Lisbeths à la Manufacture des Abbesses – 7 rue Véron 75018 PARIS

 Avec Claude LALU, en alternance Nadjina KHOURI, Babette LARGO Texte de Fabrice MELQUIOT, mise en scène Manuel BOUCHARD Du 18 Août au 1er Octobre 2011 . Jeudi, Vendredi et Samedi à 21 Heures, Dimanche à 17 Heures.

  P.S. Claude Lalu, Babette LARGO et le metteur en scène Manuel BOUCHARD  étaient les invités de l’émission “Deux sous de scène” du samedi 10 Septembre 2011,  que vous pouvez écouter et télécharger pendant une semaine sur le site de Radio Libertaire (grille des émissions).

 Un homme seul sur la scène, à l’aspect flottant, tout en verve poétique, nous arrose de paroles qui paraissent jaillir d’une sorte de one man’s land onirique tandis que l’objet de son rêve, Lisbeth, une drôle de petite bonne femme, fait son apparition sur ce sol lunaire. Et voici qu’il l’aborde cette femme, l’entraîne dans les rets de ses effluves, aussi naturellement qu’une araignée tisse sa toile, tout simplement parce qu’elle fait mouche dans l’histoire qu’il est en train de vivre devant nous.

Lisbeth comme si elle s’avançait vers l’inconnu qui surplombe ses propres ailes, essuie les paroles de l’homme avec simplicité, à la fois incrédule et subjuguée.

Aussi lentement que l’on remonte le seau d’un puits pour se mirer dans son eau, un homme et une femme font de leur roman un strip tease pudique, innocent, incroyable. « J’aime tant être nue » dit la femme qui vend des bijoux.

La récréation pourrait faire penser à Adam et Eve sur la plage mais l’on assiste à des joutes d’éclats de rêves qui ne se brisent pas mais laissent résonner quelques douleurs, quelques angoisses comme si chacun craignait de blesser l’autre ou bien de le perdre en s’oubliant.

 L’émotion est aussi  palpable que celle d’un arbre que l’on  imagine trembler dans l’obscurité, celui là même qui plonge ses racines, à l’envers, pour faire de chaque apparence, une apparition.

 Il ne faut surtout pas les réveiller, cet homme et cette femme à plusieurs visages qui se lit Lisbeths au pluriel, prévient le metteur en scène, qui les couve avec tendresse.

 La présence de  Babette LARGO est telle que son personnage Lisbeth, devient  plusieurs pour étancher la soif de celui qui ne jure que par son nom. Et l’on se surprend aussi à écouter celui de Pietr dans sa bouche, par réfraction. Claude Lalu en est un vibrant témoignage.

 Car les interprètes de Fabrice Melquiot, peignent, à même, les clairs obscurs de leurs voix, un tableau d’une candeur à la fois érotique et tendre, amoureuse. C’est une poignée d’espérance.

 Paris, le 27 Août 2011                       Evelyne Trân

Le voyage d’Alice en Suisse de L U K A S B Ä R F U S S – Prix Adami Avignon 2011 – au Théâtre de la Bruyère – 5, rue de la Bruyère 75009 PARIS, du 23 Août au 24 Septembre 2011

Le théâtre du Loup de Nantes

Metteur en scène Yvon Lapous, avec Florence bourgès, Bertrand Ducher, Nigel Hollidge, Yvon Lapous, Marilyn Leray, Yvette Poirier,

 Le voyage d’Alice en Suisse ? Qu’entendez vous vous par voyage ? S’agit-il d’un prospectus que vous avez ramassé négligemment dans une agence de voyages qui vante les charmes de la Suisse et se réfère à Alice au pays des merveilles ? Il faut croire qu’avec malice et une certaine rouerie, l’auteur a donné le prénom d’Alice à son héroïne pour faire régner le doute alors même qu’il n’est question que d’un voyage sans retour, celui qui mène à la mort. Les publicités sur les pompes funèbres ne s’y prennent pas autrement.

Pour parler de l’euthanasie sans pathos, il faut être possédé par une bonne dose d’humour noir parce c’est encore tabou, tout de même le thème de la mort, et pas commercial pour un sou, à moins d’être délicatement emballé et raconté comme une farce et attrape de la vie. Ames sensibles, abstenez vous de penser à la mort, car il n’y a pas encore de remède à la dépression, sinon celui du rire.

