Le Misanthrope au Théâtre du Ranelagh, mise en scène de Serge Lipszyc

  moliere1973.1301139368.jpg le_misanthrope_-_ranelagh.1301138680.jpg Théâtre du Ranelagh – 5, rue des Vignes 75016 Paris  Du 12 Mars au 21 Mai 2011 à 21 H du mercredi au samedi 17 H le dimanche  

Le misanthrope, c’est le genre de personnage qui peut vous venir à l’esprit lorsqu’ayant frôlé trop brusquement un mur, vous vous égratignez la peau. Aussi légère soit-elle, l’égratignure vous donne à penser que c’est bien fait pour vous, que vous n’aviez qu’à regarder devant vous, faire attention. Vous voilà tout con, irrité, l’injure au bord des lèvres, et si vous disposiez de la belle langue de Molière pour vous répandre en lamentations, vous vous y engouffreriez, aussitôt. Quel bonheur d’écouter Molière faire parler le cœur plutôt que la raison ! Si son esprit pouvait s’échapper de votre sac à mains,  d’une loupe, d’un petit miroir de fortune, dans un métro bondé, une cage d’ascenseur, tandis que l’œil blême, vous regarder passer les trains, il vous sauverait la mise. Même de travers, vous auriez envie de lui sourire.  Le misanthrope, c’est un frère, un ami, c’est Molière lui-même.C’est le type même du râleur insupportable, insatisfait qui fait beaucoup de bruit pour rien, pour s’entendre ou essayer de s’entendre. Un personnage qui se prend très au sérieux et que personne ne prend au sérieux; je crois que cela suffit à le rendre sympathique. Il doit être jubilatoire pour les comédiens de jouer dans le Misanthrope où l’amour propre est le dénominateur commun de chacun des personnages. Tolérance ou hypocrisie, bienséance ou vulgarité, malice ou sincérité, Molière laisse entendre  que c’est l’esprit de vanité qui règne et nous avons le choix, soit de nous consumer comme Alceste, soit de tirer les marrons du feu comme Philinte, soit de jouer avec le feu comme Célimène. La scène du Théâtre du Ranelagh est un joli écrin pour la manifestation de tous ces personnages écrasés par le portrait géant de Louis XIV en toile de fond. Une image impassible, imperturbable, inatteignable. Un détail du tableau pourtant glisse vers nous, suggérant que Louis XIV n’est pas seulement une image,  qu’il aurait des aptitudes à s’émouvoir : c’est un petit  billet tenu entre deux doigts. Un billet insigne mais qui frappe par sa blancheur. Représente t-il à lui seul la liberté du sentiment ?Joli clin d’œil de la part du metteur en scène qui campe un Alceste très humain. Le crêpage de chignons entre Arsinoé et Célimène est superbement joué par les comédiennes. Célimène, Valérie Durin brille de tous ses feux. Nadine Darmon, Arsinoé,  réussit à rendre piquante et sensuelle une bigote, ce qui n’est pas une mince affaire. Bruno Cadillon par sa diction éclatante sort de l’ombre. Philinte et Lionel Murin, en poète « décomposé »  est un Oronte plus vrai que nature.   Le comique des situations est-il suffisamment accentué ? Pour l’expression de sentiments incongrus, politiques, puisque dès lors qu’il s’exprime en société, un individu fait innocemment de la politique, Molière a choisi le tissu précieux de l’alexandrin.   Comment mieux faire assaut de sincérité, sinon en mettant en valeur les sentiments les plus répandus, à travers une belle langue. Les politiques le savent bien, qui ont, pour la plupart, pris des cours de comédie. «Vous n’avez pas le monopole du cœur » lançait un président à un autre lors d’une joute célèbre. Voila une phrase qui semble sortir de la bouche de Molière. Comique ou pas comique ? Gardons nous de ronronner, nous n’en aurons jamais fini avec Molière. Si vous souhaitez un peu de galon à vos effets de manches, chers spectateurs, pour converser, gloser, rire en alexandrins,  allez donc assister à cette représentation puriste du Misanthrope, dans son joli écrin du Théâtre du Ranelagh !  Paris, le 26 Mars 2011 Evelyne Trân

