Le Guignol du square du Rond-point des Champs ELysées – José-Luis GONZALEZ « Monsieur Guignol » interviewé par Vincent Jarry

                Les spectacles du Guignol des Champs-Elysées ont lieu à 15h, 16h et 17h dans le square des Champs-Elysées les mercredis, samedis et dimanches et les périodes scolaires. Il y a une soixantaine de places. C’est en plein air et les places sont à 4,00 €. Groupes, tous les jours matin et après midi sur réservation 01.42.45.38.31 – 3,5 € par personne.

Il agite sa clochette pour faire venir les enfants et leurs parents. Il porte une salopette bleue, une chemise rouge et,sous son chapeau melon il arbore un grand sourire qui, avec son allure décontractée, lui donne une fausse allure d’Henry Fonda en fermier du Middle-West.

         Le public s’est assis.

         -Bonjour, vous êtes venus pour voir guignol? Appelez-le, il va venir.

         Les mômes piaillent       

         -Guignol! Guignol! Guignol!…

         Parents et grands-mères rigolent.       

         Une trentaine de personnes: il fait frisquet pour un mois de mai.

         Arrivent deux jolies mamans qui plantent leurs mômes là pour aller faire les petites folles sur un des bancs du square, derrière les arbres.

         José-Luis reprend:

         -Je vais aller chercher Guignol… Après la représentation, vous serez bien aimables et gentils de sortir par?…Par où?… C’est par là, la sortie.

         Il disparait. Bruitages, bandonéon, grand badaboum et le rideau s’ouvre sur un décor représentant un appartement XVIII° ouXIX° siècle;

         Il y a d’abord le régisseur, puis Madelon, la femme de Guignol, laquelle va lui faire un gâteau au chocolat mais chut, il ne faut pas lui dire: c’est une surprise. Elle charge Guillaume, le fils de Guignol, de lui dire qu’elle l’attend dans la cuisine.

         Malentendus: Guignol comprend non pas cuisine mais cousine, puis voisine. Ils se cognent sans arrêt en faisant des grands boum!

                Tableau suivant:

         Dans la forêt: Guignol a peur des lapins et pas  Guillaume; ils essayent de dormir. Il se blottissent l’un contre l’autre. Comique de situation. Arrive une souris verte. Guignol a peur de la souris verte et Guillaume essaye de l’attraper dans une boite et la souris n’arrête pas de s’échapper.

         Guillaumme assomme Guignol par inadvertance.

         Et puis arrive le gendarme qui, pour ce fait: assommer son père, veut emmener Guillaume en prison et qui, bien entendu, se fait rosser par Guignol qui ne veut pas qu’on emmène son fils en prison .

         Bien sûr, il y va:

         -Vous avez vu la souris?

         -Ouiiii!

         -Vous m’appelez si elle arrive.

         -Elle arrive! La souris! La souris!

         Les mômes sont pris dans le jeu.

          Et puis, c’est fini: ça a duré à peu près une demi-heure.

         José-Luis nous emmène -il y a aussi une photographe de presse- visiter l’intérieur du castelet (le castelet, c’est l’édifice éventuellement mobile du théâtre de marionnettes N.D.L.R.):

          -Ou y a d’la gaine, y a du plaisir (rire)

          L’envers du décor, c’est un bastringue, un fatras organisé: des marionnettes espagnoles et françaises, accrochées, la tête en bas à une étagère sur laquelle rôdent un bandonéon, des casseroles, des batons, des clochettes, un gant de boxe. C’est tout restreint, bordèliquement précis: un chapeau melon, un machin pour faire crouic-crouic au micro,un ou deux appeaux, une sonnette et, en dessous de l’étagère, une grande tôle verticale pour, en donnant des coups de pieds dedans, faire les bruits de tonnerre et surtout de coups de bâton, de choc.

          Deuxième séance, José-Luis nous a invités, la photographe et moi, à l’intérieur du castelet, dans cet espace tellement restreint.

         José fait le brigadier, puis le rideau se lève, le régisseur annonce le spectacle.

         Monsieur Boulou qui est bien enroué rencontre Guignol et lui raconte: il vient de recevoir un véritable magot d’un oncle d’Amérique et le lui confie.

         La prestesse de José à changer les gaines est stupéfiante.

         José danse littéralement dans les coulisses. Il donne de grands coups de pieds dans la tôle. Sa voix barre dans tous les sens: enfant, vieillard enroué, femme, gendarme, guignol etc.

         -Eh, les enfants que vous êtes courageux. Vous n’avez peur de rien?

         -Non!

         -C’est bien, ces enfants, ils sont courageux, ils n’ont peur de rien.

         Guignol dort. Puis arrive un crocodile.. Puis un vendeur de tirlipon qui est un bâton magique qui rend invisible. Le vendeur est un bandit et il assomme Guignol et lui prend l’or.

         Il y a une grande bagarre et finalement, c’est Guillaume, le fils de Guignol qui gagne mais, dans la foulée, il assomme aussi Guignol et le gendarme.

         C’est encore plus rigolo de l’intérieur. Au moment de la grande bagarre, José-Luis danse comme un derviche-tourneur: c’est la véritable transe, il se fend la pipe comme un illuminé; comme il n’arrête pas d’assommer tout le monde, il abandonne une marionnette assommée sur la bande pour renfiler une autre gaine tout en bougeant dans tous les sens.

         Voilà, on s’est bien amusés.

         -Un jour, j’ai eu une révélation totale en jouant ici. Après, j’ai tout oublié. Je me suis complètement arrêté: c’était une clairvoyance totale. C’était comme un fou dans mon village qui s’appelait Ramon: avec son bâton, il donnait des coups dans les cailloux ce qui créait frousse et fascination auprès des mômes.

          J’ai commencé les marionnettes à cause de la « Passion du Général Franco » d’Armand Gatti au T.N.P..Je devais y tenir le rôle du commissaire politique.

         Mais la pièce a été interdite. Malraux est venu. Il a pleuré. Il nous a dit que c’était interdit par le gouvernement. Malraux faisait confiance aux acteurs mais ça ne pouvait pas être joué sur une scène nationale.

         Alors, on l’a transformé en spectacle de marionnettes. Ca a été ma première approche des marionnettes. Le marionnettiste, c’était Tourneur. Il y avait des marionnettes de Pie XII, de Franco, de de Gaulle, de Malraux…

         On jouait dans des entreprises désaffectées, dans la rue.

         C’est là que j’ai appris la distorsion visuelle. Ce qui est intéressant, qui m’est venu grâce aux marionnettes, c’est qu’on peut exprimer la révolte par des expressions simples.

         A l’origine du guignol, qui reste un art populaire, il y a la Commédia d’el Arte et ses masques. Ils viennent en France. Les masques donnent une expression à chaque personnage avec sa voix. Ce qui m’intrigue c’est qu’on dirait que c’est passé par l’Espagne pour arriver en France. Ca se jouait quelquefois en prison, quelquefois à la cour. Les masques permettaient de réduire le nombre des acteurs: autrement, ça faisait au moins dix bouches à nourrir.