L’intérêt de la pièce réside dans la mise en scène de personnages de notre époque auxquels il est facile de s’identifier, parce qu’ils expriment, sans fards, les doutes et questionnements de tout un chacun. Une histoire de tourner en rond, conscience individuelle réduite à sa dernière extrémité, dogme de la liberté individuelle qui fait rejaillir le spectre de la solitude.

Cela peut devenir cocasse. Imaginez que vous preniez rendez-vous avec un médecin pour mourir, de la même façon que vous appelleriez votre dentiste. Une formalité en somme avec un « au secours » fortuit, très peu appuyé.

Le docteur Gustav Strom, apôtre de l’euthanasie, agit pour le bien de ses patients, il ne parait pas tourmenté par des questions de religion, il exécute la mise en scène de la mort toujours de la même façon. C’est uniquement parce qu’il fait encore figure de pionnier qu’il peut se prévaloir d’une certaine originalité et se définir comme un individualiste pur et dur,  doué d’un pragmatisme sans faille.

A vrai dire les rapports entre ce médecin et son entourage, patients, assistante, propriétaire, sont d’une banalité à couper le souffle, une banalité non péjorative, amusée, détachée, normale. C’est du quotidien avec juste l’amertume, pour faire passer la pilule de la mort, qui entre nous soit dit, est un événement aussi banal que la naissance. Les rapports conflictuels entre la mère et la fille, en revanche, sont plus éloquents. Comment ne pas rester songeurs de constater qu’elles se rejoignent dans la mort en utilisant la même formalité. Le suicide étant exprimé comme un geste, une action individuelle, à contrario de la mort qui ne donne pas rendez vous, sauf chez le médecin.

 Cette pièce est manifestement le reflet de notre épiderme consensuelle, un peu aseptisée, où le bien dire, le bien exprimé, le poli, nécessitent de jeter dans la fosse septique, le mal être, la folie, l’angoisse, pour être entendus, supportés. Sinon, l’on dira de vous que vous avez pété les plombs. Cela n’a rien  voir avec le théâtre de la cruauté d’Artaud, mais cela y fait songer par contraste. Alors, il ne faut pas bouder son plaisir d’assister à ce reportage teinté d’ironie sur l’euthanasie, fort bien interprété et sobrement mis en scène  par l’équipe du Théâtre du Loup de Nantes. Alice est au pays des miroirs.

 le 25 Août 2011

Evelyne Trân

Au bonheur des hommes. Cabaret satirique et musical de Jean-Marie Lecoq et Clarisse Catarino au Théâtre du Lucernaire

Du 3 Août au 9 Octobre 2011, à 21 Heures Et les dimanche 11/18/25 Septembre et 2/9 Octobre à 15 Heures

Avec Véronique Ataly – Christian Gaïtch – Jean-Marie Lecoq et le groupe « Djazz’Elles »Mise en scénographie et lumières Philippe Quillet. Costumes Anne Ruault

La force de frappe par le rire, comment y croire lorsque nous avons la sensation d’être mitraillés, via les médias, par la misère du monde, quand notre peau de chagrin explose à force d’être tendue, que c’est trop, c’est trop, et que nos bouches cousues, rafistolées, n’osent plus désigner que des pancartes. Le malheur ou l’enfer, c’est le diable, alors imaginez un diablotin en la personne de Jean-Marie Lecoq, qui fourre dans un chapeau, comme dans l’imagerie d’Epinal, quelques extraits de chair humaine qu’il malaxe le mieux qu’il peut, de façon à créer l’effervescence adéquate à la ronde effrénée de son cabaret diaboliquement humain.

 Pour leur donner un peu de piment à ces créatures, il les engraisse de phrases, des vertes et des pas mûres qui n’attendent que d’être cueillies et parfois ne veulent plus rien dire, pinces sans rire. Ouf ! Même le diable n’en peut  plus, même le diable se demande à quels  saints, il doit se vouer. Eh oui, depuis que le mal et le bien  coexistent, ils se chamaillent et la sirène de Noé « Après moi le déluge » fait de la corde à nœuds. Et voici, ces créatures qui se permettent de rire en couleurs, en arc en ciel, oh le joli trio du groupe « Djazz’Elles », pour nous faire crier « C’est le diable qui bat sa femme ». En l’occurrence, c’est le cœur de notre belle humanité qu’on entend. Et vous n’avez jamais entendu ça, un cœur rire.

