie. Aragon, Eluard, Desnos sont passés par là , bien sûr. Dans cette coupe de chansons d’amour, les poèmes comme des fruits rougissent de plaisir et les musiciens envoûtés par la voix d’Eléonore, forment un tableau Chagallien.

Un spectacle habité par la poésie mais également par quelques pincées d’humour : « Il faut savoir ce que l’on aime, et rentrer dans son HLM, manger du poulet aux hormones ».Dieu merci, aucun curé n’osera exorciser le public ensorcelé tant par l’interprétation d’Eléonore, aussi légère qu’une enfant dans un manège à plusieurs voix, que par la beauté des textes.

Eléonore Bovon est une interprète de Ferrat, si vous ne la connaissez pas déjà, à découvrir de toute urgence. Tout de même emporter du Ferrat avec soi, un dimanche, avec la belle voix d’Eléonore, il y a de quoi faire mentir Aragon et Ferrat et je m’en excuse auprès d’eux « A s’écouter, se consumer, connais-tu le bonheur d’aimer ».

Paris, le 30 Novembre 2011

Evelyne Trân

Le grandiloquent Moustache POESIE CLUB – AUX TROIS BAUDETS – 64 Bd de Clichy 75018 PARIS du 12 Janvier au 3 Février 2012 , tous les jeudis et vendredis à 20 H 30.

Avec Ed Wood, Astien, Mathurin –

Mise en scène Julie Chaize

 Depuis le temps que la poésie Slam ruisselle dans les cafés, nous devrions pouvoir   définir le mot Slam. En un clin d’œil, Wikipédia  nous livre cette définition :

«Situé entre la joute oratoire, la poésie et le one man show, le slam est un art oratoire où quiconque veut s’exprimer…  ». Les définitions sont ainsi faites qu’elles nous rassurent  face à l’insuffisance de notre lanterne, tout en avançant des hypothèses  percutantes.

Imaginons que ce quiconque se mette en  tête de devenir vedette, car pas de salut sans ambition. Eh bien, cela pourrait donner ce trio de moustachus qui ont décidé de créer un club où la poésie triangulaire, celle qui rebondit dans les brouhahas des bars mais aussi celle qui décolle des souvenirs d’enfance, celle qui pourrait bien chevaucher Lamartine,  se retrouve à la fois fière et complexée, représentée par un monstre à trois têtes, multiforme, bizarroïde,  hors normes, déréglé.  

Ils se la jouent, ces poètes, sur scène comme des jongleurs de mots, des voltigeurs de cirque. Et en même temps, ils se présentent comme des « quiconque », beau gosse, titi parisien, beur de Saint Denis,   Gavroche des barricades, enfant de Poulbot, slameur ouvrier. Il manque juste le look bourgeois, bon chic, bon genre. S’ils se la jouent « grandiloquent Moustache, poésie Club » c’est sans doute que de nos jours, il n’est pas si évident de professer sa vocation de poète. « Je suis poète » et je le clame à toutes les sauces. Autrefois, il valait mieux s’appeler Paul Fort; aujourd’hui, forts d’héritages multiculturels, il faut planter ses choux, ou plutôt  ses    textes, ailleurs que dans les livres, sur scène, au théâtre. Ce n’est pas nouveau, mais tout de même.

Il semble que ces poètes slameurs ont besoin de se ressourcer auprès du public qu’ils interpellent comme des marchands de savonnettes, ou des dragueurs impénitents de jolies filles. Cela donne un spectacle joyeux, interactif. Et surtout, nous assistons à la création de poésies en direct, car en grands artisans, ils donnent l’impression d’improviser, j’’allais dire apprivoiser des mots  de tous les jours qui refont surface en chantant pour notre plus grand plaisir. Et  pour en jouir à volonté, dans les meilleures conditions, ces trois artistes  convient tous les amoureux, amateurs, professionnels et essuyeurs de mots à les retrouver,  sur  la scène des  TROIS BAUDETS, que, ne l’oublions pas, ont traversé bien d’illustres  prédécesseurs !

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Paris, le 23 Novembre 2011

Evelyne Trân

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Une autre vie de Brian FRIEL au Théâtre de la Bruyère 5 Rue de la Bruyère 75009 PARIS. Du mardi au dimanche à 19 Heures, jusqu’au 31 Décembre 2011.

Mise en scène Benoît Lavigne. Texte français Alain Delahaye

Décor Laurence Bruley. Costumes Agathe Laemmel. Son La Manufacture Sonore.Lumières  Christian Mazube.