         Lorca aussi s’est inspiré de ce théâtre de marionnettes: c’est un théâtre de révolte avec des ellipses.

         C’est un art mineur mais populaire. Les arts dit majeurs sont minoritaires.

         Guignol se joue basé sur des canons: il y a le présentateur, Madelon cherche Guignol. Ce sont des situations de l’ordre du quotidien.

         Guillaume, le fils de Guignol tombe amoureux de la fille du proprio: si tu n’as pas d’argent, tu n’auras pas ma fille…

          C’est un théâtre oral: Molière s’est mis à écrire mais il jouait avant.

         Mon fils s’est retrouvé tout seul dans une école espagnole et il s’est mis à faire du théâtre de marionnettes pour ses copains.

         Le castelet des Champs Elysées,j’y suis depuis vingt ans. Avec un copain on avait rencontré l’ancien guignoliste, monsieur Guentleur – curieusement, il s’appelait Guentleur mais ils étaient guignolistes de père ou de mère en fils: ça explique sans doute le nom.

         Un jour, il est tombé malade et il m’a demandé de le remplacer à brûle-pourpoint. Ensuite, il venait régulièrement me voir. Il ne m’a jamais donné que des conseils techniques.

         Dans le Guignol, il y a un rituel dans l’esprit du jeu. Au Moyen-Age, il y avait le chemin de croix au moment de la passion, ce qui était une sorte d’auto-sacrement et, ensuite, il y avait les trois jours des fous pendant lesquels, par rapport à Marie ou à la religion, on utilisait des marionnettes.

         C’est une catharsis à travers des masques: si moi, je suis sacrilège, un bout de bois, c’est un bout de bois.

          En France, je découvre le vin, les femmes et puis, -c’est arrivé en 1960, j’avais vingt ans et j’étais réfugié politique, j’étais en représentation-, j’ai appris à manger piquant: chez moi, on ne mangeait pas piquant. J’étais un pélerin, c’est à dire un étranger: au Moyen-Age, il y avait le pélerin qui était forcément l’étranger

         La Vie de Lazare de Tormes, on l’a préparé avec Pepe Ortas dans un château qui appartenait à Pierre Gay. C’était le courant anti-psychiatrique. Pepe Ortas, il avait l’âge de mon père. Ce qu’il y a d’amusant, c’est que son fil s’est marié avec Sophie Dutertre, celle avec laquelle on est en train de faire des bouquins pour Le Seuil.

         Pepe, c’était un type du genre de Léonard de Vinci, à la fois peintre et manuel. On a fabriqué ensemble le petit castelet que vous avez vu. Il était un peu le vizir avec les anti-psychiatriques. Dans le château, c’est lui qui donnait la vie à l’époque soixante-dix et plus. C’est devenu un endroit branché: il y avait des gens comme Deleuze et Gattari…

         Quand j’y suis allé, comme on était ensemble, on a monté Lazare de Tormes et puis il y a des jours où il n’y avait pas de sous. Pierre Gay venait une fois par mois avec des huitres et tout ça mais le quotidien n’était pas assuré. Alors, on a mangé les poules et les pintades. On attrapait les lapins au lacet. On  ouvrait la volière et et on mettait des grains pour les oiseaux. Après, on mangeait les oiseaux frits, c’est une tradition espagnole: on est passé pour des sauvages. D’abord, on était dans les grandes pièces et on a fini dans les écuries, au moment du castelet. Mais il y avait une cheminée et un bois: à côté des château, il y a toujours un bois.

          Guignol? Ce n’est pas le mien. Il n’y a pas d’appropriation possible: il y en a une dizaine à Paris. C’est un deus ex machina. En petit, c’est comme Hamlet, Faust, Don Juan, Cyrano – pour Lorca, Cyrano était important. Lorca n’est jamais allé en Italie, comment est-il arrivé à retrouver ça dans son coin perdu.

         La tradition? Les dates sont faites pour démarquer: le Guignol lyonnais de Laurent Mourguet est devenu Lyonnais depuis qu’il ne l’a plus été. Mais qui connait Lafleur qui est resté en Picardie? C’est resté un étrusque, c’est à dire un masque.

         La particularité du guignol des Champs-Elysées, c’est Guillaume, le fils. A Lyon, il s’appelle Cadet. Le bâton, c’est le médium: il soutient le jeu de scène des comédiens, le bâton, c’est l’outil de travail. Le gendarme rossé, c’est l’ordre qui est rossé. La mort jamais. Guignol se doit de taper sur le gendarme parce que c’est la justice.

          Quand on m’invite à un festival, on m’écrit: tu dormiras dans une baignoire pleine de vin et tu reviendras. Le festival donne le sens du guignol.

         Quand il y a plusieurs nationalités, si celui de quinze heures parle, la parole masque le suivant: là, elle prend le pouvoir. Si c’est c’est le contraire, ça inverse.

         A Barcelone, ils commençaient avec leur catalanité, alors, j’ai joué en français.

          J’ai failli faire une balade en Chine pour donner une vision de la Chine par Guignol.

          Toutes les pièces se jouent à un rythme différent: c’est une tendance; Il y a deus ex machina mais pas manipulation; Il y a l’ordre naturel et le sur-naturel, c’est à dire mécanique mais il n’y a pas manipulation. Kleist parle de ça à propos du centre de gravité.

         Tout est inventé à l’intérieur du canevas. Les grands comédiens le savent. Le jour où quelqu’un sait qu’il fait toujours la même chose, il meurt.

         La marionnette est distanciée, surtout la marionnette à fil qui possède une beauté infernale de l’ordre de la contemplation et qui est différente de Guignol qui est un spectacle forain où il faut interpeller les badauds, ce qui fait une production très courte: ce sont des enchaînements de moments.

         Ce qui importe, c’est l’instant, l’instinct. Si tu vas à l’hôtel main dans la main, l’hôtelier va te dire: « C’est pour un petit moment? » et il va te faire moitié prix.

          Les marionnettes, ce sont celles de Guentleur.

         Au départ, avec Kasidanos, on a fait des morceaux de la Passion du Général Franco. On était prêt à monter le Roman de Renard.

         Guentleur, c’était un ouvrier électricien. Il y avait eu deux femmes marionnettistes dans sa famille: la mère et la grand-mère. Il a bénéficié d’être tombé amoureux d’une femme poivrote qui l’a poussé dans tous les sens: tu sais Vénus et Bacchus (rire). C’était une sacrée poivrote, elle lui faisait des scènes pas possibles.

         Je suis espagnol. Au début, ils m’appelaient « Monsieur Guignol », maintenant, ils m’appellent « Guignol ». C’est très français.: dans la mesure où le pélerin va oeuvrer pour la collectivité, il est reconnu. Mais pendant longtemps, le fait que Guignol soit tenu par un espagnol, ça a choqué plein de gens

         Des fois, les personnages me surprennent par leurs voix. Pourtant, c’est moi qui fait les voix mais c’est eux qui prennent les voix. Si je n’ai pas mes gaines, je ne suis pas sur de pouvoir faire les voix.

         (nous sommes dans un bar à vin en train de boire du vin et de manger du fromage, il fait un essai de voix de femme et, effectivement, çà n’est pas terrible)

         Les répétitions sont très difficiles à cause du manque de public.