Cet été là à SOCOA à L’ESSAION, une pièce de Claudette Lawrence

Mise en scène Clément Rouault Du 3 Mars au 9 Avril du jeudi au samedi à 20 H Relâche le 26 Mars, date suppl. le 17 Avril  

Voilà une pièce qui pourrait faire l’objet d’une nouvelle, tant le sujet est traité un peu en coup de vent, sans laisser le temps aux spectateurs de saisir complètement sa portée. Il s’agit pourtant d’un drame qui pointe du doigt l’interdit qui pèse sur les relations amoureuses entre adultes et adolescents. Mais, l’histoire est relatée de manière trop  démonstrative, pour susciter véritablement la compassion du spectateur.Cet ingrédient, la compassion, c’est le point fort des tragédies de Racine et de Corneille. L’auteur a choisi le terrain de la comédie. C’est à la fin seulement que nous découvrons que la comédie peut accoucher d’un drame. Il est difficile, en effet,  de s’apitoyer sur la crise de la quarantaine de la jeune femme.  Quant aux troubles des adolescents, comment nous étonneraient-ils ? De plus, la grand-mère qui joue le rôle d’intermédiaire est un personnage sympathique, équilibré et fade. Hommage à la liberté, celle d’aimer et de vivre un amour impossible, ou bien démonstration qu’Eros et Thanatos (c’est le thème de prédilection de Georges Bataille) se tiendront toujours la main ? Avec un zeste d’imagination, nous pouvons encore ouïr le drame d’Œdipe et convoquer Freud au chevet de cette petite bourgeoise qui tente de passer sa tête entre les mailles de l’amour sans posséder la virulence de Phèdre. Les comédiens sont tous convaincants dans leurs rôles, notamment Pierre Lottin, en jeune adolescent frondeur. A la mise en scène, il conviendrait de fluidifier cette tragi-comédie par quelques bornes de mystère. En conclusion, une tragi-comédie qui a des allures du célèbre feuilleton «Plus belle la vie» jouée avec sincérité et conviction par de jeunes comédiens pleins de promesses. Paris, le 13 Mars 2011  Evelyne Trân

LA CAGNOTTE de LABICHE A L’EPEE DE BOIS, mise en scène Laurence Andréini

Du 1er au 20 Mars 2011

Du mardi au samedi à 21 Heures, samedi et dimanche à 16 Heures.

1298367479417.1300017564.jpg  La Cagnotte est l’une des comédies-vaudevilles de Labiche, les plus connues. Elle fait partie notamment du répertoire de la Comédie Française, chargée de sauvegarder le patrimoine classique. Evidemment, les mésaventures de ces petits provinciaux de passage à Paris ne collent plus avec notre vision « moderne»  de la société. Seraient-elles donc des pièces de musée, ces comédies, témoignant d’une époque révolue ? Grâce à la mise en scène de Laurence Andréini, voici que sous la poussière des années écoulées, plus de cent cinquante ans, au-delà du cadré doré, nous découvrons une famille de personnages, de caractères beaucoup plus proches de nous que nous saurions l’imaginer.  Tout simplement parce qu’il y  va de la nature humaine comme des changements de quartier de la lune. Labiche d’un pinceau léger mais vif est un caricaturiste insolent, un observateur à la foi tendre et perfide, de son propre milieu. Il faut un sacré culot tout de même pour envoyer paître en prison et faire dormir dans un squat, des petits bourgeois si imbus d’eux-mêmes qu’ils ne tireront aucune leçon de leurs déconvenues. Sortis de leur domaine, qu’ils soient, clerc de notaire, paysan, pharmacien, épicier, ces individus sont complètement dépassés par les évènements, ils se retrouvent étrangers, en un mot ils sont paumés. Tous les vieux ressorts humains de défense, du quant à soi,  vergogne, vanité, avarice, font un vacarme incroyable. « Changez de trottoir !  » souffle Labiche à ses contemporains en leur faisant subir le test de Pavlov. Le regard de Laurence Andréa ni accentue l’aspect grotesque de ces personnages. C’est un succédané de carnaval de grosses têtes. La future épouse du clerc, marche à quatre pattes ou grimpe sur la table, en toute innocence. Et puis, ces «imbéciles» n’ont pas la langue de bois. «Tu épouseras une femme borgne, parce que cela coûte moins cher» clame le père à son fils.  Ils sont tellement de bonne foi, ces animaux, leurs désirs si humains : aller s’amuser à Paris, chercher l’âme sœur par le moyen de petites annonces. Voilà des préoccupations, somme toute, universelles. Avec Labiche, nous pouvons fort bien aussi nous projeter dans le théâtre de Ionesco ou d’Alfred Jarry et pincer du doigt cette merveilleuse bande dessinée de Christophe, la famille Fenouillard. L’on dit que la vérité sort de la bouche des enfants. A ce spectacle ils pouffent de rire. La recette qui consiste à faire rire du malheur des autres est sans doute facile mais chez Labiche, elle reste d’une efficacité surprenante, un euphorisant de nature à calmer les esprits grincheux.   Les comédiens comme s’ils sortaient de la partition d’un orgue de barbarie, colorent à merveille la mécanique de l’horloge, agrémentée de chansons naïves. Le pantographe amovible de Philippe Mariage, qui fait appel à l’imagination du spectateur, souligne le dessein de la metteure en scène de sortir Labiche du musée, pour lui faire prendre l’air et le nôtre.