 Soyons compatissants que diable, vis-à-vis de nous-mêmes. Si nous sommes sots, ce n’est certainement pas pour l’éternité. Certes, ça commence à bien faire, c’est devenu dangereux de vivre oui, ça dépasse les bornes … Circulez, il n’y a rien à voir ! Taisez-vous !

  A moins que vous ayez décidé d’offrir à votre gardien de prison, une petite pastille euphorisante, un petit clair de lune au lieu de vos papiers. Mais regardez nous, bon sang ! C’est pas écrit « misère sur notre front » Et Véronique Ataly, Christian Gaïtch,

Jean-Marie Lecoq nous le prouvent, en dansant, en chantant, en jactant, en semant à l’envi, quelques chansons qui bousculent nos vieilles comptines et serinent :

 «Tra la la …Nous n’allons pas refaire le monde, mais sait-on jamais, car nous secrétons le rire, la dérision, la subversion, la révolte, et comme vous ne saurez pas par quel bout nous prendre, à travers notre bonheur de vivre, le mot chimère, vous allumera trente six chandelles» 

 A l’encre très sympathique, oui une encre enluminée, l’équipe du «Bonheur des hommes» grimpe aux arbres de notre résignation, apôtre d’une nouvelle alphabétisation de nos mœurs par le recyclage de nos bêtises quotidiennes, en y versant ces épices ancestrales, du rire, la danse, la musique et l’humour, prodigieusement humaines.

 Un spectacle ravigotant, d’une fraicheur exquise qui fera verser des larmes à nos crocodiles politiquement corrects !

 Paris, le 13 Août 2011                  Evelyne Trân

 

 

 

Autour de la folie avec Arnaud Denis. Textes de Shakespeare, Lautréamont, Michaux, Flaubert…

Au Théâtre du Lucernaire

Du 27 Juillet au 16 Octobre 2011 à 20 Heures  

 Cultive-t-on la folie ou est-ce elle qui nous cultive ? Baudelaire ne faisait-il pas l’éloge du haschich, cette herbe aux pouvoirs hallucinatoires et Michaux n’a-t-il pas eu recours aux essences de certains champignons hallucinogènes. Dans le champ de la littérature, vous trouverez toutes sortes de fleurs, et suivant votre humeur, vous les jugerez subversives, venimeuses, malodorantes. Vous vous surprendrez même à parler avec elles car la solitude cette longue tige aimante vous rattache à la plus belle des folles,   la jolie narcisse, Ophélie ou Juliette ou Lady Macbeth. Mais on pourrait prétendre aussi qu’elle est saine, la folie, quand nous la regardons un peu de loin, que nous nous servons d’elle comme d’une ortie blanche pour nous fouetter le sang, opérer une saignée dans les alcôves de toutes ces humeurs que renferment nos corps.

C’est un fou anonyme qui parle :

 « Je ne comprends pas ce que vous dîtes ou bien je ne comprends pas le monde dans lequel je vis ou bien je le comprends si bien que vous ne pouvez pas comprendre. Dialogue de sourds entre vous et moi. Dire que je suis fou et pour quoi faire ? Pour être exhibé derrière les barreaux d’un asile ? Vous allez vous moquer de moi parce que je suis vraiment fou, je ne suis pas protégé. Je vis dans un monde de fous. Si je prends pour alibi, Shakespeare, Lautréamont, Baudelaire, Edgar Poe, Maupassant et même Francis Blanche, j’aurai dans ma sacoche une bible, une bible pour fous littéraires. Le spectacle ce sera eux, ce ne sera pas moi. Moi, je suis fou, on ne m’entend jamais, je suis anonyme, voyez-vous, derrière tous ceux qui portent un nom pour me camoufler. Vous l’avez compris, être fou, c’est ne pas être cohérent ni avec soi même ni avec les autres, oui voilà c’est cultiver l’incohérence sur un chemin sablé. Serais-je fou pour du beurre ? Allons donc, vous le savez bien, je puis bien être à la fois fou et raisonnable, pisser dans un chapeau, ou saluer avec le même chapeau. Je pourrais même être un mauvais fou, sans prétention  littéraire.