         La seule chose à faire avec les marionnettes, c’est de leur faire confiance.

    Le cahier des charges date toujours de Napoléon III: il interdit de parler de politique ou de religion.

         Là, je vais en juillet en Espagne, puis à Buenos-Aires, sur les traces de Lorca, puis à New-York.

         Les Noces de Don Cristobal, je le joue tout seul. Avant on le jouait à trois, puis à deux avec une amie, maintenant tout seul. Mais ce n’est pas par misogynie (rire).

         Tu veux encore un verre?

 (Propos recueillis par Vincent Jarry, le 12 Juin 1998)

 

Hervé Breuil du Lavoir Moderne Parisien et de l’ancien Olympic . Interviewé le 21 Mars 2000 par Vincent Jarry pour la revue ‘Rue des Poètes’

   Je suis né dans un hameau de six habitants dans le Puy de Dôme, dans la commune d’Ambert.J’ai été émancipé à seize ans.Mon père m’avait foutu dehors.

         Jusqu’à ce quartier, j’ai fait des petits boulots de gauche à droite.

         (Salut, on t’a attendu hier. Ben, c’est ma biographie que t’écris)

 Oui, j’ai fait des petits boulots avant d’arriver là, dans ce quartier, avant d’ouvrir le Lavoir Moderne Parisien. Je suis arrivé  dans le quartier, j’avais vingt et un ans. C’était en 83 et on a ouvert en 85.   C’était un projet pluridisciplinaire transversal.

         Un projet pluridisciplinaire transversal? Qu’est-ce que ça veut dire?

         Je me suis trimballé de squat en squat, de Berlin à Paris en passant par Copenhague et Amsterdam. C’était  au début 80, en pleine explosion: il y avait beaucoup de connexions, beaucoup de lieux. C’est pour ça que ça m’a intéressé.J’espère de la continuité dans tous les mouvements Il n’y a personne ce soir, je vais fermer.

         Bon, i’ faut que j’aille servir

          Hervé sert à boire;

         Une contrebasse passe

         Les Négropolitains sont dans le coin.

         Momo est arrivé

         Hervé sert une noisette. Hier, il était énervé.

          Ma première cuite, c’était à cinq ans: des petits beurres Lu trempés dans la gnôle (c’est de l’alcool fait à partie de pommes à cochons : on a droit à cinq litres par an et par vache; c’est pour les empêcher de gonfler avec l’herbe mouillée du printemps (rire) Les vaches sont toutes folles au printemps: elle n’arrêtent pas de se grimper dessus.

          Hier, il y avait des sud-américains. Ils se foutaient sur la gueule. Comme à chaque concert avec eux. Il y a des embrouilles pour des histoires de gonzesses.

          Momo (serveur-chef : rire): Et pendant que ça se règle, la gonzesse se tire…

         Les squats artistiques, je les vois toujours.

           Le L.M.P., c’était une usine Citroën avec 150m de verrière J’en connais une cinquantaine

         L’Art-Cloche? (ce sont des amis: nous sommes en relations depuis plus de vingt ans. N.D.L.R.) Ils ont été expulsés. Ils ont tout déballé chez moi. Avant d’être expulsés, ils ont tout fait cramer. Ca a été filmé. Il reste encore plein de tableaux chez moi.

         C’est en 86 que les squats artistiques ont eu des problèmes; C’est la bande à Pasqua-Pandraud qui a fermé tous ces squats.

          Je ne sais pas ce qu’ils font en Autriche…

         Pour Momo (il est maghrébin N.D.L.R.), les accords de Schengen, ça n’est pas la même chose en Espagne et au Portugal quant à ce qui est du permis de séjour.

          Pour ici, c’est un bail commercial: c’est légal. Bien sûr, il y a eu des pressions; Les stups sont venus perquisitionner jusqu’à mon domicile. Quand on a ouvert le théâtre, ils ont contrôlé plusieurs fois les papiers des comédiens.

         J’habite rue Doudeauville (c’est la rue d’à côté N.D.L.R.), ils sont venus chez moi pour voir si je n’avais pas du matériel volé. La troisième fois, je les ai foutus dehors. Ils cherchent tout: la drogue, le recel etc..

          Oui, bien sûr, on a eu des problèmes avec la sécurité. On nous a interdit le local. Ca a été un long dialogue avec la préfecture… Cinq ou six ans de travaux.

         Quand on était interdit, si on le faisait quand même? Ben, évidemment, oui….

 Le Lavoir, ça a commencé sur un mode festif, sur de travail, plutôt de répétition, sans public. Il n’y avait pas de salle de spectacle: une soirée de temps en temps à cause de la trésorerie.

         C’était festif, avec un léger fonctionnement jusqu’à la guerre du Golfe qui nous a tout cassé la gueule.

 Quant au financement, c’est de l’autofinancement avec les recettes de spectacles, les soirées, les ventes de tableaux; Une société de production qui pourrait bien fonctionner. A chaque fois, il faut se démerder.

         Aujourd’hui, c’est le bar( Ancien Olympic, 20 rue Léon, N.D.L.R.), parce que les pouvoirs publics n’aident pas. L’économie privée libérale n’est pas tellement éloignée de l’objectif artistique: la liberté, c’est très dur.

         J’aimerais avoir du pognon pour faire profiter la liberté.

          Au 35, (Le Lavoir Moderne Parisien ), on peut mettre deux cents personnes: il y a 100 fauteuils et puis, l’entrée, l’expo et la buvette.

         A l’Olympic, on est toujours à l’affût d’un relais économique. Le lavoir est très plein.

         J’ai toujours les mêmes projets, beaucoup ne verront pas le jour, ce sont des compromis. Peut-être que les projets les plus beaux sont à la trappe.

         Le deuxième lieu, l’Olympic, c’est le projet maximum. Au niveau de la culture, ce sont des projets à plus gros risque. C’est un lieu d’accueil foisonnant au niveau des performances: le cabaret, les poètes ont accès à une salle de spectacle… On dépoussière… On dépoussière…

          Un verre cassé. Hervé prend le balai et nettoie le long du bar.

          J’ai commencé avec 80F. J’ai toujours rien de plus.

         Ce n’est même pas ça l’histoire.

         Mon père m’a foutu dehors, j’avais zéro, c’était le début du printemps. Je n’avais qu’une chemise et une petite veste de merde. Je rentrais à cinq heures du matin, complètement bourré, j’avais sauté le mur et je passais par la fenêtre et il m’attendais : pour me foutre à la porte. ..Je suis parti dormir dans des granges, dans la paille. Après, je suis arrivé en Corse. J’avais quatre-vingts balles en poche. Je me suis retrouvé pêcheur sur un chalutier. Ca m’a fait un peu d’argent, j’ai acheté une bagnole, une R6 et j’ai pu aller à Paris, voir les squats d’Europe.

 L’écriture?

         J’ai toujours un petit carnet. Ca fait longtemps que je fais une page par jour, Une petite page: comme le feuillet que t’as pris. Une vingtaine de lignes.