Esprits chagrins, ce spectacle n’est pas pour vous, il s’adresse aux bons vivants qui croient encore aux sortilèges du rire ! 

Paris, le 12 Mars 2011 Evelyne Trân

KELKA ET HELEN JUREN A LA MANUFACTURE CHANSON

KELKA ET HELEN JUREN A LA MANUFACTURE CHANSONEspace Christian Dantewww.myspace.com/kelkanet  www.myspace.com/helenjuren 

Quel plaisir, hors des sentiers battus, d’aller à la rencontre de deux jeunes chanteuses vives et créatives capables d’assouvir notre soif de poésie !

Kelka et Helen, soulèvent et secouent comme des bouquets de senteurs, les chansons qui tapissent leurs tabliers et leurs paysages vagabonds, s’habillent de ces fleurs avec fantaisie et humour. Kelka a choisi le costume de sorcière pour jeter un sort à ces drôles histoires qui maltraitent son côté «fleur bleue» et dressent le portrait d’une petite peste si curieuse de la vie qu’elle ne craint pas d’associer les chardons, les pissenlits et les coquelicots. Sa gaieté est communicative et son énergie si manifeste qu’elle ne fait qu’une bouchée de pain de la petite scène de la manufacture. Cette mégère finira-t-elle par apprivoiser la tendre et douce Kelka ? Nous le saurons aux prochaines représentations car nous avons hâte de découvrir, sous les effluves,  une interprète capable, à mon avis, d’ensoleiller toute une gamme de sentiments. 

Helen Juren, quant à elle, porte en son sein l’étrangère qui tutoie la neige éternelle au soleil. Elle parle cette langue de façon extrêmement crue et osée avec beaucoup de force.Son répertoire est intemporel, et vaste, au rythme des Balkans et des mélodies d’Afrique et d’Orient.  Comédienne, elle fait jouer son corps comme s’il s’agissait d’un instrument de musique, inédit. C’est très impressionnant. Beaucoup de talent qui ne pourra manquer de s’épanouir sous le regard d’un metteur en scène avisé. Les deux musiciens Marcel Bort et Thierry Le Polles qui accompagnent à la guitare, les deux chanteuses,  font preuve d’une attention généreuse à l’égard de ces deux flammes-femmes.  Ca pousse encore en France les chansons, et comme les fleurs pour résister au vent et marées, elles ont besoin de s’entendre dire qu’on les aime. La présence de jolies voix sur scène, c’est tout de même autrement appréciable qu’un casque sur les oreilles.Déplacez-vous, cher public, et faites donc tourner, le manège de votre rêve musical entre ciel et terre !  Le 13 Mars 2011 Evelyne Trân