Que Lautréamont, Maupassant, ces bons fous parlent à ma place, qu’ils prêchent, qu’ils prêchent ! Quant à moi, je compte les grains de sable, les grains de folie, de la poudre aux yeux, ad vitam aeternam !

  Je me suis reconnu dans le spectacle d’Arnaud Denis. Mon Dieu que ces littérateurs sont bavards ! Je comprends maintenant pourquoi  Lautréamont est mort si jeune empoisonné par sa belle prose. Maupassant, à force de se guetter dans le miroir, a fini dans un asile. Moralité, pour vivre fou, faut pas le dire qu’on est fou. Parce qu’en réalité la folie, elle passe souvent inaperçue, non pas parce qu’elle est invisible mais parce qu’on peut très bien s’en passer. C’est de l’ortie blanche, vous dis-je, la folie, pour fouetter le sang  et Arnaud Denis l’exprime très bien, surtout quand il a les bras en croix et qu’il hurle ! Tout de même, j’attendais que le train déraille un peu. Mais c’est parce que je suis fou. Ces beaux rails de la littérature ne sont pas si souvent utilisés. Gageons qu’en termes ferroviaires, Arnaud Denis a le choix d’utiliser soit la Micheline, le TGV, le train Corail  ou le train de marchandise.

J’opte pour ce dernier et j’avoue avoir été fort secoué, quoique très serré entre Shakespeare et Lautréamont. Je n’ai repris souffle qu’à la fin, ouf ! A la faveur d’une chanson de Francis Blanche « Ca ne tourne pas rond ». J’ai rêvé d’être  heureux. A la prochaine, cher Arnaud Denis ! »   

  Pour un fou anonyme, Evelyne Trân

 

Dialogue inopiné entre un escargot et un enfant

Dessin d'Adama

J’ai toujours eu l’idée de la poésie comme d’un arbre qui se réveillait dans mon pays d’enfance, à la crête d’un sourire, à partir d’une page blanche.

Elle était petite île, cette page blanche et déjà le soleil l’éclaboussait. A cette époque, tu pouvais emprunter le pas sournois de l’ombre, tu pouvais t’adapter, n’être qu’une boule de sentiment qui roule sous la poussière ambiante. Tu n’avais ni l’idée de la richesse, ni celle de la pauvreté, tu étais là tout simplement en regardant un escargot, t’imaginais le monde tandis que très lentement, il glissait bizarrement sur le trottoir.

Ils sont allés jeter cette boule de poussière contre le mur. Pour se fabriquer un petit monticule de moi, c’était très facile et cela avait aussi peu d’importance. Les mots et les lettres sont arrivés comme des graines de pluie pour t’abriter de l’éblouissement. Mille grains de sable pour parapluie.

« Je n’ai besoin de rien, disait l’enfant, à l’escargot.

 Et l’escargot tout de même qui n’était pas rien, s’enquit de lui répondre :

– Moi, je sais que tu es venu pour réveiller les morts, pour leur demander pourquoi ils s’étaient immobilisés.

Et l’enfant s’exclama :

– Je ne sais pas ce que c’est que la mort !

 Alors l’escargot qui faisait figure de grande personne répondit :

– Mais si tu sais, c’est juste une image la mort, une image comme une sorte de porte qui indique le nom d’une personne.

– J’aurai voulu sécher les larmes de ma mère dit l’enfant et je n’ai pas réussi. Je suis trop simple, tu comprends, trop simple. Je m’en veux beaucoup d’être si simple.

Et l’escargot qui faisait figure de grande personne déclara :

– Il y aura de l’eau pour ceux qui ont soif, il y aura du pain pour ceux qui ont faim. Le vide appelle le plein et inversement.

– Je ne sais qu’une chose, dit l’enfant, lorsque je pleure, mes larmes, elles sont pareilles à toutes les larmes du monde et elles me font penser à celles que je vois dans le regard d’un chien  et j’aime beaucoup les chiens car ils sont très sages, ils aboient au bon moment et te traversent l’âme avec leurs yeux, au bon moment.

– Effectivement, tu es trop simple convint l’escargot. Sache tout de même que je suis un grand poète. Si les humains pouvaient imaginer que la poésie sort tout droit de ma petite coquille, ils en oublieraient leur assiette.