Assistante à la mise en scène Sophie Mayer

Avec Marie Vincent et Roland Marchisio

 Nous nous connaissons sans nous connaitre. Combien de fois,  jetons nous un coup d’œil dans le miroir sans véritablement nous regarder ? Parce que le miroir ne nous dit rien sur la confusion de notre esprit, nos rêves, nos désirs, nos peurs. Il est fatal sans d’autres expressions que celles que nous lui prêtons, il exprime la solitude implacable de l’objet. Il n’existe de miroir que celui qu’on brise. Dans un conte d’Andersen, la reine des neiges, une poussière de verre était tombée dans l’œil d’un petit garçon et l’avait rendu méchant. Dans la pièce de Brian FRIEL, ce sont des éclats de solitude qui étincellent les personnages, comme deux cailloux qui s’entrechoquent . Brian FRIEL, le Tchékov Irlandais,  rend compte de cette émotion à travers Sonia Sérébriakova d’Oncle Vania et André Prozorov, le frère des Trois sœurs.

Nul besoin cependant d’avoir en mémoire le curriculum vitae de ces deux personnages qui se rencontrent et se déplacent sur le terrain de l’imaginaire.

 Comme si tout devenait possible dès lors que l’on s’adresse à un inconnu. Le chemin de la conversation devient un conte à deux paroliers. Comme si pour avoir quelque chose à se dire, il valait mieux improviser et laisser scintiller ses rêves que d’offrir l’écuelle terne de la réalité. A un moment donné, l’écuelle se renverse, l’eau tiédasse se transforme alors en vodka. L’homme ébloui et à l’affût d’une femme qu’il devine inassouvie, lui offre des pieux mensonges pour la contenter. La tentative de séduction échouera puisque pour déplacer la borne de la solitude, se pose la question d’un rêve indissoluble, d’une illusion.

 Ils suffoquent de solitude Sonia et André. Trop peut-être. Impossible de tricher, les mensonges en tant que songes  sont vrais. Parce que les sentiments qu’ils expriment sont naturels. Il ne peut y avoir de compromission avec eux. On appelle cela la solitude mais c’est aussi une espèce de liberté qui peut aboutir à des rencontres inopinées, de deux êtres solitaires.

Très évocateur le décor du café dit délabré, propice à la rêverie. Un lieu anonyme qui deviendra un intime souvenir dans le regard de Sonia et André.

 Marie Vincent telle Anna Karénine est bouleversante. Roland Marchisio compose un André attachant avec sa bonne volonté et ses maladresses. La dernière scène nous le montre en train de se précipiter sur une feuille de papier pour écrire à Sonia qui vient juste de partir. Une vision crue ou cruelle toujours pleine d’espérance.

Si nous croyions avoir enseveli notre fibre midinette ou le « Je t’aime, moi non plus », nous faisons avec ce spectacle une provision de
sentiments à l’eau amère et douce d’une bonne tasse de thé, au comptoir du café du coin qui ressemble, à s’y méprendre, à celui de Brian FRIEL.

Grâce à la délicate intervention de la décoratrice, Laurence Bruley
et l’attention tangible du metteur en scène Benoit Lavigne, nous voilà
entraînés, éclaboussés, malgré nous, par le flot des rêves intérieurs de Sonia et André, à l’écume d’une conversation. Et c’est réconfortant !

Le 19 Novembre 2011                              Evelyne Trân            

 

En attendant Godex, une comédie de Corneliu Mitrache au Théâtre de l’Orme. Mise en scène de Giovanni Savoia, assisté de Renato Ribeiro

Au théâtre de l’Orme, 16, rue de l’Orme 75019 PARIS  Du 11 Novembre 2011 au 28 Janvier 2012, à 20 H 30, les vendredis et samedis .

Avec Sandra Everro, Stephan Ropert, Nadia Chibani, Giovanni Savoia, Rénato Ribeiro.

N.B.  Corneliu MITRACHE et toute l’équipe du spectacle étaient les invités de l’émission « Deux sous de scène « , samedi 19 Novembre 2011, que vous pouvez écouter ou télécharger pendant une semaine  (Grille des émissions de Radio Libertaire 89.4).