LE LAVOIR, UN TABLEAU VIVANT A VOIR à l’Epée de Bois

proglelavoir-index.1299749047.gif LE LAVOIR Texte de Dominique Durvin et Hélène Prévost Création : Compagnie Théâtre et Toiles Du 7 au 19 Mars 2011 à 19 Heures Théâtre de l’Epée de Bois – Cartoucherie – Route du Champs de manœuvre -75012 – Paris

 Un portrait éblouissant de femmes à l’Epée de Bois. Eblouissant, comme l’eau qui bout au soleil, une sorte de tableau vivant traversé en trombe par une colonie de lavandières sous l’égide de  la Liberté d’Eugène Delacroix. Les spectateurs ont devant eux, de plain-pied, un lavoir et croient rêver. Ont-ils gardé trop longtemps l’œil fixé sur la peinture de Delacroix, de sorte que les voilà pris au piège d’une hallucination collective. Ce tableau n’a rien à envier à celui de Delacroix, il est sublime. Et en plus, il parle, il chante, il danse. La scène comme une véritable toile, oui, grâce à la mise en scène inspirée de Brigitte Damiens, le talent de la scénographe et costumière de Laurence Bruley, qui font de cette création, une sorte d’opéra  à mains nues. Car la beauté du spectacle est naturellement portée par l’émotion qui saisit les entrailles des comédiennes, à l’aube d’un évènement tragique, la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 Août 1914.Nous n’assistons pourtant qu’à une journée ordinaire de lavandières si rompues à la tâche qu’elles pourraient l’exercer les yeux fermés. Frotter, laver, battre le linge, c’est très physique mais ça n’occupe pas entièrement l’esprit. Joindre le geste à la parole ? Laver, laver la vie en somme. Eternel recommencement, l’œil rivé sur les salissures, avoir la tête qui s’étourdit sous le feu du soleil. Toujours le même manège, toujours les mêmes soucis qui rôdent : la misère, les mômes, le mari etc. Les lavandières s’émulent, elles ont toutes des chagrins, des rêves  cachés. Pour égayer leur travail monotone, elles papotent, se chamaillent,  et se racontent leur vie. Les peines et les joies qu’elles trimballent comme des paquets de linge autour de la taille ou sur le dos, finissent par épouser leurs gestes, leurs manières, leur combat et leur révolte Comment ne pas espérer que toute cette énergie qui se dégage de ces femmes, du déballage du linge sale à l’étendage du drap propre, puisse servir aussi à la prise de conscience de leur rôle dans la société.Cette réflexion, elle est au cœur du travail, d’une certaine vision du travail dans la société, elle peut devenir véhémente. Elle est incluse dans la mémoire des corps, elle résonne à travers eux et se poursuit de génération en génération.Le corps pourrait-il guider l’esprit ? Oui, lorsqu’il n’est plus assimilé à une bête de somme. Quelle mouche les pique donc, ces lavandières qui en viennent à se trémousser ou à chanter en plein labeur ? Le compositeur méditatif qui joue du hang, un instrument à percussions, semble improviser au fur et à mesure, par petites notes, par petites perles de sueur, réfléchissant, tel un zeste de soleil, chaque geste, chaque parole, bruits et silences de cette grande lessive.Il s’agit d’une création exigeante, travaillée vive que je salue sans réserve et avec admiration.Un tableau vous dis-je, plus qu’épique ou impressionniste, une vision, étourdissante !      Paris, le 9 Mars 2011               Evelyne Trân

Métiers de nuit : Création le Bruit des Hommes

Métiers de nuit Création : Le Bruit des Hommes Contact : 04.94.72.79.67/06.11.08.67.82  Les 1, 2, 4 et 5 Mars 2011 à 20 H A La Gare au théâtre de Vitry sur Seine le 7 JUILLET 2011 : Valbonne Festival Arts de la Rue

7 auteurs, 7 acteurs, 5 compagnies  Le projet est ambitieux et humble à la fois, pensez-vous. Seul, un prestidigitateur oserait faire glisser dans son chapeau, 7 auteurs, 7  acteurs et 6 metteurs en scène. Noé avec son arche avait déjà eu l’idée de refaire le monde. Le magicien en question, quant à lui, a fait confiance à quelques auteurs pour raconter une nuit, une seule nuit à travers des personnages de la vie courante : une lampe de poche, aide-soignante, écrivain, serveuse, gardien de musée, animatrice de raves parties, pharmacien.