         Ca m’aide à lutter contre la dépression…

         Non, mais la dépression, ça va jamais très loin… (rire)

          Vous reprenez quelque chose?

 Propos recueillis par Vincent Jarry le 21 Mars 2000 pour la revue « Rue des Poètes »

 

A quoi sert la poésie ? Une lettre de Monsieur A.Ejjoud, poète marocain à Vincent Jarry, Directeur de « Rue des Poètes »

Irhoud, le 30 – 07 – o1

Cher Vincent Jarry,

 A quoi sert la poésie ?

La dernière fois que cette miséreuse question m’a été lancée dans la figure, c’était au consulat de France, à Agadir, lorsque je me suis présenté pour demander un visa de quelques jours pour la France à l’aimable invitation de votre association « Poèmes en es Gros & ½ Gros ».

Il n’y a que l’argent qui peut servir non pas la poésie et, pour avoir un visa pour le Pays de Baudelaire, il faut être riche. Poète ? Ils s’en foutent : le visa m’a été refusé.

            Quand j’avais sept ans et pour arriver à l’école de mon village reculé, je devais faire neuf kilomètres chaque matin sur un âne. Nos instituteurs étaient plutôt des bourreaux que des éducateurs, ils punissaient avec, et surtout, sans raison. Quand mes deux frères plus jeunes ont atteint l’âge de l’école, nous étions trois à monter sur le dos du même âne et faire le même trajet. A midi, nous mangions du pain et du thé froid. Mon père, qui a servi dans l’armée française (et qui a été contraint de la quitter avec une invalidité sans rien avoir comme indemnité) avait gardé un tempérament militaire et il essayait de l’appliquer, à sa façon, sur ses enfants. Lorsque les vacances arrivaient, les travaux les plus pénibles nous attendaient dans les champs.

Dans une enfance, qu’elle soit douce ou amère, ou ni l’autre ni l’autre, peut-on imaginer une place à la poésie ? et que peut la poésie dans une situation régie par une condition aussi mystérieuse que l’enfance ?

            L’enfant fragile et sensible que j’étais, pensait toujours qu’il y avait au delà de la misère un autre monde plein de beauté et de marches de splendeurs et de joies : il avait une certitude presque totale de l’existence de ce monde, les séances de lecture à l’école l’emmenait pour un voyage différent, surtout quand il s’agissait de poésie, et, bien qu’il ne comprenait pas tout ce qu’il lisait, il a commencé à avoir cette envie bizarre qui le poussait à l’écart de ses frères pour lire Albouhtouri et rêver de son monde à lui qui s’étendait à des horizons infinis. Il lui arrivait, quelques fois, d’oublier le fardeau quotidien, de s’enfuir, de se sentir plus grand et de voir sa situation d’en haut, même si ce n’était que pour que quelques instants. De là, a commencé, une longue compagnie avec la poésie et qui n’a jamais cessé depuis.

Devenant adulte, j’ai gardé sans le savoir, une vision de l’existence ravivée par le sentiment de l’ »à-quoi-bon », et lorsque j’ai écrit mes premiers poèmes, on m’a fait remarquer le côté splénétique dominant dans ce que j’écris L’écriture serait-elle la continuation de l’enfance par d’autres formes ? Je ne sais pas, mais moi, je ne pense pas à tout cela en écrivant, je me contente seulement d’errer dans l’univers magique des mots.

 Il m’arrive, quand le plaisir de m’assurer que le vin est bien le « breuvage éternel », s’offre à moi, de penser à Khayyâm qui, à travers la poésie, a essayé de capter la lumière, d’y nager à son extrême profondeur et, puisqu’il était en perpétuel désaccord avec la vie, il l’a « répudiée » et a « épousé la fille de la vigne ». Afin de vivre sa poésie en elle sous d’autres formes, il la vivait jusqu’à l’enivrement. Comme faisaient les soufis. Tant d’éléments nourrissent le désaccord : l’ennui de cette farce de tous les jours, le vide insoutenable, la sécheresse des instants trop lourds… Ainsi la poésie, pour Khayyâm et ses amis, devient le refuge qui protège de la folie, devient le silence profond et vertigineux où l’âme retrouve son ardeur et ses « Illuminations », où le poète devient maître du silence, exactement comme l’était Rimbaud, « c’est trop beau, trop ! Gardons notre silence » disait-il.

A quoi sert la poésie ? Ou encore que peut faire la poésie face à la misère du monde ?

Je pense que sans la poésie , le monde sera en face de deux misères : la misère du monde et la misère du monde sans la poésie.

Je ne sais pas, cher Vincent Jarry, pourquoi ma lettre a pris cette forme. Je voulais seulement te dire merci. Comment exprimer ce qui est simple dans un monde loin d’être intelligible ?… Je veux aussi te dire bravo pour la »Rue des Poètes » qui, de ce coin reculé, grâce à notre ami Gérard Muth, m’a permis des belles rencontres avec des gens formidables : G. Jafeu, M.P. Sandrin, W. Lambersy, V. Jarry…

Avec mes amitiés

A.Ejjoud.

 

Nota :

Comme nous avions trouvé que ce charmant poète marocain qui cite avec raison Omar Khayyam, chantre de la liberté et de la volupté, méritait bien de nous faire plaisir en venant raconter ses poèmes au Lucernaire, nous lui avions envoyé une sorte de contrat mais son visa a été refusé…

Pourquoi ?

Omar Khayyam, poète du XII° ou XIII° siècle persan, grand algébriste, pré-rabelaisien a été interdit dans son pays d’origine, l’Iran, de 1978 à 2.000 ou 2.001, ce qui démontre bien à quoi sert le poète : à démontrer par l’absurde la fragilité et donc la férocité aveugle des dictatures, même si elles se prétendent douces.

Bon, c’est un peu tout partout sous des formes différentes  mais vive la liberté du mot qui chante.

Bon, ben, maintenant voici des poèmes attenants…

 Vincent Jarry

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JE ME SERS D’ANIMAUX POUR INSTRUIRE LES HOMMES, un spectacle au tour des Fables de la Fontaine, par la Compagnie Aigle de Sable à partir du 10 Novembre 2011 au Théâtre Douze

Au Théâtre Douze : 6 Avenue Maurice Ravel 7012 PARIS

Du 10 Novembre au 11 Décembre 2011

Du Jeudi au Samedi à 20 H 30, Dimanche à 15 H 30. Relâche, les 11, 26 et 27 Novembre 2011. Durée : 1 Heure

La Fontaine, on aime ou on n’aime pas mais il y a une chose certaine, l’eau de ses fables court encore. Faut-il donc être assoiffé pour goûter à sa fraicheur ? La Fontaine est un musicologue averti et un traître, oui comme tous ses personnages, le loup, le renard , la lionne. Se faire avoir par  de belles paroles, prendre des vessies pour des lanternes, quand ce que vous avez dit ou entendu que vous croyiez à mille lieues sous terre (dixit Victor Hugo dans son poème «le mot»)  vous pourriez l’écouter dans la bouche de votre frère, votre sœur, votre voisin et pourquoi pas à travers les pépiements de moineaux.