Si vouliez faire un remake de l’histoire d’Adam et Eve chassés du Paradis, peut être pourriez-vous faire appel à Corneliu Mitrache, un dramaturge Roumain, qui n’a pas la langue dans sa poche. Adam et Eve s’ennuyaient, ils souffraient d’un mal insidieux qui s’appelle l’ennui, susceptible d’atteindre aussi bien un roi dans son palace  qu’une bergère au milieu de ses moutons. Si vous vous dîtes que vous attendez quelque chose, alors effectivement, vous risquez de vous ennuyer.

Occuper le temps de l’attente et comment ? Les deux personnages vagabonds, Pipi et Sissi  qui illustrent cette angoisse, ne peuvent plus se regarder dans le blanc des yeux, ils ont cessé de se désirer, ils font semblant. La seule pomme qu’ils pourraient grignoter est enfermée à clé dans une cage et Sissi, langoureuse mante religieuse, rampe lamentablement sur le sol,  en léchant de façon lubrique, chacune de ses vingt cartes de crédit, telles des reliques, des os de poulet ou des déesses tombées de leur piédestal.

Dans le fond, c’est le conte d’Aladin et la lampe merveilleuse à l’envers. Quand  la lampe s’écrase sur le sol, à la suite d’un crash boursier. Sissi, Pipi attendent Godex comme le sauveur, celui qui va  les sortir du pétrin. De par le monde, tant de figures se  targuent de sauver leurs prochains qu’il suffit de laisser pendre sa main dans le vide pour en rattraper une. C’est alors qu’apparait Godex, un méchant Aladin, un cynique marchand qui distribue récompenses et châtiments en jubilant de voir ses ouailles se repentir de n’être que les jouets de l’injustice humaine. Exaspérés, Pipi et Sissi, vont finir par le tuer. « Dieu est mort » « Godex est mort ». Gratifiés de cette victoire sur eux-mêmes, Pipi et Sissi font la fête. Ils se retrouvent la tête en bas, aussi malheureux qu’avant Godex.

Vous l’avez compris, il s’agit d’une pièce philosophique qui brasse un grand nombre d’interrogations. Mais au-delà de la réflexion, le spectateur est remué par les délires des personnages. Pour faire contraste aux dépressifs Sissi et Pipi,  Corneliu Mitrache sort de son chapeau Godex,(Giovanni Savoia)  aussi démoniaque que Jules Berry, Poponet,  une draw queen (Renato Ribeiro), explosive,  une miss,
Miss Godex ( Nadia Chibani) , aussi mordante qu’appétissante, sans oublier le squelette, Smiley, par la bouche duquel Poponet  nous offre un monologue inspiré, digne d’Hamlet.

C’est le paradoxe de ce spectacle de marier la réflexion à la dérision et la farce. Il y sourd une révolte des âmes assassinées qui trouvent néanmoins la force de se moquer d’elles-mêmes. Sandra Everro, Sissi, et Stephan Ropert, Pipi, compose un couple extrêmement attachant. Ils sont remarquables. Avec cette pièce, Corneliu Mitrache prend non seulement la suite de Beckett, mais aussi la relève des questionneurs de la condition humaine, tels que Tchekhov ou Dostoïevski, avec une sourde tendresse. Ses personnages sont vivants, il les a, à coup sûr, rencontrés, nous les avons rencontrés. Leur « A quoi bon » qui roule jusqu’au bout de la scène comme cet enfoiré, homme de paille Godex, nous laisse entrevoir plus qu’un trognon de pomme, cette idée qu’il faudrait avoir un peu pitié de nous-mêmes. Et ça, ça ne se monnaye pas.

 La mise en scène est la hauteur du texte, rythmée et chaleureuse, limpide. La scène devenue lieu de vie, de disparates insectes, égarés dans le dépotoir des nouvelles du monde, pages de journaux écornés, lit en carton d’emballage, nous rappelle que nous aussi, nous marchons dans la rue, ne serait-ce que pour attendre le bus. Mais où est passé Godex ?

 Cette pièce écrite, il y a plus de vingt ans, représentée à New York, est une réaction de Corneliu Mitrache à la lecture d’ « En attendant Godot ». Y a-t-il un après Godot, que se passe-t-il à la fin de l’attente ? Mitrache n’emprunte pas le discours politique pour exprimer sa propre expérience : « Beckett a jailli des cendres de la Secondes Guerre mondiale moi de celles du communisme. Je suis bien placé pour connaître l’espoir et l’attente ». Mais ce besoin de transmission comme une courroie nous soulève et nous surprend parce qu’il raccorde l’individu à ce qui le dépasse. Et le monde ? Et les autres ?