Quand tous ces personnages figureraient sur la mappemonde de notre cervelle étoilée par la nuit, les yeux fermés, il n’y aurait plus qu’à les écouter hanter nos rêves, en traversant la scène pour vérifier leur existence, le message dont ils sont porteurs, les formules qu’ils écrivent pour nous au tableau, sans d’autre rime et raison que d’être messagers de la nuit précieuse et inquiétante qui ourle nos paupières.

Manifestement, ils ne sont pas là pour refaire le monde. Ils sont simplement là pour témoigner qu’ils en font partie comme 7 épis de blé qui penchent, se redressent sans se rompre, sous le fard de notre conscience, qu’elle soit politiquement correcte ou pas. Tous ces personnages qui ne se rencontrent pas mais se côtoient tètent les mamelles de la nuit à l’aune de leur solitude.Le monologue est une forme de discours, en trompe l’œil. Evidemment, puisque chacun des protagonistes ne cesse d’interpeller l’autre, et que l’on  imagine qu’il n’aurait rien à dire s’il n’était justement débordé par cet autre, nominé, innommable qui le travaille, qu’il appelle cancer, ennemi, société, mal, ennui.Depuis l’antiquité, les auteurs de théâtre ont pour mission de toucher du doigt, les maux de la société, jouer le rôle de clignotants de l’inconscient collectif. Suivant les auteurs, les monologues sur plateau, tanguent plus ou moins. Un personnage se mesure t-il au poids de ses mots ? C’est à ce niveau qu’intervient l’art du comédien, pour soulever un texte aussi complexe soit-il. A cet égard, les interprètes  féminines, Estelle Galarme (la serveuse) Emilie Blon Metzinger (l’aide-soignante), Sophia Johnson (l’animatrice de raves parties) font preuve d’une belle énergie, elles nouent, déplacent les paroles jusqu’au cœur, elles sont poignantes. Les interprètes masculins, Hervé Masquelier (le gardien de musée), Sébastien Tavel  (le pharmacien), Yves Borrini le philosophe), sans doute à cause de leurs personnages plus intellectuels, paraissent plus statiques, introvertis. Quand à la lampe qui se confond avec son comédien Stéphane Bault, avec ses va et vient spectaculaires, elle fait heureusement sourire. Un échange de rôles pourrait être bénéfique à la texture du spectacle. J’imaginerais bien le gardien jouer le rôle du pharmacien et vice versa. Parce qu’il s’agit tout de même d’un plateau tournant, d’une roue qui tourne et d’une même nuit, parait-il, pour des voix qui se cherchent. Fractions de monologues, qui invitent au dialogue.Souhaitons bon vent à cette belle arche de théâtreux pour leur tour de magie, sous les auspices d’une divinité théâtrale qui à l’instar de Shiva, à plusieurs bras à son arc !  Paris, le 5 Mars 2011               Evelyne Trân Métier de nuit 7 auteurs : Yves Borrini, Joseph Danan, Marie Dilasser, Philippe Dorin, Samuel Gallet, Pietro Pizzuti et Laurence Vielle. Avec : F.Andrau, S.Bault, E.Blon-Metzinger, Z.Boussouf, D.Borrini, Y.Borrini, G.Cantillon, M.Courbet, E.Galarme, S.Johnson, C.Joly, M.Lissillour, H.Masquelier, J.Mathis, S.Tavel, P.Vigna, L.Ziveri (metteurs en scène, dramaturge, acteurs, éclairagistes, techniciens et administratifs).Production : Le Bruit des Hommes, co-production : Le Comedia – Théâtre d’Aubagne et les cies associées. Avec le soutien de la ville de Toulon, de l’agglomération Toulon-Provence-Méditerranée, du Conseil Général du Var, de la Région PACA, et de la DRAC PACA.Durée : 150 minutes