– Tout de même réfléchit l’enfant : le monde ne peut pas rouler à la vitesse d’un escargot.

– Il va encore plus lentement que ça, répondit l’escargot. Le temps a été inventé pour répondre aux exigences d’une société. Il y a autant de temps que d’être vivants ou morts sur la terre. Il y a le temps de la faim et de la soif  et aussi celui où l’on a ni faim, ni soif, la suspension, un ange qui passe et quelques broutilles qu’on appelle la poésie pour laisser venir, laisser de pauvres bestioles comme moi, sillonner la route.

  – Tu me passeras à travers le corps, dit l’enfant, j’entends plus tard te ressembler et que quiconque me regarde, te voit en train de tortiller tes antennes.

– Dans le fond, dit l’escargot, en balançant ses antennes,  il y a aussi du temps pour la poésie, quel bel arbre !

C’est un pays, n’est-ce pas, qui permet de réunir des êtres aussi différents que toi et moi,  c’est chouette !

 – Et maintenant, s’écrièrent en chœur l’enfant et l’escargot : Essayons de traverser la route ensemble !

                                                                              Evelyne Trân

 

 

 

La poésie comme roue de secours

Dessin d'Adama

Pourquoi, je choisis la poésie ?  Parce que c’est encore quelque chose qui permet de rester déconnecté. Oui, déconnecté de toutes ces béquilles qui plombent le quotidien. Il n’est pas besoin d’être écrivain pour être poète. Etre poète c’est juste un état d’esprit, une capacité ou une nécessité pour certains individus de planer de temps en temps. Pour cela il suffit juste d’utiliser ses sens. Nous rendons nous compte de la chance que nous avons de pouvoir d’un seul regard nous transporter, au-delà du point fixe où nous nous trouvons. Mais pour prendre notre élan, pour aller surprendre une silhouette, une ombre ou une maison noyée derrière un nuage, avoir la jouissance de voir, croyons-nous, quelque chose qui ne soupçonne pas notre existence, il faut s’aménager un petit espace, ne pas craindre de laisser   tomber les béquilles que nous imaginons indispensables. Les soucis matériels, ils seront toujours là de toute façon. Et zut, j’ai oublié d’acheter à manger, et zut je n’ai pas fait ma déclaration d’impôt. Ne vous inquiétez pas, chassez le quotidien, il reviendra aussitôt. Le poète a besoin de correspondre avec quelque chose qui le laisse libre.  Cela ne signifie pas qu’il cherche à fuir la réalité mais simplement que pour respirer, il lui faut communiquer avec mille choses qui affûtent son sentiment de bien être.

Un poète peut être heureux en regardant un oiseau plonger son bec dans une flaque d’eau. Ce genre de bonheur ne fera pas marcher le commerce mais il est aussi précieux qu’une goutte d’or.

Le poète ne puise pas ses ressources dans ce qu’il a ou qu’il n’a pas. Il les puise dans sa capacité d’être heureux avec ses amis. La pluie peut être son amie, elle est capable de raccorder  le passé au présent, elle embellit les souvenirs des personnes aimées. Nous sommes riches de tous nos sens mais en vérité nous n’y pensons pas, pire nous les ignorons. Et nous disons, nous n’avons pas le temps de rêver, de bailler aux corneilles. Nous faisons rarement appel à notre imagination puisque tous les chemins possibles, étant donné notre courte existence, sont balisés. Le poète fait figure souvent d’individu  déraisonnable parce qu’il ne craint pas de dépasser les bornes mais il le fait naturellement par ricochet. Quand il marche sur un caillou, il peut entendre le caillou lui parler. Est ce bien nécessaire d’écouter parler un caillou ? Sans doute que non, et pourtant… Gageons qu’un jour, nous ferons davantage appel à nos forces insoupçonnées de rêve pour comprendre que si nous  avons en nous du soleil, des étoiles et des nuages, de l’eau et du feu, nous ne sommes pas aussi démunis que nous le croyons, Pouvoir se raccorder à une pierre, à une goutte d’eau, à une plume de pigeon ou à un regard d’enfant, croyez-moi , c’est aussi valable que d’être connecté à internet ou regarder sa montre. Oui, les poètes tracent certains chemins et parfois il suffit de laisser tomber ses bagages pour leur tendre la main et les suivre pour nous découvrir encore et encore…

 Evelyne Trân