 Je ne saurais trop recommander aux amoureux du théâtre d’aller voir cette pièce  inspirée, émouvante et cocasse, pour découvrir un auteur vivant, eh oui, ça existe, et des intermittents du spectacle qui méritent, sans réserve, l’encouragement puisqu’ils entretiennent notre flamme, en attendant Godex !  

 Le 13  Novembre 2011

 Evelyne Trân

 

 

 

CANDIDE, spectacle masqué d’après Voltaire, par la Compagnie Zéfiro Théâtre, au Théâtre de Ménilmontant – 15, rue du retrait 75020 PARIS –

du 1er au 23 Novembre 2011 Du mardi au jeudi 21 H

Mise en scène : Rafael Bianciotto. Adaptation/Dramaturgie : Isabel Garma. Collaboration artistique : Mario Gonzalez Musique : Jean-Luc Priano. Masques : Etienne Champion.

Avec Bénédicte Budan, Anne-Dominique Défontaines, Nicolas Biaud-Mauduit, Alain Khouani/Rafael Bianciotto en alternance, Pascal Rousseau(Tuba), Nicolas Naudet(Clarinette), Jean-Luc Priano(claviers)

Candide, c’est peut-être l’ovni qu’il y a en chacun de nous, à condition de se mettre un masque, bien sûr. Suis-je donc si bête pour ne pas comprendre dans quel monde, j’ai atterri ? Et dire que Voltaire a arraché une plume à son savoir gigantesque pour la suspendre entre les lèvres balbutiantes d’un étonné qui ne demande qu’à boire les paroles de son révérend précepteur Pangloss, censé battre en mesure chacune des découvertes de son disciple, dont on ne sait d’où il vient, d’où il sort.

A moins qu’il ne soit une sorte de batard, un morveux de père inconnu et victime idéale des bien nés. Pauvre type, pauvre con, tu es et le resteras, alors accroche toi bien à la longe de mes connaissances, chante Pangloss.

Mais suffit-il d’avoir bu au biberon, Aristote, et les théorèmes de Pythagore et les contes de la mère de l’Oye pour s’en sortir dans la vie ? Candide, à l’adolescence, est chassé du paradis, « le château deThundertentronck », pour avoir donné un baiser à la bien née Cunégonde, aussi candide que délurée. Et le trio des musiciens de la vie, très opportunistes n’auront de cesse ensuite de changer de chapeaux pour trousser le valeureux Candide, démasqué par son ignominieuse candeur.

A moins que ce soit le monde qui soit affreux. Candide a des allures de Tintin avec le béret de journaliste de Voltaire qui entend dire qu’à travers le monde règne l’enfer, la barbarie, les atrocités de la guerre et voit s’enfoncer dans la vase la plupart des belles croyances. Il tombe de haut, le candide Voltaire avec son bâton d’idéal de tolérance. Le voilà devenu tout crémeux de bouse pour ne pas dire de « merde » ce fieffé bâton de la vie.

Au théâtre, pour mimer les rocambolesques mais véridiques mésaventures de Candide, la compagnie Zefiro théâtre s’en donne à cœur joie, pourfendant à travers leurs masques, les banderoles des imbécillités humaines. Les masques dont se dotent les comédiens débordent de vitalité, telles des excroissances impitoyables de nos pensées belles et méchantes. Ils sont aussi fabuleux que des personnages de Fellini.

Quel bonheur aussi que l’orchestre (tuba, claviers, clarinette et tambour) des trois musiciens comédiens, à l’embouchure de la scène, qui renouent avec le tintamarre de nos estomacs, en passant du Tango au Fado, en inventant tout ce qu’il est possible d’imaginer, sous le vent et les moulinets de Candide, en jouant aussi bien d’une truelle que d’une clé à molette. Ça bricole sec !

« Il était un joli navire » A travers ce voyage peut être un peu long, notre bon sens n’est pas ébranlé. Nous avons appris que notre Candide a tué trois hommes, il ne l’a pas fait exprès, que la délicieuse et coquine Cunégonde, violée et ancienne esclave est devenue acariâtre. Et voilà que nous soupirons d’aise, la vie accorde sa retraite à Candide qui annonce qu’il va enfin pouvoir cultiver son jardin ! La vie, à votre avis ?