Les cerises au kirsch ou itinéraire d’un enfant sans ombre. Ecrit et interprété par Laurence Sendrowicz

arton144-01d0c.1298987312.jpg Mise en scène de Nafi Salah

 Musique originale : Yaacov Salah – Costumes : Méïr Salah – Lumière : Pascal Noël Au Théâtre de la Vieille Grille,1, rue Puits de l’Ermite 75005 Paris Du 23 Février au 20 Mars 2011 du mercredi au samedi à 21 H Dimanche à 17 H 30

On les appelle des fous ceux qui entendent des voix dans leur tête, ces voix qui surviennent souvent à l’adolescence et accaparent l’être sans qu’il puisse saisir pourquoi. Les histoires familiales ne se déclinent pas toujours sur un joli album de photos ou à l’aide d’un arbre généalogique pimpant. Parfois, elles pourraient se comparer à un escalier découvert par inadvertance en soulevant un rideau censé le cacher. Et à côté de marches encore propres, en avançant un peu, ce sont des plus anciennes ébréchées et poussiéreuses que l’enfant découvre en tremblant comme s’il venait de pénétrer dans un lieu interdit. Si l’enfant spontanément soulève le rideau, favorisant un courant d’air, en s’engageant dans l’escalier, l’angoisse le gagne parce qu’il devient prisonnier de l’obscurité sans pouvoir se raccrocher à  la rampe.

 

Ces impressions sont indicibles et solitaires, elles empoignent l’enfant plus perméable, plus disponible aussi que l’adulte. Il est né le divin enfant, il est fêté, adulé, on astique la maison pour son arrivée. Comment dire que la naissance d’un enfant, ce n’est pas seulement une histoire de reproduction. Il n’y a pas de génération spontanée aussi bien pour les légumes, les plantes que les humains. Nous ne naissons pas de rien. Ca fait très étrange de se le dire. Certaines femmes pourraient se demander si ce n’est pas pour conjurer la mort qu’elles ont souhaité donner la vie. Que la naissance puisse faire écho à la mort, c’est vraiment trop lourd comme idée et pourtant…

 

Dans cette histoire familiale à travers trois générations, Laurence Sendrowicz ne se perd pas en considérations métaphysiques ou religieuses, elle parcourt un chemin de voix qui se répondent à travers le tissu léger, tangible de vies presque parallèles, oui toujours sur la même route, séparées seulement par quelques années. Comme elle interprète chacune de ces voix, parfois l’on ne sait plus si c’est l’enfant de la 3ème génération qui parle ou celui de la première. L’histoire est captivante car elle est racontée par des enfants que l’on entend réellement vivre, converser, se disputer. Comment tromperait-on l’absence des parents qui ne sont jamais revenus ? Les paroles se traversent, elles s’unissent non pas pour conjurer le sort mais pour lui apporter de la lumière, de l’espérance. On peut construire sur du vide dit le jeune enfant devenu grand père. On s’aperçoit alors que la douleur est  immense, irrationnelle alors même qu’il prétend être rationnel. Il s’agit d’une histoire banale d’enfants juifs, arrachés à leurs parents, dit Laurence Sendrowscz. J’ajouterai qu’elle est tellement banale qu’elle peut toucher n’importe quel humain qu’il soit juif ou non.

 

Elles sont parmi nous ces voix parce qu’elles ont des choses à dire.  C’est aussi ça le théâtre, donner la possibilité à une auteure interprète, aussi naturelle, juste et pudique que Laurence Sendrowcz de s’exprimer. Parfois, il faut oser parler de ses douleurs enfouies. Ce travail est salutaire pour nous adultes qui nous rappelons comment enfants nous tournions autour de l’arbre avant de recueillir au vol, ravis, l’une de ses feuilles. C’était un signe de bonheur.  

Evelyne Trân

Paris, le 27 Février 2011