Cela converse tout autour de nous dans de multiples langues mais puisqu’il s’agit de celle de La Fontaine, à l’origine de plusieurs proverbes, il est probable qu’elle nous sert encore tous les jours.

Ne sont-ils pas bien à propos, ces jolis vers, pour calmer une colère : Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Le spectacle de la compagnie Aigle de Sable s’appuie sur l’aspect comique d’un bouquet de neuf fables (certaines à redécouvrir comme « les obsèques de la lionne») pour nous servir une représentation théâtrale, divertissante et joyeuse, très boute-en- train mais on ne sait pas toujours qui illustre qui. Des personnages issus de la commedia dell’arte, se piquent de dire des fables un peu comme dans une comédie musicale. La soubrette interprétée par Milena Vlach, est délurée, impertinente à souhait tandis qu’Alexandre Palma Salas, compose une sorte de Pantalon grossier, qui se prend pour La Fontaine.

Peu rancunier, La Fontaine trouve sa respiration en cadence sous le flux de morceaux du répertoire français et étranger, Marais, Forqueray, Tobias Hume, Simpson, Ortiz) exprimés gracieusement par une talentueuse harpiste, Audrey Saad.

Ce spectacle devrait trouver les faveurs d’un public familial désireux de goûter aux charmes de la musique baroque, sans se prendre la tête, pour le plaisir de rejoindre l’univers plutôt fantastique de la Fontaine qui continue, mine de rien,  à abreuver nos chères petites consciences.

 Le 23 Octobre 2011

Evelyne Trân

MASTERKLASS de Pierre Byland à l’Epée de Bois dans le cadre du Festival « Le clown fait le Byland »

Théâtre de l’Epée de Bois
La Cartoucherie
Route du Champs de Manoeuvre

75012 Paris  Tél. 01.48.08.39.74

Salle en pierre du 6 Octobre au 13 Novembre 2011 Du Mardi au Samedi 21 H et Dimanche 18 H

 Artistes : Pierre Byland, Mareike Schnitker, Dante Carbini, Giovanni Foresti, Carmen Götz, Gerardo Mele, Paola Omodeo Zorini, Manuel Rytz, Kate Hannah Weinrieb.
Metteur en scène : Pierre Byland Assistante à la mise en scène Mareike Schnitker, Scénographie Erhard Stieffel, Cordination musicale : Manuel Ritz

Dans le cadre du Festival LE CLOWN FAIT LE BYLAND du 6 Octobre au 27 Novembre 2011 du mardi au samedi 2 spectacles 19 H et 21 H.  Dimanche 2 spectacles 17 H et 19 H

 Comment nous les humains, nous débrouillons nous pour avoir l’air parfois si ridicules ? Est-ce à cause d’une de nos molécules cérébrales, victime d’une insolation pendant l’ère préhistorique   que prenant conscience de notre indomptable résistance au feu du miroir et surtout de notre supériorité par rapport à notre cousin le singe, nous sommes auréolés d’une vanité indécrottable qui finit par tenir lieu à l’homo sapiens d’instinct de conservation, d’assurance dans un monde dont il serait le seul dominant.

 Existentiellement vôtre, le clown exprime cette dérive, cette rupture mal consommée, entre l’homme et le singe, celui à qui il manque un  grain dans un monde normalisé, qui n’entend pas ce qui lui est dit mais reste toujours étonné par ce qu’il découvre.

 Le clown n’est pas seulement un animal de cirque destiné à amuser les spectateurs. Les savants commencent à s’intéresser à cette espèce d’humain (l’homo stupidens)  qui parait impossible à domestiquer par nature, son essence étant probablement animale et son allure humaine juste un mauvais papier collé entre l’homme et le singe.

 Dans cette masterklass où un prétendu chef « petit con » organise un concours de clowns, l’expérience est manifeste. Qu’ils soient affublés de moustaches ou de chapeaux de maternelle, ou qu’ils acceptent de se dépouiller sous l’œil averti de leur maître, de leurs apparats clownesques, ils restent clowns. Pleins de bonne volonté, ils ne demandent qu’à obéir, croire ce qu’on leur demande de faire mais ils ne comprennent  rien, puisque ce que leur dicte leur chef n’a pas de sens et qu’il faut bien remplir le vide de leur état d’être : je joue, je ris, je chante, je m’étonne, je me dispute, je t’embrasse, je t’aime, je suis content.

 Pour vous donner conscience de votre valeur, dans cette parodie d’examens, de concours, de palmes, il convient d’avaler quelques couleuvres, d’être humilié par votre professeur «  au coin, au coin, vous qui riez … ». En guise d’enseignement, vous aurez réussi à comprendre que vous avez une chance sur deux, de retomber sur vos pattes, pile ou face comme une tartine beurrée.

Vous glisserez doucement de votre conscience de clown vers celle d’adulte avant d’être rattrapé et c’est salvateur par plus guignolesques que vous-même, quelques chants tyroliens pour une dernière messe en hommage au gagnant du concours qui après des efforts sur-clownesques pique du nez dans une appétissante  et mélancolique tarte à la crème.

 Etre ou ne pas être clown, tel est l’emblématique dilemme qui ressort  de cette manifestation prodigieuse. Planète de singes, planète de demeurés, parait quand même que ce sont des humains de divers pays,  ils sont huit, un prof, un surveillant, trois femmes et trois hommes, ils sont à l’école … L’enseignement c’est le nerf de la guerre. Je ne saurais trop conseiller les aspirants au trône du Clown d’aller assister à ce cours très, très instructif. Emmenez vos enfants, votre singe et votre poule, on ne sait jamais…

 

 

 

 

 

 

 

Au carnaval des animaux et des clowns en particulier, c’est toujours l’homme qui gagne, et c’est ainsi, depuis toujours, qu’il fait ses gammes en pleurant et en riant en même temps.

 Paris, le 16 Octobre 2011

Evelyne Trân

UNE RONDE MILITANTE, une comédie politique de Jacques JOUET, mise en scène par Gérard LORCY au Vent se lève – 181 Av Jean Jaurès 75019 PARIS

A 20 H 30  par la Compagnie ô Fantômes Avec : Jehanne Carillon, Francis Coulaud, François Decayeux,
Nora Gambet, Christian Jéhanin, Sylvie Jobert.

Scénographie et costumes : Robin Chemin
Lumières et régie générale : Jeff Palusrek        Durée : 1h30 environ

 Les 20, 21, 22/27, 28, 29 OCTOBRE 2011 à 20 H 30

 Le sujet est particulièrement ambitieux : retracer à travers sept scènes de vie des années cinquante à nos jours soit six décennies et plusieurs générations, une histoire du militantisme français marqué par l’idéal communiste.

La pièce a été écrite à partir des témoignages recueillis auprès de militants syndicaux, politiques ou associatifs la plupart retraités du bassin creillois.

A travers cette chaine humaine, ce tableau qui en l’espèce pourrait  avoir l’air d’une vieille toile décrochée laissant apparaitre un pan de mur prêt  à être abattu ou ravalé, ce qui attire l’attention ce sont les vieux crochets ou la corde qui continue à battre des ailes sur la surface de la peinture devenue aussi obsolète qu’une image de Lénine en patriarche de la Révolution Russe.

