TCHEKOV, côté jardins, en plein air : La demande en mariage, L’ours, Les méfaits du tabac, par le Centre dramatique de la Courneuve
Mise en scène Rainer Sievert avec Marc Allgeyer,Damiène Giraud, Maria Gomez, Jean-Luc Mathevet, Jean-Pierre Rouvellat
Découvrir Tchekhov en plein air, c’est génial ! Quels meilleurs terrains d’atterrissage pour des comédiens extra-terrestres, que des cours de récréation en vacances !
La nature a horreur du vide, c’est bien connu. Alors pour maquiller le silence, faire rêver les grands immeubles, plongés dans la pénombre, oui dans cette grande forêt anonyme, quelques lutins « crétins » (c’est le titre d’une chanson) investissent tous les jardins d’aération qu’ils appellent quartiers, en référence à la lune, et proposent aux habitants et même aux étrangers, leurs spectacles.
Les comédiens sont si bien imprégnés de leurs personnages qu’ils pourraient jouer sur les cratères de la lune, mais les cratères des cours de récréation de la COURNEUVE, c’est encore mieux !
Un petit théâtre sur tréteaux qui a l’air d’être descendu du ciel,donne l’impression aux spectateurs d’être en parachute. Comment se fait-il que toutes les portes de la scène donnent sur la cour, et que même à l’intérieur de leur petit espace dérisoire, les personnages se retrouvent toujours dehors et surtout hors d’eux.
Tchekhov a l’âme d’un conteur. Les entrées et les sorties, il connaît. Il était médecin et avait toujours, en ligne de mire, la fameuse salle d’attente de tous les personnages qu’il s’apprêtait à ausculter. Il leur disait à tous « Je vais vous prendre la tension » Et fort de sa souveraine expérience, il livre quelques solutions, très prosaïques, très proches de la saignée préconisée par les médecins de Molière. Quand ses patients ont bien hurlé, pour soulager leur rate ou leur foie, exténués, ils consentent au mariage des sens, ils subliment leur bile et en viennent à se lécher les uns les autres, un peu comme des animaux. Mais « qui veut faire l’ange fait la bête », c’est Pascal qui l’a dit et il n’était pas bête.
Sous la férule d’un metteur en scène très attentif aux petites choses de la vie, de sorte que tout ce qui parait rudimentaire devient essentiel (une sonnette, un affreux rideau, un vieux magnétophone ou un lampadaire qui louche), l’ours, le futur beau père, la fille à marier, la veuve éplorée, le mari persécuté, deviennent très réels, nous renvoient à nos propres clameurs étouffées, les dialogues de sourds qui gondolent, hérissent, tapissent nos atermoiements. Et à la fin, nous ne pouvons plus pleurer que de rire !
Cependant Tchekhov ne serait pas Tchekhov, si derrière la farce, comme un très mince croissant de lune, ne s’agitait pas la finesse de son sourire.
Les comédiens l’expriment aussi cette finesse. De sorte que sous ses dehors burlesques, beaucoup de poésie se dégage de ce spectacle qui a vraiment du charme et se porte comme un arbre en pleine cour de récréation, le soir à LA COURNEUVE.
Paris, le 25 Juin 2011
Evelyne Trân
Mise en scène : Jean HACHE et Roland HEGAULT.