Car ce conte hautement philosophique, n’est qu’une supercherie de Voltaire qui prête sa candeur à Candide. Si vous êtes comme Saint Thomas, qui ne croyez que ce que vous voyez, allez voir ce spectacle endiablé, à croire que Voltaire transpire encore sous nos voûtes célestes ! Quelle mouche a donc piqué ces artistes ? Vous pourrez fort bien imaginer, sous l’un de ses masques, Voltaire sur scène, en personne. Il bat les planches, Voltaire, au théâtre de Ménilmontant, et il est surprenant !

Le 11 Novembre 2011

Evelyne Trân

 

 

 

 

L’importance d’être Wilde de Philippe Honoré au Théâtre du Lucernaire

d’après l’œuvre et la vie d’Oscar Wilde Mise en scène de Philippe Person Avec Anne Priol, Emmanuel Barrouyer et Pascal Thoreau

Du mardi au samedi à 20 H, le dimanche à 17 Heures

 Il est pour le moins cruel le scénario de la vie d’Oscar Wilde. Dans cette toile terrestre où la Société à tête d’araignée laisse circuler ses futures proies qui s’appliquent à faire frissonner et étinceler ses fils, dans la bouche de l’auteur du portrait de Dorian Gray, l’expression « La vie ne tient qu’à un  fil »  devient solaire puisqu’il est  allé au bout de son fil, Oscar, éperdument.

Par goût du vertige, sûrement, Oscar a tendu la main à sa propre
ombre, celle- là même qui lui a permis d’écrire parce qu’on n’écrit jamais qu’avec ses pattes de mouche. Quand par bonheur, il a éprouvé qu’il n’y avait pas de raison de séparer son œuvre de sa vie, sachant qu’il n’y a pas de vibrations qui échappent au mouvement de la toile de la Sainte araignée.

A qui profite le scandale ? On a du mal à imaginer l’émotion qu’a suscitée l’annonce de l’emprisonnement d’Oscar pour crime d’homosexualité, dans les milieux mondains et intellectuels à la fin du 19ème siècle.Comment peut- on être, à  la fois, un artiste génial et un fauteur des bonnes mœurs ? Faire tourner la tête de l’araignée, allons donc, croyez-vous que c’est possible ? Opiner du chef et comment ? A cette époque aussi, il y eût  le scandale du Capitaine Dreyfus. Gobineau avait écrit son essai sur l’inégalité des races humaines. La France, l’Angleterre étaient en pleine expansion coloniale. Les femmes venaient d’obtenir l’autorisation de passer le baccalauréat. Elles affichaient sur les photos leurs superbes crinolines. Il n’y avait pour se distraire, ni radio, ni télévision, ni cinéma mais il y avait le théâtre  et les cabarets pour nourrir et dégourdir les cœurs de cette brave Société, pour le moins privilégiée. Et c’est cette même société  qui a porté aux nues Oscar, avant de le descendre.

Nous n’aurions pas fini d’explorer la  toile et les convulsions dont se pare notre épiderme. Ne sommes-nous pas tous fils de ou d’un tel.

Sur la scène du Théâtre du Lucernaire, un grand cadre affiche
une multitude de photos, une sorte de mille feuilles qui tenterait d’exprimer,toutes lueurs confondues, l’histoire d’une folie. En piste donc Oscar Wilde, On peut jouer ta vie sur un air d’accordéon, semble dire le metteur en scène qui a choisi la  carte postale pour t’évoquer .

Oui, Oscar était une célébrité, ce genre d’excentrique qui fait la une dans les journaux à sensations.   Il est devenu un mythe pour les littérateurs .Les mythes ça ne court pas les rues, tous les trophées partent chez les musiciens et stars de cinéma. Mais avec Oscar, nous sommes servis parce que cet artiste est un drôle d’animal. Il est jeune, amoureux, libre penseur.  Il ne demande qu’à disposer de son corps et de son esprit. Il court encore Oscar, il court encore car il n’y a aucune étiquette qui puisse lui coller à sa peau.

 Enfin le spectacle, plutôt gai, nous suggère que la vie fût-elle celle d’Oscar, tombe sous le sceau de la comédie. Distrayons-nous des bonheurs et des malheurs d’Oscar sans arrière-pensée. Après tout, nous sommes au spectacle, au théâtre. Mieux vaut en rire qu’en pleurer, ta vie ne fut qu’un prodigieux et lancinant vertige.Sous le vent de tes textes éparpillés, ton portrait louche encore, cher Oscar, à l’aube d’un sourire. Celui que t’accorde, sans esbroufe, la compagnie Philippe Person, en
une joyeuse fête animée de cet invulnérable  aphorisme : Les folies sont les seules choses que l’on ne regrette jamais.