 La pièce a beau commencer après guerre, il est impossible de parler de communisme sans se référer à la Commune, à Marx, à Lénine, au colonialisme, à l’Internationale, au S.F.I.O, au  Front populaire,  etc…  Que les bottes des valeurs de gauche soient trop étroites ou trop larges ou percées, il faut croire qu’elles ont jalonné de nombreuses routes et que ceux qui veulent prendre modèle sur elles, savent tout simplement qu’ils doivent se garder de tout esprit de nostalgie pour aller de l’avant.

Faut-il penser que les militants de gauche font partie d’une église qui cache en son sein un dieu qui s’appellerait Lénine ? La politique n’est pas seulement un mot, c’est une réalité, tout un chacun fait partie de la société. Etymologiquement, la politique, c’est la vie de la cité. Au-delà des dogmes, des théories, de la science,  il est passionnant d’écouter ce qui découle de voix anonymes d’individus qui ont voulu être acteurs plutôt que de subir leurs conditions de travailleurs. Mais le sentiment communautaire ne suffit pas, il manque le loup dans la bergerie.

L’histoire, leur histoire puisqu’ils sont capables de se remettre en question, ces gens de gauche, devient une  farce cynique qu’ils peuvent exposer par l’entremise de deux scènes,  celle où leur propre élu au pouvoir exprime qu’il est bâillonné et celle où le vieux militant est étouffé par sa propre petite fille.

Nous assistons à de véritables petits psychodrames qui mettent en lumière les blessures, les déceptions, et aussi les espoirs, l’énergie à travers plusieurs couches d’individus, secrétaire de cellule, permanent syndical, couple communiste, ministre, jeune fille, et le fantôme de Kroupskaïa, la veuve de Lénine, interprété de façon très réjouissante et vivante par Sylvie Jobert.

La direction des comédiens est généreuse et les acteurs si convaincants qu’on oublierait qu’ils sont en train de jouer.

  Les représentations sont suivies de débats aves les spectateurs en présence de témoins, ce qui permet de poursuivre la ronde qui souhaite s’enrichir des réactions du public et qui donc reste ouverte.

 L’auteur a indiqué qu’il travaillait à un roman. Voilà une bonne idée, pour exprimer toutes ces voix, raconter leur mouvement, et comprendre que même si certaines se sont tues, elles ont une source commune qui alimentent et obligent une certaine raison d’être en société en tant qu’individus, à paroles et visages humains.

  Est-ce utopiste de penser que nous sommes loin à travers la perspective de l’auteur, du cliché d’un communisme dictateur, le couteau entre les dents. Ce qui fait du bien, c’est d’écouter pour une fois, au lieu des représentants du peuple toujours sanglés dans leurs belles phrases, ou même les intellectuels trop pointus, ceux qui travaillent derrière, qu’on ne voit pas, et qui peuvent en dire long parce qu’ils n’ont pas d’autre ambition que de donner un sens à leur vie. Une histoire d’apprendre à vivre autrement qu’entre le marteau et l’enclume, voilà et c’est pas fini…

 Paris, le 14 Octobre 2011

Evelyne Trân

IKIOU Peinture et dialogue Exposition à la Galerie Aurore 33 Rue Mazarine 75006 PARIS du 10 au 30 Octobre 2011 de 11 H à 19 H sauf le Dimanche. VERNISSAGE LE JEUDI 20 OCTOBRE 2011 DE 18 H A 20 H

 IKIOU en quête d’arbres

L’arbre objet, l’arbre nature, l’arbre femme, l’arbre viril, il n’y a pas un arbre, chez le peintre IKIOU que sa vision ne puisse faire voler en éclats tant il est dominé par ses plusieurs esprits.

 L’image de l’arbre chez lui est aussi bien l’annonce d’une impression qu’il subit, qui se prête ou qui se dérobe à travers des larmes qui ne sont que des jetées de couleurs.

 Au cœur de l’innocence abrupte, c’est un peu compliqué comme expression mais c’est pour dire comment après les avoir habillés et mis en scène ses arbres,  à travers un seul tableau, il choisit de se laisser dépouiller de ses artifices, pour laisser parler le vrai, l’inconsidéré, l‘arbre à la chevelure désordonnée, qui avance ou qui est revenu, alors même qu’il était caché, plus sauvage ou primaire, après moult détours.

 L’arbre volte-face au détour de celui qui le fixe, lui assigne une place puis l’abandonne, obéit enfin à notre besoin d’espace et d’étendue.

 C’est très étrange ce voyage à travers des arbres qui clignotent qui ont seulement l’air de se ressembler pour mimer notre ère qui s’accompagne de plus en plus d’objets virtuels, sans relation charnelle.

 Ikiou, artiste têtu à plusieurs têtes, peintre Coréen, influencé aussi bien par Cézanne que par Braque,  inaugure le chant d’arbres dans cette plus vaste forêt, pour devenir l’interprète inespéré d’un dialogue trépidant entre l’orient et l’occident (C’était le bâton de pèlerinage de Malraux), une sorte de récréation continue, tel un pêcheur très humble lève l’ombre, sans confondre le reflet de la lune avec sa canne à pèche, pour rester à l’écoute, caché derrière l’arbre totem.

 De la même façon qu’un  enfant met un coquillage à son oreille pour écouter la mer, Ikiou traverse le monde en marchant sur ses toiles, un doigt sur la bouche pour ne pas laisser s’échapper leur mystérieuse expression.

 Or, qu’elle vous soit acquise ou plus étrangère, elle règne primaire ou écarlate, grise ou orange, l’expression de chaloupe en chaloupe.

 J’invite les amateurs qui ne croient pas encore avoir le regard usé, à monter dans la barque d’IKIOU, qui a son ancre, à la Galerie AURORE. L’’entrée est libre,  laissez-vous rêver, et dévisager comme si ce n’était qu’un arbre qui vous regardait.

 Paris, le 12 Octobre  2011

Evelyne Trân

 

LA PAPESSE AMERICAINE avec Nathalie Mann au Théâtre de l’Essaïon

D’après le pamphlet d’Esther Vilar – Adaptation de Robert Poudérou – Mise en scène de Thierry Harcourt

 En 2040 une femme est  élue Pape et fait son discours d’intronisation à la télévision. Il n’y a plus de Vatican, elle est sponsorisée, coupée par des pubs et  elle  nous propose sa révolution !

Du 22 Septembre 2011
au 14 Janvier 2012
Jeudi, vendredi, samedi à 20h

  P.S. Nathalie MANN  était l’invitée de l’émission “Deux sous de scène” du samedi 8 Octobre 2011 que vous pouvez écouter et télécharger pendant une semaine sur le site de Radio Libertaire (grille des émissions).

Il faut saluer la naissance de la Papesse américaine, avec un peu de retard certes, puisqu’elle est née en 1982 d’une façon tout à fait virginale, dans les limbes d’une écrivaine allemande Esther Vilar. Cela résonne d’une façon un peu péjorative, le mot papesse ça rime aussi bien avec fesse qu’avec prêtresse. Il est étrange de voir comment la féminisation de noms voués durant des siècles au genre masculin, a du mal à être prise au sérieux.

 Et pourtant il existe ce mot papesse mais il est inutile d’aller vérifier dans le dictionnaire, il vaut mieux aller à la rencontre de celle qui l’incarne, Nathalie Mann au Théâtre de l’Essaïon.  Enfin vous pourrez dire, oui elle existe, je l’ai vue, c’est une femme et elle parle bien !

 En plus, elle est maligne, elle explique à son auditoire avec rouerie et perspicacité comment en tirant les marrons de ces feus prédécesseurs, elle jouera son rôle de papesse.

 Dans cette gigantesque toile d’araignée où la chrétienté a vu le jour, la figure du christ parait indissoluble. On pourrait dire que la papesse est fille de…, fille de toutes ces femmes qui durant des siècles ont vécu dans un monde conjugué au masculin.

 Comme elle est cruelle, la mise en scène d’aujourd’hui ! Pour annoncer à ses compatriotes qu’elle veut faire le bien, qu’elle est prête  à donner sa vie à un idéal de justice et d’amour sur terre, la papesse ne peut pas faire l’impasse des sponsors qui l’installent sur le trône. Alors, elle devient la mère Ubu, en plus élégante, endossant la robe d’une mante religieuse ou de la reine des abeilles qui tire le miel des confidences et des désirs de soumission de ses idolâtres.

 Comment il aurait été le Dieu inventé par les femmes ? Voilà une question piège. N’oublions pas que le pape est le représentant de Dieu sur terre. Alors, d’où sort-elle cette papesse ? D’une papauté en ruines, d’une religion-fiction intersidérale ? Il faut pincer les cordes de toutes les croyances humaines, il faut tenir compte des rêves obscurs et timides des  humains, apprivoiser leur diversité, leurs contradictions, en somme c’est de la politique que le doigté féminin peut fort bien s’approprier.

 Toutes âmes confondues, auteure, adaptateur, metteur en scène  et interprète font de ce spectacle un appel d’air, où peuvent s’engouffrer les doutes, les interrogations, les révoltes aussi bien des athées que des chrétiens.

 Croyez-moi, pour une fois, vous n’aurez pas le temps de vous endormir pendant l’homélie, comme à la messe ou à un débat politique, tant il est vrai que cette papesse a de l’énergie à revendre pour faire palpiter ses électeurs futurs et à venir, en votre âme et conscience, chers spectateurs !

 Paris, le 8 Octobre 2011               Evelyne Trân

FESTIVAL FUTUR COMPOSE , RENCONTRES EUROPEENNES « CULTURE ET PSYCHIATRIE »

A propos des Rencontres Européennes  « Culture et Psychiatrie  » 

qui se sont tenues du 21 au 24 Septembre 2011– Hôtel de Ville de Paris – Institut culturel Italien  Espace Paris Plaine –

 En tant que profane sans connaissances médicales, j’ai assisté à deux des manifestations de l’Association du Futur composé visant à promouvoir les talents artistiques des personnes souffrant de troubles mentaux. Les psychiatres et leurs patients deviennent siamois dans cette entreprise. Pas question pour le public de devenir otage d’une aventure où il resterait au bord. Tant pour les médecins que pour les « malades » il s’agit de mettre en scène leur interaction, une histoire de vie commune à travers laquelle, peu ou prou sensibles, nous pouvons être amenés sinon à nous retourner dans nos tombes, à nous pincer dans nos rêves les plus récriminatoires.

Certains auront en mémoire à travers des films célèbres : « Vol au-dessus d’un nid de coucou » de Milos Forman ou « La tête contre les murs » de Georges Franju (avec Jean-Pierre Mocky), la vision concentrationnaire des hôpitaux psychiatriques. La camisole, l’électrochoc sont des instruments de torture. Il n’y pas si longtemps, les infirmiers y avaient recours sans sourciller. L’on imagine tout le courage qu’il a fallu à un jeune psychiatre italien Franco Basiglia, à Trieste, il y a une trentaine d’années, pour venir à bout de pratiques moyenâgeuses.

  Son histoire fait l’objet d’un film réalisé par Marco Turco pour la chaine de télévision italienne RAI : C’era una volta la citta dei matti, il était une fois la cité des fous.

 Le réalisateur met l’accent sur l’effet fusionnel qui s’instaure entre soignants et soignés à partir du moment où Brasiglia décide d’ouvrir les cages des aliénés. Basiglia est un humaniste qui se sert de son intuition bien plus que de sa science. Il ne cesse de vouloir aider et comprendre ces « fous » parce qu’en vérité, il entend lui-même des voix et que bien au-delà de l’étiquette des fous assignée aux malades mentaux, il est interpellé. L’amitié est au cœur de l’ouvrage, non pas une amitié condescendante, mais sous le signe de l’exigence parce que s’ils ne se sentaient pas concernés par l’avenir de leurs patients, c’est leur engagement en tant soignants qui n’aurait plus sa raison d’être. Un homme demande à Brasiglia « Cela veut dire quoi être fou, cela a-t-il un sens ?» Mais Basiglia répond seulement qu’il ne sait pas.

 C’est de l’avenir en tant qu’être qu’il s’agit de toute façon. Celui qui souffre et qu’on appelle malade est bien souvent un proche.

Est-il possible d’apprivoiser la douleur ? Dans le film Basiglia et son équipe s’y efforcent comme des pompiers se battent contre le feu. Certaines scènes très violentes sont insoutenables. L’une d’elles raconte comment un homme devenu fou suite à un traumatisme d’enfance pendant  la guerre, va sublimer sa douleur. En plein délire, il applique ses mains saignantes contre un mur et  le sang qui dégouline devient un instrument de peinture. De ce délire, de cette douleur vomie sur un mur, va surgir sa vocation de peintre.

 Et puis, il y a cette fameuse histoire de «Cheval bleu» une sculpture géante en papier mâché, une sorte de cheval de Troie, que tous les patients de l’hôpital ont nourri de leurs rêves, leurs désirs, les plus fous. Il s’appelle Marco, un jour, il décide de sortir, supporté aussi bien par l’équipe soignante que par ses créateurs. Comme il est trop grand, il ne peut pas passer par la porte. Alors, Basiglia décide de casser les murs de l’hôpital San Giovanni, Marco Cavello fonce,  parcourt toute  l’Italie et devient l’emblème d’une nouvelle psychiatrie. La mouche qui a piqué Basiglia était contagieuse, tous les espoirs étaient permis. Aujourd’hui l’Association du Futur Composé compte bien poursuivre cette belle aventure humaine qui vaut bien le premier pas de l’homme sur la lune !

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 En hommage à Franco Basaglia,  l’Academia della Follia a présenté

« La luce di dentro, viva Franco Brasiglia» une pièce de Gianni Fenzi, mise en scène par Giuliano Scabia avec la collaboration de Claudio Misculin.