Le 6 Novembre 2011

Evelyne Trân

 

 

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L’apprentie sage-femme d’après Karen Cushman, avec Nathalie Bécue au Théâtre du Lucernaire du 2 Novembre au 31 Décembre 2011 du mardi au samedi à 19 Heures

Adaptation de Philippe Crubézy, Mise en scène Félix
Prader, Lumières Cyril Hamès

P.S. : Nathalie Bécue, Philippe Crubézy et Félix Prader étaient les invités de l’émission « Deux sous de scène » du Samedi 5 Novembre 2011 que vous pouvez écouter et télécharger pendant une semaine  (grille des émissions de Radio Libertaire 89.4)

A la rubrique spectacles, l’apprentie sage-femme est rangée dans la catégorie « conte tout public ». Il est vrai que l’histoire se passe au moyen âge, plus précisément en Angleterre médiévale et campagnarde.
Voilà pour les repères du spectateur. Ceci dit, le titre de la pièce se suffit à
lui-même. Parce que le terme apprenti résonne fort bien aujourd’hui, il est utilisé pour donner du blason et du courage aux jeunes en quête de travail et de reconnaissance dans un monde où dès la maternelle, on enseigne qu’il faut travailler dur  pour trouver une place dans la société et le spectre du chômage, et de la misère rôde toujours. Quant au terme sage associé à femme, il  fait référenceà un savoir-faire qui fut l’apanage de la gente féminine depuis des temps immémoriaux.

 Comment devient-on sage-femme ? Oui, le récit est édifiant, probablement parce que s’y profile un besoin, une nécessité de raccorder l’être femme à ses racines.

Ce n’est par hasard que l’enfant orpheline est découverte sur un tas de fumier et est apostrophée d’injures par une maitresse femme brutale, La Pointue. Surgie de nulle part, voici sur scène une femme qui est partie de rien, ou plutôt de la sensation de froid, de solitude,de faim, qui va nous raconter, pendant une heure, sa vie et l’amour de sa vie, son métier. En arrière-plan, on sent sourdre l’idée que la femme en question va réussir à s’affirmer autrement qu’ à travers le prisme de son apparence. Il ne s’agit pas d’une femme vue à travers le regard d’un homme mais à travers celui d’une autre femme. Et franchement, il y a de quoi mettre au piquet cette fameuse phrase « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a » sous-entendu, ses atours. Il n’y a aucun rapport de séduction entre la fillette, surnommée « Cafard » et la Pointue la sage-femme revêche qui la recueille. Pas d’affection déclarée, mais la brutalité du travail au quotidien, l’humiliation  et pourtant  l’enfant apprentie admire La Pointue, parce que la sage-femme fait la pluie et le beau temps dans le village et donne l’impression d’être irremplaçable.

 Envers et contre tout, l’enfant enserre dans son ventre le désir de devenir sage-femme à son tour, elle réussit parce que c’était ça ou mourir . Plus, il faut qu’elle la raconte sa vie « vous savez » parce qu’elle n’a pas seulement travaillé pour survivre, elle a travaillé par amour.

Ses mots sont parfois balancés comme des coups de pieds dans le ventre du futur marmot, cela vagit, cela piaille, et cela est tellement. vivant. Quand « Cafard » qui devient Alice raconte le sauvetage de la noyage d’un voyou ou une scène dans une auberge, on s’y croit.  C’est la magie du théâtre, alors même que sur scène, seules sur une table, trois pommes ont l’air de se moquer du monde. Etrange mise en scène de Félix Prader qui fait confiance à son tourbillon de bonne femme pour  éplucher et  manger les pommes, inopinément.

Car nous assistons  à une épopée, qui sort tout droit de la bouche
de Nathalie Bécue, avec plein  de personnages. Le texte qui colle à sa peau, à notre ouïe, est superbe, poétique et cru à la fois. le spectateur a
peine à reprendre
souffle, ébahi par tant  de jactance. Elle en a accouché combien de petits ? Serait-on tenté de se dire. En même temps, comment ne pas être captivé, hypnotisé,  reconnaissant à Nathalie Bécue de nous donner à entendre une femme, qui appartient à notre inconnu, notre monde, nos rêves, nos désirs, nos pleurs. N’importe, elle existe, elle est comme ça, c’est comme ça. Merci de crier pour nous, merci Nathalie Bécue !

Paris, le 5 Novembre 2011

Evelyne Trân