Marco Cavallo, le grand cheval bleu, est devenu le symbole de la libération des hôpitaux psychiatriques en Italie, qui a abouti à leur fermeture avec la loi 180 de 1978. Nous serions naïfs d’imaginer que depuis, tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais la dynamique amorcée par Brasiglia avec son équipe, se poursuit notamment avec le travail de l’association Européenne du Futur Composé dont le but est de défendre une psychiatrie à visage humain.

 Celui qui souffre dit-on est malade. Evidemment si vous vous  accrochez à une vision très ordonnée de la vie où il serait bienvenu de fermer les yeux face à la misère parce que ce n’est pas beau, pas propre, pas publicitaire et pas convenable et qu’avec le curriculum vitae de nos problèmes, en paraphrasant Tartuffe, une petite voix surenchérit : «Cachez donc cette douleur … », passez votre chemin.

 Il y a pourtant des gens qui prétendent que pauvres, moches ou malades ou chômeurs, nous sommes encore des humains aux ressources insoupçonnées. Leur message c’est la tolérance qui nous parle de société où il faut lutter sans arrêt contre nos préjugés et nos réflexes primaires de protection et de sécurité.

 

Nous pourrions, s’agissant des comédiens de L’Academia della Follia, mettre entre  parenthèse «qui souffrent de troubles mentaux». Tous les artistes savent très bien que dès lors qu’ils rentrent en scène, ils oublient leurs problèmes physiques ou moraux, ils ne sont plus les mêmes, ils jouent, ils sont leurs personnages. Le spectacle auquel j’ai assisté était juste et criant de vérité, sans esbroufe, naturel. C’était un  bonheur d’écouter ces artistes nous raconter l’histoire de Brasiglia en français avec l’accent chantant de l’italien. Du théâtre à l’état pur, sans une pointe d’académisme, ce qui ma foi, fait du bien aux tripes.

 

Ce spectacle honore tous les serviteurs de l’Association du Futur composé qui poursuit son action en faveur des personnes autistes et handicapées mentales et par la même enrichit le regard des spectateurs qui ont tant besoin des artistes d’où qu’ils viennent, pour exister.

 Artistes, malades, psychiatres paraissent solidaires de l’entreprise et c’est important en dépit des controverses sur le terrain et les idéaux de chacun. La vérité sort de la bouche des enfants, elle s’est exprimée, le jour de cette représentation, par la voix de spectateurs reconnaissants. L’objectif du Futur Composé d’amorcer une dynamique européenne est bien engagé. En tant que public même profane, nous ne pouvons que soutenir son action.  

 

Paris,  le 1er Octobre  2011                            Evelyne Trân

CINQUANTIEME FESTIVAL MONDIAL DES MARIONNETTES DE CHARLEVILLE MEZIERES

Eh oui c’est déjà du passé, le festival des Marionnettes de Charleville Mézières s’est déroulé du 16 Septembre au 25  Septembre 2011, cette année. J’ai eu la chance d’y faire un tour deux jours seulement, mais cela m’a suffi pour éprouver l’ambiance extraordinaire, un peu enchantée de la ville à ce moment là. Un coup de baguette magique assené par les organisateurs pour faire de cette belle ville trop sage aux dires de ses résidants, le rendez vous international des marionnettistes. Un coup de baguette magique qui doit beaucoup au labeur et à la ferveur des carolomacériens, c’est le nom des habitants, dont la plupart sont bénévoles et offrent même le gîte aux artistes.

 Parce qu’ils savent qu’il est unique, ce festival, et que c’est une occasion trop rare, pour les petits et pour les grands  de pouvoir s’inviter aux spectacles de rue, aussi naturellement que l’on se rend à l’épicerie ou chez le coiffeur. Certains spectacles ont cela de fabuleux qu’ils paraissent à portée de main, et cela tombe bien puisque tout est question de mains et de délicatesse pour donner vie à des petits personnages capables de nuancer sans paroles, juste parfois avec un peu de musique, toutes sortes de sentiments et de désirs. Les marionnettes savent tout faire, jouer du piano, faire du patin à roulettes, cracher du feu etc…

Les marionnettes deviennent les ambassadrices des artistes à petites ou à grandes voix. Certains spectacles nécessitent un grand échafaudage, d’autres seulement 2 M2 de trottoir, mais cela ne les empêche pas de communiquer justement à travers les spectateurs et de se renvoyer la balle.

Il y a depuis toujours, un trait d’union entre le théâtre d’ombres et celui de marionnettes. Cela doit remonter au temps ancien, à une époque où il n’y avait pas encore le cinéma. Quand le mouvement créait l’image, bien sûr que cela ne date pas d’hier. Grâce au spectacle « Y es Tu ?» de la Compagnie s’appelle reviens, sans complexe,  la ménagère de 50 ans peut retrouver ses premières émotions enfantines. Alice Laloy scénographe et plasticienne explore le thème de la peur de façon poétique et déroutante, n’usant que des artifices de l’attrape-ombres. Marionnettistes, projecteurs, contrebassiste, et même un enfant sont conviés à projeter un rêve collectif qui laisse pantois le public.

Cela trépide dans tous les sens, et cela reste inatteignable, des mains qui surgissent d’un panier, un pouce, une pomme, un loup qui aurait une tête de grand-mère. L’on songe aux recherches de Mélies tant le spectacle semble rattrapé par sa volubilité créatrice.

Cela dépasse les bornes de notre imagination de sorte qu’on finit par ne  plus savoir qui de la metteure en scène, des marionnettes ou des artistes font la loi dans ce théâtre.

 Dans un autre registre mais qui rentre cependant dans le cadre du théâtre d’ombres, j’ai assisté au milieu de la foule rassemblée dans l’immense et imposante Place Ducale (il parait qu’elle est sœur de la Place des Vosges à Paris) au spectacle halluciné de Luc Amoros, « Page Blanche ». Sur un  échafaudage géant, des travailleurs du bâtiment, attachés à la ceinture, courent au milieu de neuf toiles en peignant frénétiquement des fresques sur des pages qu’ils arrachent en lambeaux, au fur à mesure comme des colleurs d’affiches. Ils donnent de la voix également, en s’accompagnant de morceaux de  musique conjecturale, montagneuse, ténébreuse ou volcanique, le tout en jouant de leurs ombres qu’ils manient en coups de pinceaux délirants.

Ces artistes font penser à la jeunesse éternelle tant leur fougue semble sortir de braises immémoriales associant aussi bien les aborigènes (dixit le réalisateur) que l’énergie mythique des civilisations antiques. Bâtisseurs de rêves, oui, au propre  et au figuré devant un public médusé qui lève les yeux au ciel, étonné d’ être au milieu de tout ça, réuni sur le même tableau d’une Place Ducale qui retient son souffle, la gorge nouée par l’émotion.

 Les programmateurs  du festival travaillent déjà pour le prochain qui va avoir lieu dans deux ans. Il ne faut pas manquer le rendez vous. C’est unique, une sorte de foire magnétique pour tous les manipulateurs de marionnettes qui si elles n’empêchent par la terre de tourner, savent bien faire tourner celle d’un public devenu de plus en plus demandeur. Puisque le public fait la manche, il sera toujours le bienvenu à Charleville Mézières !

 Paris le 6 Octobre 2011

 

Evelyne Trân